Dé-corps ob-scène. Fragmenter son corps en champ et hors-champ dans la fiction horrifique tournée à partir d’un ordinateur : l’exemple de <em>Host</em> (2020) de Rob Savage

Dé-corps ob-scène. Fragmenter son corps en champ et hors-champ dans la fiction horrifique tournée à partir d’un ordinateur : l’exemple de Host (2020) de Rob Savage

Par GODIN Hélène

Si l’on peut alors imaginer le point ultime d’une terreur, ce serait celui d’un champ tout entier soumis à la puissance du hors champ, d’un visible envahi par l’invisible qui en a fait, en parasite, son hôte puis sa dépouille pour en jaillir triomphalement et s’y substituer. Un hors champ devenu alors tout entier champ  1.

 

2015 : Unfriended 2. Après une heure et demie haletante devant un écran d’ordinateur où le personnage de Blaire retrace l’histoire tragique du suicide de Laura Barns harcelée puis abandonnée par ses proches, survient l’ultime plan. L’écran d’ordinateur est rabattu brutalement pour découvrir l’hors-champ de la chambre de la jeune femme jusqu’alors soigneusement éludé par le principe de streaming de son écran. Cinq secondes de terreur pure succèdent à ce geste très simple. Sur ce plan de la chambre plongée dans l’obscurité l’écran n’est plus une barrière, fermer la fenêtre ne suffit pas, rabattre l’écran ne suffit pas : ce qui devait être le cadre devient subitement le champ à son tour. Un jump-scare survient. Il conclut l’un des premiers films qui, depuis l’initiateur Kaïro (2001), de Kiyoshi Kurosawa et après Truth or Dare (2018) de Jeff Wadlow et Rings (2017) de F. Javier Gutiérrez, fait intervenir une puissance spirituelle malsaine à partir d’internet, mais surtout le premier film qui déploie une fiction d’horreur entièrement en streaming à partir d’un écran d’ordinateur.

Avril 2020 : premier confinement mondial de la pandémie de Covid-19. Devant l’impossibilité de se réunir par mesures sanitaires, Rob Savage relève le défi de tourner un film en visioconférence, Host 3. Cinq ans après Unfriended, six amis se réunissent pour réaliser cette fois-ci sur Zoom une séance de spiritisme qui tourne mal. Savage dirige ses acteurs à distance et dévoile une fiction de cinquante-six minutes : exactement quarante minutes de conférence Zoom que précède une mise en ambiance à travers la webcam du personnage de Haley. Les circonstances contraignent l’objet filmique à une sortie en ligne : sur la plateforme SVOD Shudder, et en 2021 lors du festival de Gérardmer puis celui du Brussels International Fantastic Film Festival (BIFFF). C’est le streaming d’un film en streaming de six streaming différents de personnages qui se streament.

Nous nous intéresserons tout particulièrement aux enjeux esthétiques qui sont impliqués par ce moment de retournement où au corps confronté à la terreur se substitue ce qui ne devait être que décor, et au déploiement, dans l’alternance de la fuite et de l’attente, d’un dé-corps « ob-scène », d’une fragmentation corporelle cernée par les écrans. Notre objectif est ainsi d’analyser un nouveau type de dispositif filmique horrifique à distance qui consiste à mettre en scène son propre corps dans le champ tout en contrôlant ce qui va jaillir du hors champ, de l’invisible, pour avaler le visible : ou comment le hors-champ se saisit du champ dans cette apocalypse domestique où fermer les yeux ne suffit plus.

Par hors-champ, nous prenons en compte ici la définition de Stéphane Bex :

 

Le hors-champ constitue, au cinéma, ce territoire sans mesure, théoriquement illimité, qui entoure le visible du plan, et le cerne à la manière dont un océan entoure un îlot. [...] Le hors-champ [est] ce qui est refusé à un regard désirant outrepasser les limites du visible donné  4.

 

Nous nourrirons notre étude de la structure image-cristal de Gilles Deleuze, qui explore les possibles de l’image-temps cinématographique selon un procédé de circuit qui orchestre un échange d’images virtuelles et d’images actuelles, chacune n’étant strictement perceptible en même temps que l’autre, mais bien impliquée dans l’ensemble des niveaux de réalité qui constituent l’objet-cinéma, image à plusieurs facettes ainsi cristallisées. Il est important de noter ici, dans l’étude d’un film-visio-conférence, que nous ne considérons pas le flux streaming comme un flux « virtuel » au sens Deleuzien du terme : nous employons ici pour le flux streaming le terme de « flux numérique » au sens de ce qui se produit à l’écran dans le cadre de la conférence. Nous ne saurions en effet appliquer la notion de virtuel deleuzien en circuit avec l’actuel à l’ensemble des images numériques : ce serait nier l’existence tangible de ces dernières dans notre réalité, à l’heure où elles sont omniprésentes. Rappelons que l’image-cristal se constitue d’une circonvolution entre des surfaces limpides et des surfaces plus troubles, au sein desquelles les images actuelles et virtuelles se dédoublent, s’impliquent et parfois se confondent : chaque image actuelle, tangible et objective, entraîne avec elle une image virtuelle, perceptible et présente en puissance car « en train de se faire ». L’ensemble des images actuelles, virtuelles et numériques constitue la diégèse de Host, une diégèse à plusieurs facettes, à plusieurs couches, qui fonctionnent ensemble, et ne sauraient se dissocier les unes des autres. Cela étant posé, il nous appartiendra d’analyser alors plusieurs principes de fragmentation : une fragmentation structurelle à travers trois des six person(nes)ages principaux, image-cristal moderne où actuel et virtuel s’affrontent et se confondent, puis une fragmentation cernée par les écrans, d’où se dégage l’importance de la création d’un masque, d’une image-fantôme de soi. Enfin, une fragmentation du hors-champ induite par l’écran et la mise en place d’une image dé-corps occupera notre réflexion, dans le sens où elle révolutionne la mise en scène de l’espace dans la fiction horrifique en streaming, par l’utilisation d’intervalles et la construction d’une mosaïque envahie par le vide, où corps devient décor, présence devient vide, hors-champ devient champ.

 

Fragmentation structurelle : double actuel et double virtuel

La fragmentation esthétique est centrale : elle lie les éléments du film en un ensemble tout en se nourrissant de ce dernier dont elle ne saurait se dissocier. Elle intervient par le prisme de trois des six personnages du film. Si aucun d’eux ne domine la narration au point d’être considéré comme un héros au sens d’être « censé avoir accompli un exploit extraordinaire au service d’une communauté  5 », une grande partie des manifestations est orchestrée par Haley. C’est en effet de son ordinateur et de son réseau de contacts que la fiction démarre. Le cadre principal, fragmenté par la suite en de multiples cadres qui représentent la mosaïque des personnages présents, est celui de l’ordinateur d’Haley. Cette dernière possède ainsi d’office une puissance esthétique prépondérante dans la suite des événements qui surviennent. Cet ascendant technologique s’appuie sur la maîtrise de plusieurs outils : Haley s’affirme en effet comme le seul personnage qui contrôle trois instruments audiovisuels, à savoir son ordinateur portable, son téléphone portable, et un petit appareil Polaroid. L’importance du rôle d’Haley réside dans l’ensemble des trois des procédés de fragmentation de l’image et du son qu’elle possède, et dans sa capacité à composer avec la polyvalence intradiégétique et extradiégétique de leurs utilisations. Ainsi, son ordinateur demeure tout à la fois cadre de la fiction, hôte de la conversation zoom, et caméra ; son téléphone permet à la fois de communiquer avec Seylan, la voyante, et d’occuper son attention pendant que Jemma envoie un e-mail avant l’arrivée des autres ; enfin son appareil photo tient le rôle du témoin, lorsqu’il permet à Haley de prendre une photo des participants à la conversation, et de révélateur, car il tient lieu de lampe de poche dans l’obscurité par l’utilisation du flash, ainsi que de preuve que ce qui a été éclairé se trouvait effectivement à cet endroit-là. Le choix d’Haley de prendre une photo de la mosaïque des participants avec son Polaroid alors qu’elle pourrait réaliser une capture d’écran de son ordinateur permet d’affirmer très tôt dans la narration la façon dont Haley mène l’ensemble des procédés visuels et sonores du film : elle est omniprésente. De la même manière, lorsque Jemma se connecte d’abord sur Zoom avec son téléphone et produit ainsi une duplication de l’image et une réverbération du son, c’est Haley qui lui indique de couper cette source audio-vidéo. Haley maîtrise ainsi l’ensemble des cadres technologiques du film, ce qui en fait un hôte esthétique privilégié : c’est par son ordinateur que tout commence et que tout finit.

Elle demeure par ailleurs le point de départ de la narration : c’est elle qui décide d’inviter, puis d’accueillir, les participants de la conversation Zoom. La mise en scène de cette séquence est à cet égard intéressante : à genoux devant son lit, accoudée à ce dernier, Haley fait apparaître la fenêtre de ses contacts à l’écran pour les sélectionner. Pendant quelques secondes, aucun personnage de la fiction n’est identifiable avec précision. En effet, installée devant son ordinateur dans un but utilitaire – inviter ses contacts – Haley ne se préoccupe pas de son image et son visage est donc coupé au niveau de son nez, ce qui fait sortir ses yeux, principal marqueur de l’identité visuelle, du champ. Alors qu’elle sélectionne ses contacts, ces derniers n’ont pas d’avatar et ne représentent qu’une liste de noms. À ce stade de la narration, personne n’existe autrement que par une suggestion, la silhouette pour Haley et une suite de caractères pour les autres personnages. Avec simplicité, Haley met en scène une partie du générique du film en réalisant une surbrillance à chaque clic sur un prénom : c’est Haley qui choisit de donner une substance visuelle à chaque participant. Elle exerce la démarche d’invitation et intègre l’image sur la mosaïque avec le reste du groupe. Pendant ce fragment de séquence, Haley opère une fragmentation de son corps, et une fragmentation de ses contacts, à qui elle donne le droit d’accéder au streaming de son corps, tout en proposant le streaming du leur. Avant l’apparition du premier participant, l’esthétique et le cadre sont en place, mais pas le corps central de la fiction. Le choix d’accorder de l’importance aux coulisses de la formation du groupe et de l’image du groupe est déterminant.

C’est dans cette petite séquence qui précède l’arrivée de première participante, Jemma, que la complexité subtile du personnage d’Haley se met en place. L’action débute dans la pièce à vivre de Haley, qui gagne ensuite sa chambre avec son ordinateur pour le poser sur son lit. Le champ intègre désormais un élément fragmentaire : le miroir, qui permet à partir d’un seul appareil de prise de vue, de proposer deux points de vue différents d’un même lieu. L’élément-miroir apparaît à plusieurs reprises chez plusieurs personnages mais c’est chez Haley qu’il est le plus important. Il se présente en effet dans le champ au moment de la première manifestation d’étrangeté du film et instaure dans l’actualité d’Haley, selon la formule de Gilles Deleuze, une forme de virtualité qui communique à partir de là dans un circuit irrévocable avec le reste des événements : « L’image en miroir est virtuelle par rapport au personnage actuel que le miroir saisit, mais elle est actuelle dans le miroir qui ne laisse plus au personnage qu’une simple virtualité et le repousse hors champ 6 » affirme-t-il dans l’Image-temps. Une fois ses participants invités, Haley se relève pour se changer, et elle sort du cadre puis du champ dans cet ordre : c’est-à-dire qu’elle sort du cadre de l’écran de l’ordinateur, mais qu’elle reste dans le champ car présente dans le cadre du miroir. Ainsi, on la voit de face et de dos en même temps pendant une seconde, encerclée par les objets qui capturent son image, dans une diégèse diffractée où le cadre prend en compte plusieurs niveaux de réalité, selon la formule de Deleuze :

 

Dans un cas, le hors-champ désigne ce qui existe ailleurs, à côté ou autour ; dans l’autre cas, le hors-champ témoigne d’une présence plus inquiétante, dont on ne peut même plus dire qu’elle existe, mais plutôt qu’elle « insiste » ou « subsiste », un Ailleurs plus radical, hors de l’espace et du temps homogènes  7.

 

Ce n’est plus Haley que nous voyons en streaming, mais bien son reflet : ce reflet se fige dans l’écoute d’un bruit hors-champ auquel succède le silence. Haley se saisit de l’ordinateur pour donner à voir le couloir, dans lequel une porte de placard s’ouvre pour laisser chuter une planche à repasser et un ballon. L’intervention du son qui fait sursauter le reflet d’Haley, et non pas le streaming d’Haley, ou plutôt le streaming du reflet d’Haley, induit dès lors une implication de la virtualité invisible sur le plan d’actualité habituel. Par sa prédisposition à la fragmentation impliquée par sa maîtrise des outils numériques et son habitude des pratiques spirituelles, Haley s’affirme comme un hôte à deux facettes, celui qui contrôle la sauvegarde de l’expérience mystique de la séance de spiritisme, et celui qui prend en considération un autre niveau de réalité avant même l’appel des forces obscures. Toutefois, cet autre plan de narration, s’il est appréhendé en premier lieu par Haley, demeure maîtrisé par un autre personnage dont elle est très proche, et dont elle est indissociable, celui de Jemma.

Jemma fait en effet irruption par un moyen différent que celui qui est imposé par l’hôte de la conférence ; alors que Haley met trop de temps à accepter Jemma-numérique (son avatar) dans la conférence Zoom, son amie fait ressentir sa présence objective en jetant des petits projectiles sur la fenêtre de l’appartement d’Haley, qui donne sur la rue. Haley, qui regagne le salon après avoir regardé si le placard ne comportait pas d’intrus, remonte alors le store, ordinateur à la main, pour filmer Jemma. Le cadre comprend alors non seulement un champ à perspective approfondie qui dépasse le confinement de l’appartement, puisque l’on discerne le bord de la fenêtre et la rue, mais surtout une version de Jemma sur le même plan de réalité qu’Haley puisqu’elles sont physiquement à quelques mètres l’une de l’autre. Jemma est le seul personnage de Host qui apparaît dans le film dans le flux numérique de la caméra, comme Haley, avant d’apparaître dans le flux numérique de la conversation Zoom, cadrée et identifiée par la tuile Zoom qui porte son nom. C’est le seul personnage qui va demander par des mouvements physiques (des coups sur la vitre) à être acceptée dans un flux numérique (la conférence Zoom) ; cela en fait un personnage d’emblée très mobile, dont la condition est appuyée par l’autorisation de Haley à entrer. Jemma apparaît en effet en premier lieu cadrée par son téléphone, en chemin pour rentrer chez elle. C’est un personnage qui devient donc autrement capable de mouvement ; cette mobilité, décisive pour la suite – et la fin – du film, se manifeste chez Jemma avec plus d’intensité que chez tous les autres personnages. Par cette mobilité, Jemma donne une impulsion à l’ensemble des péripéties vécues : une impulsion impliquée par du son. En effet lorsque Jemma s’installe chez elle et se connecte sur son ordinateur sans déconnecter son téléphone, elle est doublée sur la mosaïque. Zoom différencie ces deux points de vue par les appellations « Jemma » et « Jemma’s Phone ». Un même cadrage, celui de l’ordinateur, comme avec Haley un peu plus tôt, propose deux angles différents du visage de la jeune femme. À cela, il ajoute deux sorties son différentes qui provoquent un décalage et une réverbération. Jemma, à son tour, se dédouble dans une étrangeté sonore, spectrale, qui fait naître sur son visage l’étonnement, puis une forme de scepticisme, presque du dégoût, avant de la faire éclater de rire. La situation, si elle provoque son hilarité, agace Haley. Pendant ces quelques secondes, Jemma est double : double périphérique, double voix, double jeu. Son dédoublement sonore crée de nouvelles perspectives qui trouvent leur apogée à la fin du film.

En effet, alors que la séance de spiritisme tourne mal et que l’esprit invoqué s’acharne sur chacun des membres du cercle, Jemma, excédée d’avoir vu Haley disparaître derrière la porte de son couloir refermée derrière elle par le revenant, décide de quitter sa maison pour gagner celle d’Haley. Cette décision, majeure pour le dénouement du schéma narratif, met en tension plusieurs interdits implicites à différents niveaux de réalité : l’interdit de rompre le cercle permettant d’invoquer l’esprit, l’interdit d’apparaître à travers l’écran de quelqu’un d’autre, et l’interdit d’entrer par effraction chez quelqu’un, en période de couvre-feu général qui plus est, en avril 2020. Puisque Haley n’est plus là pour imposer sa présence dans la narration esthétique du film, c’est Jemma qui décide de prendre en main l’action ; les coups qu’elle a portés sur la vitre au début du film sont plus violents et font exploser celle-ci à la fin du film. Jemma, qui avait quitté le cercle Zoom par son propre cadre, ré-intervient dans la narration par un son : le bruit cristallin de la vitre qui éclate en mille morceaux. Elle pénètre ensuite dans le cadre de l’ordinateur de Haley pour contempler la désolation de la mosaïque de la conférence : tout le monde est mort, et son image est cernée par les tuiles remplies d’absence, de vide, de hors champ, autrefois occupées par ses amis. Mais surtout, sa présence est un coup de tonnerre dans la narration : son image est contenue dans le cadre qui appartient à Haley. Jemma, par sa présence, s’est ainsi substituée à son amie...et elle n’est pas la bienvenue. Alors que la virtualité de l’esprit en train de se construire et de prendre toute la place dans l’écran s’acharne à son tour sur elle, Jemma s’écroule, donc sort du champ. Sa main, après quelques secondes, jaillit du hors-champ pour faire tomber l’ordinateur sur le sol et pour lui faire reprendre donc une présence centrale dans l’action. L’écran offre alors une vision de Jemma ensanglantée dont l’axe a pivoté à la verticale : exactement comme si elle avait en fait emmené son téléphone avec elle pour se filmer. Par sa présence, Jemma impose sa propre esthétique visuelle : l’angle de vue, pour les cinq dernières minutes, change. C’est celui d’un double de Jemma, Jemma-Haley, l’hôte-Jemma-dans-Haley, qui maîtrise la narration en vue subjective jusqu’à la fin. Sa déambulation finale dans le couloir plongé dans l’obscurité pour retrouver Haley prostrée dans sa chambre est comme un retour aux sources, des retrouvailles grâce au spectral, une manière de boucler la boucle : « Le spectral au cinéma peut se définir comme la découverte de la perte au moment de la retrouvaille. Le fantôme est l’objet insaisissable passant entre les deux et les reliant 8. » L’étrangeté a pris forme pour la première fois par ce bruit non identifié, et c’est alors une façon d’aller chercher Haley dans un négatif photographique – au sens d’inversions chromatiques et lumineuses faisant partie intégrante de l’image – du monde actuel : un virtuel maléfique, de l’autre côté du miroir, où tout n’est que ténèbres, suggestion, hors-champ, dont on ne ressort pas...du moins pas vivant.

C’est le cas d’un troisième personnage que nous appellerons hôte obscène, Caroline. Caroline est, des trois personnages évoqués dans le début de cette analyse, celui qui représente de manière la plus éloquente le circuit actuel-virtuel tel que défini par Deleuze. En effet, lorsqu’elle apparaît dans la conférence Zoom, Caroline fait sensation avec une mise en scène technologique : un arrière-plan interactif qui se présente sous la forme d’une petite séquence vidéo pré-enregistrée qui tourne en boucle, dans laquelle Caroline sort de sa salle de bains à l’arrière-plan, récupère quelque chose dans sa commode et repart. Caroline apparaît ainsi dans le cadre en double, un double qui discute avec ses copines, et un double autrefois filmé. Décrite comme la plus vulnérable des personnes présentes, Caroline est en vérité tout aussi aguerrie que ses comparses puisqu’elle est capable de mettre en place un élément technologique pour se cacher et un autre pour ne pas être atteinte en première ligne quand elle se risque dans l’une des pièces les plus terrifiantes de l’univers du film d’horreur : le grenier. En effet, alors qu’elle entend du bruit dans les combles, Caroline est poussée par ses amies à aller vérifier la source de cette manifestation sonore : déroulant d’abord l’échelle de la trappe menant au grenier, elle retourne son appareil filmique pour réaliser une prise de vue subjective. La tension augmente d’autant plus que la traversée dans l’obscurité s’effectue en deux temps : Caroline exprime d’abord un premier refus – « Oh no, no, no. » – en descendant de l’échelle et retourne dans sa chambre sous les regards avides de ses spectatrices pour aller chercher de quoi percher son appareil : ce refus implique à lui seul toute la tension horrifique en train de se mettre en place, entre ce vouloir voir, et ne pas vouloir voir 9. Elle donne à voir alors la première portion de hors-champ angoissante après la vision de la maison de Seylan dans le noir : la trappe de son grenier formant un grand rectangle noir d’obscurité au milieu du champ, cadre chargé de néant où tout – surtout le pire – est possible : le hors-champ. La source du bruit non identifié, ce portail qui l’abrite, se trouve ici en plein milieu du champ, par le mouvement de retournement de l’appareil filmique de Caroline, et il commence, doucement mais sûrement, à le gangrener par un mouvement de travelling avant. C’est à ce moment-là que Caroline se munit d’un outil pour l’accompagner dans son exploration : une perche sur laquelle elle fixe son appareil filmique. Elle monte, dans le plus grand silence, l’échelle, précédée par cet instrument de prise de vue. On lui chuchote alors une phrase déterminante : « Film what you see », « Filme ce que tu vois » : l’angoisse s’est transformée en peur, et la peur en une forme d’excitation sadique car il faut voir absolument ce qui se cache au-delà de cette zone tremblante déjà évoquée chez Deleuze :

 

Si l’image livrée sur l’écran par le cadre représente ce qui excite le regard dans un mouvement à la fois centripète et centrifuge pour reprendre la polarité évoquée par Bazin, le hors-champ est alors ce qui se produit à la marge de cette excitation, dans la zone tremblante où se manifeste le désir d’un plus de voir appelant au mouvement de la caméra invitée à augmenter l’étendue du visible  10.

 

La suite du film révèle que cette entreprise est difficile : alors que l’appareil enregistre des images du grenier plongé dans l’obscurité selon un panoramique vers la gauche, une paire de jambes appartenant à une silhouette vraisemblablement suspendue au plafond alerte, une demie seconde, et a déjà disparu quand la caméra revient sur son axe selon un panoramique vers la droite, sans que personne n’ait rien remarqué. Plus tard, lorsqu’une seconde alerte est lancée chez Haley, sans succès, il faut une photo pour attester la présence d’une silhouette pendue dans le couloir : un « in-figurable » forcé à la représentation :

 

Reconfigurable qui gît au fond de cette noirceur est une autre forme d’abject qui touche l’ensemble du visible. Ce n’est plus l’esthétique qui y chute, mais toute représentation en tant qu’elle est menacée de disparaître, de s’effacer et de sombrer dans l’irreprésentable et l’indistinction  11.

 

Ces deux alertes proviennent de personnages ayant un contact privilégié avec des formes de spiritualité : Haley a mené des séances de spiritisme et Jemma navigue – au sens numérique du terme – entre les réalités. Caroline redescend, bouleversée moins parce qu’elle a vu – a-t-elle réellement vu quelque chose ? – que par la tension qui augmente sans être traduite explicitement : elle a traversé un portail, pénétré l’ob-scène, le hors-champ, et elle va y rester.

La succession des tuiles inhérente au fonctionnement de Zoom place « l’arc Caroline » à l’arrière-plan pendant un intervalle de quelques minutes qui vont voir mourir Radina et son compagnon Alan. C’est quelque temps plus tard que Caroline réapparaît une première fois, furtivement, dans un bruit de craquement qui fait suspecter que son ordinateur est tombé. De la sorte, son arrière-plan interactif lui succède, le flux-numérique pré-enregistré se superpose au flux-numérique actuellement en présence et les autres pensent que Caroline, qu’elles interpellent, va et vient de sa salle de bains à sa commode. C’est alors que des messages provenant de Caroline alertent les personnages dans le chat, sous la forme d’une suite de treize maillons de caractères aléatoires, et ce pour une très bonne raison : le visage de Caroline se fracasse sur son clavier et son bureau. Pendant ces coups violents administrés à son visage, le corps de Caroline, dans un mouvement de balancier, disparaît derrière l’arrière-plan – dans le hors-champ – d’où elle tente de revenir avec un « Help me » gémissant, en traversant les pixels de cette projection. Caroline donne ici à voir une forme d’échange cristallin, comme l’irruption d’un élément dans une trame : son plan formé par l’image pré enregistrée et son plan formé par son flux streaming se croisent, se mélangent, s’intercalent et se superposent : « On ne sait plus où est le rôle et où est le crime 12. » Nous sommes face à l’image limpide du flux pré-enregistré, mais qui est opaque par rapport à l’image qu’elle cache. De la sorte, ce flux enregistré, tout puissant, ne permet à l’élément dissimulé d’apparaître que par micro-fragments avant de le dévorer. Caroline est avalée par un envers opaque, dans les eaux troubles du circuit : elle prolonge ainsi la métaphore employée par Marion Froger lorsqu’elle explique l’image-cristal : « comme la surface d’une eau qu’une brise légère fait miroiter 13. » La brise est ici ouragan numérique, improbable rupture de flux, et bouscule la surface de l’eau pour y faire remonter l’horreur mystérieuse de ses profondeurs. Cette horreur ne demeure pas : le mouvement de Caroline ne se fige pas sur son cadavre, il ne se fige en vérité jamais. Le hors-champ devient champ tout entier, pixels qui, bousculés, se réorganisent inlassablement dans la production du tourbillon du circuit, pour aspirer l’image de Caroline derrière eux. Les doubles de Caroline luttent pendant quelques secondes l’un contre l’autre, dans la création d’un ob-scène :

 

Filmer l’horreur est une prétention ou pré-tension, c’est à dire une tension préalable vers une sorte d’absolu cinématographique : montrer ce qui, pour toujours, ne peut qu’échapper. Le film dit d’horreur est de facto, et par essence, ob-scène – comprenons à côté, hors de la scène, tel un vaste hors-champ intérieur  14.

 

Ici l’hôte ob-scène, hôte en dehors de la scène, devient pour quelques temps l’hôte obscène, car sa tension contenue éclate au grand jour : la mort de Caroline est la plus graphique de toutes et l’une des plus violentes dans le sens où on assiste au décès abrupt d’un personnage vulnérable. Son image se fragmente et se défragmente jusqu’à ce que disparition ob-scène s’en suive. Ce qu’il reste de Caroline ensuite, jusqu’à la fin du film, est cette tuile terrifiante, animée, d’une Caroline en circuit : cette image limpide, pré-enregistrée, et derrière, une image opaque, virtuelle, présente en puissance, non en cours de construction, mais bien en train de se défaire. Le flux hante, en boucle, en circuit, cette partie du streaming qui lui est dédiée, comme une image-fantôme.

 

Images-fantômes et masques hantés

L’image-fantôme résonne avec les moyens techniques et numériques utilisés pour créer la fiction de Host. Dans le langage informatique, chaque création d’une donnée implique la nécessité d’une image de cette donnée, un fichier caché auquel on peut accéder par modification des paramètres d’affichage. Chaque donnée informatique se constitue d’une fragmentation en deux images distinctes : celle, visible, que l’on peut manipuler à loisir, et celle, cachée, à laquelle on accède sous certaines conditions et paramètres de sécurité. Créer un Ghost, un General Hardware-Oriented System Transfer, c’est créer un clone d’une partition de données pour pouvoir en faire une sauvegarde. La technologie est, par essence, créatrice de fantomal d’après Stéphane Bex : « La technologie crée du fantomatique ou du fantomal-automatique qui est cet invisible reculant au fur et à mesure que s’étend le champ du visible mais le pressant et le cernant à ses frontières 15. » Il s’agit de fabriquer, au sens littéral, une image-fantôme, que l’on a alors la possibilité de convoquer en cas de corruption des données sur son appareil principal. Dans la fiction Host, Seylan, la voyante impliquée dans la séance de spiritisme, explique aux participantes qu’elles sont victimes de la création d’un masque que n’importe quel esprit peut porter : en effet, lors de l’invocation, Jemma invente de toutes pièces l’apparition – ou plutôt la visite – de l’esprit d’un certain Jack, ex-camarade d’école qui se serait pendu ; par sa puissance sonore déjà évoquée, elle modèle une image-parole et par là une virtualité présente dans l’espace sonore, mais en train de se construire dans l’espace visuel. Elle profite, à cet égard, de la confiance de son auditoire, pour introduire sa narration mensongère. Et ainsi la plupart des apparitions malveillantes de se solder par une pendaison de la victime. Le fait que la séance de spiritisme se produise sur Zoom provoque ainsi une fragmentation numérique de ce spectre, de cette image-parole de Jemma, non pas en une, mais en autant de copies-identités que de personnes invitées dans la conversation – cela comprend également Teddy, arraché du cercle par sa compagne avant la fin de l’invocation. Chaque fragment de la copie ainsi réalisé se manifeste donc dans chaque maison et la hante jusqu’à la mort de toutes les personnes qui s’y trouvaient : de la sorte, les manifestations de l’esprit occasionnent une vibration des ondes sonores. Le seul personnage qui n’est pas attaqué par le spectre dans sa propre maison, c’est Jemma, la créatrice du masque, actrice par excellence, qui intègre ensuite l’espace de Haley et la menace qui s’y trouve.

Toutefois le personnage comédien par essence du cercle est Emma. Propriétaire d’une poupée russe avec laquelle elle veut réaliser l’invocation, elle symbolise le personnage qui possède plusieurs enveloppes. Liée au champ sémantique de la comédienne, elle réalise sa part du rituel dans une chambre à l’esthétique proche d’une loge : un grand miroir éclairé par une guirlande de lumières se tient dans le coin droit de la tuile de la mosaïque qui la représente. Elle se fait de plus remarquer par son apparition recouverte d’un filtre qui masque son visage, tant et si bien que lorsqu’un véritable masque fait son apparition, lévitant au-dessus du sol dans son salon, ses amies reprochent à Emma de ne pas avoir désactivé les filtres. Tandis qu’Emma tend la main pour toucher le masque, ce sont deux images numériques qui s’affrontent sur deux plans de réalité différents : l’objet-masque est une apparition numérique intangible pour Emma, qui est elle-même une apparition numérique intangible pour ses amies. Le masque se tourne soudainement vers elle avant de disparaître comme s’il s’agissait de son propre reflet, acteur monstrueux 16, soudain brouillé, lui aussi, à la surface de l’eau par le contact de la main d’Emma. C’est elle également, qui, angoissée par les premières manifestations étranges, menace avec emphase Haley : « Haley, honestly if I die, I’m actually gonna haunt you myself », « Haley, honnêtement si je meurs, je viendrai te hanter moi-même », comme si elle avait la possibilité une fois libérée d’une enveloppe corporelle de prendre la place de quelqu’un d’autre. Pourtant, lorsqu’elle se fait attaquer une première fois par le spectre et suspendre au-dessus du sol, Emma s’en sort et retourne se cacher dans sa chambre pour, telle une actrice ayant terminé sa déclamation, disparaître sous sa couette comme on disparaîtrait derrière un rideau. Sa mort est à cet égard très intéressante puisque Emma prend le parti de forcer la visibilité du spectre en le cachant : elle se saisit d’une étoffe pour la jeter sur l’endroit où elle imagine se trouver l’esprit et lui donner une consistance illusoire. La couverture enveloppe une forme indicible, semblable à celle d’un fantôme recouvert d’un drap, célèbre dans l’imaginaire enfantin. Par ce geste, le personnage d’Emma se dépouille de sa propre enveloppe, la dernière gigogne avant le noyau irréductible, la dernière chance que l’esprit n’a pu suspendre dans le couloir. Elle se départit ainsi de son propre costume pour en gratifier le spectre, le fragment-fantôme qui lui est dédié, le baptiser et lui laisser la place sur scène. En le cachant, elle le fait apparaître, en plein dans le champ, mais plein d’invisible et de vide : il devient une fenêtre de néant, comme dans le couloir de Caroline. Cette vision lui est insoutenable, abjecte, révoltante, pour reprendre les mots de Julia Kristeva :

 

Il y a, dans l’abjection, une de ces violentes et obscures révoltes de l’être contre ce qui le menace et qui lui paraît venir d’un dehors ou d’un dedans exorbitant, jeté à côté du possible, du tolérable, du pensable. C’est là, tout prêt, mais inassimilable  17.

 

La présence qui se manifestait jusqu’à présent sur son ordinateur a gagné l’actualité, et puisqu’il n’est plus possible de fermer la fenêtre – de l’ordinateur – Emma en traverse une autre, celle de sa chambre, dans une tragique mise en scène de sa propre mort, filmée jusqu’à sa chute létale par son appareil filmique. Une question subsiste néanmoins : l’esprit d’Emma est-il réellement venu hanter Haley ou Haley avait-elle déjà, dans une précédente séance de spiritisme, ramené avec elle une image-fantôme ?

La première apparition d’Haley génère à cet égard une certaine suspicion. Le premier plan qui succède en effet à la fenêtre d’ouverture de conférence Zoom, vingt secondes après le début du film, constitue une première décision de fragmenter son corps. Jusqu’à ce que Haley le retire, l’objectif de la caméra de son ordinateur est recouvert d’un sparadrap qui brouille la lentille et donc la netteté de l’image. Le flou ainsi induit, révélateur d’une forme d’amateurisme propre au style found-footage, amène à considérer la première apparition d’Haley, spectrale, trouble, presque opaque, comme la présence sous-jacente d’une forme fantomale 18. Sa proximité esthétique avec le plan final, présence spectrale indéfinissable gagnant tout le champ dans une lumière aveuglante, met en place une dialectique de circularité. Cette dernière implique ainsi l’élément spectral comme présent avant, pendant, et après la diégèse, toujours là quelque part, prenant toute la place dans le champ, à des degrés d’opacité différents, et dont les différentes manifestations tangibles ne sont que des exergues  19. On assiste à l’apparition d’Haley comme à une naissance, ou plutôt comme à la préparation d’un acteur ; aussi bien que toute photo et vidéo postée sur les réseaux sociaux de nos jours possède son hors-champ parfois chaotique, le streaming préparé par Haley donne à voir en premier lieu la construction du fragment d’elle-même qu’elle va choisir de présenter à ses amis. Haley fixe non pas la caméra mais bien le retour caméra qui, alors qu’elle est seule avec son application Zoom, lui accorde tout l’écran. Le temps qu’elle passe à ajuster son apparence jusque dans sa chambre montre qu’elle y accorde une certaine importance, et le fait que son identité représentée par ses yeux disparaisse au moment du « générique » de sélection des invités implique l’idée qu’elle ne se trouve pas à ce moment dans une optique de démonstration de son image. La domesticité et l’amateurisme des quelques minutes de cette prise de vue dans l’appartement de Haley reflètent certes l’actualité à laquelle il est possible de s’identifier, mais elles reflètent surtout une actualité de mise en scène dans laquelle il s’agit de fragmenter ce que le corps va montrer dans le champ, et ce qui va rester hors-champ – ici la tenue décontractée de Haley. Cet aspect est renforcé par le fait que tous les personnages portent le nom des personnes qui les incarnent, et n’offrent donc que des projections d’eux-mêmes à cet instant. Ce qui apparaît finalement dans la tuile, c’est un corps disposé – et même prédisposé – à se mettre en scène en compagnie d’autres corps, et que la narration et les mouvements d’espace involontaires vont peu à peu in-disposer.

C’est ainsi que des personnages secondaires décident de ne pas se montrer : si le père de Caroline apparaît avec sa fille à l’écran quand elle se connecte et plaisante avec les personnes déjà présentes, les deux autres personnages secondaires se montrent réticents à cette intrusion dans leur vie privée. Alan, le compagnon de Radina, se dispute avec elle à l’écran quelques secondes après sa connexion à la conversation ; Jinny, la compagne de Teddy, fait irruption dans le champ pendant l’invocation pour finalement déconnecter la caméra de Teddy sans lui demander son avis. À aucun moment il n’est expliqué pourquoi ces deux dernières personnes apparaissent si antipathiques : parce qu’elles ne sont pas d’accord avec le fait d’apparaître à l’écran, parce qu’elles sont agacées par l’omniprésence des contacts digitaux impliqués par la pandémie mondiale et le confinement, ou parce que la prévision d’une séance de spiritisme retransmise jusque chez eux les met mal à l’aise. On n’apprend rien de plus que leur fugitive apparition dans le champ, leurs prénoms et leurs tensions avec le personnage auquel ils sont rattachés dans la narration. Cependant, si le père de Caroline disparaît d’une manière logique en évoquant une soirée, Jinny et Alan sont attaqués par le spectre. Ils apparaissent exactement de la même manière qu’ils disparaissent : en pénétrant furtivement dans le champ sans leur accord. Alan apparaît dans le fond de la cuisine à l’arrière-plan de Radina et il meurt en chutant du hors-champ ; Jinny apparaît sur le bord de la piscine derrière Teddy, et elle meurt suspendue dans le vide avant que son corps ne soit lâché dans la même piscine. Parce qu’ils ne sont pas les détenteurs de l’appareil filmique ces deux personnages sont ceux dont la mort survient à l’échelle de plan la plus élevée : alors que toutes les morts surviennent en plan rapproché sur le buste ou en gros plan, les leurs surviennent en plan moyen, ce qui leur confère une spectacularisation impliquée par la mise à distance, et appuyée par l’impuissance de leur partenaire. L’échelle de plan dans son changement étend son champ, avec une très grande rapidité – les deux morts surviennent à quatre minutes d’écart – qui révèle que cette parcelle d’image qui se trouvait autrefois en hors-champ appartient désormais au visible malgré l’absence de consentement de ceux qui s’y trouvent. L’identité narrative d’Alan et Jinny, constituée d’un lien avec un personnage principal et d’un nom, demeure inversement proportionnelle à leur présence. Ils n’apparaissent que pour créer une tension : leur construction est moins importante que leur mort, théâtralisée et sans pudeur. Avec le décès de ces personnages secondaires « qui n’avaient rien demandé », l’image franchit une limite pour rejoindre ses racines found-footage : filmer le meilleur comme le pire, et surtout le pire. Il s’agit de ne jamais s’arrêter de filmer même quand l’horreur la plus terrible survient. Il faut une preuve, un témoignage : photo sinon fake. La représentation de notre corps et de l’identité qu’elle implique n’a d’importance que si quelqu’un est là pour la voir. Dès l’instant où Jemma entre dans l’appartement d’Haley, la fin se profile, inévitable. L’encart « This meeting will end in ten minutes » s’est affiché quelques secondes auparavant, certes parce que ce sont les deux survivantes, mais surtout parce qu’il n’y a plus de public. À l’entrée de Jemma dans l’appartement d’Haley, les tuiles des morts disparaissent une à une par action de montage. Nous, spectateurs, ne sommes pas pris en compte comme dans un but de postérité et de témoignage. Nous n’existons pas ; si toute la mosaïque déterminée par Haley a diminué jusqu’à disparition, le reste n’a plus d’importance, le film peut s’arrêter. À ce moment-là, cette multiplicité d’écrans et d’identités rendues possible par le streaming de son corps met en valeur un élément essentiel du film d’horreur et de la condition humaine sur les écrans : la solitude.

 

« Dé-corps » et mosaïque de solitude, le fantôme de Blair Witch Project

L’intégration de l’élément fantastique de l’esprit à partir des éléments para-filmiques que sont le titre du film Host et son synopsis, mais aussi à partir de ses éléments narratifs qui comprennent, donc, une séance de spiritisme, induit par évidence une forme de solitude plus oppressante que la solitude elle-même : celle où l’on est seul, mais où l’on a l’impression de ne pas l’être. L’esthétique du film opère à cet égard une première forme de manifestation du hors-champ qui fait intervenir le quatrième mur, cette frontière invisible entre la réalité et la fiction sur laquelle deux personnages stationnent plus longuement que les autres, Haley et Teddy, qu’ils soient à l’écran ou hors écran. Cette solitude est vectrice d’apparitions, de disparitions et de retournements. Elle brave les interdits implicites (Radina qui va aux toilettes avec son ordinateur) et éprouve l’environnement sécuritaire de ce champ lumineux où rien encore n’apparaît. Ainsi, il s’agit d’introduire dans le champ un certain nombre de failles qui permettent au hors-champ, avec toute l’implication horrifique que nous lui avons déjà attribuée, de prendre peu à peu, par fragments de lumière et d’obscurité, la place du champ. Nous avons déjà évoqué à quel point Haley se déplaçait avec habileté sur la frontière du champ (la diégèse) et du cadre (l’extra-diégèse) pendant les premières minutes du film. Lorsqu’un bruit retentit pendant qu’elle se change, hors du cadre de l’ordinateur mais en champ dans le miroir, Haley s’immobilise pour pouvoir l’écouter, sur une ligne extrême de virtualité et d’actualité, de quelque chose qui se passe effectivement et de quelque chose qui, sa construction finie, va se produire. Elle demeure partagée entre sa suspension et sa rupture immédiate : « Car l’extrémité doit se tourner et s’achever de façon à donner l’impression qu’il y a autre chose derrière elle, et à voir même ce qu’elle cache 20. » La narration attribue le mystère à la chute des éléments qui se trouvent dans le placard mural, mais le hors-cadre attribue le bruit à Jemma Moore en tant qu’actrice et Jemma en tant que personnage. En effet, quelques secondes après l’invitation, Jemma se connecte déjà à partir de son téléphone mais sans être devant son ordinateur. Sans notification sonore, Haley ne peut être au courant de sa présence. Il y a donc dans cette séquence une manifestation d’hôte sur trois niveaux : l’actrice Jemma Moore, le personnage de Jemma, et le téléphone de Jemma. Il se produit alors un petit intervalle de silence particulier : la notification de l’arrivée du téléphone de Jemma se manifeste puis disparaît mais sa présence dans la salle d’attente – lieu en suspension où un invité se trouve avant que l’hôte de la conversation ne lui autorise l’entrée – est notifiée par le nombre de participants qui sont alors au nombre de deux. La tuile de Jemma n’est pas encore apparue. D’un point de vue extra-diégétique, Haley Bishop s’est changée dans sa chambre avant d’aller dans le couloir pour identifier la source du bruit qui provient soit de James Swanton, l’acteur incarnant l’esprit, soit de Jemma Moore jetant des cailloux sur la fenêtre. Cependant, d’un point de vue intra-diégétique, le champ donne à voir Haley – que Zoom a qualifié d’« Host », qui peut être tout à la fois celui de la conversation et l’esprit – de dos, immobile dans le miroir, tendue de nervosité dans la recherche de la source qui ne saurait avoir d’origine puisqu’elle est seule. Lorsque la notification disparaît, il y a dans cet espace diégétique deux fragments de participants : le reflet d’Haley compris dans le miroir, et un second participant qui peut tout autant être Jemma que l’esprit. L’irruption de l’élément technologique détache la diégèse de l’espace, mais sa disparition est marquée par un hors-champ mystérieux, chargé d’un invisible qui se manifeste par une suite de bruits, car Host est une fiction horrifique où, plus que jamais, à l’instar de la cinématographie horrifique espagnole, l’horreur s’écoute 21. Comme plusieurs autres personnages, Haley fait pénétrer le hors-champ dans le champ alors qu’elle-même demeure maîtresse du cadre, mais elle est l’une des rares qui disparaît de ce dernier, attirée en dehors du champ, et qui revient par la suite. L’une de ses disparitions, causée par le spectre qui l’attire dans le couloir, et résolue par l’arrivée de Jemma dans sa chambre, dure presque dix minutes, pendant lesquelles sa cuisine, hermétiquement fermée à toute possible intrusion, demeure dans la mosaïque de tuiles des participants, emplie de la présence du spectre en train de façonner son image. Mais la disparition la plus longue est celle de Teddy.

Tiré hors du cadre par sa compagne en plein milieu de la séance de spiritisme dans le premier quart du film, Teddy ne réapparaît que vingt minutes plus tard une fois seul pour contrer la solitude d’Emma alors que Jemma a quitté son appartement pour celui d’Haley et que les autres participantes sont mortes. La séquence qui le concerne représente un retour aux sources vers les premiers found-footage. En effet, lorsque les premiers signes d’étrangeté se manifestent – une coupure de courant –, Teddy fait partie des personnages qui ont immédiatement le réflexe d’utiliser leur appareil filmique en vue subjective. Marquée par l’irruption de l’encart « This meeting will end in ten minutes », qui s’impose comme un compte à rebours froid et mécanique jusqu’à sa disparition, sa fuite pour échapper à la malveillance de l’esprit fait partie des scènes les plus haletantes. Jalonnée par les sanglots d’Emma, seul témoin de la séquence, elle dispose de jeux de lumière et d’obscurité grâce à la lampe de poche dont s’est munie Teddy. Le cercle de lumière, dont personne n’aurait dû sortir lors de l’invocation, demeure la seule source d’assurance dans l’obscurité tout en étant à la fois source de terreur car dans cet espace restreint se manifeste dans toute sa quintessence la présence du spectre : mouvements de chaises et apparitions de visages monstrueux sont d’autant plus intenses que le champ se rétracte. L’obscurité se fait de plus en plus présente jusqu’à s’étendre, après l’explosion de la lampe de poche de Teddy, pour la première fois et pendant une dizaine de longues secondes, à l’entièreté du champ. Dans l’ensemble des tuiles bien rangées représentant les foyers à l’architecture sécurisante des participants Zoom, celle de Teddy constitue l’irruption d’une nature sauvage où le hors-champ obscur demeure bien plus étendu, source de multiples bruits que le noir rend angoissants. Un fragment de The Blair Witch Project (1999) s’introduit dans cette séquence rythmée que Teddy partage avec Emma, et rappelle que plus de vingt ans auparavant, l’exploration d’une forêt maudite se terminait dans une course effrénée au sein d’une maison labyrinthique et dans la chute de l’appareil filmique prenant en compte un champ obscur et glaçant où l’on attend une irruption maléfique qui ne vient pas. Mais à partir de cette scène iconique du found-footage horrifique, Host propose un nouvel élément esthétique : le téléphone de Teddy chute avec lui et c’est le feu de son briquet qui a raison à la fois du personnage mais aussi du champ. Là où la sous-exposition nocturne impliquait depuis plusieurs dizaines de minutes un « pas assez », il y a soudainement un « beaucoup trop » agressif, explosion d’un « au-delà » de lumière et de corps :

 

Les sous et les surexpositions, par exemple, fréquemment utilisées dans les œuvres, rendent ainsi compte à la fois d’un excès et d’un manque dans ce qui se donne à voir, et non pas dans la façon seulement dont cela se donne à voir. Les puissants contrastes faisant succéder l’aveuglement aux ténèbres opaques ou l’indiscernabilité de certains plans, imageant comme un seuil minimal du visible, procurent au regard spectatoriel un inconfort sensoriel auquel l’expérience classique du cinéma ne l’a pas préparé. Ce qui se voit alors n’est plus une image, dont la pleine visibilité se rendrait immédiatement à sa compréhension, plus largement à l’établissement d’un sens, mais une image en train d’émerger, se distinguant à peine de l’invisible  22 […].

 

Le hors-champ, repoussé dans l’obscurité, pénètre dans le champ et ravage tout ce qui s’y trouve et dont l’écran garde une trace : il devient ainsi « dé-corps », puissance absolue ne repoussant pas seulement le corps hors du champ, mais le consumant tout entier et le fragmentant à loisir. La mort de Teddy donne à voir une traduction véritable de cette métaphore de dévoration du champ par le hors-champ, comme une puissance destructrice dont l’apparence n’est pas toujours synonyme d’obscurité. C’est au contraire parfois une lumière violente, brûlante, qui gagne le champ et dont Zoom garde un souvenir figé, témoin délétère. Si Haley sait se hisser sur la ligne extrême de l’actuel et du virtuel, du visible et de l’invisible, la mort de Teddy confirme que dans cette apocalypse domestique il n’existe aucune porte de sortie, et que ce n’est pas le champ de la maison qui est pris d’assaut par l’hôte invoqué mais bien les cadres tout entiers, l’onde vibrante et grésillante de streaming sur laquelle il a été invité. Et puisqu’il est impossible de fermer la fenêtre, il ne reste qu’une petite cachette, celle où les personnages demeurent à l’abri, durant quelques instants ou pendant plusieurs dizaines de minutes : les intervalles de succession des tuiles. La fonction conférence de Zoom met en place un système d’alternance des tuiles qui représentent les participants d’une conférence ; Savage tire parti de cette fonction en l’agrémentant du montage en fonction des ressors dramatiques. Ainsi la disparition de Caroline demeure une preuve qu’il se passe beaucoup de choses dans les intervalles durant lesquels un écran représentant un participant n’apparaît pas. Les cadres se succèdent soit en taille réduite, soit en plein écran, selon le degré de bruit et d’activité détectés par la caméra et le micro. Un personnage très actif sera ainsi représenté plus longtemps : à l’écran n’apparaissent pas les autres tuiles. La dernière fois où Caroline apparaît, pénétrant dans sa salle de bains, c’est vers Radina que l’attention se tourne, alors qu’elle part à la recherche d’Alan. Cette succession des écrans offre une fragmentation mécanique du champ et de l’hors-champ qui se configure et se reconfigure en permanence au gré des flux sonores et des mouvements ; c’est autant de hors-champs qui se succèdent et dans lesquels s’ouvre un infini champ des possibles, celui des promenades inférentielles de l’ère technologique 23 : on voudrait se soucier de ce que fait un personnage, mais un autre prend la parole. La configuration streaming reflète l’impuissance des personnages impliqués et leur soumission à la puissance du hors-champ qui suit son propre circuit mécanique : si quelque chose se produit dans l’intervalle, au-delà de cette ligne extrême où les choses se retournent dans le noir, ils ne le sauront pas. Et si quelque chose se produit dans le cadre, en pleine lumière, ils ne pourront a priori rien y faire : Jemma, en tant qu’exception, parvient à aller chercher Haley. Mais Emma demeure impuissante lorsque Teddy s’évanouit et brûle ; ce sentiment atteint son apogée quand que, alors que Jemma s’est déconnectée afin d’aller chercher Haley, Emma se retrouve seule avec l’ensemble des dé-corps, des témoins de morts, avec cette mosaïque de la solitude.

L’instant d’abandon qui succède à la mort de Teddy est le plus oppressant du film. Il s’agit d’un plan d’une dizaine de secondes pendant lequel Emma s’est réfugiée sous sa couette. L’étoffe censée tout d’abord la protéger finit par gangrener le champ à son tour alors qu’elle baisse son téléphone pour écouter un bruit provenu hors-champ. Sa tuile s’affiche en plein écran. Le hors-champ, devenu flamme grise, prend tout le champ, transforme ce corps peu à peu en un seul fragment cinématographique essentiel, la source de toute fiction horrifique : l’œil, dilaté d’angoisse dans l’attente. Les sources de la terreur psychologique et physique se croisent ici. Ainsi, le seul son provient du souffle saccadé et retenu de la jeune femme qui représente la première peur fantastique de l’enfant se cachant sous sa couette pour échapper au monstre. Là encore, Blair Witch se faufile sous l’étoffe, alors qu’Emma terrifiée sous sa couette, en proie à la peur de l’esprit, évoque Heather terrifiée sous sa tente, effrayée par la sorcière : « J’ai peur de garder les yeux ouverts, mais j’ai peur de les fermer » pourrait-on entendre dans le silence de la chambre d’Emma. Saisie par cette même angoisse pure, entre le regard et l’absence de regard, Emma choisit le regard de côté, de la même manière que Caroline a choisi le regard déplacé, hissé sur sa perche dans le grenier. C’est la manière antique de contrer l’effroi décrite par Pascal Quignard, qui rappelle que, comme en face de Méduse, le regard de face est interdit, et qu’il s’agit de poursuivre le long de la ligne extrême :

 

Il faut confier son regard à un détour qui arrache au face à face médusé et mortel avec ce qui n’a pas de nom. Il faut une « réflexion » sur un bouclier, sur un miroir, sur une peinture, sur l’eau de la rivière de Narcisse. C’est le double secret, me semble-t-il, du regard latéral (oblique parce que pictural) […]  24.

 

Prompte à se cacher les yeux à plusieurs reprises dans le film, Emma, cette fois-ci, prend conscience que plus rien ne la protège. Pendant quelques secondes sous la couette du personnage, le champ est dominé par l’étoffe. Il ne laisse place qu’à ce petit œil, à la fois petite oreille, tourné de côté, tantôt vers cet hors-champ intérieur de sa réflexion – sort-elle pour vérifier si l’esprit est dans la pièce avec elle ? –, tantôt vers le hors-champ de la narration que personne ne voit. Cet œil-oreille, instinct de survie suprême, suspend la fiction à son fragment cristallin le plus pur : c’est le temps d’attente insoutenable, surexposé mais sous-exploité, limpide devenu opaque, où le champ et le hors-champ se confondent.

Jaillissant du hors-champ, le spectre apparaît à trois reprises sous forme tangible : deux fois face à Teddy et une fois face à Haley et Jemma. Il s’agit d’une demi-seconde à chaque fois, d’une image subliminale apparaissant d’abord au coin du cadre, puis s’extirpant de l’obscurité pour avaler le champ tout entier. Sa fugacité et sa position à la toute dernière seconde du film en font un élément qui se grave immédiatement dans la mémoire et poursuit son histoire dans le hors-cadre spectatoriel. À l’instar de Paranormal Activity (2007) 25, l’élément malveillant jaillit du décor obscur pour avaler tout entier le champ d’un fragment de son corps : son visage déformé, dépourvu de toute humanité, se saisit, comme pour terminer la boucle, de l’identité d’Haley à son tour, puisqu’il apparaît dans son cadre. Face à Jemma et Haley le miroir retourné de l’écran rencontre un nouvel hôte spirituel, ou plutôt donne corps à ce qui n’était que décor durant toute l’œuvre : présent partout, dans les sons, dans le noir, dans la lumière, à l’arrière-plan, dans chaque manifestation d’étrangeté : cette image virtuelle en train de se produire. Comme dans Unfriended, la fiction se coupe brutalement par l’irruption d’un autre niveau d’actualité ; le spectre d’Unfriended referme l’ordinateur pour dévoiler le hors-champ de la chambre de Blaire, tout entier avalé par sa substance ensuite. Mais c’est une dernière fois Blair Witch qui reprend la main sur une branche de son univers alors que l’écran de Zoom indique 20h30 – quarante minutes parfaites se sont écoulées dans la fiction – et pourrait tout aussi bien se confondre avec l’écran des spectateurs découvrant le film en streaming au sein de l’édition en ligne de Gérardmer 2021 et BIFFF 2021. Dans le défilement du générique par le curseur, Host pose cette même question qui imprègne les dernières secondes de course glaçante dans la maison obscure de Blair Witch : qui tient la caméra désormais ?

À la lumière des théories de l’ob-scène et du hors-champ, selon un postulat narratif simple et une mise en scène réduite, Host a modestement apporté sa pierre à l’édifice d’une forme de fiction horrifique en streaming basée sur la terreur de voir et de ne pas voir et du choix qui est fait de montrer, de ne pas montrer, et quoi montrer de soi et des autres. Contraint par les circonstances de la crise sanitaire, Rob Savage a choisi de déployer une mise en scène faisant intervenir tous les possibles de ses acteurs. Dans l’exploration des doubles, des différents niveaux de réalité et des multiplicités identitaires générées par les écrans et les reflets, s’impose la constatation selon laquelle Host instaure une nouvelle gestion de l’espace : un espace négatif, inversé, mais indissociable. Dans ce hors-champ, ce « dé-corps », cette ob-scénité, ce qui se cache et n’est que suggéré prend soudain toute la place, diffracte et détourne les angles pour abolir toute sécurité instaurée. Rob Savage rappelle ainsi qu’à partir du moment où le streaming est en jeu, et particulièrement le streaming horrifique, on ne sait jamais tout. C’est alors dans ces petits intervalles de mystère et de succession des tuiles de portraits que se cache le piège. L’objectif esthétique de Host n’est pas de révolutionner le genre ou de dénoncer l’isolement humain davantage mise en exergue dans ces temps de confinement où les seules fenêtres sur le monde ont bien souvent été celles de l’écran. Il s’agit d’imaginer l’implication d’une force extérieure et de se demander ce qu’il se produit quand, comme dans Unfriended ou Rings, l’horreur traverse, révulse, réduit à néant l’écran-frontière pour s’incarner à nos côtés.

 

  1. Stéphane Bex, Terreur du voir : l’expérience found-footage, Aix-en-Provence, Rouge Profond, « Débords », 2016, p. 206.
  2. Levan Gabriadze, Unfriended, © Bazelevs, Blumhouse Productions, 2015, 83 min.
  3. Rob Savage, Host, © Shadowhouse Films, 2020, 56 min.
  4. Stéphane Bex, Terreur du voir : l’expérience found-footage, op. cit., p. 257-258.
  5. Marc Tourret, « Qu’est-ce qu’un héros ? », Inflexions, vol. 16, n° 1, 2011, p. 95.
  6. Gilles Deleuze, Cinéma 1 : L’Image-temps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1985, p. 94-95.
  7. Gilles Deleuze, Cinéma 1 : LImage-mouvement, Paris, Les Éditions de Minuit, 1983, p. 30.
  8. Stéphane Bex, Terreur du voir : l’expérience found-footage, op cit., p. 106.
  9. « Au désir de voir se superpose son refus, ou son interdiction immédiate. » (Marion Poirson-Dechonne, « L’Horreur et ses masques dans les films d’Alejandro Amenábar », Ciném’Action, n° 136, 2010, « Les Cinémas de l’horreur : les maléfiques », Anne-Marie Paquet-Deyris (dir.), p. 167-175, p. 168.
  10. Gilles Deleuze, Cinéma 1 : l’Image-mouvement, op. cit., p. 258.
  11. Stéphane Bex, Terreur du voir : l’expérience found-footage, op. cit., p. 343.
  12. Gilles Deleuze, Cinéma 2 : l’Image-temps, op. cit., p. 95.
  13. Marion Froger, « Deleuze et la question de la narration », Cinémas, vol. 10, n° 1, 1999, p. 131-155, p. 143.
  14. Philippe Romanski, « Fondements : l’horreur est ailleurs. Affaire non classée », Ciném’Action, n° 136, op. cit., p. 16-23, p. 18.
  15. Stéphane Bex, Terreur du voir : l’expérience found-footage, op. cit., p. 116.
  16. « L’acteur est un “monstre”, ou plutôt les monstres sont des acteurs-nés […] parce qu’ils trouvent un rôle dans l’excès ou le défaut qui les frappent. » (Gilles Deleuze, Cinéma 2 : l’Image-temps, op. cit., p. 97).
  17. Julia, Kristeva, Pouvoirs de l’horreur : essais sur l’abjection, Paris, Seuil, 1983, p. 9.
  18. « L’absence d’une mise au point, comme effet de réel du tournage, est la signature d’un surnaturel en attente préfigurant la disparition future des personnages dans la forêt de Blair. » (Stéphane Bex, Terreur du voir : l’expérience found-footage, op. cit., p. 110).
  19. « L’image fantôme est celle-là qui, déjà présente avant que d’apparaître ou de réapparaître, n’existe que sous sa forme latente, attendant d’émerger comme phénomène spectral » (Ibid., p. 106).
  20. Pascal Quignard, Le Sexe et l’effroi, Paris, Gallimard, 1994, p. 56-57.
  21. Marion Poirson-Dechonne, « L’Horreur et ses masques dans les films d’Alejandro Amenabar », op. cit., p. 170.
  22. Stéphane Bex, Terreur du voir : l’expérience found-footage, op. cit., p. 342-343.
  23. Umberto Eco, Lector in fabula : le rôle du lecteur ou la coopération interprétative dans les textes narratifs, Paris, Librairie générale française, 1988 [1979], et plus particulièrement le chapitre « Prévisions et promenades inférentielles », p. 142-156.
  24. Pascal Quignard, Le Sexe et l’effroi, op. cit., p. 118.
  25. Oren Peli, Paranormal Activity, © Paramount Pictures, Blumhouse Productions, 2009, 86 min.