Génériques et juvénilisation (<em>Buffy the Vampire Slayer</em>) : vers un escapisme... triste ?

Génériques et juvénilisation (Buffy the Vampire Slayer) : vers un escapisme... triste ?

Par CASTA Isabelle-Rachel

Je vois de nombreux livres publiés destinés à profiter du sillon de tendances populaires. Ne voulez-vous pas autre chose du monde que de chercher à vous divertir tout le temps  1 ?

 

J’ai passé mon enfance et une partie de mon adolescence à crier de joie sur le canapé, face à Buffy contre les vampires, avec Sarah Michelle Gellar ! Mais la série citée dans mon film est plutôt Roswell, sur trois extraterrestres cachés dans la peau de lycéens taciturnes. […] Roswell était ma seule source de joie, mon idéal de beauté  2.

 

L’on se souvient de la scène de l’ascenseur dans Mort à Venise (Luchino Visconti) : on y voit Gustave von Aschenbach, bourgeois élégant et aisé, seul adulte au milieu d’une bande d’adolescents dans l’espace contraint d’une étroite cabine. La jeunesse, la beauté, la vitalité, la joie de vivre qui rayonnent de Tadzio et de ses compagnons rejettent immédiatement Aschenbach dans une forme de ridicule souffreteux et désuet, lui seul adulte pris au piège de cette énergie extraordinaire dégagée par le groupe de jeunes gens ; il est en une fraction de seconde totalement et irrémédiablement exclu de cette vie, de ce bonheur qu’il ne peut qu’envier et désirer. Eh bien, cette cabine d’ascenseur fonctionne exactement comme le générique de certaines séries : les adultes, en tout cas les parents, en sont obligatoirement écartés/ségrégués, car les relations entre pairs bannissent l’autorité et la présence des aînés 3.

Et en effet, dans la série éponyme, Buffy 4 ou ses amis rejettent à un moment ou un autre les figures d'autorité les entourant, que ce soit les principaux du lycée (le Principal Flutie, le Principal Snyder), les Observateurs (Rupert Giles, Wesley Wyndam-Pryce), le Maire Richard Wilkins III, le beau-père Ted, la mère de Buffy, Joyce Summers ou les parents en général : tous se retrouvent délégitimés, ou font l'objet d'un affrontement ; si Buffy présente aussi l'histoire d'adolescents qui s'apprêtent à devenir adultes, cette étape passe par l’opposition aux figures patriarcales, et donc par l'émancipation, l'affranchissement vis-à-vis de toute autorité. C'est à ce titre que le générique affiche les intentions des auteurs, tout en adressant au public-cible un formidable teaser, que le fandom amplifiera et démultipliera 5... À ce sujet, revenons un instant sur la formule-choc qui, pour les premiers téléspectateurs emblématise le show : « À chaque génération il y a une Élue, seule elle devra affronter les vampires, les démons et les forces du Mal. Elle s'appelle Buffy… ».

Dans la saison I, ce prologue explicatif un brin kitsch (qui nous révélait également la notion d'Elue) est prononcé par un narrateur quelconque qui n'est en aucun cas l'un des personnages de la série : il s'agissait alors du doubleur auquel la WB faisait appel pour les promos de la série. À partir de la saison II, la production décide de changer de voix et passe le relais à Anthony Head, qui incarne Giles. Cette séquence très rapide (un peu plus de 10 secondes) n'a pas été utilisée durant toute la durée de la série. Dans la première saison, elle n'est d'ailleurs pas utilisée dans les premiers épisodes et, durant la seconde saison, on l'entend à quelques reprises mais pas dans tous les épisodes. Après ce prologue, l'épisode démarrait et, quelques minutes plus tard, le générique se lançait. Malgré sa rareté et sa présence plus qu'épisodique, tous les fans continuent de se souvenir de ce prologue, car s'il possédait un côté passablement « ringard » (surtout en saison I), il délivrait quelque chose d'unique : une ambiance et une prophétie, mais disait également en une seule phrase la solitude qui allait habiter Buffy 6 durant toute la série et l'obscurité qu'elle côtoierait...

Certes, ce générique dure 65 secondes (1min 5s, c’est très court par rapport, par exemple, au générique de Homeland qui lui dure plus d’une minute et demie), mais il suffit à installer ce « fait adolescent total » dont parle Tristan Garcia 7. Il faut souligner combien le lien est fort avec les deux séries adolescentes qui ont le plus marqué le contexte des années antérieures à Buffy : Parker Lewis ne perd jamais (Parker Lewis Can’t Lose, 1990-1993) ou encore Angela, 15 ans (My So-Called Life, 1994-1995). Quoique annulée au bout de 19 épisodes, cette dernière demeure en effet comme le parangon de tous les teen dramas à venir, et son aura critique reste intacte. La ré-articulation par Buffy des multiples facettes des séries qui l’ont précédée contribue d'ailleurs à ce qu’Anne Besson désigne comme la vitalisation d'une extraordinaire « subculture fanique 8. »

C'est pourquoi, pour éclairer l’influence de la juvénilisation des comportements culturels en voie d’escapisme triste, nous nous demanderons, selon la formule de Barbara Olzewska, pourquoi « les adolescents meurent à 18 ans 9. » En second moment nous essaierons de comprendre ce qui se passe quand « Une fois la princesse cria et ils moururent tous 10 » ; enfin il nous faudra sonder, puis quitter « the Dark Age » pour rejoindre Tristan Garcia.

 

1. « Les adolescents meurent à 18 ans »

La mutabilité des identités contribue à nous plonger dans une interminable enfance. De nombreux signes de cette « immersion clivée » (Jean-Marie Schaeffer) dans un monde virtuel l’attestent : tatouages, cosplay, avatars, conventions de fans ou communautés des lecteurs/lectrices renforcent l’idée que le monde adulte est entré dans une sorte de post-légitimisme. C’est aussi le propre de la juvénilisation exacerbée de la sérialité, où tout se joue et se noue dès le générique : analogon accéléré et collection raccourcie des topoï de chaque saison, il forme une mini dramaturgie vestibulaire, mais pourtant déroge plusieurs fois à son itération formulaire.

 

1.1. Celles qui vont mourir vous saluent

Dans un générique, la notoriété symbolique de chaque acteur, donc de chaque personnage, est entérinée par la place du « crédit » ; or, Joss Whedon a toujours cherché là aussi à casser les codes. Les trois emplacements possibles pour un crédit sont : pendant le générique, pendant le début de l’épisode, ou carrément après l’épisode quand retentit de nouveau la musique de Nerf Herder sur un fond noir. Deux personnages pourtant très importants ne se voient jamais crédités au générique, sauf quelques minutes avant leur mort ; il s’agit d’abord de Joyce Summers, la mère de Buffy, enfin créditée à l’épisode 15 (saison V), alors que cet épisode s’achève sur la vision encore indistincte de son corps prostré sur le canapé où elle vient de mourir ; on peut d’ailleurs noter que pour l’unique fois dans la série, les quelques images de fin sont reprises à l’identique au début de l’épisode 16, « The Body ». Il en sera de même pour Tara Maclay, jamais créditée au générique pendant trois saisons mais dont, juste avant qu'elle ne meure à la fin de l’épisode 19 de la saison VI (abattue par Warren dans « Seeing Red »), on voit enfin mentionné le nom de l’interprète, Amber Benson. Son corps est vu une dernière fois dans l’épisode 20, lorsque Dawn le découvre.

Il s’agit ici dans les deux cas d’une petite vengeance de Whedon qui, pour s'amuser avec le statut de « personnage principal » et pour choquer les spectateurs lors de sa mort, avait voulu faire figurer dès le premier générique de l’épisode 1, saison I, le nom d’Eric Balfour – qui incarne Jesse McNally, promis à disparaître immédiatement. À l’époque la production avait trouvé cette rupture dans l’usage trop audacieuse – et surtout elle n'avait pas un assez gros budget pour cela : il aura donc fallu attendre les saisons V et VI pour assumer cette légère entorse au protocole.

 

1.2. Une démultiplication narrative

Il n’est pas niable non plus que la sortie en DVD multiplie en fait les regroupements iconiques divers et variés 11. En effet, nous sommes d’abord devant l’interface même du disque qui propose à chaque fois trois ou quatre épisodes ; puis, nous accédons à l’épisode lui-même et encore une fois les images changent, le temps que nous cochions l’une des propositions offertes (chapitres ou non, choix de la langue, etc.) Enfin, à l’intérieur même de l’épisode, les séquences pré-génériques installent l’intrigue, tandis que les rappels « Previously » présentent les traits diégétiques marquants de l’arc narratif en cours.

Il est à noter que certains éléments peuvent être repris de saisons largement antérieures, ravivant les souvenirs des spectateurs et donnant par-là même l’impression d’une cohérence interne à des récits qui auraient pu paraître décousus. Par exemple, lorsqu’il sera question de l’amour de Spike pour Buffy, seront rapidement rassemblées les images du faux mariage de la saison IV ainsi que celles de la fabrication du premier mannequin-Buffy qui donnera ensuite lieu à la création du robot-Buffy. Ces mini-collections se juxtaposent avant chaque épisode pour former une sorte de matelas de commentaires et d’annonces, propres à guider l’attention du spectateur.

Il faut naturellement aussi parler de deux autres génériques : celui de « Superstar » (17, IV) où le personnage de Jonathan Levinson vient s’incruster dans le Scooby Gang et même remplacer Buffy dans l’image finale puisqu’il s’en va solitaire vêtu d’un long manteau noir. Il s’agit d’un sort passager pour enfin être au cœur des attentions de tous... mais le prix à payer est insupportable puisqu’il entraine l’existence inversée d’un monstre sanguinaire : le mirage sera dissipé, et le générique redeviendra normal. Enfin on pensera à l’épisode « Once More, with Feeling » (VI, 7) entièrement traité selon les codes de la comédie musicale hollywoodienne, y compris le générique qui voit les visages « glamourisés » de chaque personnage apparaître sur fond de lune gothique. Lorsque l’on considère toutes ces variations, on peut en déduire que Joss Whedon pratique une esthétique de la surprise, dont le générique fournit souvent un condensé autant qu’un exemplier.

Sans doute est-ce pour toutes ces (bonnes) raisons que la série continue d'exercer une telle fascination, et de susciter autant de gloses et d'interventions herméneutiques ; citons les plus représentatives, tout en gardant présente à l'esprit la notification de nombreux autres exemples de charité commentative 12 : l'intervention d'Annick Louis, « Images ultimes : récit et présentation de l’héroïne dans le générique de Buffy the Vampire Slayer (1997-2003) 13 », concerne directement notre thème, de même que les nombreuses publications de Justine Breton ou celles de Claire Cornillon 14.

 

2. « Une fois la princesse cria, et ils moururent tous »

Au-delà du format fantastique, le conte de fées cruel qui nous est raconté dans l’épisode 10 de la saison IV joue métaphoriquement sur les choix qui sont donnés à Buffy de trouver sa voix/voie et peut-être aussi de « prendre langue » avec les adultes qui l’entourent. La présence des gentlemen écorcheurs dans chaque générique de la saison IV (puis dans les saisons ultérieures, comme signature iconique de la série) pose aussi le problème de la temporalité intérieure d’une saison : inconnus pendant les épisodes qui précèdent, terrifiants mais vaincus dans cet épisode précis, ils ne sont plus que de mauvais souvenirs dans les récits suivants ; pourtant leur image authentiquement épouvantable demeure à l’identique, puisque la dimension fixiste ne permet pas de savoir si les monstres présents (le Maître, la face démoniaque d’Anya ou le visage vampirique de Spike) sont encore d’actualité, à venir, ou déjà dépassés.

Plastiquement, le rythme du générique n’évolue pas, seul notre regard conscient et décillé permet de rétablir le fil chronologique qui reliera les stock-shot entre eux. Cette permanence des figures monstrueuses dans le générique d’une saison peut également laisser supposer un retour toujours à craindre des « monsters of the week », ou selon la psychanalyse, le retour du refoulé.

 

2.1. Ready, player one !

Techniquement, la musique du générique, ou Buffy the Vampire Slayer Theme, est interprétée par le groupe Nerf Herder, choisi par Joss Whedon sur la suggestion d'Alyson Hannigan. Pour Janet Halfyard, dans son essai Music, Gender, and Identity in Buffy the Vampire Slayer and Angel :

 

le générique commence par le son d'un orgue accompagné par le hurlement d'un loup. L'image est un ciel nocturne étincelant enchevêtré de textes inintelligibles. Il est impossible de ne pas associer cela avec l'époque du film muet, Nosferatu le vampire, et les conventions des films d'horreur en général et de ceux de Hammer Film Productions  15.

 

Puis le thème change : « l'orgue est supplanté par un son agressif de guitare électrique, replaçant ainsi [la série] dans la culture de la jeunesse actuelle 16. » Selon la spécialiste, le générique serait ainsi une déviation post-moderne de l'horreur... C'est également le sentiment d'Anne Besson, qui voit (et entend) dans ce générique l'annonce d'une mutation sérielle irréversible :

 

Créée par Joss Whedon, la série pour adolescents a en effet marqué une étape importante dans cette métamorphose, touchant les genres de l’imaginaire, l’esthétique populaire aussi bien que leur perception. Le mélange des genres pratiqué dans Buffy, caractéristique de l’héritage des Pulp fictions, a eu la vertu d’introduire une génération de jeunes gens à des motifs qui ont ensuite connu une diffusion forte et rapide  17.

 

2.2. Buffy, seize ans… mais pas pour longtemps

Cet intertitre réfère bien évidemment à la série déjà citée Angela, 15 ans, pour insister sur le fait que rien ne se fane plus vite que les incarnations adolescentes des personnages des teen dramas ; l’actrice Sarah Michelle Gellar avait d’emblée quelques années de plus que le rôle (20 ans versus 16) ce qui a amené un twist scénaristique plutôt inattendu : au début de la saison V, Joss Whedon va « réinjecter » une vraie teen-ager en inventant le personnage de Dawn (Michelle Trachtenberg) afin de garder le cœur de cible originel, les adolescents de quinze ans ; les génériques contiendront donc non seulement le Scooby Gang, dont les membres deviennent visiblement de plus en plus matures, mais aussi le juvénile visage de la petite sœur, afin d’éviter que les héros du show aient bientôt l’air de leurs propres parents de la saison I !

La philosophe Sandra Laugier insiste toujours beaucoup sur le fait que les séries accompagnent des pans entiers de nos vies, et que la plupart du temps le public originel accepte parfaitement le vieillissement des personnages : « Cette démocratisation de l’héroïsme fait de Buffy une série particulièrement forte et actuelle, pas seulement par la leçon de féminisme, mais par la confiance qu’elle donne, aujourd’hui en chacune, en sa capacité à changer le monde 18. » Cependant les impératifs économiques sont tels que BtVS a réellement failli s’arrêter en fin de saison V… et le dernier zoom sur la tombe de l’héroïne et sur son épitaphe « Elle a sauvé le monde de très nombreuses fois » était bel et bien un adieu. Il a fallu ressusciter Buffy (comme la fille de Jaïre : talitha koum !) pour que l’histoire continue encore deux saisons. C'est pourquoi le générique joue toujours autant son rôle de conservatoire a-chronique, lorsqu’on observe par exemple l’accumulation des coupes de cheveux de Buffy immédiatement juxtaposées, l’héroïne ayant à la fois, en trois images, de longs cheveux bouclés, une coupe courte ou les accroche-cœurs de la saison I. Ce brouillage des signes, au moins capillaires, participe du kaléidoscope où se perdent les repères de notre propre chronologie interne, tandis que tourbillonnent les nombreux visages de la Tueuse. Mais les images de Buffy, décharnée dans sa tombe, et sur laquelle une brume remonte pour repulper son visage tant aimé, appartiennent bien au registre gothique, tout en le dépassant par leur force d’évocation et leur tristesse fondamentale 19 : it walks by night 20.

 

3. « The Dark Age »

Toute la critique insiste sur la quasi-hégémonie des séries adolescentes, à la profondeur et à la gravité jusque-là inusitées ; pensons à De Max à Maxine (Bufferfly) à Celles qui osent (The Bold Type) mais surtout à Sex Education et Thirteen Reasons Why. Il n’en demeure pas moins que Buffy a pour la première fois concilié les impératifs narratifs de la série fantastique avec les archétypes du feuilleton adolescent : c’est cette originalité qui se reflète dans l’orchestration et la dramaturgie visuelle des génériques.

 

3.1. Le générique comme respiration et comme dynamique

Nous avons déjà souligné combien les monstres, une fois anéantis, restent cependant présents dans le défilement des plans, manifestant ainsi la force des héros qui les ont vaincus malgré leur dimension souvent terrifiante, comme un tableau de chasse où ce qui fut menace épouvantable devient simple trophée d’une aventure désormais terminée (les gentlemen écorcheurs de « Hush », ou l’hybride Adam de la saison IV). Ces images, entrecoupées par celles de Buffy dansant, cavalant, sautant, esquivant des coups, volant presque à la rencontre de ses multiples ennemis, attestent de la vitalité de l’héroïne comme de la saison. Memento mori, le générique énumère d’une certaine façon le catalogue des fétiches de l’épouvante contemporaine, tout en montrant toujours qu’on peut les vaincre et les réduire à néant ; c’est sans doute d’ailleurs la grande différence avec Stephen King pour qui le Mal ne disparait jamais vraiment ; néanmoins les courses folles de Buffy dans les couloirs labyrinthiques de divers lieux posent aussi la question du contexte : nous la voyons bien courir, mais nous ignorons si c'est pour se précipiter au-devant du danger, ou au contraire pour le fuir et se mettre à l'abri... privés de repères, nous ne pouvons qu'imaginer, et la collection haletante des postures (avec armes, sans armes, seule, flanquée du Scooby Gang ou de Giles, affrontant les démons...) s'achève immanquablement par un zoom inquiétant sur la tueuse, prise en contre-plongée et nous dévisageant de son insondable regard têtu. Mais cette course triomphante n'est-elle pas aussi l'envers d'une perte, d'un éloignement toujours plus marqué de ce qui fut l'innocence, la fraîcheur des commencements ? Fuir loin de sa jeunesse est fuir tristement, et les divertissements, pascaliens ou non, ne remplissent pas le vide, car : « Ces plaisirs violents ont des fins violentes 21. »

 

3.2. Stranger « signes » !

Même la Buffy-robot apparaît dans le générique mais, bien entendu, le défilé des images fait qu’on ignore à ce moment-là qu’il ne s’agit pas de l’être en chair et en os – simplement de l’artefact. Elle nous trompe ainsi brièvement, comme elle trompera plus longuement les héros du show en fin de saison V et, en début de saison VI, à la fois les ennemis... et les professeurs de Dawn, qu’elle rencontre lors d’une réunion épique.

Ce jeu sur l’apparence et le machinal renvoie à une série contemporaine particulièrement attractive, Umbrella academy, qui accompagne sept enfants miraculeux issus d’une conception inexpliquée, mais l’on peut aussi songer à la récente prestation de Daniel Radcliff dans Miracle Workers, où l’incarnation cinématographique de Harry Potter joue cette fois un ange chargé de sauver l’humanité, condamnée par un Dieu atrabilaire et neurasthénique (William Defoe). Sauveur un jour, sauveur toujours !

On a beaucoup insisté sur l’aspect cathartique des génériques par rapport aux monstres vaincus, mais il est certain que les images heureuses des couples encore amoureux étreignent par leur mélancolie intrinsèque, une fois ces amours trépassées... par exemple, jamais Alex n’épousera Anya : elle meurt ignorée de lui pendant la dernière bataille. Jamais Spike ne vivra auprès de Buffy : il se laisse supplicier pour la sauver ; jamais Willow ne re-dormira avec sa Tara chérie : Warren l'a tuée... Mathieu Pierre revient assez longuement sur ce fil rouge du sacrifice, si manifeste dans la scénographie du générique :

 

Dans Buffy The Vampire Slayer, la fin du monde côtoie toujours l’idée de sacrifice faisant ainsi écho aux propos tenus par la Première Tueuse à Buffy « La Mort est ton cadeau » : le sacrifice ultime de Buffy offrant sa vie dans une victoire messianique à la fin de la cinquième saison n’en est qu’un exemple. Les histoires de sacrifice, lorsqu’elles sont investies de significations fantastiques, donnent de l’importance à nos communautés et augmentent l’altruisme  22.

 

Conclusion

Tandis que défile mentalement le générique de fin (« bad robot » versus « mutant enemy » !), donnons quelques instants la parole à l'un des spécialistes reconnus du genre, Pierre Langlais :

 

Le générique, porte d’entrée de la série télé, est en danger. Pour gagner du temps et vendre plus d’espace publicitaire, les chaînes se débarrassent de plus en plus souvent de cette forme artistique à part entière. Le journaliste et scénariste Olivier Joyard revient sur son importance historique et décrypte la richesse des plus célèbres introductions, de La Quatrième Dimension à Transparent, en passant par À la Maison-Blanche. Il s’entretient avec des concepteurs de génériques, des créateurs de séries et des journalistes pour comprendre comment une poignée d’images et quelques notes peuvent nous plonger instantanément dans un univers et nous hanter bien après leur visionnage  23.

 

L'évidence de la concaténation avec Buffy se déploie aisément, et comme nous avions commencé par évoquer la formule de Tristan Garcia d’un « fait adolescent total », il est donc doublement nostalgique d'entendre l’actrice Sarah Michelle Gellar, qui a 41 ans (l’âge qu’avait sa mère dans la série), répondre à une proposition de reboot que pour elle cette histoire est terminée... depuis très longtemps.

Ce qui est certain, c’est que la juvénilisation de nos habitus se poursuit, même si elle est parfois contestée, dans la production tant sérielle que romanesque qui irrigue un marché à la croissance exponentielle. On citera pêle-mêle la série de The 100 (Les 100, Jason Rothemberg) ou bien encore la saga romanesque U4 (Florence Hinckel, Carole Trébor, Vincent Villeminot, Yves Grevet), ce qui amène certains critiques à parler d’une véritable « harry-potterisation » de la revendication mondiale, en prenant pour exemple la jeune suédoise Greta Thunberg, qui mène croisade contre le changement climatique. Elle a l’âge d’Eragon dans Héritage ou de Lyra et Will dans À la croisée des mondes...

Il semblerait bien que la prophétie critique lancée par Anne Besson advienne enfin pleinement : « La fiction comme monde est l'envers et le complément idéal du monde comme fiction 24. »

 

  1.  Frédérique Roussel, « C’est un roman politique, malade de la connerie. Rencontre avec l’Américain Blake Butler », Libération, 19/04/2019, https://next.liberation.fr/livres/2019/04/19/c-est-un-roman-politique-malade-de-la-connerie_1722412.
  2.  Louis Guichard, « Xavier Dolan : “Pas question de m’éloigner de ce qui m’importe !” », Télérama, 25/02/2019, https://www.telerama.fr/cinema/le-cineaste-xavier-dolan-pas-question-de-meloigner-de-ce-qui-mimporte,n6141028.php.
  3.  Bien entendu, il y a toujours au moins un adulte dans le générique de Buffy, c’est Giles, l’observateur, mais il n’est pas un « parent », et d’autre part il fait partie du versant fantastique de l’histoire, puisqu’il est chargé d’entraîner la jeune Tueuse. Quant aux différentes images de vampires et de démons présentes elles aussi, elles demanderont un traitement particulier.
  4. Joss Whedon, Buffy the Vampire Slayer, © The WB, UPN, 1997-2003.
  5.  « In every generation there is a chosen one. She alone will stand against the vampires, the demons and the forces of darkness. She is the slayer. »
  6.  Buffy elle-même n'hésite pas à ironiser sur ce mantra, en particulier dans les novélisations qui accompagnent la diffusion du show.
  7.  Tristan Garcia, « Buffy un fait adolescent total », Philoséries, 2014, « Buffy Tueuse de vampires », Sylvie Allouche, Sandra Laugier (dir.), p. 59-77.
  8.  Anne Besson, « Buffy, carrefour dans l’évolution des genres et des pratiques », Philoséries, 2014, « Buffy Tueuse de vampires », op. cit., p. 39-57, p. 51.
  9.  Barbara Olzewska, « Les adolescents meurent à 18 ans », Philoséries, 2014, « Buffy Tueuse de vampires », op. cit., p. 81-115.
  10. Joss Whedon, Buffy the Vampire Slayer, 04x10, « Hush », © The WB, 1999.
  11.  On peut mentionner aussi des regroupements centrés sur un seul personnage qui satisfont ses fans inconditionnels...
  12.  Nuancier critique dont nous nous permettons de citer une occurrence... particulière : Pardaillan, n° 9, à paraître automne 2020, « Buffy tueuse : toutes les fables de ta vie », Isabelle Rachel Casta (dir.), http://lataupemedite.michelzevaco.com/index.php/2019/03/17/appel-a-contributions-buffy/
  13.  Annick Louis, « Images ultimes : récit et présentation de l’héroïne dans le générique de Buffy the Vampire Slayer (1997-2003) », in Sébastien Hubier, Emmanuel Le Vagueresse (dir.), Séries TV : génériques, Reims, Épure, à paraître.
  14.  Claire Cornillon, La séquence prégénérique dans les séries télévisées américaines depuis 1990, mémoire de master 2, Guillaume Soulez (dir.), Université Sorbonne nouvelle-Paris 3, 2012 ; « Filming the dream in a TV Show » [sur l’épisode de Buffy « Restless »], colloque « Riddles of Form », de l’Association pour l’Étude des Rapports entre Texte et Image, Dundee, Ecosse, août 2014 ; « L’art du teaser : les séquences prégénériques dans quelques séries fantastiques américaines des années 1990 et 2000 », TV/Series, n°6, Université du Havre, décembre 2014, https://journals.openedition.org/tvseries/314.
  15. Janet K. Halfyard, « Love, Death, Curses and Reverses (in F minor) : Music, Gender and Identity in Buffy the Vampire Slayer and Angel », Mathieu Pierre (trad.), Slayage, n°4, 2001, http://offline.buffy.de/outlink_en.php?module=/webserver/offline/www.slayage.tv/index.html.
  16. Ibid.
  17.  Anne Besson, « Sérialité et jeune public : panorama des questionnements critiques », Cahiers Robinson, n°39, 2016, « Séries et culture de jeunesse », Anne Besson (dir.), p. 7-20, p. 11.
  18.  Sandra Laugier, « Buffy, une étape dans l’histoire du féminisme », Libération, 16/03/2017, https://www.liberation.fr/debats/2017/03/16/buffy-une-etape-dans-l-histoire-du-feminisme_1556218.
  19.  Pour revoir ces effets sidérants, regardons le générique à la 37e seconde, saison VI https://www.youtube.com/watch?v=fxPlq78E_A0
  20.  Titre du premier roman policier de John Dickson Carr où apparaisse Henri Bencolin, Le Marié perd la tête (1930).
  21.  Citation du Romeo et Juliette de Shakespeare, repris dans la série Westworld, saison II.
  22.  Matthieu Pierre, « Des dieux par épisode : quand la fantasticité sérielle réécrit la Bible », Cahiers Robinson, n° 44, 2018, « Bible et littérature de jeunesse », Béatrice Ferrier (dir.), p. 225-235, p. 233.
  23.  Pierre Langlais, « Les génériques de série télé » (à propos du documentaire éponyme d’Olivier Joyard), Télérama, 22/8/2012, https://television.telerama.fr/tele/programmes-tv/les-generiques-de-series,127529885.php.
  24. Anne Besson, « Conclusion », in Constellations. Des mondes fictionnels dans l’imaginaire contemporain, Paris, CNRS éditions, 2015.