De l’homosocialité à l’homoérotisme, le décodage yaoi queerisant du manga L’Attaque des titans
Comment passe-t-on d’un simple regard entre deux hommes dans un récit à une étreinte passionnée dans une fanfiction, fiction basée sur ce récit et écrite par un ou une fan ? L’étude de la fanfiction comme réception montre qu’un média, ici le manga L’Attaque des titans, n’est pas reçu par une communauté unie et indifférenciée mais par un ensemble de communautés qui vont, plus ou moins, différer dans leurs interprétations en fonction de facteurs personnels et contextuels. Ces communautés, loin d’être isolées, ont des points de contacts facilités par les nouvelles technologies et le développement des réseaux sociaux. Ces lieux d’expression et de sociabilisation sont le point de départ et le matériau constituant de notre étude de la réception.
La réception est appréhendée ici selon la thèse défendue par Michel de Certeau, celle d’un lecteur actif dans sa consommation médiatique et usant de ruses pour « braconner » un domaine culturel appartenant théoriquement à ses producteurs 1. Loin d’être passif et soumis à la production et à ses créateurs, il la fait sienne en y injectant ses propres significations. Dans la lignée de cette thèse, le modèle codage/décodage de Stuart Hall définit les divers moments du processus communicationnel 2. Il y aurait d’abord un codage initial du discours au cours de la production du média, ce codage étant régi par les modèles culturels dominants. Aurait, ensuite, lieu un décodage du public actif dans sa réception où pourrait apparaître une distorsion d’un sens codé initialement et une pluralité des perceptions. C’est ce modèle que nous emploierons ici dans l’idée de décoder une communauté spécifique qui influence un ensemble plus large à travers les points de contact que représentent les sites Internet et les forums de discussion où échangent les récepteurs. Ceux-ci forment des communautés interprétatives au sens où l’entend Stanley Fish : il définit le pouvoir créateur du lecteur et, selon lui, l’interprétation ne serait pas une analyse mais une reconstruction orientée par le contexte social 3. Pour lui, le sens d'une production ne découlerait pas d’un texte immuable, ni de la création d’un lecteur indépendant mais de communautés interprétatives. La communauté interprétative qui nous intéressera plus particulièrement est liée par la notion de queerisation. « Queer » est un terme englobant les identités sexuelles et de genre « hors norme » dans un cadre militant. Dans le champ académique, les études queer – et plus précisément, Judith Butler, Eve Kosofsky-Sedgwick, Teresa de Lauretis, Sam Bourcier – affirment la fluidité des genres et des orientations sexuelles et distinguent le genre social ainsi que l’orientation sexuelle d’un individu de son sexe biologique. La queerisation serait le détournement d’une œuvre aux représentations de sexe et de genre en apparence normées par la révélation d'éléments queer supposément codés dans la diégèse et/ou par la projection d’éléments queer par le lectorat sur le texte. Cette queerisation vise essentiellement des échanges masculins platoniques perçus comme étant romantiques ou érotiques par la communauté interprétative. Elle met en avant la notion d’« homosocialité » d’Eve Kosofsky-Sedgwick qui évoque les rapports sociaux réguliers, favorisés par la société, entre individus du même genre, ici, masculin 4. Ce concept est applicable aux représentations de genres du média étudié : le manga shonen 5 destiné aux adolescents dans lequel la majorité des personnages est masculine, ce qui instaure, de fait, des rapports d’homosocialité. Cette homosocialité masculine, excluante pour les femmes, est réinvestie par certaines d’entre elles à travers la queerisation.
L'appellation que nous avons retenue pour la réception queerisante transformant homosocialité masculine en homoromantisme ou homoérotisme masculin dans les médias est l'expression japonaise : « yaoi 6 ». Le yaoi qualifiait initialement des pratiques amatrices de fans japonaises concevant des doujinshi ou doujin (fanzines) dans lesquelles elles détournaient les relations des personnages masculins de mangas shonen en couples homosexuels mis en scène dans des situations romantiques ou érotiques. De nombreux doujin sont conçus par leurs auteurs à partir du canon, celui-ci étant constitué des sources considérées par la communauté de fans comme faisant autorité. En d’autres termes, il s’agit là de ce que les fans s’accordent à admettre comme s’étant produit 7. Les créations de la communauté yaoi constituent également le témoignage d’une certaine réception. En effet, le respect du canon tient d’un décodage, en théorie sans distorsion, mais le principe même du doujin mettant en avant, dans le cas de la majorité des productions, un érotisme sous-jacent, manifeste un décodage négocié. Les registres des doujins yaoi peuvent aller du parodique au dramatique mais demeurent centrés sur des interactions romantiques ou érotiques. Le yaoi est une pratique queerisante, ce qui n’implique pas que les participantes soient homosexuelles pour autant. Il existe un public queer yaoi de personnes trans ou non hétérosexuelles mais une large part des fandoms yaoi sont constitués de femmes cisgenres hétérosexuelles 8. Pour autant, il est indéniable qu’une ambiguïté queer subsiste dans cette pratique, puisque ces femmes lisent ces fictions homosexuelles masculines pour fantasmer. Qui plus est, le décodage de tensions homoérotiques des fans de yaoi, là où ne sont initialement codées, a priori, que des démonstrations physiques ou verbales d'homosocialité, peut être défini comme une queerisation sortie du système binaire hétéronormé des codes sexuels et relationnels.
Cette étude vise à mettre en évidence divers degrés d’implication des fans dans leur réception yaoi queerisante du manga shonen Shingeki no Kyojin/L’Attaque des titans ainsi que les porosités existant entre ces mêmes degrés. Pour ce faire, nous avons étudié différents sites plus ou moins spécialisés présentant un panel diversifié de communautés. Ces sites servent ici de marqueurs sociologiques, à défaut d’observations plus précises sur les profils sociaux des lecteurs dont l’anonymat est préservé. En effet, n’étant pas entrée en contact avec les membres de ces communautés, nous n’avons pu effectuer une étude sociologique poussée. La participation des lecteurs à tel site plutôt qu’à tel autre est déjà un indicateur en soi de leurs pratiques de réception et de leur sensibilité. Par exemple, sur la plate-forme tumblr où la réception yaoi queerisante est très forte, les communautés LGBT+ sont importantes comme en témoignent les profils des utilisatrices. Néanmoins, il y a une constance du décodage yaoi queerisant malgré les variations des récepteurs et des plates-formes. Les communautés yaoi ne sont pas majoritaires sur les sites Internet étudiés. Cependant, dans le cas où le codage yaoi devient plus évident comme dans l’extrait du manga sur lequel notre étude se focalise, une conscience globale du yaoi est perceptible dans l’ensemble des communautés.
Entre les consommateurs non fans de yaoi mais ayant entendu parler de ces pratiques et les utilisatrices plus actives qui réécrivent le manga qu’elles lisent, il existe des points de contact facilités par la circulation des informations sur Internet. Cette communication continue permet également aux auteurs du manga de prendre en compte cette réception pendant la création même de leur manga publié selon un processus feuilletonnant.
Dans un premier temps, nous spécifierons le contexte japonais de production des mangas. Les créateurs y présentent, dès le codage du média, une conscience du lectorat et, subséquemment, un potentiel décodage yaoi par une certaine communauté interprétative queerisante. Nous ferons ensuite une étude de cas à partir d’une scène issue de L’Attaque des titans où le potentiel de décodage queerisant yaoi des fans a été, de toute évidence, pris en compte. Enfin, nous nous intéresserons à la réception de cette scène et à la perception de sa dimension homoérotique pour mettre en évidence une conscience globale du décodage yaoi.
Création/réception/recréation
Le manga Shingeki no Kyojin/L'Attaque des Titans, créé par Hajime Isayama, est prépublié depuis 2009 dans le magazine Bessatsu Shonen Magazine. L’histoire suit Eren, un garçon de quinze ans vivant dans une cité, à l'abri de hauts murs, menacée par des titans, géants mangeurs d’hommes. Pour venger sa mère dévorée par l’un d'entre eux, il s’engage dans l’armée afin de participer à leur éradication. Il sera amené à comprendre les origines de ces monstres et sa connexion avec eux. Le titre se démarque d’autres standards du shonen par la présentation genrée ambiguë de l'ensemble des personnages. Les dessins ne présentent pas d’hypertrophie musculaire ni de décolletés plongeants mais un uniforme unisexe 9. D’autre part, on note un usage de pronoms ambigus, tant en japonais que dans les traductions occidentales. Cette particularité, si elle n’est sans doute pas motivée par le désir de toucher une communauté aux pratiques queerisantes, induit un trouble dans le genre des personnages qui encourage aux décodages yaoi. Pour autant d’autres éléments codés par l’auteur du manga amènent à penser une conscience de cette réception possible. Les auteurs de mangas sont en communication permanente avec leur public ; les lecteurs sont, eux, invités à réagir et donner leur avis sur le dernier chapitre paru dans le magazine de prépublication, ce qui déterminera la pérennité d’un titre et même le destin des personnages ou le déroulement de l’intrigue. En l’absence du succès escompté, un manga est simplement annulé et l’auteur doit rapidement trouver une fin à son histoire. Le « fan service », qui désigne tous les procédés visant à plaire aux fans, est un élément important de l’écriture des mangas. Les différentes formes de fan service peuvent s’adresser aux divers publics du titre. Les attentes des communautés de fans sont parfois directement soumises aux auteurs et éditeurs (qui jouent également un rôle important dans l’écriture) à travers les questionnaires de satisfaction et les enquêtes des magazines de prépublication. Fans, auteurs et éditeurs sont en contact sur des forums ou réseaux sociaux. Le décodage conscientisé par les auteurs, que ce soit d’autres œuvres similaires (autres mangas shonen queerisés) ou de celles en cours, entre ainsi dans le codage du manga durant sa production.
Lors d'interviews, de panels et de questions mensuelles des lecteurs, l’auteur ou les éditeurs sont amenés à communiquer directement avec leur lectorat. Ces moments d’échanges directs avec le public sont parfois analysés par le fandom japonais, puis américain, confirmant ou infirmant des théories sur l’univers et les personnages (yaoi ou non). Dans une certaine mesure, les créations des fans représentent une forme de réception puisqu’ils – et elles – s'attachent au « canon ». Dans le cas présent, la production fanzine est dominée par la communauté yaoi et met en scène les personnages masculins du manga dans des situations homoérotiques.
Dans Génération Otaku : Les Enfants de la Postmodernité, Hiroki Azuma étudie la conscience qu’ont, à présent, les créateurs au moment du développement d’une œuvre, des prolongements potentiels de celle-ci, qu’ils soient issus de la réception, de la recréation de communautés interprétatives ou de la quantité de produits dérivés du manga/anime d’origine 10. Pour Azuma, il s’agirait là d'une multiplication des « simulacres 11 », notion qu’il emprunte à Jean Baudrillard et qui désigne ce qui n’est ni l’original ni sa copie, mais une autre forme d’œuvre. Selon Azuma, il n’y aurait plus d’œuvre première ou, du moins, la distinction entre œuvre et dérivé s’estomperait et les deux seraient assimilés dans la réception comme simulacre.
La situation semble rester assez ambiguë. Les diverses communautés de fans de L’Attaque des titans considèrent Isayama comme le créateur unique, auteur de son œuvre, en témoignent le respect qui lui est manifesté et l’étude de ses déclarations en interviews et conventions qui sont même considérées comme la « parole de dieu 12 ». Néanmoins, ce qui constitue L’Attaque de titans pour les différents publics de fans ne s’arrête pas au manga. Il existe des différences entre la bande dessinée et son adaptation en série animée par exemple, et les spin-off, même officiels, peuvent être contradictoires. Les parodies et les nombreux dérivés, amateurs ou officiels, peuvent également être perçus comme des compléments réels sur la personnalité d’un personnage. Ce qui sera assimilé comme canonique variera ainsi d’un fan à l’autre. Ce qui lie tous ces « simulacres », ce sont les « éléments d’attraction 13 », cet ensemble de signes, caractéristiques physiques, expressions, situations, revenant d’un anime à l’autre et qui servent de bases de données au public de fans japonais, les Otaku, pour décoder le manga.
Si Hajime Isayama est resté assez subtil dans son usage des éléments d’attraction, l’adaptation animée les a emphatisés ou en a ajouté pour recoder les personnages de façon plus classique. Le personnage d’Armin, par exemple, a été rendu plus moe, c’est-à-dire plus « mignon », attirant car juvénile et vulnérable. Dans l’anime, il est représenté avec un sourire timide et des attitudes démontrant l’embarras ou la maladresse, ce qui correspond à l’archétype du garçon androgyne que l’on retrouve dans la production yaoi. Ces éléments se trouvent encore emphatisés par le merchandising. Le codage de l’anime et le codage du manga se mêlent dans la réception des fans et Isayama lui-même a admis, dans une interview publiée dans le quatrième volume de Gekkan Shingeki no Kyojin 14, s’inspirer de l’anime adapté de son travail pour recoder ses personnages par la suite, ce qui estompe plus encore les limites entre l’original et le dérivé et fait de L’Attaque des titans, manga et anime, des simulacres.
Néanmoins, avant même l’adaptation animée et le recodage de certains personnages dans le but d’attirer un public fan de yaoi, Isayama semblait déjà avoir conscience d’une possible lecture yaoi queerisante, ce qui a été avidement commenté par le fandom japonais puis le fandom global, essentiellement sur la plate-forme tumblr plus spécialisée en yaoi mais également sur d’autres plates-formes plus généralistes de lecture en ligne comme Mangago. Le lien entre fandom japonais et fandom global s’effectue par le biais de fans féminins à la fois japonisantes et anglophones (qui peuvent être de nationalités diverses, l’utilisatrice yusenki dont beaucoup de traductions ont été utilisées étant, par exemple, indonésienne). Elles mettent ainsi à disposition de la communauté des informations qui sont assimilées au canon par des fans fréquentant les plates-formes où ces traductions sont publiées. Nous avons pu accéder aux informations qui vont suivre grâce à une communauté de fans ciblant et traduisant ces informations codées de façon à encourager le décodage yaoi sans pour autant devenir trop explicites.
Isayama a attribué à l’un de ses personnages, Reiner, une date de naissance porteuse de signification. Ce dernier est en effet né le 1er août, le « jour du yaoi », date basée sur un jeu de mot japonais autour de la date 8/01 lue « ya-o-i » à l'anglaise. Dans un bonus publié dans le magazine de prépublication Bessatsu Shonen Magazine pour le numéro spécial Thanksgiving de 2014, Isayama a, par ailleurs, représenté ce même personnage dans une position très suggestive. Il a également donné des réponses ambiguës quant à l'orientation sexuelle de certains personnages en interview, ce qui a suscité des débats dans les communautés de fans de yaoi japonaises et issues du fandom global. Dans une interview au magazine Brutus de novembre 2014, il a fait une déclaration amenant à penser qu’il est conscient du possible décodage yaoi queerisant de son œuvre et de ses personnages. Il code ainsi des éléments yaoi dans la diégèse, notamment avec le personnage de Levi :
Ce personnage semble particulièrement populaire auprès des fans de yaoi. Ce n'est pas quelque chose que vous aviez prévu cependant, si ?
Isayama : Vous savez, ces fans seraient peut-être déçues de l'entendre mais je pense que j'ai un petit côté fan de yaoi en moi aussi. Parce qu'une petite voix dans ma tête m'a dit : « Les fans de yaoi vont l'aimer, ce personnage. » […] [A]u moment où j'ai fini le design, je savais que j'avais fait quelque chose de bien [notre traduction] 15.
Le codage du manga L’Attaque des titans est pensé dans son ambiguïté même comme permettant au lectorat yaoi un décodage queerisant. Il y a un jeu conscient de références yaoi avec les éléments d'attractions au moment de l’écriture du manga, dans les produits dérivés, spin-off, et autres simulacres, et si le public yaoi n’est pas majoritaire, il est, de toute évidence, pris en compte. La création et la réception du manga sont ainsi des phénomènes interconnectés et le flux n’est pas à sens unique : le décodage du lectorat participe au codage de l'ensemble des simulacres qui constituent L’Attaque des titans.
Une scène ambiguë : étude de cas
Dans les chapitres 53 et 54 de L’Attaque des titans, Jean et Armin, deux adolescents d’une quinzaine d'années et soldats, sont tous deux déguisés : Jean en un autre garçon et Armin en femme. Ils servent ainsi de leurre lors d’une mission d’infiltration mais se font kidnapper. Armin, personnage au genre ambigu, est alors victime d’un assaut sexuel appuyé ; il est ligoté et menacé de viol. Une ellipse passe sous silence l’étendue de ce qui lui a été infligé mais qui semble l’avoir choqué. Bien que les fonctions corporelles liées à l’urine et aux excréments soient abondamment citées dans ce manga, la sexualité n’y est jamais explicitement abordée. Seules trois allusions y sont faites au cours des vingt-quatre tomes qui le composent. Les shonen ne sont généralement pas aussi chastes et l’ecchi, l’érotisme, fait partie de titres parfois destinés à un public relativement jeune. Il s’agit là assurément d’un moyen de plaire aux fans, de faire du fan service. Cette scène présente également l’originalité de sous-entendre que l’homosexualité est hors norme dans cet univers. L’homme, à l’origine de l’assaut sexuel, dit en effet à Armin travesti en femme : « avant j’étais normal, mais maintenant à cause de toi... ». Enfin, le registre de la scène est sujet à débat. De nombreuses séries shonen utilisent des scènes de leurre par travestissement pour créer un effet humoristique. Le trait est ainsi exagéré ou la réaction de honte du personnage travesti est ridiculisée. Ce genre de scène se retrouve dans Dragon Ball GT, JoJo's Bizarre Adventure, Fullmetal Alchemist, Gundam, Lupin III, Pokémon, etc.
Cependant, Isayama n’usant jamais d’effets graphiques humoristiques et mettant, au contraire, l’emphase sur le traumatisme que peut engendrer une telle situation, il est difficile de n’y voir qu’une simple plaisanterie. Pour autant, une part du lectorat ayant connaissance de ces codes s’y réfère. Cela explique que pour une partie d’entre eux il s’agit d’une scène relevant du registre comique. La case où l’homme ayant agressé Armin lui dit qu’avant « il était normal » a, ainsi, été l’un des sujets de discussion les plus intenses du fandom global à la réception du chapitre.
Au Japon, Armin déguisé en femme peut constituer un élément d’attraction pour le lectorat. Le fait qu’un garçon en habit de femme soit considéré comme attirant est lié à plusieurs caractéristiques de pratiques sexuelles et de performances de genre propres au Japon. L’homosexualité a été codifiée au XIe siècle au Japon avec les jeunes disciples dévoués sexuellement à leurs maîtres moines ou samurai. Agnès Giard met également en avant une tradition de la fluidité des genres qu’elle fait remonter au XIIe siècle en littérature avec l’histoire Torikaebaya d’un homme qui change sa fille en fils et son fils en fille 16. Il existe également une longue tradition japonaise du travestissement au théâtre avec le Kabuki 17, la revue Takarazuka 18 et Studio Life 19. Dans de nombreux mangas, en particulier ceux destinés à un public féminin, la beauté masculine est androgyne, bien éloignée des standards occidentaux de beauté virile ou homosexuels masculins. La dimension esthétique et érotique du travestissement est plus largement admise au Japon pour les garçons. Même si être travesti en fille reste une humiliation, cette humiliation fait partie d’un certain imaginaire érotique japonais qui se manifeste par un rougissement et une perte du contrôle de soi 20. Le travestissement d’Armin est, par conséquent, plus spontanément décodé par un public japonais comme découlant de cette esthétique érotique tout en ayant une portée humoristique liée aux codes des shonen évoquées. Dans le fandom global anglophone étudié ici, un décalage culturel supplémentaire devrait s’y ajouter mais les communautés interprétatives impliquées, participantes et commentantes, présentent, au contraire, une habitude et une connaissance des codes japonais qu’elles doivent certainement, en partie aux traductions de fans japonisants qui en usent lors de leur décodage de la scène.
Réception globale et décodage queerisant
Dans le fandom global, la scène a été interprétée tour à tour comme une plaisanterie et un événement traumatique, le grand écart s'expliquant par l’ambiguïté initiale de la scène telle qu’elle a été conçue par son auteur. Les discussions de fans en ligne sur différentes plates-formes témoignent de ces différents décodages qui se heurtent parfois suivant les forums et sont plus ou moins poussés. Les discussions plus légères, comme sur le site Reddit, démontrent un décodage dans lequel l’investissement émotionnel du lectorat est, à première vue, moindre. Cette plate-forme se présente comme une liste de liens et de discussions dont la visibilité sera déterminée par les votes du public et est également utilisée comme un forum de discussion généraliste. Ses usagers sont loin de se limiter aux fans d’anime, mais elle est néanmoins le lieu de discussion de fans réagissant et commentant les dernières publications de certains mangas, en général, les plus populaires comme L’Attaque des titans. Dans les conversations liées aux chapitres 53 et 54, le ton est plutôt léger et moqueur, bien que certains utilisateurs manifestent leur compassion envers Armin. Une certaine perplexité est notable : plusieurs usagers s’interrogent sur la teneur des agissements de l’agresseur d’Armin quand d’autres plaisantent sur le fait qu’Armin aurait permis à un homme de réaliser son homosexualité. Le mot « doujin » est cité à plusieurs reprises. Un utilisateur de Reddit fait, par exemple, remarquer que la scène du travestissement d’Armin relève de l’élément de scénario typique des doujin. Ceci nous indique un certain niveau de connaissance, dans le fandom international, des pratiques de yaoi et, par conséquent, du décodage yaoi queerisant.
Un autre utilisateur parle de « trap » doujin. Le mot trap est l’indice d’une réception plutôt occidentale. L’idée du « piège » (« trap ») est issue de la communauté occidentale 4chan et inspirée d'une citation de Star Wars devenue une image virale sur Internet. Cette citation s’est muée, sur le forum 4chan, en un cri de protestation face à des femmes transgenres réelles et des personnages masculins androgynes issus de l’animation japonaise, les deux étant assimilés à une tromperie pour les utilisateurs de 4chan. Le « trap » signifie qu’un individu perçu comme féminin est doté également d’organes sexuels externes masculins et serait alors perdu pour les fantasmes masculins hétérosexuels. Une plaisanterie virale transphobe américaine est ici assimilée à la pratique japonaise du doujinshi dans une intertextualité médiatique transnationale. La nature queer de la notion de « trap » peut être débattue puisqu’elle est fondée sur l’idée essentialiste d’un sexe biologique qui contredirait un genre apparent et amènerait les individus leurrés par cet aspect féminin à expérimenter des désirs homosexuels honteux. Pour autant, cette notion moque des désirs et comportements sortant des normes de sexe et de genre.
La communauté Reddit montre ainsi, dans une série de posts relativement courts, une réception internationale où sont assimilées et mêlées des esthétiques japonaises er des pratiques de communautés Internet occidentales. La synthèse hybride à laquelle aboutit ce mélange va se retrouver sur d’autres plates-formes avec la récurrence de l’expression « trap doujin ». Sur ces autres plates-formes, des fans plus investis écrivent des posts plus longs dans lesquels le décodage de la scène est justifié et appuyé par une étude du reste du manga L’Attaque des titans. L’œuvre n’est ainsi plus observée au sein d’un système d’œuvres japonaises, dans son contexte japonais ou même dans celui d’une culture Internet internationale, mais en tant que système autoréférent. C’est la connaissance du seul manga et de ses codes perçus par les fans qui mène à son décodage.
Le site MyAnimelist se définit comme la plus grande base de données et communauté de fans d’anime et de mangas. Il s’agit d’un site déjà plus spécialisé que Reddit et ses utilisateurs sont mieux informés sur la culture et la pop culture japonaises. Reddit et MyAnimelist sont des plates-formes relativement généralistes. Les parties du site consacrées à L’Attaque des titans prennent, dans les deux cas, la forme de sous-catégories qui n’impliquent pas nécessairement de spécialisation de la part des commentateurs. Les utilisateurs Reddit peuvent ainsi, avec leur compte, participer à des sujets divers liés à d’autres médias, là où ceux de MyAnimelist ne participent qu’à des discussions liées à d’autres mangas et anime ce qui mène à une spécialisation qu’implique une inscription sur un site dédié à l’appréciation des anime japonais. Des codes typiques de ces médias sont assimilés et connus par leurs utilisateurs : un habitué des anime va, par exemple, immédiatement reconnaître les barres stylisées dessinées sur les joues d’un personnage qui signifient le rougissement, la gêne et la colère. Certains utilisateurs de Reddit usaient de ce champ de connaissance dans leur décodage. Ceux de Myanimelist, Mangago et tumblr en disposent sans doute en grande majorité.
Mais cette connaissance des codes des mangas reste mêlée à une culture occidentale et aux biais d’interprétation qu’elle implique. Cela aboutit à des hybrides comme le « trap doujin » également utilisé sur le forum Myanimelist. Sont également postés des « LMAO Armin » manifestant l’hilarité retenue comme interprétation correcte de la situation de travestissement. Néanmoins, quelques-uns des posts plus longs tentent une interprétation différente, démontrant une implication plus marquée dans l’appréciation du titre :
Pour les gens qui parlent de l’agression sexuelle qu’a subie Armin. Rappelez-vous que seulement 2-3 personnes y ont assisté : Jean, Mikasa et possiblement Levi. Jean est intelligent et sait que s’il s'énerve, le gars (l’agresseur) pourrait mettre Armin dans une situation encore pire selon les règles de la torture où il s’agit de torturer ceux qui assistent à une torture. Le fait que Jean ignore l’homme avait pour but de gagner du temps et de les protéger tous les deux. Rappelez-vous qu’Armin est aussi resté silencieux (bien que ça puisse aussi être pour ne pas révéler qu’il est un garçon) ce qui pourrait signifier un arrangement qu’ils auraient eu au préalable de ne rien faire tant qu’Armin ne le demande pas. Le fait que Jean ne puisse rien faire est ce qui l’a mis si mal à l’aise puisqu’il était une fois de plus mis dans cette situation contre son gré. C’est la raison pour laquelle Jean ne réfléchissait pas à des moyens de sauver/aider Armin. Jean respecte Armin, si ce qui est arrivé n’était pas consenti, Armin serait énervé et Jean s’excuserait, pourtant Armin a permis à Jean de le réconforter en ne montrant aucun signe de colère, simplement de la peine [notre traduction]. 21
Il est difficile de savoir exactement qui est l’utilisateur/utilisatrice skittle316 s'exprimant ici. Son avatar, un fanart 22 de Jean, montre son implication émotionnelle envers ce personnage puisqu’en l’utilisant comme image de profil, il/elle s'y identifie. Son post témoigne de cet engagement. Il est plus long et plus construit que l’ensemble des posts de Reddit et que la majorité des réactions postées sur ce forum. Son système d’analyse n’est pas, ici, basé sur une connaissance des codes des mangas en général mais sur la connaissance unique de L’Attaque des titans et de ses personnages ainsi que, peut-être, des codes liés aux représentations de la torture (« selon les règles de la torture où il s’agit de torturer ceux qui assistent à une torture. ») L’utilisateur ou l’utilisatrice décode le manga en construisant une argumentation liée à une perception émotionnelle raisonnée des comportements des personnages à ancrer dans son milieu culturel mais qui n’est justifiée explicitement que par la seule diégèse du manga. Ce post présente un décodage émotionnel mais le contexte du forum amène à une forme construite et assez argumentée. Cela n’est plus le cas dans des communautés aux réactions plus spontanées et où, à l’exemple de Mangago, un décodage non distancié (qui ne tient pas de la moquerie face à la situation de travestissement) est majoritaire.
Le site Mangago, comme MyAnimelist, est un lieu de discussion pour les amateurs de mangas mais c’est également un site de lecture de mangas traduits par les fans. Certaines utilisatrices sont donc également des traductrices amateures impliquées directement dans la consommation du manga. Les autres utilisatrices, simples lectrices, ont également un suivi plus immédiat que sur les autres plates-formes. Elles commentent directement sous les pages traduites des mangas qu’elles lisent. La longueur des posts varie mais leur contenu semble témoigner d’une plus grande implication émotionnelle que pour les sites précédents. On relève notamment une ponctuation exprimant l’engouement (points d’exclamation récurrents) et des discours portant sur les personnages de la série qui semblent les inclure dans la vie du lecteur, au point pour certains de revendiquer une forme de proximité filiale (« my son »), signifiant des similitudes comportementales et émotionnelles entre le personnage et le lecteur (ou la lectrice).
Le site Mangago présente l’originalité de mettre également en ligne bon nombre de doujinshi. En effet, en recherchant L’Attaque des titans/Shingeki no Kyojin dans la base de données, on trouvera d’abord l’œuvre originale et ses spin-offs officiels, puis une succession de doujin yaoi qui n’en sont pas explicitement distingués en tant que productions de fans par une catégorisation spéciale. Les simulacres amateurs et officiels sont tous au même niveau. Les utilisatrices du site sont ainsi plus conscientes du décodage yaoi de L'Attaque des titans mais également lectrices yaoi elles-mêmes. La plate-forme Mangago présente donc un degré d’implication supplémentaire et le lectorat commentateur manifeste un champ de connaissance spécifiquement lié au yaoi.
Enfin, sur le site tumblr, plate-forme de blogs sur laquelle les auteurs peuvent se citer les uns les autres et échanger, le décodage yaoi queerisant est dominant. Le format permettant l’inclusion de nombreuses images amène également à des citations directes du manga sur lequel le décodage va alors directement s’appuyer. Les posts de réaction immédiate prennent ainsi parfois la forme de listes focalisées sur les temps forts du chapitre. Dans l’optique d’une interprétation centrée sur les personnages comportant une succession de captures d’écran de certaines cases de la BD scannée, il s’agit d’appuyer les propos de l’auteur. Les fans débattent parfois de ces lectures : ils et elles se demandent, par exemple, si, au chapitre 54, le personnage de Sasha se moque de la situation dans laquelle s’est trouvé Armin, si son rire est nerveux ou s’il implique une certaine gêne par compassion pour Armin.
Il existe également des posts publiés plus tardivement appelés « meta » par les fans. Ce sont de plus ou moins longues dissertations sur l’intrigue du manga, les futurs possibles et les relations entre les personnages, notamment les couples (d’hommes majoritairement) désirés par les fans. Les meta prennent ainsi une forme hybride, à la fois réception et production de fans, à mi-chemin entre la fanfiction et l’analyse. Dans ces meta, les réactions du personnage de Jean face à l’agression que subit Armin sont sujettes à débat. Détourne-t-il les yeux par dégoût ou à cause d’un trop plein d’empathie ? Quand il dit à Armin qu’il va « s’occuper » de son agresseur, va-t-il l’attaquer pour le venger ou simplement le bâillonner ? Les argumentations des fans s’appuient sur leur interprétation des dialogues et des représentations des corps dont le cadrage, le découpage et les attitudes sont analysées. Les blogueuses de tumblr fondent parfois leur argumentation sur d’autres événements, considérant le manga comme un tout cohérent où les interactions des personnages représentés sont autant d’indices sur leurs relations et non une suite d’épisodes à la continuité fluctuante. Des utilisatrices tumblr écrivent ou consomment également des fanfictions liées à cette scène. Le site Archives of our own qui permet de mettre en ligne des fanfictions est très lié à la plate-forme tumblr. Une de ses fonctions permet de publier son chapitre, à la fois, sur le site et sur tumblr. De nombreuses utilisatrices possèdent donc, à la fois, un compte tumblr et un compte Archives of our own.
La fanfiction slash étant aujourd’hui indissociable du yaoi japonais dans le fandom global, les codes de l’un et de l'autre se sont mêlés 23. Du point de vue du fandom yaoi/slash global, cette scène correspond au sous-genre des fanfictions slash du Hurt/ Comfort. Le Hurt/Comfort consiste à mettre en scène les personnages dans une situation traumatisante, tout en présupposant que cette épreuve vécue à deux amènera une réalisation en acte des sentiments cachés des deux protagonistes et une scène de réconfort mutuel, un soutien psychologique et des gestes physiques d’affection. Dans le manga, lorsqu’Armin est molesté devant Jean, celui-ci s’inquiète ouvertement pour son compagnon et cherche à prendre soin de lui par une promiscuité physique jusqu’alors inhabituelle. Jean touche l’épaule d’Armin ce qui peut être interprété comme l’ébauche d’une étreinte, concrétisée dans certains doujinshi japonais reprenant cette scène avec une tonalité romantique comme Endless Blue de Nasechin. Il existe également plusieurs fanfictions où cette scène traumatisante pour Armin aboutit à un rapprochement des personnages et même à une discussion sur le tabou de l’homosexualité dans la diégèse du manga, en particulier dans Among Heretics de Aespren. Les commentaires de cette fanfiction poursuivent d’ailleurs la discussion entamée dans le texte. L’utilisateur/utilisatrice Ribbon13 poste notamment le 25 mars 2014 :
Je trouve ça très intéressant. Je sais que les autres commentaires l’ont déjà dit mais c'est bien, même si c'est déprimant, de voir un thème aussi sombre. Je pense que les gens veulent croire qu’avec les titans et tout le reste, des problèmes sociétaux comme l’orientation sexuelle n'existeraient pas. Cependant, nous savons déjà que les gens qui habitent derrière les murs intérieurs vivent comme si les titans n’existaient pas. Ils agissent comme si le monde n’était pas en guerre et j’imagine qu’ils pourraient avoir des problèmes sociaux triviaux sur lesquels concentrer leur attention (non pas que je considère l’orientation sexuelle comme triviale de quelque façon que ce soit) [notre traduction] 24.
Il est à noter qu’en parallèle, des doujin sur Jean et Armin – inspirés de cette scène et réalisés par le fandom japonais yaoi – présentent également divers décodages queerisants, entre une explicitation pornographique du sous-texte sexuel notamment dans le doujin Love Me Do de Kojirow Nekota et une emphase sur les sentiments dans le fanzine Endlesse Blue de Nasechin. Il existe plusieurs doujinshi yaoi basés sur L’Attaque des titans et détournant de façon érotique cette scène du manga. Le kidnapping de Jean et Armin y devient un prétexte à divers abus sexuels érotisés et dédramatisés. Love Me Do, en particulier, présente un renversement de situation par rapport au « trap doujin » imaginé par les fans où Armin, déguisé en fille, serait abusé par son kidnappeur. Dans cette bande-dessinée, c’est Jean, personnage codé de façon plus masculine, qui se fait violer, et Armin le défend en assommant son assaillant avant de le pénétrer à son tour, toujours en costume de fille. Endless Blue, plus sentimental, utilise le même genre de codes que les fanfictions hurt/comfort évoquées. L’amorce d’étreinte de Jean devient un véritable rapprochement physique. Les deux doujin utilisent la scène comme prétexte pour développer la relation entre Jean et Armin, qu’elle soit sexuelle ou sentimentale.
Les fanfictions comme les doujin, bien qu’étant des créations, ont été produits très rapidement après la sortie des chapitres 53 et 54. Dans le cas des productions liées à ce chapitre, les récits de fans occidentales se distinguent parfois de ceux des fans japonais par leur aspect politique. Il y a une prise en compte et une critique de l’anormalité de l’homosexualité dans la diégèse du manga dans certaines fanfictions, là où les doujin japonais (et d'autres fanfictions) vont plutôt pousser la scène dans des extrêmes sentimentaux ou érotiques pour le plaisir du lectorat frustré par les ellipses. Le manga shonen L'Attaque des titans, prépublié selon les désirs d’un lectorat japonais pluriel que l’auteur satisfait parfois par sous-entendus encodés, voit sa supposée chasteté évincée à la réception, que ce soit dans les commentaires moqueurs d’un public jouant des codes et détournements de 4chan ou dans les dissertations sentimentales mais articulées des fans de yaoi. Le ton de la scène demeure ambigu dans le manga et le décodage yaoi queerisant joue ainsi de ses ambiguïtés.
Différents publics plus ou moins sensibles à la dimension homoérotique de l’œuvre procèdent simultanément à un décodage yaoi queerisant. La teneur en yaoi de la scène, certainement en partie codée par un auteur et une équipe éditoriale conscients de l’intérêt économique de la communauté yaoi, est perçue par un public dépassant cette communauté minoritaire mais néanmoins conscient de l'homoérotisme et même parfois du décodage yaoi queerisant d’autres fans. Ces différentes communautés interprétatives définies par leur cadre d’expression impliquant différents champs de connaissances peuvent être liées par la conscience qu’ont ses subdivisions communautaires des pratiques de la minorité constituée par les fans de yaoi. Cette minorité, prise en compte par Isayama au moment de la création du manga, influence ainsi non seulement l’œuvre en elle-même mais également sa réception globale.
- Voir Michel de Certeau, L’invention du quotidien/La culture au pluriel, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1990 [1980].
- Voir Stuart Hall, Encoding and Decoding in the Television Discourse, Birmingham, Centre for Contemporary Cultural studies, 1973.
- Voir Stanley Fish, Etienne Dobenesque (trad.), Yves Citton (préface), Quand lire c'est faire : l'autorité des communautés interprétatives, Paris, Les prairies ordinaires, 2007 [1980].
- Voir Eve Kosofsky-Sedgwick, Wayne Koestenbaum (avant-propos), Between men : English literature and male homosocial desire, New-York, Columbia University Press, 2016 [1985].
- Le mot « shonen » signifie adolescent en japonais et définit la cible éditoriale première de ces bandes dessinées ; les garçons et jeunes hommes.
- Le yaoi japonais est issu d'une culture où les liens homosexuels masculins étaient encore ritualisés il y a à peine plus d'un siècle avec le wakashudo (ou voie des éphèbes) chez les samouraïs, qui peut être comparé à des liens érastes et éromènes de la Grèce antique (Voir Tsuneo Watanabe, Jun’ichi Iwata, La Voie des Éphèbes : Histoire et Histoires des homosexualités au Japon, 1987). Avant l’occidentalisation durant l'ère Meiji, les liens d’homosexualité masculine, loin d'être condamnés, représentaient une norme plus qu’une exception. Aujourd’hui, dans la perspective d’un fandom global dans lequel les communautés de fans en ligne s'expriment en anglais, ce yaoi japonais s'est fondu dans la pratique du slash américain. La fanfiction slash américaine est un type de productions (écrites et parfois dessinées) dans lesquels les fans mettent en scène des protagonistes de leur série préférée dans des relations homosexuelles. Aujourd'hui, le yaoi peut être employé pour définir toute fiction romantique et érotique homosexuelle masculine par et à destination des femmes sur de nombreux supports, jeux vidéo, textes, bandes dessinées, films, etc., ce qui inclut donc le slash entre autre expression définissant les mêmes pratiques (m/m, homoromance, shonen ai, Boys Love...)
- D’après le site Fanlore : « Canon (in the context of fandom) is a source, or sources, considered authoritative by the fannish community. In other words, canon is what fans agree “actually” happened in a film, television show, novel, comic book, or concert tour. Specific sources considered canon may vary even within a specific fandom. The term derives from the theological concept of canon : the foundational texts of a religion, such as the Tao-te-Ching, the Bhagavad-Gita, the Talmud, and the Bible. Sherlock Holmes fandom was the first to use the word “canon” in its fannish sense, as they were familiar with the religious term. After a 1911 essay jokingly compared the Sherlock Holmes stories to the Bible, fans quickly took to referring to the Sherlock Holmes stories as the Canon and the Sacred Writings.
- Pour ce qui est de la réception francophone, nous avions réalisé une enquête en 2017 via la plate-forme Google Drive montrant pour plus de deux mille répondantes l’orientation hétérosexuelle comme majoritaire, bien que les orientations sexuelles queer soient légèrement plus nombreuses une fois cumulées.
- Si les shojo, destinés à un public féminin, se caractérisent par la présence de personnages à l'aspect très androgyne, les shonen ont plutôt tendance à souligner graphiquement la différenciation sexuée des personnages. Les garçons seront très musclés et les jeunes filles auront des hanches et des seins marqués comme dans les succès One Piece, My Hero Academia, Dragon Ball, etc.
- Voir Hiroki Azuma, Corinne Quentin (trad.), Génération otaku : Les Enfants de la postmodernité, Paris, Hachette Littérature, 2008.
- Le simulacre selon Jean Baudrillard n'est plus une représentation de la réalité puisque cette réalité n’existe pas et que seuls demeurent les simulacres, qui ont été reproduits en masse dans la société industrielle au point qu’ils précèdent et déterminent aujourd'hui ce qui est vrai. Les signes du réel remplacent ainsi le réel. Voir Jean Baudrillard, L’échange symbolique et la mort, Paris, Gallimard, 1976 & Simulacre et simulations, Paris, Galilée, 1981.
- L’article d’une utilisatrice anonyme intitulé Love like theirs never dies recense par exemple les déclarations d’Isayama autour de deux personnages de son manga et intitule cette section : « Information officielle et parole de dieu » (official information & word of god).
- Voir Hiroki Azuma, Génération Otaku, op. cit.
- Une collection de figurines des personnages de la série, vendues avec un livret, contenait des informations sur eux et leur création. L’utilisatrice tumblr yusenki les a traduits et publiés sur son blog. La déclaration selon laquelle Isayama recodait ses personnages d’après l'anime concernait le personnage de Jean Kirschtein (Isayama’s Interview on Jean Kirstein From Gekkan Shingeki no Kyojin, Volume 4) : « Une part considérable de Jean est la contribution du réalisateur Araki et de l'équipe de production de l'anime. Je pense que sa doubleuse, Taniyama Kishou est également très bonne. D’ailleurs, j’ai de nombreux regrets concernant mes personnages dans le manga. J’ai ainsi demandé au réalisateur Araki d’améliorer cela durant la production de l'anime – et c’est ce qui est arrivé. (« A lot of parts of Jean are contributions by director Araki and the anime production team. I think his VA, Taniyama Kishou’s voice is really good as well. Actually, I have a lot of regret in my own characters’ portrayals in the manga, therefore I requested director Araki to improve those issues during the anime production - and that’s what ended up happening. »)
- « He seems to be especially popular among yaoi fangirls. That’s not something you were aiming for originally though, right?
- Voir Agnès Giard, L’imaginaire érotique au Japon, Grenoble, éditions Glénat, 2006. Voir également Renée Garde, Si on les échangeait : Le Genji travesti, Paris, Les Belles Lettres, 2009.
- Forme théâtrale japonaise avec des masques et costumes codifiés créée au XVIe siècle par la prêtresse Okuni. Les troupes de Kabuki étaient au départ constituées de prostituées mais pour éviter de porter atteintes aux bonnes mœurs, le shogunat interdit aux femmes de jouer dans ces pièces et les troupes sont depuis exclusivement masculines et les hommes jouent des rôles de femmes.
- La revue Takarazuka est exclusivement composée de femmes non mariées et a été fondée en 1914 par Ichizo Kobayashi pour encourager la circulation sur sa compagnie de chemins de fer. Les actrices Takarazuka : Takaraziennes, devaient être vertueuses et modestes pour rompre avec la réputation sulfureuse des femmes actrices souvent prostituées. Un des plus grands succès de la troupe est adapté du manga La Rose de Versailles de Riyoko Ikeda (inspiré du personnage historique du Chevalier d'Eon) qui met en scène une femme élevée en homme durant la révolution française.
- La compagnie Tokyoite Studio Life a été fondée en 1985. Exceptée la femme à sa tête, Jun Kurata, elle est exclusivement composée d'hommes. Elle met en scène des mangas et textes occidentaux au fort sous-texte homoérotique comme Le Cœur de Thomas (Moto Hagio), Mort à Venise (Thomas Mann), Carmilla (Sheridan Le Fanu), Le Portrait de Dorian Gray (Oscar Wilde), etc.
- Dans son ouvrage L’imaginaire érotique au Japon, dans le chapitre intitulé « La violence », Agnès Giard développe l’idée selon laquelle le viol simulé, qui représente 70% de la production pornographique selon elle, permettrait surtout une expression charnelle et sincère des émotions, positives (la jouissance) comme négative (la souffrance) ce que les normes de la société japonaise ne permettraient pas. Elle oppose la pornographie de la société japonaise à une pornographie occidentale où le désir est exprimé plus ouvertement. Si l’on peut nuancer ce propos (la dimension patriarcale du standard pornographique du viol, en Occident comme au Japon, est ainsi complètement évacuée) l’observation semble pertinente et est articulée avec certains codes pornographiques japonais typiques comme l’emphase sur le visage en « ahegao », expression de jouissance sans entrave sociale où les yeux louchent et la bouche bave.
- « For people talking about Armin’s sexual assault. Remember only 2-3 people witnessed it Jean, Mikasa and possibly Levi. Jean is smart he knows that if he yells out of anger to the guy it could one put Armin in a worse position on of the rules of torture is to torture those watching torture. Jean ignoring the man (without things escalating) was meant to get time and to protect both of them. Remember Armin kept quite as well (though that could be to not relieve he’s a guy) which could mean both made arrangement before hand not to do anything since Armin did not ask for help. The fact Jean couldn’t do anything is what made him so uncomfortable since once again he was in the position he doesn’t want to be. That’s the main reason why Jean wasn’t thinking of ways to save/help Armin. Jean respects Armin if what happened wasn’t consented Armin would be pretty pissed off and he would be apologizing, yet he allowed Jean to comfort him, showing no signs of anger just emotional pain. As you in the chapters he was the only one to comfort him, BUT we can’t put Eren at fault for not doing so. Since how do we know Mikasa,Levi or Armin informed him of what happened. It is distracting where Armin is crying and he’s being ignored or laughed at, but I do think Eren was just mis informed. »
- Fanart : hommage des fans aux œuvres qu’ils apprécient sur différents media : dessin, BD, montage photo ou vidéo, etc.
- La présence de manga yaoi omegaverse au Japon, un sous-genre de la fanfiction créé en 2010 dans le fandom slash global de la série américaine Supernatural, montre le contact et la porosité entre fandom japonais et fandom global et la fusion des pratiques slash et yaoi.
- « I found this to be very interesting. I know the other comments have already said it, but it’s nice, albeit depressing, to see such a dark theme. I think people want to believe that with the titans and everything else being such a focus that social problems such as sexual orientation would not actually exist as problems. However, we already know that the people living within the innermost walls live their lives as if there are no titans. They act as if the world isn’t at war and I would imagine that they would have trivial (not that sexual orientation is in any way trivial) social issues to focus their attention on. »