Tempête de clowns : une introduction

Tempête de clowns : une introduction

Par FREYHEIT Matthieu, HOFFERT Yannick

 

Qui l’eût cru ? Sûrement pas un clown. C’est pourtant l’un d’entre eux qu’une partie du monde attendait fiévreusement en octobre 2019 pour la sortie en salle du Joker de Todd Philipps, qui s’est imposé avant même sa diffusion – la promotion faisant parfois office de prophétie autoréalisatrice – comme un succès critique et économique. Le clown est assurément une des grandes figures stars d’aujourd’hui, sur de nombreux plans de la pratique et de l’imaginaire, tant son actualité est riche et diverse. Envisager le paysage clownesque contemporain dans ses différents pans – pratiques sociales, pratiques scéniques, pratiques audiovisuelles – conduit à se confronter à un monde en mouvement, fort en contrastes. Un temps fort des clowns se déroule en ce moment même, un temps d’énergie liquide où les clowns déferlent en tempête et n’en finissent pas de faire entendre, même si parfois nous n’y comprenons rien, leur « parole de clown » :

 

Le clown était hors-circuit

Entre deux répétitions…

Il s’amusait comme il pouvait.

– As-tu fini de faire le clown ?

Dit au clown

Le directeur du cirque.

Et le clown interdit

S’interdit

De faire le clown.

Il fit

Le chien, le singe, l’otarie…

Savants,

Naturellement.

 

Et tout le monde

Applaudit  1.

 

Ce moment d’interstices et de métamorphoses, de glissements autant que de glissades, de rouleaux et de roulades où jamais l’interdit ne « déclowne », nous proposons de le nommer « clownstorming ».

 

Proliférations

Le clown était pourtant mort. Fellini avait mis en scène son trépas comme une cavalcade essoufflée, dans un dernier tour de piste infernal et vertigineux (I Clowns, 1970). Mais, à bien y regarder, Fellini disait moins la mort du clown qu’il ne prophétisait sa résurrection et sa multiplication. L’équipe du tournage, représentée selon un processus spéculaire dont le réalisateur est coutumier, apparaît irréfutablement clownesque, de même que sa quête nostalgique des grands clowns du passé. Le temps d’un plan fugace, l’on aperçoit Victoria Chaplin et Jean-Baptiste Thierrée, présentés comme « deux jeunes clowns » qui cherchent à « rénover les entrées clownesques traditionnelles 2 ». Le film laisse apercevoir ce duo comme une résurrection subtile et aérienne du clown, sous une forme débarrassée des oripeaux devenus parfois pesants du clown du cirque canonique. Pourtant, le constat fellinien de décès n’est probablement pas entièrement faux. L’âge d’or de la comédie clownesque fondée sur la dynamique du blanc et de l’auguste est, à l’époque de I Clowns, loin en arrière. Et en même temps, d’autres clowns sont possibles. Tout se passe comme si, après le règne de la comédie clownesque, mille enfants clownesques, dissemblables et débordants, s’étaient mis à prospérer : tous firent « le chien, le singe, l’otarie », multipliant les réponses à notre besoin de clowns.

De fait, les clowns ont gagné divers lieux de spectacles, divers lieux de la vie publique, mais aussi les fictions de grande audience, qu’elles soient cinématographiques et télévisuelles, où le clown est devenu une figure récurrente des fictions d’horreur et des fictions policières – mais pas seulement : on pense, par exemple, à Krusty, figure incontournable des Simpsons de Matt Groening. La scène musicale du 21e siècle accueille également son lot de clowns. Plusieurs titres ou albums évoquent des clowns tristes, par les paroles (Soprano, « Clown », 2014 ; Saez, « Le Manifeste », projet de long terme lancé en juillet 2016 et dont l’emblème est un clown triste nommé Mélancolie) ou par la pochette d’un album (Earth to Dora du groupe Eels, 2020). Les années 2010 voient l’émergence, sur la scène musicale nord-américaine, d’abord à travers une vidéo devenue virale sur la plateforme numérique You Tube, de Puddles, un étonnant clown blanc muet et chantant, au corps massif de sept pieds de haut, créé par Mike Geier. La « planète des clowns », pour reprendre le titre de l’essai d’Alfred Simon 3, n’a peut-être jamais été aussi abondamment et diversement peuplée qu’en ce début de vingt-et-unième siècle.

Le processus de débordement clownesque n’est certes pas récent. Nés au sein du théâtre élisabéthain, les clowns ont ensuite fait leur entrée sur la piste à la naissance du cirque moderne, sans pour autant perdre contact avec les scènes. Quasiment dès les débuts du cinéma, les clowns ont conquis les écrans, laissant à l’histoire des figures désormais bien connues, de Chaplin à Keaton, de Laurel et Hardy aux Frères Marx, de Pierre Richard à Jerry Lewis, mais aussi, dans le contexte télévisuel, à Rowan Atkinson, alias Mister Bean. Les nouvelles vies du clown se déroulent évidemment aussi sur les scènes du théâtre et du music-hall, ainsi que sur les pistes du cirque – l’histoire culturelle du 20e siècle est jalonnée de noms de clowns de talent, des frères Fratellini à Charlie Rivel en passant par Grock. Le clown est également intervenu de manière puissante dans le théâtre avec, notamment, Jacques Lecoq, dont on sait l’influence très forte que son travail a eue et continue d’avoir, faisant du clown une préoccupation importante, à partir des années 1960, au sein même de la réflexion sur le jeu théâtral et sur la formation de l’acteur 4. Un mouvement que complète, à partir des années 1980, la tendance des clowns à se diffuser dans l’ensemble des sphères de la vie sociale, ce dont témoignent les travaux pionniers du Bataclown et de ses clowns d’intervention porteurs de la « clownanalyse 5 » qui leur permet d’apporter un regard (im)pertinent en divers lieux de la vie publique et professionnelle (séminaires d’entreprises, colloques, moments de réflexion publique, etc.). Le vaste mouvement des clowns hospitaliers, initié aux Etats-Unis et importé avec succès en France, participe de cette même dynamique, qui a elle-même été relayée par des fictions de natures diverses – l’on songe au biopic hollywoodien Patch Adams (Docteur Patch, 1998) dans lequel le médecin et clown Hunter Adams est interprété par Robin Williams, ou encore à l’hommage rendu par Laurence Gillot à ces clowns médecins (à moins qu’ils ne soient médecins clowns ?) dans Docteur Rire (éditions de l’Étagère du bas, 2021, illustré par Vanessa Hié).

Parallèlement à ces débordements qui le conduisent à perpétuellement franchir la limite des espaces qu’il occupe, le clown s’est inscrit de plus en plus fermement sur les territoires de l’imaginaire. Là encore, le phénomène n’est pas sans héritage et date, au moins, de l’époque romantique – Jean Starobinski en a rendu compte dans son important essai Portrait de l’artiste en saltimbanque 6. De toutes parts, donc, « on cultive les grands clowniers / où mûrissent, l’été, les clowns 7 » : il convenait, dès lors, de développer l’art de les accommoder.

En réponse à cette prolifération et cette diversification des formes clownesques, le monde intellectuel s’est ainsi décidé à mettre en place une réflexion dont un marqueur est l’entrée (officielle) des clowns dans l’Université française en tant qu’objets d’étude. La fréquence des colloques sur les clowns s’accélère en effet dangereusement : on identifie, notamment, le colloque « Clowns : rire et/ou dérision ? » organisé à l’Université Rennes 2 par Nicole Vigouroux-Frey à la fin des années 1990, et qui a donné lieu à une publication en 1999 ; le colloque « Figures du clown sur scène, en piste et à l’écran » organisé en novembre 2012 à l’Université Paul Valéry de Montpellier par Philippe Goudard, et dont les actes ont été publiés en 2020 ; quant au présent numéro, il est en grande partie issu du colloque du même nom, organisé à Nancy 2017. Des thèses sont soutenues sur le sujet, relevant d’ancrages disciplinaires significativement divers : Ana Milena Velasquez Angel, Le Jeu du clown dans la Colombie contemporaine : la renaissance du clown, un acteur social et politique (soutenance 2013), Delphine Cézard, Les « Nouveaux » Clowns : approche sociologique de l’identité, de la profession et de l’art du clown aujourd’hui 8 (soutenance 2012, publication en 2014), Rafaël Resende Marques Da Silva, Développement d’une pédagogie du jeu clownesque : un parcours entre Brésil et Europe (soutenance en 2018), Maria Ribeiro Soares, Le Clown, un être du contraire : une trajectoire en formation (soutenance en 2019), Marjorie Colin, De la pesanteur à la grâce : les « clowneries métaphysiques » dans le théâtre de Samuel Beckett (soutenance en 2019). Dans un essai important publié en 2022, Daniel Payot propose de penser le 20e siècle, à travers la philosophie, comme « le temps des clowns » 9. Relevons aussi qu’émergent des figures (non criminelles) de clowns-théoriciens, ce dont rendent compte, entre autres, les publications du Bataclown : Voyage(s) sur la diagonale du clown. En compagnie du Bataclown, 2012, et Les Clownanalystes du Bataclown. Miroirs révélateurs de la vie sociale, en 2017, tous deux par Bertil Sylvander et Jean-Bernard Bonnange.

Contrairement à ce que semble dire le film susmentionné de Fellini, le clown n’est donc pas mort mais, comme l’annonce ce même film dans un mouvement d’auto-contradiction, se démultiplie et prend des formes inattendues. Une prolifération clownesque qui concerne à la fois le domaine des pratiques (circassiennes, scéniques, sociales) et le domaine des représentations, de l’imaginaire. Si l’on osait – et une approximation anglo-française nous y invite, affirmant que, lorsqu’il s’agit de clown, on nose 10 –, l’on avancerait qu’il existe, aujourd’hui, bien plus de cinquante nuances de clowns. Le collectif poétique intitulé Les poètes et le clown, publié aux éditions møtus dans les années 1990, est à ce titre éloquent : chaque poète y est publié sur un papier de couleur différente, la variété chromatique évoquant les bigarrures d’un costume et les variations chatoyantes des figures clownesques. Le présent numéro, s’il se déploie sur des pages uniformément blanches à première vue peu ouvertes aux multiples couleurs du clown, rassemble des universitaires et des praticiens – ces derniers parfois réunis en une seule et même personne – en vue de prendre en compte cette diversité de dimensions du phénomène clownesque et de faire dialoguer les études d’arts du spectacle, les études cinématographiques et les études littéraires.

Dans son court recueil Cirque !, Florence Vielle rappelle que si le clown est mort, ce n’est pas tout à fait seul :

 

Chanson

du clown

qui avait

un gros

nez

 

un très gros nez

très gros nez rouge

qui voulait jamais l’enlever

jamais jamais jamais

jamais il n’enlèverait son nez

 

c’est son secret

que le nez rouge

le gros nez rouge

c’était le vrai

et celui-là on l’enlève pas

on l’enlève pas

le clown est mort avec son nez !

le clown est mort avec son nez !  11

 

Le clown est mort avec son nez : il apparaît que le nez, mis en terre, a germé.

 

Ambivalences : réparer les riants ?

Nous serions tous capables de reconnaître un clown. La comptine se charge de préparer précocement les enfants à en reconnaître des traits stéréotypés : « J’ai un gros nez rouge, des traits sur les yeux… » Nous n’envisagions cependant pas que la panoplie populaire de ce farceur grimé allait intégrer l’attirail du criminel qui, depuis quelques décennies, œuvre dans la fiction à coups de dents et de tranchants, tandis que, dans les villes de France, d’Angleterre, des États-Unis ou du Canada, des clowns sèment périodiquement la panique. Mais l’habit fait-il le clown ? Car si le nez rouge est bien « le plus petit masque du monde », comme le soulignait Jacques Lecoq, on a tôt fait d’être un clown, ou de cesser d’en être un, faisant de cette figure de la réversibilité quasi instantanée un singulier avatar de nos identités postmodernes. Dès lors, comment appeler un clown, un clown, comme y invitait Pierre Etaix en 2001 12 ? Si le clown, acteur, réalisateur (et autres) croit bon de revenir à cette nécessité, c’est bien que l’exercice n’a rien d’évident et que le clown réussit l’exploit d’être tout à la fois célèbre et méconnu. Après tout, si l’on a nettement popularisé ces dernières années une coulrophobie qui mérite d’être relativisée pour ce qu’elle participe d’un phénomène de mode davantage que d’une véritable peur, bien peu parmi nous sont capables de dire : « Tiens, j’ai croisé un clown », ou encore d’en nommer un. Les professionnels pardonneront l’outrage : le plus connu (disons aussi : le plus mainstream) d’entre eux est longtemps demeuré le jaune et rouge Ronald McDonald, dont les pourfendeurs de la « malbouffe » se plaisent à dire qu’il est, armé d’acides gras saturés, le clown le plus meurtrier de la longue histoire des clowns. Mais même celui-ci a dû suspendre ses activités face à la pandémie clownesque, ainsi que le rappelle Antonio Dominguez-Leiva 13. Seule une surenchère de clowns pouvait effrayer un clown.

À côté et à l’inverse des clowns bonhommes et sympathiques dont le cirque canonique continue de véhiculer l’image s’est donc imposée, sur les écrans et dans l’imaginaire contemporain, la figure du clown maléfique. La coulrophobie prend d’ailleurs des proportions inattendues, comme le montre encore Antonio Dominguez Leiva :

 

Les sondages ont depuis montré que ce déluge de crainte et de haine du clown est en passe d’éclipser tous les sentiments positifs que l’on pouvait éprouver jadis à son égard, au point qu’en octobre 2016, les États-Uniens disent craindre davantage les clowns que le réchauffement climatique et le terrorisme  14.

 

Faut-il penser que les clowns ne sont vraiment plus des rigolos, comme le suggèrent Philippe Goudard et Nathalie Vienne-Guerrin 15, faisant eux-mêmes référence au photographe Philippe Martin ? C’est que notre tempête de clowns souffle sur un monde de crises, auquel il offre à la fois un miroir aux catastrophes et un modèle de résilience. Ainsi du « clown rigolo » de Roland Topor : « On lui donne une claque / ça le rend patraque […] Il tombe sur un os / ça lui fait une bosse / Il tombe dans le feu / ça lui fait des bleus 16. » Malgré ce spectacle humiliant, peut-on ne pas désirer les clowns ? Car le déficit clownesque semble un remède pis que le mal que constitue la série des catastrophes que traverse le clown. François David évoque en poésie le malheur et la perte que pourrait constituer le fait de ne plus être un clown. Dans le droit fil – tordu – de la clownerie, cette perspective s’exprime à travers la maladresse élégante d’une tournure aussi juste qu’incorrecte, en l’occurrence une négation tronquée :

 

Quand je serai pas clown

Je n’aurai pas de nez rouge

Au milieu de la figure

[…]

Quand je serai pas clown

J’aurai oublié

Le pitre dans mon cœur

Qui dansait  17.

 

Être « pas clown » relève à la fois de l’ambition et d’une angoisse, mais être clown ne s’entend pas non plus comme un avenir enviable. Pensons à la scolarité facétieuse du jeune Jean-Louis Fournier, marquée du sceau manifestement peu désirable de la clownerie :

 

Le supérieur a convoqué ma mère pour lui annoncer la nouvelle : je suis mis à la porte de l’institution Saint-Joseph.

J’ai déposé la statue de la Sainte Vierge dans les WC.

Ma mère a essayé de me défendre, elle a cité le professeur de français qui m’aimait bien, elle a demandé si on était sûr que c’était moi.

Le supérieur a été intraitable :

« De toute façon, madame, il en serait bien capable.

- Qu’est-ce que je vais en faire, monsieur le supérieur ? »

On était à six mois du bac.

« Je ne sais pas, madame. Peut-être qu’il existe une école de clowns. »

Il a dit ça avec beaucoup de mépris pour les clowns 18.

 

Les épiphanies clownesques contemporaines renvoient très manifestement à deux visages contradictoires de la figure du clown. « Cette face d’un humain en désordre, dérangé et dérangeant19 » peut susciter aussi bien la jubilation que l’inquiétude, l’euphorie que l’effroi. D’une part, le clown est pensé comme une figure salutaire, dont la fragilité lui permet de se mettre en lien privilégié avec la vie et le rend capable d’apporter un supplément d’âme souvent appelé poésie. Aussi le clown est-il régulièrement appelé à la rescousse auprès de personnes en détresse. « Et toi, garçon, quel drôle de clown seras-tu ? / quel mal sauras-tu te faire / pour faire aux autres du bien 20 ? », écrit Jean-Louis Maunoury. L’exemple emblématique de cette conception de l’action clownesque est le vaste champ des interventions en milieu hospitalier. Importées des Etats-Unis et initiées en France par Caroline Simonds, alias Dr Girafe, fondatrice en 1991 de l’association « Le Rire médecin », ces pratiques se sont structurées depuis 2009 en une Fédération française des associations de clowns hospitaliers. La création en 1993 de « Clowns Sans Frontières » par Antonin Maurel et Tortell Poltrona correspond à un esprit semblable. La culture contemporaine voit dans le clown une force capable de « réparer les vivants » ou, pourquoi pas, de « réparer les riants », selon l’expression que nous pouvons clownesquement emprunter à Maylis de Kerangal. Parallèlement, le clown contemporain est tenu pour capable, aussi, d’apporter un désordre salvateur et humain dans des systèmes clos : c’est le sens des interventions clownesques dans des rencontres professionnelles, des démarches de développement personnel liées au clown. Autant de perspectives qui traversent fréquemment le spectacle contemporain. Qui sommes-je ?, créé par Ludor Citrik en 2012, met en scène le conflit entre le clown et un système qui cherche à écraser les singularités. Le propos du clown Slava Polunin, dont le spectacle Slava’s Snowshow connaît un succès international depuis 1993, est d’« inspirer aux gens l’envie de tout faire avec joie 21 ». La clownerie tiendrait-elle du remède ? Si oui, en réponse à quels symptômes convient-il d’envisager s’en administrer une dose ?

D’autre part, en personnage de la licence, le clown semble propre à une esthétique conviant non seulement le débordement médiatique, mais aussi le basculement, le borderline que le passage à l’acte criminel permet de cristalliser : il y aurait, peut-être, un complexe du clown comme il y a un complexe du loup-garou 22. Depuis The Clown Murders (Martyn Burke, 1976), Poltergeist (Tobe Hooper, 1982) avec sa marionnette de clown infanticide et It (Stephen King, 1986, et l’adaptation audiovisuelle de Tommy Lee Wallace, 1990), le clown émarge à la liste du personnel régulier des fictions de l’horreur et/ou de l’étrange, au point de devenir « synonyme de psychopathe, embrayeur et marqueur générique de l’horreur 23 ». L’enfant tueur de la séquence initiale de Halloween de John Carpenter (1978) porte lui aussi un costume de clown. Quantité de productions audiovisuelles récentes attestent de la vitalité du clown criminel dans les imaginaires contemporains. Pour la période 2002-2016, Antonio Dominguez Leiva dresse une liste de quarante-cinq titres recensés dans le carnet de recherche de Patrick Peccatte 24. L’on peut ajouter à cette « épidémie fictionnelle 25 » les plus récentes adaptations du roman de Stephen King, au cinéma cette fois, sous la direction d’Andres Muschietti (2017 et 2019), ainsi que, dans un registre différent, les apparitions du Joker, le « Clown Prince of Crime » dans la saga Batman. Globalement, le masque de clown devient un accessoire typique du tueur, qu’il soit sériel ou occasionnel – deux tueurs grimés en clowns sévissent déjà dans un épisode de la série The Avengers daté de 1968 26. Régulièrement en Occident, depuis les années quatre-vingt, des rumeurs liées à des clowns criminels se multiplient. Elles se fondent volontiers sur l’initiative costumée de quelque plaisantin. Parmi les plus récents exemples de ce type d’« épidémie27 » de l’imaginaire, l’on peut citer, au Royaume-Uni, le Northampton clown (2013), aux Etats-Unis, le Wasco Clown (2014), le clown du Cimetière de Chicago (2015), ou encore le « Great Clown Scare » qui, d’août à octobre 2016, a pu donner l’impression d’une menace répandue sur l’ensemble du territoire national. En France, un phénomène de ce type, déclenché par un adolescent, s’est manifesté en octobre 2014. Les clowns font donc rage : s’ils ne sont pas morts, ils tuent – ou, du moins, l’imaginaire fait d’eux des figures volontiers malfaisantes, nourrissant une coulrophobie désormais populaire, voire à la mode, et bien pratique pour se lancer, armés, dans une prétendue « chasse aux clowns », comme ce fut le cas en Alsace en 2014 28.

Dans les imaginaires contemporains, tantôt le clown est donc représenté comme une figure salutaire, tantôt il est au contraire imaginé et pratiqué comme une figure maléfique, rejoignant par exemple les figures récurrentes des marches de zombies. Il est tentant de proposer, en première analyse, deux approches de cette ambivalence clownesque contemporaine, tout en gardant à l’esprit les limites d’une lecture binaire dont le risque serait d’enfermer le clown dans un schéma de représentations qui ferait violence à son objet plus qu’il ne l’éclairerait. Philippe Goudard et Nathalie Vienne-Guerrin rappellent d’ailleurs à juste titre qu’« à vouloir définir le clown, on tourne souvent en rond et on risque de tourner en bourrique 29 ». La première de ces approches valoriserait le caractère intrinsèquement ambivalent, réversible, de toute figure clownesque. L’histoire du clown nous l’indique : il est tantôt balourd, tantôt agile ; tantôt une figure de la détente et du divertissement, tantôt une figure macabre ; tantôt comique, tantôt tragique, parfois les deux alternativement ou simultanément. « Le rire est l’expression d’un sentiment double, ou contradictoire ; et c’est pour cela qu’il y a convulsion 30 », écrivait Baudelaire. Avec son nez rouge, le clown apparaît comme un adulte privé de sérieux et d’autorité : il balance entre l’enfance et l’âge adulte – il est de ce fait rêvé par la culture occidentale en médiateur idéal pour mener l’enfant vers l’âge adulte, mais aussi pour promouvoir une forme de résistance ou de persistance possible de l’état d’enfance, comme l’atteste la fortune considérable de la figure du clown en littérature de jeunesse. Cette série d’ambivalences suggèrerait qu’il est dans l’essence du clown d’échapper à toute représentation stable et de donner à voir le caractère poreux de tout état : ainsi de l’enfance et de l’âge adulte, dont il se plaît à mettre en scène la cohabitation – le plus souvent par l’art de la maladresse.

Cette instabilité constitutive pourrait être liée aux effets de mouvance et de porosité induits par le triple ancrage de la figure clownesque et du terme qui la désigne. Clown renvoie en effet tantôt à l’identité sociale d’une personne réelle – la personne qui exerce la fonction de clown –, tantôt au personnage figuré par cette personne dans le cadre de la performance clownesque, tantôt à la représentation, dans une production culturelle, de la personne réelle et/ou du personnage que cette personne produit publiquement – le film de Jean-Pierre Melville Vingt-quatre heures de la vie d’un clown (1947) interroge précisément le rapport qui peut exister entre l’un et l’autre. Entre ces trois ancrages, les frontières ne sont pas étanches. Le troisième niveau, celui de la représentation picturale ou fictionnelle, influe nécessairement sur la création et la réception des deux premiers. Les interactions entre ces deux premiers niveaux sont particulièrement importantes et signifiantes. Dans le cas du clown, le lien entre personne et personnage est spécialement étroit. Il est rare qu’un même artiste développe, sur le long terme, plus d’une figure clownesque, et l’artiste clownesque construit son clown en puisant en lui-même, par exemple dans ses obsessions fondamentales 31. Le clown-personnage apparaît alors comme un alter ego du clown-artiste. De là vient sans doute en grande partie que chaque clown revendique une singularité forte de son art : ainsi, dans Modern Family (saison 11, épisode 13), du conflit qui oppose Cameron incarnant le clown Fizbo à un homologue français dénommé… Fizbeau. Même quand le clown est multiplié ou difracté, il n’en tisse pas moins un réseau d’événements aussi associés que les couleurs du costume clownesque. Les clowns plastiques de Karel Appel, marqués par cet art revendiqué de la couleur (« les couleurs aussi / deviennent alors / clownesques 32 »), forment une communauté personnelle, peut-être même un journal intime à la fois sculpté, dessiné, peint et poétisé :

 

Tous ces clowns auraient pu être – et l’ont été – les alter ego d’Appel, qui les fait apparaître, revenir de son souvenir d’enfance ou de son rêve éveillé d’adulte et circuler tels des événements autobiographiques, autant picturaux et sculpturaux que poétiques, dans Circus, cet ensemble de gouaches colorées conçues par le peintre entre 1976 et 1978, dont seront tirées en 1978 les trente gravures sur bois de l’album Appel Circus et les dix-sept sculptures en bois contreplaqué polychromes formant, au sol d’une salle muséale, une joyeuse parade-installation, Appel Circus.  33

 

Parallèlement, le clown apparaît comme un alter ego possible du spectateur : il est en quelque façon son délégué dans le ridicule, dans l’échec, dans l’âge adulte, dans l’enfance ou dans la grâce. Jean Starobinski a identifié la propension d’un certain nombre d’artistes, depuis le romantisme, à voir dans le clown leur « double grimaçant 34 », et a noté, chez Gautier et Banville, la représentation du clown comme « alter ego du poète, à la fois misérable et sublime 35 ». Si le clown est un autre de nous-même, s’il est un miroir déformé de potentialités dont nous pouvons pressentir qu’elles sont en nous, alors il est compréhensible qu’il puisse être tour à tour, voire simultanément, divertissant et effrayant – et bien souvent frustrant dans la répétition de ses échecs. Que serait au demeurant une société indifférente aux clowns ? Dans Berlin pour elles (Benjamin de Laforcade, 2024), Werner, marginal vaguement alcoolique et sans abri, occupe sous les traits d’un clown un quartier de Berlin Est :

 

Dans le quartier, tout le monde connaît le clown. Il traîne là depuis tant d’années qu’il est devenu une sorte de légende, un de ces ogres sympathiques que l’on regarde par en dessous. On menace les enfants en prononçant son nom, si tu ne finis pas j’appelle le clown. On l’a vu vieillir, de plus en plus gros, ivre à se demander comment il vit encore. Le clown fait partie du folklore, on tolère ses excès et on échange sur lui quelques anecdotes pendant que les enfants rient de le voir tomber. Son nom. Ce qu’il faisait avant. Ce qui pousse les hommes à fuir la vie pour s’inventer une existence à la marge. On le laisse habituer les rues, on compose avec sa présence  36.

 

L’ogre sympathique, dont la crainte qu’il inspire relève du jeu plus que la peur réelle, jouit ici d’une marginalité exposée – sur-exposée, même, par l’attirail clownesque qui le rend si visible. L’accoutumance à sa présence, placée sous le signe du folklore de quartier, n’est toutefois pas sans ambiguïté :

 

Le clown porte une veste en velours terne, un vieux nœud papillon et des chaussures en cuir. Son visage est couvert d’un maquillage blanc, son nez est peint en rouge. De grosses gouttes de sueur descendent de son front et tracent des lignes sur ses joues, il sent l’alcool, l’urine, on fait un pas de côté pour garder ses distances  37.

 

Le costume de clown est ici objet manifeste de souillure, et celui qui l’endosse objet d’une tolérance plus embarrassée qu’il n’y paraît. Car si la marginalité comme la situation de « fuite » du personnage encouragent d’emblée la sympathie d’un lecteur habitué de longue date à l’affection de la littérature pour les marginaux, celles-ci renvoient pourtant à une situation plus problématique : Werner est un ancien nazi fervent, désormais nourri du sentiment d’un immense gâchis devant la défaite allemande et d’une sourde colère devant le nouveau totalitarisme communiste, contre lequel il entre en résistance. Nazi et résistant anti-Stasi, le clown souillé témoigne des grimaces successives d’une société qui préfère ne pas trop voir le clown et lui offrir une indifférence somme toute plus commode que tout sentiment d’une fortuite ressemblance.

 

La deuxième approche de l’ambivalence clownesque que l’on peut envisager en première analyse se situe sur le plan des généalogies culturelles. Elle permet de relier le double visage du clown dans le contemporain à deux héritages : d’un côté, une construction culturelle que l’on pourrait qualifier d’européenne ; de l’autre, une construction que l’on pourrait qualifier de nord-américaine. Howard Buten, qui a fréquenté les deux traditions, formule clairement les différences d’usages de la figure clownesque dans les deux contextes socio-géographiques, pour ce qui concerne la deuxième moitié du 20e siècle 38. Buten pose une dichotomie nette entre une pratique « à l’européenne » et une pratique « à l’américaine ». Dans la tradition dominante du cirque nord-américain, marquée par le gigantisme façon Barnum, le clown agit en groupe, à l’occasion de reprises relativement brèves qui permettent la transition entre des numéros plus importants, et l’esthétique clownesque est marquée par l’excès et la caricature grossière. Selon cette tendance, un clown est toujours doté d’attributs fortement spectacularisés tant sur le plan visuel que sur le plan auditif. Howard Buten indique qu’un clown de ce type a toujours une crécelle ou un pétard à portée de main 39 ; lors de sa formation à l’école de clown du Ringling Bros, Barnum & Bailey, Buten a conçu successivement un numéro fondé sur une banane géante et un autre fondé sur un sandwich géant 40. Ces pratiques clownesques relèvent d’une esthétique du grossissement extrême. Par opposition, en Europe, il s’est construit, au croisement de la culture populaire et de la culture « cultivée », une pratique clownesque donnant lieu à des entrées plus longues que les reprises des clowns américains, dans des configurations relevant moins de la bande que de duos – le duo canonique du clown et de l’auguste, constitué comme tel à la fin du 19e siècle – ou de trios – par exemple les Fratellini, composés du Blanc François, de l’Auguste Albert et du Contre-Pitre Paul – et, de plus en plus souvent au cours du 20e siècle, de solos. Cette forme de clown que Buten considère comme typiquement ‘européenne’, conquérant les scènes de music-hall et les scènes théâtrales, serait davantage tournée vers une certaine subtilité, par comparaison avec son homologue nord-américain. Par opposition aux accessoires systématiquement géants des clowns du cirque à la Barnum, l’on peut citer, à titre emblématique, l’usage récurrent des instruments de musique miniaturisés : le petit violon de Grock, et, par filiation, le violon minuscule de Buffo, le clown de Howard Buten. En somme, l’Europe occidentale aurait développé préférablement une tradition scénique du clown d’art, par opposition à une tradition clownesque nord-américaine dominée par la dimension animatoire principalement liée à la piste – de manière emblématique, la triple piste façon Barnum.

Partant, chacune des aires culturelles envisagées a développé de manière privilégiée, quoique sans exclusive, un type d’ambivalence clownesque. En Europe, l’ambivalence comique/tragique a fortement teinté la culture clownesque, d’une manière qui entre en pleine résonance avec les propositions scéniques d’Howard Buten, ce qui explique que celui-ci ait finalement trouvé en Europe, et spécialement en France, plutôt qu’aux Etats-Unis, un public pour sa manière de faire le clown, « pas très américaine, semblait-il 41 ». En Amérique du Nord, s’est développée avec netteté l’ambivalence entre d’une part une face bienveillante, manifestée par le clown bruyant et ostentatoire du type Barnum, qui trouve un prolongement dans la sphère privée à travers le party clown, et qui est lié de manière privilégiée à un public enfantin, et d’autre part la face malveillante, destinée à parodier une certaine image de l’esprit d’enfance, voire à massacrer et/ou dévorer directement des enfants – destinée, donc, à représenter une menace, tout particulièrement pour la jeunesse. Cette ambivalence développée en contexte nord-américain trouve, dans l’imaginaire médiatique, son incarnation archétypale dans la figure de John Wayne Gacy, connu pour avoir été tour à tour un party clown et un tueur en série spécialisé dans les jeunes hommes. Ce bad clown ‘à l’américaine’ connaît deux variantes principales : d’une part le clown des fictions d’horreur, d’autre part le clown ‘prince du crime’, qui prend forme à travers les multiples avatars du Joker.

Force est de constater que l’ambivalence ‘nord-américaine’ clown bienveillant / clown malveillant a conquis les imaginaires d’Europe occidentale, comme le montrent les succès des fictions clownesques horrifiques et les reprises populaires des figures de killer clown, par exemple autour de la fête d’Halloween telle qu’elle s’est acclimatée de plus en plus fermement sur le Vieux Continent au cours des années 2010. Au chapitre des transferts culturels, l’on notera cependant que la figure visible du clown malveillant, élaborée au 20e siècle dans le cinéma nord-américain, trouve une part de ses origines dans une adaptation de L’Homme qui rit de Victor Hugo et, antérieurement, dans la figure sanguinaire du Pierrot fin-de-siècle 42. Aujourd’hui, les clowns dits « d’art » ou « contemporains », s’ils refusent de s’associer aux bad clowns de la culture de masse, arpentent, pour certains d’entre eux, des territoires où la possibilité du malaise et l’éventualité de l’agression, fût-elle symbolique, ne sont pas absents (Ludor Citrik, Typhus Bronx).

 

Sens et non-sens : les séductions du geste clownesque

Si les figures clownesques sont certes ambivalentes, elles posent avant tout la question du non-sens et des sens multiples dans lesquels se trouve pris le geste clownesque. Si l’objectif de la présente enquête est de mieux savoir et de mieux dire ce que signifie le clown aujourd’hui, dans la grande diversité de ses manifestations, il reste néanmoins que le geste clownesque est d’abord un geste d’insignifiance absolue. « La gratuité, l’absence de signification » sont, pour Jean Satrobinski, « l’air natal 43 » des clowns : « Ils ont besoin d’une immense réserve de non-sens pour pouvoir passer au sens 44. » Plus récemment, dans un essai général sur le rire qui peut s’appliquer à la question clownesque, Alain Vaillant (La Civilisation du rire, 2016) a souligné la « force d’amnésie », la « puissance d’effacement 45 » qui caractérisent le rire. Cette vacance, ce vide du sens, cette vocation initiale au non-sens, rendent précisément les figures clownesques disponibles pour des projections de sens multiples. Au-delà même de l’ambivalence, Starobinski désigne le clown comme une figure « multivalente 46 ». Et si le clown est donc d’abord le nom d’un non-sens auquel les cultures et les pratiques, se chargent, diversement, de donner forme selon des sens multiples, c’est bien ce mouvement du non-sens vers la multiplicité des sens, allers et retours, qu’il s’agit ici d’investir.

C’est à ce titre peut-être que le clown se fait agent relationnel, dans la mesure où les clowns, lorsqu’ils s’adressent à l’enfance, ce qui reste un cas fréquent, connaissent d’abord deux types de spectateurs : les enfants et les adultes (voire, plus précisément encore, les parents). En tant qu’outil générationnel, le clown s’impose d’ailleurs comme motif incontournable des objets culturels destinés à la jeunesse, à commencer par l’album, dont la production d’inspiration circassienne ne cesse de grandir 47. Il s’affiche comme un ressort propre à favoriser sinon une communication, du moins un regard intergénérationnel qui ne cherche pas nécessairement l’intercompréhension mais peut-être aussi, en bien des cas, la mise en scène des bizarreries des uns aux yeux des autres. Le clown est-il un adulte vu par les yeux des enfants ? C’est qu’il pourrait étonnamment prendre en charge l’exclamation de La Crique à la fin de La Guerre des boutons : « Dire que, quand nous serons grands, nous serons peut-être aussi bêtes qu’eux 48 ! » À ce titre, le clown serait aussi bien un retour du regard d’enfance pour un adulte soucieux de son propre ridicule, et du malaise dont il est porteur : derrière le grimage, derrière les vêtements amples, derrière la voix souvent modifiée, derrière la maladresse des gestes, le corps entier est pris dans une esthétique de l’impropre, de l’inadapté, du trop petit ou du trop grand, et le clown favorise dans cette inquiétante étrangeté une possible cohabitation générationnelle, communauté des spectateurs du bizarre passé, présent et à venir.

Le clown est donc aussi une figure qui met l’enfant – et l’enfance – en difficulté. Le clown offre à l’enfant une vision déraisonnée de la vie : il est, à hauteur d’enfant, Diogène avec son tonneau s’affairant dans le Tiers-Livre de Rabelais, livrant un spectacle qui puise son sens dans le malaise du sens perdu, ainsi que dans celui de la mauvaise conscience. Pensons, à ce titre, au Dumbo (1941) de Disney, éléphant-clown et victime des clowns, qui n’offre pour spectacle que cette seule certitude : je ne comprends pas. Figure de la perte de repère, le clown s’oppose, par un dérangement lui-même enfantin, à la recherche enfantine d’ordonnancement. Dans le clown, nos enfances s’opposent : celle du chaos et celle de la construction. Si bien que le clown s’est imposé comme figure de l’opposant : à l’enfant qu’il peut terrifier, d’abord. Dans Inside Out (Vice-Versa, Disney-Pixar, 2015), seul le clown Jangles, tapi au fond des placards à cauchemars, est en mesure de susciter le choc qui réveille Riley. Mais aussi à l’adulte ou au jeune adulte qu’il terrifie tout autant en le renvoyant à son enfance, tel Xander Harris dans la première saison de Buffy the Vampire Slayer (épisode 10), confronté au clown de son sixième anniversaire revenu le hanter : si « nul ne guérit de son enfance », comme le chantait Jean Ferrat, Xander s’affranchit cependant de son clown d’un coup de poing. Mais faut-il vraiment se débarrasser de nos clowns personnels ?

Le spectacle du mal-faire clownesque semble plus généralement indiquer qu’il y a pour celui qui a grandi une chute dans le clown, le rappel d’une malfaçon inévitable. Après tout, Flaubert, dans son Dictionnaire des idées reçues, écrivait : « Clown. A été disloqué dès l’enfance 49. » C’est que les clowns, on le sait, sont souvent tragiques, pas tant par nature que par nécessité, à l’instar de Romain Gary qui, « à un moment où les conflits démentiels qui déchirent plus que jamais l’humanité font vivre nos nerfs et ce qui nous sert de raison dans un état de siège permanent », affirme que « le burlesque devient le dernier refuge de l’instinct de conservation 50 ». Paradoxalement, le chaos clownesque devient processus de sauvegarde, comme si sa maladresse (toujours feinte, et exagérée) ne faisait que tirer les bénéfices de ce que Belinda Cannone appelle notre « sentiment d’imposture 51 ».

À l’ère de la compétence et, même, du bilan de compétences que nous vivons collectivement, comme à l’ère de l’efficacité, le clown fait œuvre d’incompétence et d’impertinence et, s’il ne dit pas nécessairement notre propre inadaptation, il révèle en revanche, dans l’agacement qu’il peut susciter, le grandissement de notre incapacité à supporter l’inefficacité, l’inapproprié. Le clown est celui qui « préférerait ne pas » ou, au moins, pas de la bonne manière. Individu sans stratégie, il devient aussi une figure d’insubordination sans parti-pris. Le clown ne dit pas « non », pas plus qu’il ne dit non pour dire oui à autre chose : il s’insurge dans l’espace même du oui et, acceptant l’ordre comme la demande, fait regretter d’avoir ordonné ou demandé. L’échec considéré comme un des beaux-arts est donc l’un des mots d’ordre de la réussite du clown, cet « as du ratage 52 », selon le mot de Philippe Goudard. Chez Karel Appel, le clown est « à la fois plus dingue / plus minable / et plus malin que nous53 », incarnant un possible appétit d’incompétence :

 

Clown

Je voudrais

Être

Comme toi

L’anti

Robot 54

 

Compétence, adaptation, efficacité : le clown met à mal certaines des valeurs cardinales du monde contemporain (à moins qu’il ne s’agisse déjà du monde d’hier ?). Il n’est pas anodin alors que nous développions avec le clown une relation ambiguë, faite de violence et de règlements de comptes. Bruce Nauman, en 1987, imagine une installation appelée Clown Torture : clowns enfermés et hurlant, sans que l’on sache pourtant qui torture qui, du regardant ou du regardé. Et si le clown apparaît, ainsi que le défend Mark Dery 55, comme un avatar contemporain du bouc émissaire, le clown en est une forme dévoyée : ne sachant, là encore, pas la manière de bien prendre les coups, le clown se trompe à les rendre et se fait clown tueur, maléfique, diabolique, violeur, etc. Joker de Todd Philipps (2019) montre de son côté la transformation, sous les coups d’une société dans laquelle tous les rapports humains sont placés sous le signe de la violence et de l’absence totale d’attention à autrui, d’un party clown minable et stand-upper raté en killer clown iconique. Le clown criminel est ici fabriqué par la société, et tout se passe comme si le seul moyen d’acquérir visibilité et reconnaissance était d’adhérer à une violence négatrice. « I hope my death will make more cents than my life » : la punchline hasardeuse brouillonnée par le héros suggère que la loi de ce monde invivable est celle de la mesure marchande de toute chose. Le clown criminel, figuration de la violence néolibérale ?

Aux côtés du clown criminel dépeint en individu marqué par les coups de la société figure le clown triste, récemment remobilisé par plusieurs artistes de la chanson. Le titre « Clown » du chanteur français Soprano (2014) évoque le dilemme traditionnel de cette figure écartelée entre sa vie intérieure et son rôle public. La chanson renvoie à une société où la production et la consommation de l’entertainment ont force de loi, mais aussi, plus généralement, aux injonctions sociales à la positivité :

 

Désolé ce soir je n'ai pas le sourire

Je fais mine d'être sur la piste malgré la routine

J'ai le maquillage qui coule, mes larmes font de la lessive

Sur mon visage de clown

Je sais bien que vous n'en avez rien à faire

De mes problèmes quotidiens, de mes poubelles, de mes colères

Je suis là pour vous faire oublier, vous voulez qu'ça bouge

Ce soir je suis payé, je remets mon nez rouge

[…]

Suis-je seul à porter ce masque ?

(Oh) Suis-je seul à faire semblant ?

(Eh) Ce costume qu'on enfile tous les jours

Dis-moi est-il fait sur mesure ?

Ou nous va-t-il trop grand ?

 

Le clown triste et chantant apparaît à la fois comme une victime de la pression sociale et comme une affirmation de la révolte contre celle-ci.

Puddles, « the sad clown with the golden voice », le clown blanc de Mike Geier au costume de Pierrot traditionnel, reprend ce type de positionnement pour en faire le fondement d’une carrière scénique. La poétique de ce clown est fondée sur une série de contrastes : celui, traditionnel et keatonien, qui oppose la vocation du clown au divertissement d’une part, d’autre part l’absence totale et permanente de sourire ; le contraste qui fait dialoguer une apparence de dur à cuire au crâne rasé et à la voix puissante, l’ensemble rejoignant un stéréotype contemporain de la virilité sûre d’elle, avec un répertoire fondé sur l’expression de fragilités et déchirures intimes, le répertoire de Puddles étant en grande partie constitué de reprises de tubes mélancoliques de la variété internationale comme « Mad World » de Tears for fears ou « Chandelier » de Sia ; enfin, le contraste entre le mutisme complet de Puddles dans le cadre des échanges parlés, et ses performances vocales retentissantes lorsqu’il est en situation de chanter. Tout suggère que le chant de Puddles est l’expression de ce qui, dans la vie ordinaire, ne peut s’exprimer. Mike Geier affirme que les chansons de Puddles ont vocation à créer une communauté paradoxalement constituée de solitaires : « It’s a sad and beautiful world, and we are all in it together, even when we’re totally alone 56. »

Puisqu’il se pose en outsider, le clown est susceptible d’être constitué en symbole de tous ceux qui, à tort ou à raison, se considèrent comme lésés par la société, ou qui aspirent à une existence hors-cadre. « J’aime bien l’idée d’être un clown aux yeux de cette société 57 », déclare ainsi Raphaël Boshart, dit Nusky, à l’occasion de la sortie de son deuxième album, intitulé Nusky le clown (2020). Le clown peut ainsi devenir un symbole d’une aspiration à renverser l’ordre établi. C’est ce que suggère l’insurrection clownesque, peut-être purement fantasmatique, des derniers moments de Joker de Todd Philips – le clown serait alors l’expression d’un fantasme révolutionnaire qui aurait sourdement conscience de sa propre impuissance. De même, le projet « Le Manifeste » du chanteur français Damien Saez, lancé en 2016, affiche pour figure emblématique une silhouette muette qui allie la démarche et le chapeau melon de Charlot, la marinière de Bip, le héros du mime Marceau, et un maquillage de Pierrot larmoyant. Le texte désigne cette figure clownesque par l’expression « la résistance Mélancolie ». Avec elle, la lutte, dans un esprit anarchisant, consiste à « mettre des fleurs sur la terre », contre le monde des « publicitaires » et autres « actionnaire[s] 58 ». De fait, la vidéo de lancement du projet montre le personnage plantant des fleurs sur une plage où il est évident qu’elles ne sauraient pousser. La figure clownesque cristallise en l’occurrence le refus de ce qui est perçu par l’artiste comme mortifère dans le monde comme il ne va pas, et exprime le fantasme d’une refondation. Avec son visage blanc, il est un mort qui refuse de mourir. Mais – telle semble être la loi du clown triste – le personnage reste irrémédiablement seul sur la plage déserte en compagnie de ses fleurs mourantes, comme si la mise en scène de la résistance clownesque était déjà en même temps la mise en scène de sa défaite.

Le clown ne cessant de naviguer – aller et retour – de la fiction aux pratiques réelles, l’on constate, comme un pendant palpable des rêveries de Saez ou de Philips, des tentatives cherchant à relier concrètement la démarche clownesque à des actions de résistance politique et de revendication révolutionnaire. Tel était l’objectif de l’« Armée des clowns » – Clandestine Insurgent Rebel Clown Army (CIRCA) – initiée notamment par l’artiste activiste John Jordan. Apparue en 2003 au Royaume-Uni dans le cadre de la protestation contre la guerre en Irak, dotée d’antennes dans plusieurs pays occidentaux, dont la France, où certains de ses représentants ont « karchérisé » la mairie de Neuilly, tandis que d’autres se sont impliqués dans des actions liées à la résistance au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, cette organisation a cherché à développer, selon les termes de John Jordan, « une forme d’activisme politique » unissant « les anciennes pratiques de pitreries à celles, plus récentes, de l’action directe non-violente », comptant sur le clown pour « sa capacité à perturber, critiquer et guérir la société ». La clownerie est alors supposée introduire « un esprit de création qui danse à la lisière du chaos et de l’ordre » et désamorcer la logique de conflit grâce à « l’implacable tactique de la confusion 59 ». Dans ce cadre, la pratique clownesque est rêvée comme un protocole vivifiant, à la fois pour la société et pour les pratiques militantes elles-mêmes. Cependant, en 2014, John Jordan a rendu publique une forme de constat d’échec : selon lui, la plupart des activistes impliqués dans l’armée des clowns n’a fait que « consommer » l’idée de l’armée des clowns, sans s’engager en profondeur dans le travail clownesque rêvé par le fondateur. Pour celui-ci, les combattants clownesques se sont contentés de revêtir les attributs visibles et immédiatement reconnaissables de la figure clownesque, sans chercher à « être clown 60 ». L’armée des clowns devenant une armée de mauvais clowns, d’imposteurs de la pratique clownesque, John Jordan a décidé de déserter. Peut-être est-ce un signe que la démarche artistique clownesque est trop ambivalente et insaisissable, trop consubstantiellement rétive à se laisser cadrer par des définitions ou des slogans, pour être compatible avec une militance qui se nourrit d’une colère immédiate et d’un désir d’agir qui ne s’embarrasse pas toujours de détour.

Mais le constat de John Jordan souligne également la prégnance d’un malentendu récurrent, et peut-être lui aussi consubstantiel à la figure clownesque telle qu’elle se dessine dans les cultures occidentales contemporaines. Le projet de Jordan était que des militants s’engagent dans un « entraînement intensif », dans un « dur travail », dans un « lent et souvent difficile processus de redécouverte ou de découverte de leur clown intérieur ». « Trouver son propre clown, c’est apprendre à cultiver une façon d’être plutôt qu’une technique », écrivait-il en 2005, au moment de la naissance du volet français de l’organisation. Ce faisant, Jordan se situait dans la ligne des promoteurs du « clown d’art » opposé au « clown animatoire ». Howard Buten a lui aussi souligné ce malentendu fondamental qui conduit à identifier comme clown un individu qui arbore des éléments extérieurs de « clownitude », sans pour autant agir profondément en tant que tel. Pour Buten, contrairement aux clowns prétendus, qui ne se caractérisent que par des éléments d’apparence, le « vrai clown » « fait des choses comme un clown 61 ». Il faut pourtant reconnaître que la présence et la force active du clown dans la culture contemporaine et ses imaginaires ne sont pas seulement liées à un faire, mais aussi à un paraître, et que ce paraître est lui aussi actif à sa manière. La vigilance des professionnels attachés à la défense de la dignité et de l’identité de leur art veut une dichotomie claire et nette entre « être clown » et « paraître clown » ; la réalité de l’imaginaire culturel installe une porosité de fait entre ces deux dimensions. Le décalage qu’observe John Jordan entre son utopie de l’armée des clowns et les formes réelles prises par l’entreprise est sans doute emblématique de la manière dont la figure clownesque agit dans la culture contemporaine : le clown est un puissant moteur d’imaginaire, un vecteur séduisant et fédérateur, en même temps qu’il induit de multiples malentendus, révélant des décalages d’interprétations et de désirs, révélant aussi tout ce que nos configurations collectives et individuelles ont de contradictoire.

Il faut dire que « trouver son clown » n’est pas chose aisée, ni anodine, comme tend à l’indiquer la question posée par Dave Louapre et Dan Sweetman : « What madness turns a man into a clown 62 ? » Autrement dit : quelle folie fait endosser le costume de clown ? Ou encore : de quelle folie le costume de clown peut-il bien être tissé ? La multiplicité des bad clowns semble favoriser une distinction entre les devenant-clown et les étant-clowns : quand les premiers endossent un costume qui les rend réversiblement clowns, les seconds, tels Gwynplaine chez Hugo ou Twisty dans la quatrième saison de la série American Horry Story. Freak Show – 2015, embrassent une clownerie qui cesse d’être un ornement éphémère pour devenir indélébile. Et si les seconds jouissent d’un potentiel horrifico-pathétique qu’encourage leur monstruosité, les premiers profitent des effets de surgissement rendus possibles par leurs allers-retours vers et hors de la clownerie. Quand, pour les uns, le clown colle à la peau, pour les autres il constitue un geste préalable : celui qui consiste à endosser littéralement le clown, panoplie signifiante et agissante. Le véritable danger est-il alors de rester clown ? C’est le malheur qui frappe le personnage de Clown (Jon Watts, 2014). Pour remplacer un clown d’anniversaire absent (on ne peut décidément pas faire confiance à un clown), un père revêt un costume trouvé dans la vieille malle d’une maison dont il gère la vente. Satisfait d’avoir rendu son fils heureux, il s’endort sur son canapé, pour croiser au réveil son reflet : « J’avais oublié que j’étais un clown. » Il ne l’oubliera plus : le costume ne l’habille plus mais l’enveloppe, l’habite sur le mode fantastique de la possession pour le changer en clown, c’est-à-dire ici un démon dont l’origine s’est perdue pour être réinvestie sous la forme dévoyée d’un amuseur d’enfants. Derrière la condition humoristique se cache une lointaine condition dévoratrice qui plonge le personnage dans un registre plus proche des mythes et des contes, qui nous ont appris ce qu’il convenait de faire des enfants : incapable de satisfaire sa faim (il ingurgite de grandes quantités de nourriture qu’il régurgite invariablement en purée marronâtre qui trahirait l’envers du kitsch tel que le pense Kundera), il rejoint son vrai désir : dévorer des enfants, seule nourriture susceptible de répondre à un appétit de clown. L’ultime farce du clown n’est pas d’amuser la galerie mais de dévorer les amusés : dents pour dents, vision effroyable d’une société de l’entertainment et du ricanement vorace. Faut-il se méfier de nos rires ? À trop vouloir faire le clown, on ne cesse bientôt plus d’en être un :

 

Le clown a un nez rouge

il le retire dans sa loge

après la représentation

il s’installe devant une glace

et hop il ôte son faux-nez

pour retrouver dessous le vrai

qu’il a depuis qu’il est né

[…]

or il constate

que son nez est encore rond sous ses doigts

que son nez est encore rouge sous ses yeux

il a ôté son nez et il le porte encore

le clown tente de tirer plus fort

mais cela lui fait mal pour rien

alors le clown se rhabille

et s’éloigne vers le froid des rues

en serrant contre sa figure

un cache-nez 63

 

Pourquoi cacher ce nez que nous ne saurions voir ? Comment justifier une telle pudeur clownesque ? Il reste un non-dit dans le poème : le cache-nez ne masque pas seulement le nez, mais également la bouche… Or, il n’était pas inattendu que le clown bascule du côté de l’horreur, et en particulier de l’horreur enfantine : caractérisé par son sourire, que Hugo a déformé pour en faire un monstre, le clown se prête volontiers aux représentations de la dévoration, qui commence avec un geste situé entre le sourire et la grimace. Du loup à l’ogre en passant par le croquemitaine, la dévoration s’est imposée au registre des peurs enfantines :

 

Être dévoré : de toutes les représentations de la destruction, c’est la plus fréquente chez les jeunes enfants, celle qui s’impose le plus à leur sensibilité ; celle aussi qui est la plus répandue dans le folklore et la mythologie. L’image d’une « gueule énorme », pourvue ou non de dents, est la plus apte de toutes à évoquer cette peur d'être dévoré  64.

 

Stephen King ne s’y est pas trompé en mettant, pour ainsi dire, les bouchées doubles : au début de It (1986), Georgie jouant avec son bateau se trouve nez-à-nez avec le clown Pennywise, la bouche d’égout étant redoublée de la bouche clownesque. Une dévoration en annonce ainsi une autre, puisque si l’égout avale le navire, c’est le clown qui se repaît de l’enfant. Il s’agirait donc bien d’une histoire à double-fond, ou à double-bouche. Georgie se laisse d’ailleurs abuser, It redoublant d’efforts pour renforcer l’illusion clownesque et circassienne :

 

Un clown, comme au cirque ou à la télé. Un mélange de Bozo et Clarabelle, celui […] qui parlait à coups de trompe dans les émissions du dimanche matin. Le visage du clown était tout blanc ; il avait deux touffes marrantes de cheveux rouges de chaque côté de son crâne chauve et un énorme sourire clownesque peint par-dessus sa propre bouche. […] Comment ai-je pu croire, se demandait George, qu’il avait les yeux jaunes ? Ils étaient d’un bleu brillant et pétillant, comme ceux de sa mère ou de Bill  65.

 

It fait littéralement le clown, travaillant sa forme en réponse aux stimuli enfantins pour se conformer aux traits populaires – télévisuels ou circassiens – du clown. « L’idée de la cave 66 », ainsi que l’appelle Stephen King, et ici incarnée par l’égout, se voit elle aussi transfigurée par la puissance recouvrante de It qui en fait un lieu digne de l’île des plaisirs de Fénelon :

 

Georgie se pencha. Ça sentait les cacahuètes, les cacahuètes grillées ! Et le vinaigre, le vinaigre blanc que l’on verse sur les frites d’une bouteille avec un petit trou ! Ça sentait aussi la barbe à papa et les beignets frits, tandis que montait, encore léger mais prenant à la gorge, l’odeur des déjections de bêtes fauves. Sans oublier celle de la sciure. Et cependant… Et cependant, en dessous, flottaient les senteurs de l’inondation, des feuilles en décomposition et de tout ce qui grouillait dans l’ombre de l’égout. Odeur d’humidité et de pourriture. L’odeur de la cave. Mais les odeurs du cirque étaient plus fortes  67.

 

L’hypotypose olfactive, figure de l’illusion donnée, entre en opposition avec la puanteur de la décomposition qui sera associée à It tout au long de l’œuvre, favorisant l’image éculée d’un monde dont les surfaces plaisantes ne prendraient racine que dans la fange immonde. Surtout, l’insistance sur les odeurs alimentaires annonce la dévoration à venir, tandis que le grouillement de la décomposition évoque la digestion qui suivra. Dès que s’établit le contact physique, l’illusion s’évanouit :

 

George tendit la main. Le clown la lui prit. Et George vit changer le visage de Grippe-Sou. Ce qu’il découvrit était si épouvantable qu’à côté, ses pires fantasmes sur la chose dans la cave n’étaient que des féeries. D’un seul coup de patte griffue, sa raison avait été détruite  68.

 

Chez Freud, l’humour ne conduit pas nécessairement au rire mais se définit en premier lieu par le « triomphe du principe de plaisir 69 », autant que comme une pirouette psychique permettant de « ravaler les autres au rang des enfants 70 ». De fait, chez Stephen King le monstre momentanément clownéiforme ravale des adultes au rang des enfants qu’ils étaient et dont ils ont fait temporairement, jusqu’à la réapparition du clown, l’économie du souvenir – ce n’est que lorsque la créature refait surface que la mémoire se ravive chez les personnages.

Mais comme on « fait le clown », Freud soutient aussi que la condition humoristique est paradoxale en ce qu’elle désigne « quelqu’un qui se traite lui-même comme un enfant tout en jouant auprès de cet enfant le rôle de l’adulte supérieur 71 ». Peut-être « clown » n’est-il pas à ce titre une figure mais plutôt une situation : des supercheries d’enfance, menés par un simulacre d’adulte. Ainsi le mad clown – puisque Marc Dery préfère cette appellation à celle de bad clown – est-il avant tout « la mascotte fun et folle de notre culture du chaos 72 ». Une culture aussi voyante qu’un nez rouge au milieu de la figure, n’était la pudeur de la recouvrir (parfois) d’un simple cache-nez.

 

Présentation du numéro : une carte météo du clownstorming 

Clowns en scène, scènes de clowns

Si, moyennant certaines évolutions, les clowns continuent d’évoluer sur les pistes – celles du cirque canonique, mais aussi celles que le cirque contemporain choisit d’arpenter –, la scène théâtrale est dans le contemporain, comme à l’origine élisabéthaine du phénomène, un de leurs lieux majeurs d’expression. Cette première partie de Clownstorming propose trois regards sur des modalités particulières de présence clownesque sur les scènes. Convergence frappante : dans les trois cas, le clown se donne comme une figure emblématique de l’humain et de sa condition.

Le théâtre de Samuel Beckett a souvent été associé à la question clownesque, à travers l’intuition de tel ou tel critique théâtral. L’intuition n’avait pas encore été approfondie en lien avec l’histoire du clown. Marjorie Colin, dans son article intitulé « Clowneries métaphysiques dans le théâtre de Beckett », propose de combler ce manque. L’expression tragique d’un rapport fatalement empêché au monde, à travers les dysfonctionnements corporels mais aussi le « systématisme de l’objet », la « conversion du pire en rire » qui ouvre la porte à la joie, se relient à la question clownesque. Beckett proposerait, en somme, de comprendre l’humain à travers le clown ; il inviterait chaque spectateur à « se reconnaître en clown », comme un « secours cathartique face à l’angoisse de vivre ».

Dans son article intitulé « Le clown sur les scènes contemporaines, entre sublime et abject », Sophie Rieu propose une réflexion qui relie le travail de Pippo Delbono et celui de la compagnie Abattoir fermé à l’histoire des figures clownesques occidentales et à l’intérêt que celles-ci ont suscité chez les avant-gardes du 20e siècle. Delbono propose des images de clowns touchants, rayonnants et rédempteurs ; Abattoir fermé propose le clown comme « représentation des tréfonds de l’âme humaine ». Dans les deux cas, le clown, avec ses ambivalences, aurait la propriété de nous placer face à notre réalité, fût-elle fragile ou repoussante ; sa présence sur les scènes contemporaines serait celle d’un « héraut sublime ».

Disparu au tout début de l’année 2025, Howard Buten a été, sous les traits de son personnage Buffo, une figure clownesque majeure dans le paysage français, de la fin des années 1980 au début des années 2010. Yannick Hoffert propose une étude de son langage scénique et de ses enjeux, à partir du spectacle présenté en 2005 sur la scène du Théâtre du Rond-Point. Le solo Tout Buffo donne à voir un être pétri d’ambivalences, dans son rapport au monde matériel comme dans son rapport à autrui. Ce faisant, Buffo manifeste tout à la fois une forte singularité – le clown est un Autre – et un vif pouvoir de représentativité – le clown se donne comme un miroir de l’humain. Buffo invite ses spectateurs à reconnaître leurs ambivalences dans les siennes, et à se mettre eux-mêmes en état d’ambivalence.

 

Clowns et arts visuels

On ne se réjouit pas toujours de voir un clown : chez Miren Ade, le double clownesque du père, auquel ce dernier donne le nom de Toni Erdmann, possède avant toute chose le don de l’embarras, dont sa fille fait régulièrement les frais. Peut-on hériter d’un clown, ou d’un esprit clownesque ? Pour Guillaume Gomot, qui suit pas à pas dans l’image les traces de la présence clownesque, cet esprit relève d’une Weltanschauung qui agit aussi bien sur le regard porté sur le monde que sur le lien qui attache à l’autre. A l’instar des clowns d’intervention dont il sera question plus loin dans ce même numéro, Toni Erdmann apparaît alors comme un clown d’intervention existentielle qui parvient, à coups d’humour et de catastrophes, à contrecarrer la pulsion unidimensionnelle qui réduit le quotidien de sa fille : ainsi les indices clownesques laissés par Miren Ade dans l’image mettent-ils sur la voie de l’accident par lequel Inès, fille de clown, s’empare finalement du legs paternel.

Gilles Losseroy engage sur la piste d’un autre héritage : celui de Paillasse, qui colle littéralement à la peau de l’acteur Lon Chaney, resté célèbre pour ses maquillages autant que pour ses performances physiques. Descendant d’une lignée d’humiliés destinés à la gifle et, avec elle, au grand déclassement clownesque, Chaney révèle les spécificités du clown cinématographique qui flirte sans cesse avec le monstre, au profit notamment d’un conflit homme/clown. Un conflit d’autant plus ambigu que les personnages chaneyens invitent à penser l’acteur non pas comme un membre de la famille « des clowns au cinéma, mais des clowns du cinéma », ainsi que le suggère l’auteur, faisant de la figure clownesque le prisme par lequel embrasser ou saisir l’identité d’acteur du monstre Chaney.

Comme il colle au personnage de Miren Ade, comme il s’attache à la carrière d’acteur de Lon Chaney, le clown traverse et éclaire (ou obscurcit) la filmographie d’Ingmar Bergman via quatre occurrences sur lesquelles revient Anaïs Cabart. S’appuyant sur la redondance de trois motifs récurrents – le miroir dédoublant, le masque, la mort – pris au prisme de l’archétype jungien, Anaïs Cabart se saisit de l’image bergmanienne pour faire émerger, derrière la figure du clown, l’archétype malicieux du fripon, qui favorise la co-présence des contraires : masculin-féminin, noir-blanc, lumière-obscurité, mais aussi sérieux-dérision. Dans ce jeu polysémique où l’image est à la fois reflet, projection et objectivation, le clown grimé devient l’ombre dans laquelle se glisse et se joue l’authenticité, « provoquant terreur et effroi autant qu’il séduit et ravit ».

Zoé Forget propose, pour finir, un parcours à travers des figures photographiques contemporaines du clown – parcours marqué par un autre jeu visuel qui participe lui aussi d’une forme de révélation : la déviation, plutôt que le déviant auquel est souvent associé le clown. Ce faisant, l’auteure insiste sur le geste photographique autorisé par le clown plutôt que sur sa fonction illustrative. Cindy Sherman, Erwin Olaf et Andres Serrano sont principalement convoqués pour saisir ce que joue la présence clownesque dans cette esthétique croisée du dévoilement. La clownerie comme matière plastique y intervient comme un effet grossissant des procédés de déviation : texture à la fois émotive et perturbatrice chez l’une, trouble et contre-emploi méta-réflexifs chez l’autre, étonnante neutralité dans un parcours marqué par la provocation chez le troisième, où le spectateur est invité à ricocher sur un clown – lui-même habitué sans doute à ce qu’on lui jette la pierre. Dans tous les cas, le clown, plus qu’un personnage, figure un itinéraire dans lequel se donnent à lire et à voir une démonstration et une dé-monstration photographiques.

 

Terreurs clownesques

Ce pourrait bien être une autre déviation du clown que cette troisième partie consacrée aux « bad clowns », n’était que cette déviation relève elle-même d’une profonde généalogie inscrite dans la poposphère : Antonio Dominguez-Leiva en retrace les épisodes, remontant aux motifs du Romantisme noir qui prend dans ses rais les différents apports clownesques du Pierrot, du bouffon et de l’Arlequin. Le roman populaire, passant du clown victime au clown bourreau, ou entremêlant ces deux acceptions, offre au 20e siècle, et en particulier au cinéma, un faisceau clownesque de violences qui aboutit à une clownerie horrifique constitutive désormais de notre imaginaire collectif – cette clownerie horrifique essaime ainsi dans l’iconologie populaire de la fin du siècle, marquée aussi bien par le fait divers (le clown-tueur John Wayne Gacy) que par la fiction (It, de Stephen King).

Le cinéma américain, en particulier, a contribué à diffuser la figure du clown assassin : les années 1980-1990 ont ainsi été riches en clowns mauvais, profitant notamment de la mode des slashers. Florent Christol revient sur ce moment singulier d’abondance clownesque, dans lequel il perçoit des tensions collectives profondes. Ainsi le clown est-il appréhendé d’abord comme une figure de bouc émissaire, endossant avec son costume bariolé l’ensemble des groupes marginalisés ou, éventuellement, stigmatisés. Que le clown s’en prenne à des enfants ne fait que sublimer sa capacité à attiser la méfiance, voire à susciter la violence. Mais si l’ennemi existe – l’auteur rappelant l’importance que prit l’affaire John Wayne Gacy –, celui-ci apparaît davantage, tel le nez rouge au milieu de la figure, comme la figure circonstanciée d’une violence redirigée, dans un contexte où la panique morale masque l’explosion des inégalités organisée par l’administration Reagan.

Longtemps dominés par la figure kingienne de Pennywise (Grippe-Sou en français), ces clowns assassins ou simplement borderline s’exportent et se déclinent de séries en séries animées, diffusant à la chaîne leur sourire tétanisant. Isabelle-Rachel Casta se saisit de cette viralité clownesque qui, quoique portée par un désir d’hyperbole (dans la monstration, la violence…), banalise également la vague clownesque et son potentiel transgressif. Les productions contemporaines invitent cependant à réévaluer l’héritage kingien : le « clown turn » que cet ouvrage aurait pu postuler devient préférablement un « clown twist », animés de clowns dont l’ambivalence relève désormais de la pathologie. Ainsi l’auteure conclut-elle son parcours par la figure du diasparagmos, mise à mort par démembrement, seule capable de qualifier ces clowns qui ne savent plus faire vie autrement que dans cette mise en pièces.

 

Pratiques clownesques : de bons petits diables ?

La quatrième partie du présent numéro propose un nuancier de regards sur les pratiques clownesques, en donnant la parole à des artistes clowns ou à des observateurs de terrain. L’ensemble donne un aperçu de la diversité contemporaine des explorations et appropriations de la pratique clownesque.

Andrea Magnolfi présente les observations qu’il a pu effectuer auprès de l’association lyonnaise « Vivre aux éclats » qui organise des interventions clownesques en milieu de soins. L’article rend compte des apports de ces interventions pour les résidents en EHPAD, en termes de reconnaissance, de sollicitation corporelle et d’insertion dans un jeu de relations. Il souligne également un certain nombre de problématiques et difficultés liées à la présence des clowns qui, en tant que figures de l’instabilité, du débordement et de la liberté, sont susceptibles de générer des malentendus ou de révéler certaines tensions inhérentes à l’institution.

Dans son « Nuancier clown », Cédric Paga, créateur de Ludor Citrik, partisan de « la joie de perdre les repères » et amoureux du « spectacle vivant vivant », tente l’impossible : faire coexister, dans l’écriture même de son article, l’ordre et le désordre, la raison et la déraison. Les propositions et les intuitions se multiplient en déflagration. Un enthousiasme s’exprime : enthousiasme pour une vision de l’histoire du clown articulée à une démarche singulière, enthousiasme également pour la « lignée noire », liée aux forces du désordre et du pulsionnel, dans laquelle Cédric Paga situe son travail. Cette couleur noire dialogue, dans le nuancier de l’auteur, avec la lignée rouge, identifiée comme celle de l’auguste qui sait « déconnaître » pour « déconner », et la lignée blanche, celle du clown associé à la raison et à l’injonction. Savant et documenté tout autant que délirant et déconnant, l’article est en lui-même une manifestation clownesque.

Philippe Rousseaux, créateur de Pol Bouchard et organisateur de nombreux stages ouverts au plus grand nombre, se présente comme un « clown par foi ». Dans son article intitulé « L’expérience du clown : entre la pesanteur et la grâce », il expose sa conception de la pratique clownesque, imprégnée de théologie chrétienne. Le clown, porteur d’un « désordre salvateur », apparaît comme une voie permettant de retrouver le chemin de la vie en réapprenant la relation, le risque, l’acceptation d’une existence dans laquelle, à travers même la pesanteur, « tout est grâce ».

L’article de Bertil Sylvander, intitulé « Le Clown d’Intervention Sociale et le Clownanalyste : ni salvateur, ni tueur ! Plutôt poète subversif », présente les principes et les effets de la démarche du Bataclown, que l’auteur de l’article a co-fondé en 1980 avec Jean-Bernard Bonange, et qui est devenu au fil des années une structure de référence et de formation de clowns intervenants. L’article donne des outils pour penser les formes et les enjeux de l’intervention clownesque dans les lieux publics du sérieux (colloques, congrès, rencontres professionnelles…) : la triade du clown perturbateur/passeur/révélateur, la notion de condensation symbolique, le double effet de réappropriation des enjeux et de dramatisation du réel. Au regard de cette réflexion et de cette pratique qui dialogue avec la longue histoire clownesque, l’auteur dénonce le phénomène des « clowns tueurs » comme une usurpation, et son traitement médiatique comme une manifestation de complaisance pour le spectaculaire qui confine au mépris pour un art profond et sensible.

 

  1. Jacqueline et Claude Held, Parole de clown, Draguignan, Lo Païs, « d’Enfance », 1999, s. p.
  2. Federico Fellini, I Clowns, © Bavaria Film/Compagnia Leone Cinematografica/ORTF/RAI, 1970, édition DVD 2004, MK2 S.A./Allerton Films, 00:41:30.
  3. Alfred Simon, La Planète des clowns, Lyon, La Manufacture, 1988.
  4. Jacques Lecoq, Le Corps poétique, Arles, Actes Sud-Papiers [1997], 2016.
  5. Jean-Bernard Bonnange et Bertil Sylvander, Les Clownanalystes du Bataclown – Miroirs révélateurs de la vie sociale, HDiffusion, 2015.
  6. Jean Starobinski, Portrait de l’artiste en saltimbanque, Paris, Gallimard, Coll. « Arts et artistes », 2004 [1970].
  7. Jacques Charpentreau, « une bonne récolte », dans Collectif, Les poètes et le clown, møtus, « Pommes Pirates Papillons », 1993, s. p.
  8. Delphine Cézard, Les « Nouveaux » Clowns : approche sociologique de l’identité, de la profession et de l’art du clown aujourd’hui, Paris, L’Harmattan, Coll. « Logiques sociales », 2014.
  9. Daniel Payot, Les Philosophes et le temps des clowns, Belval, Circé, 2022.
  10. Nous adressons nos remerciements à Philippe Rousseaux pour nous avoir rapporté cette réjouissante réflexion d’un apprenti clown dont l’anglais est la langue maternelle.
  11. Florence Vielle, Cirque !, Tinqueux, Centre Créations Enfance, « Petit VA ! », 2016, s. p.
  12. Pierre Etaix, Il faut appeler un clown un clown, Paris, Archimbaud-Séguier, 2001.
  13. Antonio Dominguez-Leiva, « Les clowns maléfiques (1) : généalogie d’une légende urbaine », Pop-en-stock, 26/10./2016, en ligne, http://popenstock.ca/dossier/article/les-clowns-mal%C3%A9fiques-1-g%C3%A9n%C3%A9alogie-d%C2%B4une-l%C3%A9gende-urbaine.
  14. Antonio Dominguez-Leiva, Les Clowns maléfiques, Dijon, le murmure, 2021, p. 89.
  15. Philippe Goudard, Nathalie Vienne-Guerrin, « Les clowns ne sont pas des rigolos : entrée », in Philippe Goudard, Nathalie Vienne-Guerrin (dir.), Figures du clown, sur scène, en piste et à l’écran, Montpellier, Presses Universitaires de la Méditerranée, 2020, p. 15.
  16. Roland Topor, Andrée Prigent, Le Clown, s. l., rue du monde, « Petits Géants », 2001.
  17. François David, « Quand je serai pas clown », dans Collectif, Les poètes et le clown, møtus, « Pommes Pirates Papillons », 1993, s. p.
  18. Jean-Louis Fournier, Ma mère du Nord, Paris, Stock, 2015, p. 109.
  19. Philippe Goudard, « Le clown, poète du désordre », Sens dessous, n° 11, 2013-1, p. 137.
  20. Jean-Louis Maunoury, « drôles de clowns », dans Collectif, Les poètes et le clown, møtus, « Pommes Pirates Papillons », 1993, s. p.
  21. Slava Polunin cité par Stéphanie Barioz, « Slava, l’incroyable histoire du plus grand clown du monde », Telerama, 9 décembre 2014.
  22. Denis Duclos, Le Complexe du loup-garou : la fascination de la violence dans la culture américaine, Paris, La Découverte, Coll. « La Découverte-Poche. Essais », 2005 [1994].
  23. Antonio Dominguez-Leiva, Les Clowns maléfiques, Dijon, le murmure, 2021, p. 84.
  24. Antonio Dominguez Leiva, « Les clowns maléfiques (2) : de la légende urbaine au même viral », dossier « Clowns maléfiques », Pop-en-stock, http://popenstock.ca/dossier/clowns-mal%C3%A9fiques. Voir Patrick Peccatte, « Les origines des clowns agressifs dans la culture populaire », https://dejavu.hypotheses.org/2010.
  25. Ibid.
  26. « Look — (Stop me if you've heard this One) — but there were these two Fellers... » (« Clowneries »), The Avengers (Chapeau melon et bottes de cuir), Saison 6, Episode 11.
  27. Antonio Dominguez Leiva, « Les clowns maléfiques (1) : généalogie d’une légende urbaine », dossier « Clowns maléfiques », op. cit.
  28. « Chasseurs de clowns, vampires et martiens à Mulhouse et Colmar », lalsace.fr, 23 octobre 2014, https://www.lalsace.fr/actualite/2014/10/23/vfaux-clowns
  29. Philippe Goudard, Nathalie Vienne-Guerrin, « Les clowns ne sont pas des rigolos : entrée », in Philippe Goudard, Nathalie Vienne-Guerrin (dir.), Figures du clown, sur scène, en piste et à l’écran, Montpellier, Presses Universitaires de la Méditerranée, 2020, p. 16.
  30. Charles Baudelaire, « De l’essence du rire, et généralement du comique dans les arts plastiques », Œuvres complètes, Paris, Seuil, Coll. « L’intégrale », 1968, p. 374.
  31. C’est ce dont témoigne Francis Albiero, créateur du clown Champion. Entretien avec Francis Albiero, 12 mars 2021.
  32. Karel Appel, « L’âne trop paisible pour les enfants cruels », dans LAAC 3. Appel Circus, Collection du Lieu d’Art et Action Contemporaine de Dunkerque, ateliergaleriéditions, Aire-sur-la-Lys, 2021, p. 51.
  33. Marjorie Micucci, « Poétique circassienne et autres jongleries chromatiques chez Karel Appel », LAAC 3. Appel Circus, Collection du Lieu d’Art et Action Contemporaine de Dunkerque, ateliergaleriéditions, Aire-sur-la-Lys, 2021, p. 18.
  34. Jean Starobinski, Portrait de l’artiste en saltimbanque, Lausanne, Skira, 1970, p. 7.
  35. Ibid., p. 32.
  36. Benjamin de Laforcade, Berlin pour elles, Gallimard, Paris, 2024, p. 101.
  37. Id., p. 38.
  38. Howard Buten in Angela Romboni, ‘I Clowns’ selon Howard Buten, complément Federico Fellini, I Clowns, 1970, © Bavaria Film/Compagnia Leone Cinematografica/ORTF/RAI, édition DVD 2004, MK2 S.A./Allerton Films.
  39. Howard Buten, Buffo, Arles, Actes Sud, 2005, p. 67.
  40. Ibid., p. 41.
  41. Ibid., p. 44.
  42. Voir Antonio Dominguez Leiva, « De Pierrot assassin aux clowns tueurs », dossier « Clowns maléfiques », op. cit. ; Edward Nye, « Pierrot : from laughter to fear », in Sabine Chaouche et Laurence Marie (dir.), Les émotions en scène (XVIIè-XXIè siècles), European Drama and Performance Studies, 2021-2, n° 17, p. 125-142.
  43. Jean Starobinski, op. cit., p. 141.
  44. Ibid.
  45. Alain Vaillant, La Civilisation du rire, Paris, CNRS Éditions, 2016, p. 13.
  46. Jean Starobinski, op. cit., p. 144.
  47. Un relevé non exhaustif recense ainsi, dans l’édition de langue française : Quentin Blake, Clown, Gallimard, 1995 ; Elzbieta, Trou-Trou, Pastel, 1995 ; Elzbieta, Qui ? Où ? Quoi ?, Pastel, 1996 ; André Dahan, Zappa le clown, Gallimard, 1996 ; Alan Mets, Etoile, L’Ecole des loisirs, 1997 ; Elzbieta, Clown, L’Ecole des loisirs, Coll. « Lutin poche », 1998 ; Jacques Duquennoy, Clown, ris !, Albin Michel jeunesse, 1999 ; Louis Joos et Béatrice Deru-Renard, Le clown plus que rigolo, L’Ecole des loisirs, coll. Pastel, 2001 ; Guido Van Genechten et Luk Depondt, Tito le Clown, Milan, 2001 ; Mischa Damjan et Christa Unzner, Quand le clown dit NON, Nord-Sud, 2002 ; Guido Van Genechten, Léo le clown, Magnard, 2003 ; Quint Buchholz et Gudrun Mebs, Sara et le clown, Milan jeunesse, 2007 ; Christian Guibbaud, Fais pas le clown, Milan Jeunesse, 2007 ; Bernard Friot et Catherine Louis, Non, non et non !, Milan Jeunesse, Coll. « Petit clown », 2007 ; Stephen Mackey, Petit clown et la ballerine, Gautier Languereau, 2011 ; Jacques Duquennoy, Petit clown : l’arbre, Albin Michel jeunesse, 2013 ; Jacques Duquennoy, Petit clown : le trou, Albin Michel jeunesse, 2013 ; Jacques Duquennoy, Petit Clown et le voyage de lune, Albin Michel Jeunesse, 2014 ; Vincent Cuvelier et Marion Piffaretti, La fois où Mémé a tapé un clown, Nathan, 2019 ; Elisabeth Helland Larsen et Marine Schneider, Je suis le Clown, Versant Sud, 2019.
  48. Louis Pergaud, La Guerre des boutons. Roman de ma douzième année, Paris, Gallimard, « Folio », 2015 [1912], p. 364.
  49. Gustave Flaubert, Dictionnaire des idées reçues,
  50. Romain Gary, Les Clowns tragiques, 1979, p. 10.
  51. Belinda Cannone, Le Sentiment d’imposture, 2009.
  52. Philippe Goudard, « Le clown, poète du désordre », Sens dessous, n° 11, 2013-1, p. 131.
  53. Karel Appel, « Etonné par le monde et par toi-même », dans LAAC 3. Appel Circus, Collection du Lieu d’Art et Action Contemporaine de Dunkerque, ateliergaleriéditions, Aire-sur-la-Lys, 2021, p. 49.
  54. Karel Appel, « Clown anti robot », dans LAAC 3. Appel Circus, Collection du Lieu d’Art et Action Contemporaine de Dunkerque, ateliergaleriéditions, Aire-sur-la-Lys, 2021, p. 47.
  55. Mark Dery, The Pyrotechnic Insanitarium. American Culture on the Brick, Grive Press, New York, 1999.
  56. « The Story of Puddles », Puddles Pity Party, https://www.puddlespityparty.com/about/.
  57. Raphaël Boshart dit Nusky, « J’aime bien l’idée d’être un clown aux yeux de cette société », Entretien avec Laura Marie, lesinrocks.com, 23 octobre 2020, https://www.lesinrocks.com/musique/nusky-jaime-bien-lidee-detre-un-clown-aux-yeux-de-cette-societe-185894-23-10-2020/.
  58. Damien Saez, Le Manifeste, film de lancement, https://www.youtube.com/watch?v=d76U6RVHyH4.
  59. John Jordan / Kolonel Klepto, « Faire la guerre avec amour », Vacarme, n° 31, 2005, p. 34-37.
  60. John Jordan, « Pourquoi es-tu le premier déserteur de l’armée des clowns ? », Reporterre, https://reporterre.net/spip.php?page=memeauteur&auteur=John+Jordan.
  61. Howard Buten in Angela Romboni, ‘I Clowns’ selon Howard Buten, complément Federico Fellini, I Clowns, 1970, © Bavaria Film/Compagnia Leone Cinematografica/ORTF/RAI, édition DVD 2004, MK2 S.A./Allerton Films, 00:01:10.
  62. Dave Louapre, Dan Sweetman, cités dans Mark Dery, The Pyrotechnic Insanitarium : American Culture on the Brink, New York, Grove Press, 1999, Format Kindle Ebook, p. 65.
  63. François David, « Le clown a un nez rouge », dans Collectif, Les poètes et le clown, møtus, « Pommes Pirates Papillons », 1993, s. p.
  64. Zlotowicz, Michel, Les peurs enfantines, Paris, PUF, p. 81.
  65. Stephen King, Ça, t.1, William Desmond (trad.), Paris, Albin Michel, 1988 [1986], p. 24.
  66. Id., p. 18.
  67. Id., p. 24-25.
  68. Id., 25.
  69. Sigmund Freud, « L’humour », p. 317-328, in Sigmund Freud, L’Inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, « Folio essais », 1985 [1927], p. 324.
  70. Id., p. 325.
  71. Id., 325
  72. Mark Dery, The Pyrotechnic Insanitarium : American Culture on the Brink, New York, Grove Press, 1999, Format Kindle Ebook, p. 65.