L’enivrement horrifique de <em>The Haunting of Bly Manor</em> comme suppôt pop culturel

L’enivrement horrifique de The Haunting of Bly Manor comme suppôt pop culturel

Par ROMANI-PARTHONNAUD Andréa

Selon Charles Baudelaire, « les charmes de l’horreur n’enivrent que les forts 1. » Dans la société actuelle, l’horreur semble désormais faire partie intégrante de la pop culture. Il n’est plus seulement question pour une poignée de personnes – aguerries si l’on en croit l’auteur des Fleurs du Mal – d’aller à la recherche de l’horreur cachée. En effet, aujourd’hui l’horreur est partout, si bien que Linda Badley – autrice et professeure étatsunienne dans le domaine des études filmiques – affirme que parmi tous les genres, l’horreur représente le parfait exemple d’un phénomène transmédiatique. Lorsqu’elle évoque le « boom de l’horreur » de la fin des années 1970 et du début des années 1980, Badley décrit la prolifération du vocabulaire horrifique et gothique dans le milieu académique et dans la pop culture : « Des termes tels que déconstruction, schizophrénie, subversion, et même corps, commencèrent à sonner aussi gothiques que politiquement corrects 2. »

Il n’est donc pas surprenant qu’un grand nombre d’adaptations cinématographiques et télévisuelles de fictions d’épouvante ait surgi dans le paysage médiatique des dernières décennies. The Haunting of Bly Manor, saison 2 de la saga éponyme The Haunting 1 réalisée par Mike Flanagan, est le produit même de la hausse en popularité de l’horreur. La série est adaptée de l’œuvre d’Henry James, The Turn of the Screw (1898), fréquemment associée au genre gothique. Ainsi, il s’agit réellement d’un suppôt 3 horrifique, néo-gothique, né de la profusion du genre et descendant d’un classique de l’écriture de l’étrange. The Haunting est une des nombreuses vassales de l’horreur, complice de sa prolifération. Mais comment expliquer la pléthore de réappropriations d’histoires horrifiques dans notre ère contemporaine ? Qu’est-ce qui rend les œuvres du canon de l’horreur si fascinantes et encourage à la réécriture ?

The Haunting of Bly Manor s’inscrit dans une longue lignée d’adaptations de la nouvelle de James. Bethany Layne 4 – docteure spécialiste de Henry James – confirme qu’il y a eu plus de vingt-cinq adaptations depuis 1954. Selon elle, The Turn of the Screw demeure indémodable grâce à son ambiguïté. Dennis Tredy – chercheur également spécialiste du canon jamesien – explique justement que le caractère énigmatique de la nouvelle découle des structures de duplicité qui fonctionnent de façon très subtile dans l’œuvre de James 5. D’une part, on ne comprend pas vraiment si les fantômes et possessions sont réels ou bien le fruit de l’imagination perturbée de la gouvernante. D’autre part, de nombreux sous-entendus sont laissés à l’interprétation du lecteur. En effet, dans The Turn of the Screw James fait allusion à des événements de façon vague, implicite et non graphique, comme la sexualité réprimée de la protagoniste ou la maltraitance et le harcèlement sexuel qu’auraient pu subir les enfants.

Par ailleurs, Lucas Gagliardi – dans l’article qu’il consacre à ce constant retour au récit de James – éclaire nombre de points qui expliquent pourquoi la vision de Flanagan est unique. Il renseigne ses lecteurs sur la qualité multi-adaptationnelle de Bly Manor : « Nous ne sommes pas face à une adaptation de la nouvelle de James, sinon devant une adaptation d’adaptations, ou adaptation généalogique 6. » En réalité, bien que la série Netflix soit basée sur The Turn of the Screw, elle emprunte également des éléments à d’autres adaptations de la nouvelle et à l’horreur dans son ensemble, comme c’est le cas pour le nom de famille de la jeune fille au pair « Clayton » qui fait sans doute référence au réalisateur de The Innocents (1961), Jack Clayton 7. Gagliardi 8 pense d’ailleurs que les versions postérieures à The Innocents se doivent de proposer leur propre poétique face à la nouvelle de James, puisqu’il juge le film de Clayton emblématique. Il assure que tout travail critique et toute adaptation artistique de la nouvelle est une proposition de lecture. Ainsi, en prenant en compte l’architextualité de The Haunting et la proposition de lecture de Flanagan, cet article va chercher à comprendre non pas ce qu’il reste à expliciter de l’œuvre de James, mais à quelles fins sont utilisées les dynamiques et esthétiques horrifiques dans cette série en streaming.

La trame de The Haunting of Bly Manor est la suivante : l’action se situe en Angleterre en 1987. Dani Clayton, jeune institutrice étatsunienne, est embauchée en tant que jeune fille au pair pour prendre soin de deux enfants, Flora et Miles Wingrave. Elle se rend donc au manoir de Bly, dans la campagne anglaise, pour s’occuper d’eux. Dani a souffert de la perte de son fiancé, Edmund, et bride son homosexualité par culpabilité. Elle tombe amoureuse de Jamie, la jardinière de Bly, et le spectateur est témoin de sa libération sexuelle au fil du récit. Il y a également d’autres intrigues enchevêtrées au sein de The Haunting. Le manoir de Bly est hanté par la femme du lac et la plupart des anciens habitants du manoir, Mrs Grose n’habite les lieux qu’en esprit et les enfants sont possédés. En outre, les apparences du nouveau lieu où se trouve Dani sont trompeuses.

The Haunting propose une histoire empreinte d’amours entremêlés et de hauntings. Le titre de la série est bien choisi puisque le terme haunting est double : les esprits des personnages sont aussi hantés que le domaine de Bly. Ronan Ludot-Vlasak indique qu’il est intéressant de se pencher sur les possibilités interprétatives et représentatives que proposent les adaptations. Selon lui, les séries possèdent une « puissance profanatrice 9. » En d’autres termes, elles ont la capacité de contester la littérature canonique. Il précise que sortir de « la sphère des belles lettres » pour faire de la culture de masse un champ académique à part entière revient à « se livrer à une sorte de profanation critique ». Cette recherche va donc interroger trois axes principaux de la série : tout d’abord, la façon dont les tropes horrifiques sont exploités et renversés pour renforcer leur effet ensorcelant ; puis, les attributs et conditions qui font de l’horreur un genre si enivrant et irrésistible, tels que les situations à suspense ou les révélations progressives ; enfin, la dimension pop culturelle de l’œuvre. Cette dernière partie abordera notamment les questions du post-modernisme et du féminisme de la série de Flanagan. Si le titre The Turn of the Screw signifie une mauvaise situation qui empire, cet article va chercher à prouver qu’à l’inverse, l’enivrement horrifique et l’intersectionnalité de The Haunting of Bly Manor révèlent que l’horreur devient de plus en plus inclusive.

 

Allier horreur et beauté

Assigner un genre à The Haunting – tout comme à l’œuvre de James – pose problème puisque la série utilise des tropes gothiques, horrifiques et fantastiques. Il convient de distinguer l’horreur du gothique, le gothique étant un sous-genre précis de l’horreur. La définition que Catherine Spooner en donne souligne justement le caractère gothique de la série : « les morts-vivants, les malédictions anciennes, les systèmes de croyances démodés, les hauntings, le trauma – tous sont au centre du récit gothique 10. » De plus, Dale Bailey explique que l’espace dans le gothique joue un rôle primordial : « la centralité du cadre scénique – cette atmosphère lugubre et corrompue qui adhère à l’abbaye ou au château en ruine dans le roman gothique. Dans très peu d’autres genres le décor joue un rôle aussi fondamental 11. » Le décor gothique a évolué depuis le château obscur d’Horace Walpole 12, mais le trope du lieu de vie hanté reste essentiel au genre. D’ailleurs, selon Bailey 13, le gothique américain emprunte les conventions gothiques établies en Europe. Ainsi, The Fall of the House of Usher d’Edgar Allan Poe – qui dépeint une maison morne douée de sensation – s’inscrit dans la continuité du genre gothique. Il en va de même pour The Turn of the Screw et le manoir hanté de Bly. Puisque la série de Flanagan utilise des tropes gothiques et plus largement horrifiques pour les insérer dans un processus d’inclusion intersectionnel, il est possible de l’associer à l’horreur gothique contemporaine. De ce fait, cet article qualifiera la série à la fois de gothique et d’horrifique.

Stephen Prince semble croire que les caractéristiques monstrueuses et épouvantables de l’horreur servent à montrer au spectateur la réalité du monde qui l’entoure :

 

Nous habitons aujourd’hui une culture de la peur, qui trouve des menaces de pourriture et de déconstruction à chaque tournant, le film d’horreur offre une confirmation du « zeitgeist 14 ». Il nous dit que notre croyance en la sécurité est une illusion, que les monstres sont tout autour de nous, et que nous, les habitants de ce cauchemar collectif, ne sommes qu’autant de morceaux de chair attendant l’abattage. Alors que cela présente un portrait obscur, en effet, le grand paradoxe du genre est que cela est transformé en une expérience agréable pour les spectateurs, ou du moins pour ceux qui regardent régulièrement ces films  15.

 

Selon Prince, l’objectif de l’horreur n’est donc pas de terrifier mais plutôt de révéler l’horreur cachée de façon esthétique. Pour Colin Odell et Michelle LeBlanc l’horreur vise un second but : « confronter les peurs primordiales dans un environnement sécurisé, préparer les individus pour un monde cruel et offrir au spectateur une source moralisante et précautionneuse de façon ludique 16. » Les fictions horrifiques seraient des constructions en trois actes : la première étape instaure un ordre, ensuite la trame invoque le chaos qui vient bouleverser l’ordre établi, puis vers la fin du film ou de la série a lieu une reconstruction. En cela, The Haunting of Bly Manor est un parangon de l’horreur. La série de Flanagan propose ce même échafaudage horrifique tripartite. La série est divisée en trois « sections » : l’arrivée harmonieuse de Dani à Bly, le retournement de situation tragique de sa découverte du paranormal et la résolution du mystère avec un dénouement dramatique. Par ailleurs, la partition de la série en épisodes lui confère un rythme narratif plus lent qui influence les événements. Par exemple, il n’y a pas un mais plusieurs retournements de situation et un seul retournement de situation peut durer plusieurs épisodes – comme pour la révélation de la mort d’Hannah. La série de Flanagan s’appuie donc bien sur cette narration en trois temps mais possède un tempo proprement sériel. Odell et LeBlanc constatent également une optimisation des prologues et épilogues dans l’horreur. Par exemple, une mise en abyme sert de prologue et d’épilogue à la série qui elle-même englobe plusieurs récits. Cette structure narrative permet la création d’un environnement clos dont l’agencement méthodique sert de pied-à-terre à la représentation d’horreurs. Cette structure s’appelle également récit-cadre – un récit qui en englobe plusieurs autres – et fait écho à d’autres œuvres gothiques où les trames s’enchâssent, telle que Pauline d’Alexandre Dumas (1838).

Prince 17 observe également que bien que d’autres genres aient émergé dans le cinéma à la même période que l’horreur, ce dernier est un des seuls à avoir conservé sa popularité jusqu’à notre époque. Selon lui, l’horreur part d’un seul principe : le « unnatural », qui pourrait être traduit par « non naturel » ou bien « antinaturel ». Il explique que l’horreur réside dans la confrontation du réel à travers une violation des catégories ontologiques de l’être. Ainsi, pour lui, l’expérience de l’horreur se fait par le biais de catégories non-humaines, par l’apparition de fantômes et autres créatures qui reviennent pour hanter des sujets ordinaires. Jack Morgan 18 quant à lui place la trame de l’horreur dans la maison anormale. Il précise que ce ne sont pas les personnages de fiction d’horreur qui prennent possession des lieux mais bien les lieux horrifiques en question qui prennent possession d’eux. Pour The Haunting, la possession est on ne peut plus apparente puisque le domaine de Bly se révèle être un véritable puits gravitationnel qui emprisonne ses habitants tel un attrape-mouche. D’après Morgan, la littérature et le cinéma de l’horreur se servent abondamment de ce trope de la maison havre de paix devenue véritable lieu de carnage. Barry Curtis indique qu’explorer le trope de la maison hantée implique « une sorte d’archéologie, le dévoilement d’une narration occluse […] La sécurité et la familiarité des maisons invite à la contemplation de scénarios sinistres compensatoires d’intrusion et de menace 19. »

Cette pensée rejoint le terme allemand « Unheimlich » qui désigne l’inquiétante étrangeté du foyer devenu un lieu inhospitalier. Morgan explique que cette inhospitalité n’est révélée que lorsque le lieu hanté ne parvient plus à feindre la civilité. Par exemple, ce n’est que la nuit, dans l’obscurité, que les fantômes osent se montrer. L’obscurité est donc souvent nécessaire à l’environnement horrifique pour que les personnages reconnaissent enfin le danger qui y rode. Dans l’épisode 1, « The Great Good Place », la voix off 20 explique que la nuit, le domaine semble plus grand et vide, comme s’il demandait à être exploré. Morgan 21 précise donc que la rhétorique de l’horreur exploite l’anxiété des spectateurs qui perdent leurs repères la nuit tombée. Si les spectateurs connaissaient le degré de danger de l’espace qu’ils habitent dès le début, la peur serait diminuée. La réclusion du domaine – qui est signalée dès le premier épisode – vient également appuyer son inhospitalité. Alors que dans l’œuvre de James des servants sont présents au manoir, dans la série il n’y a que le cuisinier, la gouvernante et la jardinière, ce qui accentue l’isolement de Bly. De plus, dans The Turn of the Screw, James cache l’horreur cauchemardesque de Bly en désorientant ses lecteurs. Il use de conversations évasives ou à double sens et de descriptions chargées d’allusions pour les perdre et les éloigner de l’horreur sous-jacente à l’intrigue 22. Restant fidèle sur ce point à l’œuvre de James, la série de Flanagan commence par exhiber une façade inoffensive pour laisser peu à peu apparaître des phénomènes étranges, comme le comportement insolite et déconcertant des enfants 23 qui parlent parfois comme des adultes.

Un autre trait proprement horrifique se devine dans l’anti-chronologie. Françoise Grellet 24 affirme qu’un univers qui est vu comme fragmenté, éphémère ou insensé ne peut pas être représenté par une œuvre d’art ordonnée. C’est-à-dire qu’une fiction horrifique, dont la surnaturalité rompt avec la réalité, aura plus d’impact si son irréalité est soulignée par une perturbation chronologique, par une absence d’ordre. Par exemple, dans la série, Mrs Grose semble ne pas être entièrement présente dans la réalité. On la voit souvent perdue dans ses pensées, regardant au loin, ou bien encore disparaissant d’un plan à un autre sans explication. Elle ne mange pas et ne boit pas non plus. Ces indices nous font comprendre qu’elle n’habite plus le monde mais bien qu’elle le hante. Dans l’épisode 5, « The Altar of the Dead », il est finalement révélé qu’elle est bloquée dans une sorte de limbe, « une boucle de souvenirs 25 » comme l’appelle Gagliardi, due à la malédiction qui pèse sur le manoir. Pendant tout l’épisode les spectateurs sont confrontés à un enchaînement de scènes passées et présentes, un mélange de souvenirs et de réalité. Les nombreuses analepses ne sont plus des flashbacks puisque les souvenirs sont répétés et modifiés. Toujours selon Gagliardi, la syntaxe visuelle de l’épisode montre un effacement des distances entre différents souvenirs figés, ainsi qu’entre les bribes de souvenirs et les projections d’Hannah dans la réalité, projections qu’on pourrait qualifier d’astrales. Tandis que dans The Turn of the Screw on ne savait pas vraiment si les fantômes existaient, dans cette dernière adaptation le spectateur ne distingue plus les fantômes des vivants, surtout dans le cas d’Hannah qui n’a pas encore assimilé sa mort et reste partiellement présente dans le monde réel. Dans les termes de Gagliardi, Hannah fait face à un nouveau trouble, celui de « l’incapacité de contrôler sa propre narration 26 ». La saison 1 de la série American Horror Story de Ryan Murphy et Brad Falchuk (2011) joue avec ce même motif d’enchâssements temporels.

De plus, la double mise en abyme dans la série est marquante : l’intrigue de Bly s’inscrit dans une série, The Haunting of Bly Manor, dans laquelle Jamie raconte une histoire de fantômes la veille du mariage de Flora. Par ailleurs, dans l’intrigue du récit de Jamie, le spectateur a affaire à une autre mise en abyme à l’intérieur de cette mise en abyme englobante : dans l’épisode 3, « The Two Faces Part 1 », les enfants jouent une pièce de théâtre qu’ils appellent « l’histoire du soir ». Il semblerait donc que les différents récits enchâssés se répondent implicitement. La série comporte d’autres détails métafictionnels qui viennent atténuer le degré d’horreur : par exemple, dans l’épisode 6, « The Jolly Corner », Henry recommande à Flora d’inventer des histoires aux fantômes qu’elle croise pour ne plus en avoir peur. Ainsi, il semble encourager Flora à construire ses propres histoires, à contextualiser son environnement horrifique.

D’après William Hildebrand, ces horreurs sont un élément essentiel de la beauté. Il cite à ce propos Mary Shelley, qui célébrait « le charme orageux de la terreur 27 ». En d’autres termes, l’association de la beauté et de l’horreur est inattendue et, de ce fait, quelque peu houleuse. Fred Botting rattache l’horreur esthétisée au sublime : « Dans le domaine expansif ouvert par le sublime toutes sortes d’objets imaginatifs et de peurs situés dans ou en dehors de la nature pouvaient proliférer dans une profusion merveilleuse de surnaturel et de ridicule, de magique et de cauchemardesque, de fantastique et d’absurde 28. » Selon lui, l’association de l’horreur et de la beauté semble naître d’oppositions fabuleuses qui s’allient de façon à la fois esthétique et glauque. Par exemple, dans l’épisode 1, « The Great Good Place », quand Dani sort dehors la nuit et se retourne pour regarder le manoir, la caméra filme en contre-plongée alors qu’elle lève les yeux vers la demeure. Les enfants sont chacun à leur fenêtre et la lumière émanant de la pièce donne l’illusion d’un regard. Il semblerait presque que le manoir regarde Dani de haut. Curtis 29 cite justement le visuel anthropomorphique des façades de maisons hantées comme un trope gothique classique pour souligner le haunting des lieux. De nombreux films et séries d’horreur utilisent ce trope, comme Monster House de Gil Kenan (2006). D’autres plans contribuent à l’ambivalence de cette esthétique. Par exemple, lors de l’épisode 4, « The Way It Came », alors que les spectateurs sont face à un autre flashback, Dani se tient immobile aux funérailles de son fiancé Edmund. Le plan rapproché sur sa poitrine sert à la fois à capturer ses sentiments de façon poignante et à mettre l’emphase sur l’apparition du fantôme d’Edmund derrière elle. Ce plan favorise l’interaction entre l’actrice et la caméra, ce qui donne l’impression que Dani regarde le public, comme s’il était lui aussi une apparition. De même, dans l’épisode 9, « The Beast in the Jungle », lorsque Dani et Jamie quittent finalement le manoir, il y a un zoom out alors que la voiture prend la route. À travers la vitre arrière de la voiture, la caméra montre Bly qui semble s’éloigner de plus en plus. Ce plan confère à la scène une coloration dramatique et éthérée. Karen Hollinger 30 pense que le rythme filmique contribue considérablement à la représentation paradoxale et au fétichisme de l’horreur liée à la beauté. Selon elle, le mouvement entre présence et absence qu’effectuent les fantômes dans les films d’horreur est un point clé de cette dynamique oxymorique. Cela est tout aussi vrai pour le rythme sériel de The Haunting qui joue avec ces mêmes mouvements, comme les disparitions soudaines d’Hannah ou les apparitions spontanées de la femme du lac. D’autre part, ce ne sont pas seulement les fantômes qui bénéficient du mouvement spectral mais également les points de vue. Par exemple, dans le dernier épisode, lors du mariage de Flora, Jamie observe les invités et on voit une interférence, un échange, entre des représentations des aspects physiques passés et présents des personnages. On observe, par exemple, le Miles adulte redevenir enfant puis apparaître à nouveau adulte, en trois plans successifs. Ainsi, l’immuabilité physique du sujet vivant dans le présent est rendue immatérielle par la représentation du souvenir à l’écran.

Craig Lambert 31 affirme qu’il y a une réelle valeur stupéfiante dans l’horreur esthétisée. Les plans du manoir dans leur beauté ténébreuse, l’apparition touchante plus qu’horrifique de la main désincarnée de Dani sur l’épaule de Jamie dans le tout dernier plan de la série, ou encore le changement de couleur vairon des yeux de Miles et Dani lorsqu’ils sont possédés, sont des éléments à la fois inquiétants et fascinants. Selon Arnold Hauser 32, l’alternance d’éléments statiques et dynamiques et les changements chromatiques constituent des procédés impressionnistes 33. Dans l’épisode 9 de Bly Manor il y a un échange entre passé (en noir et blanc et plus statique) et présent (en couleur et plus dynamique). L’horreur esthétisée de The Haunting of Bly Manor pourrait donc sembler impressionniste. L’inversion est un autre élément important qui sert à transposer l’horreur de façon à l’esthétiser. Par exemple, dans l’épisode 3, Flora voit le fantôme de Rebecca Jessel (l’ancienne jeune fille au pair) en plein jour. Ici il y a un renversement du cliché qui unit apparition spectrale et obscurité. De plus, Rebecca est habillée en noir comme si elle incarnait les ténèbres, la lumière du jour soulignant l’irréalité de la situation. Dans The Turn of the Screw, Miss Jessel apparaît également de jour au chapitre 6 et cela fait l’effet d’un point culminant. Flanagan semble avoir pleinement conscience de l’effet perturbant de cette scène et il la recrée de façon tout aussi choquante à l’écran. Un autre procédé notable est l’esthétique du double dans l’épisode 6. Henry est hanté par ses erreurs passées et voit sa culpabilité s’extérioriser sous forme d’une représentation spectaculaire : il parle à son double qui semble incarner ses péchés. Des figures de style et procédés viennent également esthétiser l’horreur dans The Haunting de par leur aspect fantastique. Par exemple, la réduction microcosmique du manoir qui devient un lieu à part, séparé du monde réel. Cela rejoint la définition d’univers fictionnel de Jean-Pierre Esquenazi : « Un milieu de vie plus ou moins analogue à nos mondes réels, qui peut même se confondre avec un monde réel, auquel on ajoute un ensemble de personnages inventés et de situations attachées à ces personnage 34. » Ainsi, tout comme l’univers fictionnel nécessite une « homogénéité ontologique », le domaine de Bly crée ses propres règles et ne doit pas les enfreindre afin de demeurer un endroit symbolique où se construit la trame narrative indépendamment du monde extérieur, de façon « compossible ». La trans-contextualisation de la maison de poupée de Flora est un autre procédé notable. En temps normal une maison de poupée est un jouet inoffensif, mais ici elle devient un objet magique puisque cette maison contient des représentations des habitants de Bly, et lorsqu’une personne bouge dans le manoir, sa poupée semble bouger dans la maison de poupée également. Ce motif de la maison de poupée comme métaphore de la maison littérale et de la famille qui l’habite est un motif récurrent présent dans d’autres fictions d’horreur récentes telle qu’Hérédité d’Ari Aster (2018). The Haunting propose également une personnification dans l’épisode 2, « The Pupil », lorsque Flora dit que sa poupée ne se souvient pas de son nom, ainsi qu’une répétition : Miles offre le même bouquet de roses à Dani que Quint (l’ancien assistant d’Henry) avait offert à Rebecca. Casper Tybjerg voit dans cette utilisation de procédés stylistiques qui allient l’effrayant au fantastique un lien avec l’expressionisme 35. En effet, tout comme ce genre peut rendre l’irréel visible, The Haunting matérialise le surnaturel tout en l’esthétisant, de façon à créer une « réalité alternative 36 » proprement horrifique.

Un dernier symbole notable de la série est le chiffre 3. Dans The Haunting il y a un triple haunting : d’un côté les événements narrés par le biais d’un tiers qui présente la trame comme une histoire de fantômes ; d’un autre, l’héroïne semble être elle-même hantée par son passé ; et de surcroît, le manoir de Bly est un lieu fantomatique dont les habitants ne semblent que partiellement ancrés dans le monde réel. Il est donc question d’une accumulation de hauntings, mais cette trinité à la fois macabre et onirique ne s’arrête pas là. En effet, les rythmes ternaires sont nombreux dans The Haunting. Dans l’épisode 8, « The Romance of Certain Old Clothes », la voix off raconte que Viola, la femme du lac qui hante Bly depuis des siècles, « dormait, se réveillait et marchait », puis « dormait, oubliait, se réveillait ». Dans l’épisode 9, pour rompre le maléfice qui plane sur le domaine de Bly, c’est au tour de Dani de clamer un rythme ternaire : « c’est toi, c’est moi, c’est nous ». Le Dictionnaire des symboles définit le chiffre trois comme « un nombre fondamental […] le plus souvent doté d’un caractère magico-religieux 37. » Ainsi, le fait de répéter les rythmes ternaires rehausse le caractère lugubre, surnaturel et artistique de cette poétique de l’horreur qui habite la série, comme si ce tempo devenait un sortilège s’inscrivant dans un rituel.

Qui plus est, dans The Haunting les fantômes semblent empreints d’humanité, souvent le fruit de l’amour, du souvenir, et de la vie, plutôt que celui de l’horreur. Par exemple, on pourrait voir une forme « d’anti-horreur » dans la scène où Flora donne un visage au spectre du petit garçon mort sur le domaine du manoir. Le visage de poupée qui vient cacher celui du garçon devient un élément humanisant. A contrario, des sentiments peuvent devenir horrifiques. Par exemple, Edmund est mort après une dispute avec Dani. Par la suite, la culpabilité de Dani se manifeste en fantôme. De même, la colère de Viola la transforme en la femme du lac, sa haine devenant fantomatique. Les fantômes pourraient donc être des allégories de sentiments, comme la culpabilité de Dani, et la colère de Viola. Des sentiments dont les personnages ne veulent pas ou qu’ils renient reviennent sous une autre forme de façon incontrôlable. Cette esthétisation de sentiments refoulés fait partie du paradoxe du genre qui invoque beauté et horreur et que Curtis définit comme une des lectures classiques du haunting : « C’est un scénario établi des peurs enfantines, de nouveaux commencements timides, de drames d’héritage et du retour du refoulé. Le temps figé de la maison hantée continue de fasciner à une époque où les lieux que l’on habite concèdent des expériences plus fragmentées et plurielles  38. » Tout comme dans l’œuvre de James, il n’y a rien de particulièrement criard dans The Haunting, et rien n’est évident. The Haunting est captivante et contrôlée et donne des raisons aux fantômes d’exister. En attribuant des émotions fortes à la femme du lac, Miss Jessel, Quint et Mrs Grose, Flanagan transforme le fantôme en un symbole exutoire de sentiments. La série de Flanagan présente donc des thématiques tragiques, propres à l’horreur : l’amour, la mort et le chagrin. On les retrouve dans de nombreuses fictions horrifiques, comme Badabook de Jennifer Kent (2014), où l’horreur sert à explorer le travail de deuil.

Les sons et la musique jouent un rôle tout aussi important dans l’esthétisation de l’horreur. D’après L. Andrew Cooper 39, les sons fantomatiques sont enracinés dans l’horreur. Ces sons font partie du minimalisme sonore devenu populaire depuis la fin du XXe siècle : les superpositions de sons diffus, le piano en accompagnement, la résonance, ainsi que les sonorités puissantes au milieu de longs moments de silence font aujourd’hui partie intégrante du paysage sonore de l’horreur. The Haunting emploie également ces techniques. Dans le générique, par exemple, on entend des sons stridents, des notes de piano, des sonorités douces – à la fois mélancoliques et angoissantes – et une boîte à musique pour mettre le comble à cette ambiance terrifiante. Selon Philip Hayward 40, tandis que la musique accentue et amplifie habituellement différents genres – dans sa façon de créer de la tension et de choquer –, elle est un élément principalement associé à l’horreur. De plus, Cooper affirme que des sons distinctifs habitent l’horreur. Dans Bly Manor, les fredonnements de Flora, les grincements de portes et les grésillements jouent un rôle important dans l’art sonore horrifique de la série et font partie des éléments sonores principaux de l’horreur. La voix off, le commentaire « parfaitement splendide » que Flora répète et les focalisations sur certains bruits, comme les gouttes d’eau du robinet dans l’épisode 1, créent une ambiance sinistre qui épaississent le silence et suscitent l’angoisse. D’ailleurs, l’absence de son contribue également à la dynamique sonore de l’horreur. Ross J. Fenimore 41 établit que la musique crée de la tension, qu’elle efface les barrières de la réalité et du surnaturel. Peu importe que l’on entende vraiment quelque chose ou que l’on croit l’avoir entendu, tout entre en jeu dans le langage sonore de l’horreur. Cependant, la dynamique lugubre est parfois rompue par un flashback, comme c’est le cas dans l’épisode 3, où la chanson Tainted Love de Soft Cell vient perturber le silence du domaine de Bly et dissiper ses ténèbres. Ces changements abrupts et surprenants font eux aussi partie de la poétique de la série.

 

Binge watching, suspense et identification

L’ère du streaming est singulière pour de nombreuses raisons. Parmi elles se trouve le binge watching. Azza Abdel-Azim Mohamed Ahmed 42 explique que ce processus date des années 1980, lorsque les chaînes de télévision étatsuniennes commencèrent à rediffuser des épisodes de séries à la façon d’un marathon. Cet article va exposer les différents procédés des séries horrifiques qui induisent une dépendance encore plus forte, une envie de regarder frénétiquement. R. L. Kolotkin 43 affirme que le but du binge est de ressentir de la joie, une sorte de bonheur médiatiquement induit. Le binge peut également permettre une alliance entre commodité et contrôle sur sa consommation sérielle. Dans le cas de Bly Manor, la possibilité de ne pas avoir à attendre une semaine pour chaque épisode est finalement presque nécessaire. Le binge-watching – et le fait que Netflix sorte bien souvent des saisons d’un seul bloc – permet à The Haunting de bénéficier d’une « augmentation » du rêve éveillé, soit la possibilité pour les spectateurs de se plonger entièrement dans un univers singulier, ici sombre et hanté. C’est ce que Gabrielle Trépanier-Jobin et Alexane Couturier appellent « l’immersion fictionnelle 44 » l’état psychologique qui donne une « illusion de réalisme » à un univers fictionnel, sature les sens et octroie aux spectateurs un « sentiment de présence dans un univers diégétique ». De plus, la série est pleine de détails qui invitent à la concentration pour les détecter, les comprendre et les assimiler. Alors, comme se le demande Sarah Hatchuel, les séries télévisées seraient-elles devenues « le nouveau site du rêve 45 » ? Benjamin Campion appelle ce type de visualisation une « expérience spectatorielle augmentée 46 ». Il utilise la métaphore de l’apnée pour illustrer la façon dont les spectateurs peuvent parfois se plonger dans « l’océan fictionnel » d’une série. Dans The Haunting, cette « hypernovélisation » dont parle Campion est bien présente : le besoin de tourner la dernière page d’un livre, et pour la série, l’envie presque obsessionnelle de connaître le dénouement télévisuel. Cela peut être en soi horrifique et l’aspect apnéique qui fait regarder une série à s’en noyer est proprement effroyable. Alors que l’attente rendrait probablement la série addictive d’une façon différente, ne pas attendre est également un élément important puisqu’il y a un réel phénomène d’absorption. Cela n’empêche pas The Haunting d’avoir des cliffhangers, sans parler du fait que tout le monde ne binge pas les séries sur Netflix. The Haunting prend par exemple en compte les spectateurs qui ne regarderaient pas les épisodes les uns à la suite des autres en proposant des résumés en début d’épisode, comme dans l’épisode 3 où la fin de l’épisode 2 est ré-utilisée de façon à obtenir une transition plus solide. Pour en revenir aux cliffhangers, à la fin de l’épisode 7, « The Two Faces Part 2 », on voit Dani se faire étrangler par la femme du lac. Alors que l’épisode se conclut sur ce cliffhanger, l’épisode suivant repousse l’aboutissement à l’épisode 9. Le spectateur se retrouve donc face à un épisode flashback qui à la fois contextualise le personnage de la femme du lac – et donc satisfait la curiosité du spectateur face à ce fantôme – et prolonge également le suspense de façon obsédante. Qui plus est, l’épisode 8 commence comme il finit, avec un rappel du cliffhanger de l’épisode 7, cette répétition jouant le rôle d’un teaser, comme si Flanagan s’amusait avec ses spectateurs, les faisant attendre davantage.

Tudor Oltean 47 voit les séries comme des menottes qui enchaînent l’audience à un processus de narration séquentiel. En effet, il conçoit la structure même des séries comme addictive puisqu’elle permet de garder l’attention de l’audience en allongeant la trame sur plusieurs épisodes. La sérialité permettrait donc de capter et de maintenir l’attention des spectateurs sur la durée grâce à des techniques de séduction. Par exemple, dans la série de Flanagan on découvre de nouveaux éléments à chaque épisode de façon à garder les spectateurs alertes. Ainsi, on doit attendre l’épisode 6 pour découvrir qu’un fantôme d’enfant habite le manoir. De la même façon, les nombreux flashbacks servent à donner des explications sur le passé des personnages. D’ailleurs, la découverte de leurs motivations et des raisons qui se cachent derrière leurs troubles – comme le refus premier de l’amour chez Dani, ou le désir de richesse de Quint – nourrit également l’attente du public. Flanagan utilise l’enchâssement d’histoires dans The Haunting pour faire patienter ses spectateurs et graduellement révéler les différentes couches contextuelles des personnages. Gagliardi 48 estime que ce dédoublement des trames narratives est dû à une « angoisse des influences ». C’est-à-dire qu’il distingue dans la sérialité une nécessité de remplissage, de gonflement de la production épisodique, afin de se distinguer des adaptations antérieures. De ce fait, « certains indices de la nouvelle se transforment en sous-trames complètes qui durent plusieurs épisodes et qui en plus, s’ajoutent aux éléments extraits de la nouvelle 49. » C’est ce que Jean-Pierre Esquenazi appelle un tissage d’arcs narratifs, ou montage de récits, qui permet à la fois de densifier la narration sérielle et de créer « un écheveau de temps historiques variés 50 ». Par exemple, l’évasion de Dani du manoir de Bly et sa possession par la femme du lac n’étaient pas présents dans The Turn of the Screw, ni la femme du lac en elle-même. Ces éléments offrent à Flanagan un outil de prise sur son public. Gagliardi précise que la sérialité n’est pas adepte des « cabos sueltos », soit des « points laissés en suspens ». C’est pourquoi, contrairement à l’œuvre de James – que James a lui-même qualifiée de « jeu d’esprit 51 » ayant pour but de perdre les lecteurs –, The Haunting propose des résolutions pour toutes ses intrigues. La série appelle, en plus du binge, à être revue. Effectivement, alors qu’un spectateur a terminé la série, il peut avoir l’impression d’avoir raté un ou plusieurs éléments de compréhension. Par exemple, dans l’épisode 3, Miles dit avoir fait un rêve où il faisait du mal à Mrs Grose, elle lui répond qu’il ne lui ferait jamais de mal, mais on apprend plus tard qu’il l’a tuée lorsqu’il était possédé par Quint. Le public ne remarque ou ne se souvient de ces détails qu’en revoyant la série. La mise en récit sériel, tout comme l’horreur esthétisée, a donc pour but de captiver le public.

Cependant, pourquoi aimons-nous voir l’horreur esthétisée à l’écran, pourquoi est-elle si addictive ? Cooper 52 dit ne pas pouvoir expliquer pourquoi il a si tôt été attiré par le côté macabre de la pop culture, d’autant plus qu’il n’est pas le seul. Pour Elizabeth Durot-Boucé 53, c’est la peur qui « exerce un pouvoir irrésistible sur l’esprit humain : les histoires d’horreur procurent un plaisir terrible. Le conte terrifiant fait appel à un instinct profondément enraciné chez l’homme, une pulsion irrésistible et inexplicable qui nous attire vers le macabre. » Dans son célèbre ouvrage intitulé Anatomie de l’Horreur (1981), Stephen King évoque cet instinct – qui pour lui a surtout trait à l’imagination de chacun – de façon humoristique : « Ceux d’entre nous qui ressentent profondément la peur (et qui voient en plus noir) sont peut-être malades du bulbe, mais au moins ils sont vivants. Et courageux, aussi, parce qu’ils persistent à avancer en dépit de toutes les tuiles qui peuvent leur tomber sur la tête 54. » Tel est le paradoxe de la peur selon Julian Hanic : « J’ai peur, donc je prends plaisir 55. » La fiction horrifique peut « colorer la teinte expérimentale des spectateurs en différentes nuances de peur, plus notablement la terreur, le choc, l’appréhension, et l’horreur 56. » Plus un spectateur se laisse happer par une série d’horreur, plus il en ressentira ses effets. Ainsi, selon Julian Hanic, l’association du sujet à la fiction est un choix, les spectateurs doivent suspendre leur incrédulité. Il affirme que ce sont la peur et la fascination qui immergent les spectateurs dans les séries horrifiques : « Alors qu’avec des types effrayants de suspense comme la terreur ou l’angoisse j’ai peur, dans une scène à suspense non-effrayante je suis simplement captivé 57. » Dans The Haunting, le spectateur peut à la fois être victime et complice d’une scène à suspense angoissante. Avant même qu’une scène angoissante ne commence, la série révèle des indices et informe directement de l’action horrifique qui va suivre, ce qui a presque l’effet d’un spoiler. Par exemple, un indice proleptique est donné par Flora sur la mort d’Hannah à l’épisode 4. Elle dit à Mrs Grose avant que cette dernière ne comprenne qu’elle est morte : « Et si j’étais déjà morte et que personne ne savait que j’errais morte dans la maison mais que tout le monde pouvait m’entendre et me voir. » Flora nous renseigne donc sur ce qui va suivre. De même, lorsque Dani sort de sa chambre dans l’épisode 1, la caméra fait un plan figé sur le couloir long et obscur qui mène aux escaliers. Le spectateur s’attend à voir un spectre en sortir. Lorsqu’elle se retrouve dans la cuisine quelques secondes plus tard, la caméra fait un plan américain sur Dani respirant fort. Cette focalisation augmente l’appréhension et donne la possibilité au spectateur de vivre la peur de Dani par procuration. La pression atteint son maximum lorsque la scène conclut son crescendo sur le bruit strident de la bouilloire. Le sursaut induit par cette scène est précisément horrifique, tout comme l’est le silence qu’elle requiert. Les scènes d’appréhension abondent dans la série et maintiennent le public en état d’alerte puisqu’il ne sait jamais quand une scène angoissante va devenir une scène d’horreur. Tout cela participe au haunting de la série. L’anticipation est souvent même plus effrayante que la scène d’horreur en elle-même. Ainsi, comme l’affirment Odell et LeBlanc 58, l’horreur a un langage propre et unique, que les spectateurs doivent apprendre à lire.

Du point de vue narratif, le suspense joue dans ce que Hanic appelle le « alone-in-the-dark scenario  59 », en d’autres termes les moments où Dani se retrouve seule plongée dans le noir. Lorsqu’un personnage se retrouve dans cet état vulnérable, le public a tendance à croire que quelque chose de terrible va arriver. Dans The Haunting, Flanagan joue beaucoup avec ce procédé puisque Dani sort seule plusieurs fois, mais elle ne finit par croiser et se faire étrangler par la femme du lac qu’à l’épisode 7. C’est justement ce niveau de contenu narratif, ce procédé d’anticipation, qui est le prérequis principal et l’un des traits les plus addictifs de l’horreur, rendant le public captif de la série. De plus, le public semble être implicitement convié à un jeu qui consiste repérer les fantômes quand il y en a – comme dans l’épisode 2 lorsque Dani descend à la cave et qu’une tête de poupée bouge en arrière-plan. Cette pseudo-chasse au trésor donne non seulement envie de trouver les easter eggs 60 cachés, mais sert aussi à garder éveillée l’attention du public. Les silhouettes qui bougent dans l’obscurité et les fantômes suggérés rendent The Haunting aussi effrayant que ludique. Miles avait évoqué plusieurs fois sa recherche d’une clé. Cette clé est en fait une métaphore formulée par Quint. Selon lui, chaque personne est comme une porte dont il faut trouver la clé lui correspondant pour la comprendre. Les spectateurs de cette série, quant à eux, recherchent la clé de la série. Il faut essayer plusieurs clés avant de trouver la bonne, et donc émettre plusieurs hypothèses expliquant les raisons du haunting de Bly, le caractère humain ou fantomatique de chaque personnage ainsi que leur passé.

Morgan 61 ajoute qu’une atmosphère anxiogène continue peut avoir plus d’effet sur les spectateurs qu’une scène gore. Révéler graduellement les objets et sujets horrifiques au public est plus ludique et crée une ambiance incommodante qui propage la crainte. Coyle 62 dit même que tous les films d’horreur usent de ces techniques de suspense pour créer de la tension et attiser l’attention du public. Elle précise que l’acte horrifique délivré suite à une scène de suspense a plus d’impact. Par exemple, après avoir vu Mrs Grose pendant la moitié de la série, le spectateur peut être profondément choqué de découvrir qu’elle est en fait morte depuis le début. Tout comme Dani, le spectateur accède à la vérité petit à petit, et cette élucidation de mystères est très divertissante. Les traces de pas dans le couloir, les appels téléphoniques sans réponse au bout du fil, les fissures que Mrs Grose observe sur les murs, le visage d’Edmund que Dani voit reflété partout, les apparitions de Peter Quint, l’aile interdite du manoir, tout cela sert à alimenter la paranoïa du public et à nourrir sa curiosité. Un exemple plus clair se présente à l’épisode 4, avec un zoom in sur une dalle dans la chapelle du domaine. Sur cette dalle est inscrit le nom « Viola Lloyd ». L’arrêt sur images indique au public qu’il y a là un élément à creuser. Robert B. Heilman 63 confirme que la seule façon de faire croire en l’existence de fantômes est de présenter des fantômes indéfinis, suggérés à l’imagination du public. Ainsi, tout comme les personnages hantés de Bly Manor, les spectateurs sont hantés à leur tour par ces mystères durant leur visionnage, puis parfois longtemps après par le souvenir de cette immersion fictionnelle.

Pour finir, Noël Carrol 64 liste les différentes raisons qui poussent les spectateurs à s’identifier aux personnages de fiction : aimer le protagoniste, reconnaître en ses circonstances des similarités avec les nôtres, partager ses idéaux, sentiments, ou intérêts, être plongé dans le point de vue du/de la protagoniste et avoir les mêmes principes. Jane Stadler 65 ajoute que la sympathie envers des personnages fictifs implique également une compréhension plus profonde, comme un partage des difficultés entre personnages et spectateurs. Par exemple, la difficulté de Dani à exprimer sa sexualité peut être comprise par beaucoup de jeunes LGBTQ2S+. Durot-Boucé 66 va encore plus loin et voit l’horreur comme un réel exutoire « permettant de mettre en scène la transgression des tabous moraux et sexuels. » Stephen King voit lui aussi dans l’horreur un « baromètre pour montrer les problèmes de la société 67. » La sexualité de Dani entre dans ce genre de questionnement. Voir des personnages lutter pour leurs idéaux et pour leur bien-être à l’écran peut encourager les spectateurs à faire de même, ou simplement les rassurer. Ainsi, comme l’expriment Odell et LeBlanc, l’horreur offre de véritables résultats cathartiques après visualisation. Ils expliquent que l’horreur a le potentiel de faire des spectateurs des « victimes de substitution 68 » lorsqu’ils compatissent avec un personnage au point de s’y identifier, mais qu’après avoir vécu cette expérience saisissante, ils en ressortent indemnes. Ainsi, les spectateurs regarderaient une série comme The Haunting of Bly Manor et s’autoriseraient à ressentir de l’empathie envers les personnages afin de se débarrasser de leurs sentiments négatifs. Stadler 69 constate justement que ce sont les représentations choquantes présentes dans l’horreur – comme le deuil que l’horreur explore beaucoup – qui créent ce type si profond d’identification. Stephen King voit lui aussi l’horreur comme « une soupape de sécurité […] une sorte de rêve éveillé 70 » qui « permet de relâcher la pression ».

 

Puissance féminine et amour lesbien

L’intérêt des séries télévisées et leur force se trouvent prioritairement dans leur capacité de formation morale et d’appropriation de la réalité. Elles partagent cela avec d’autres formes de la culture populaire contemporaine – qu’elles intègrent voracement, BD, musique, jeux vidéo, roman policier… Elles sont des outils de démocratisation, pas au sens seulement de large mise à disposition d’émissions, mais de développement des capacités politiques de chacun  71.

 

Selon Sandra Laugier, les séries donnent la possibilité au public de remettre en question la société tout comme la morale humaine. Elle fonde ses recherches sur la conception du cinéma de Stanley Cavell. Ce dernier avait pour ambition de « proposer un changement de perspective – qu’il appelle parfois révolution – sur le cinéma et la culture populaire en général 72 ». Laugier argue qu’il faut réellement prendre au sérieux le cinéma populaire et le monde télévisuel car ils touchent une grande partie de la population et abordent des sujets très actuels. Il en va de même pour la culture de masse dans son ensemble qui est susceptible de toucher une plus grande partie de la population. Isabel Cristina Pinedo 73, quant à elle, se concentre sur l’horreur post-moderne. Elle explique que plus encore que l’horreur moderne, l’horreur post-moderne efface les limites entre l’art et la culture de masse, ou culture populaire. David Harvey 74 affirme que le post-modernisme cultive la création d’œuvres aux concepts superposés, d’œuvres « collages ». Si l’on prend ces deux points de vue en considération, alors la série de Flanagan ne peut qu’apparaître post-moderne. D’une part, The Haunting est inspirée de nombreuses adaptations de la nouvelle de James, et de cette dernière en elle-même, ce qui donne une œuvre palimpseste. D’autre part, le tissu narratif de la série propose un mélange d’intrigues, chacune avec ses propres revendications implicites comme l’indépendance féminine et l’amour lesbien. De plus, dans l’horreur post-moderne le bien triomphe rarement sur le mal 75, ou alors la figure du monstre est difficilement réductible à une figure purement maligne – sauf dans le cas de certains films plus traditionnels comme la saga The Warren Files (2013-2021). Effectivement, dans The Haunting, bien que la femme du lac ait tué beaucoup de personnes, l’épisode 8 (flashback de sa vie passée) nous fait comprendre ses motivations et la « dé-monstrifie ».

Qui plus est, les structures occidentales et patriarcales, et leurs notions de blancheur, de supériorité masculine et de norme hétérosexuelle, sont souvent questionnées par des critiques post-modernes. Par exemple, l’autrice Gwendolyn Audrey Foster dans son livre Performing Whiteness : Postmodern Re/Constructions in the Cinema cherche à « rendre la notion de blancheur étrange en étudiant la représentation de la blancheur dans les films et autres médias 76. » Elle explique que la notion de blancheur est remise en question par le post-modernisme qui « reconfigure l’identité comme une performance qui est en elle-même fracturée, instable et mutable 77. » Des œuvres comme le film Get Out de Jordan Peele (2017) et la série Them de Little Marvin (2021) proposent une vision macabre du racisme systémique et contestent la notion de blancheur. Elle considère également l’hétérosexualité et l’homosexualité comme des concepts sociaux fragiles 78. Craig Owens précise que le féminisme et le post-modernism ont un but commun : « Tous deux présentent des critiques des formes de narration et de représentation qui placent l’homme comme sujet 79. » C’est le cas du film Titane de Julia Ducournau (2021) qui questionne le paradigme du genre de façon violente et abjecte. De quelle façon la série de Flanagan remet-elle en cause la société patriarcale et son hétéronormativité ? The Haunting of Bly Manor inclut des personnages féminins forts et émancipés, des personnages de couleur et un amour lesbien. Mike Flanagan semble adopter un regard féminin, sinon queer, dans sa série. Dans les termes d’Iris Brey, « ce qui différencie le plus le male gaze du female gaze, c’est bien le basculement d’un regard produit par l’inconscient patriarcal vers un regard créé de manière consciente 80. » En effet, les aspects horrifiques de la série sont toujours au service du récit de façon cohérente, ce qui souligne l’intention de Flanagan. Par exemple, si la femme du lac fait du mal à Dani c’est parce qu’elle se trouve sur son chemin – c’est d’ailleurs ce qui déclenche la chute du récit – ; et si Quint tue Mrs. Grose, c’est parce qu’elle a découvert qu’il possédait Miles. Ainsi, les personnages féminins ne souffrent que si cela fait avancer la trame. De plus, The Haunting représente un amour lesbien et une héroïne émancipée de façon antipatriarcale à l’écran. Il serait excessif de qualifier la série de série de genre, mais il reste possible d’associer The Haunting au female gaze qui selon Brey nous aide à « voir et à regarder en dehors du modèle dominant 81. »

Dans The Turn of the Screw, la protagoniste est déjà relativement forte 82, bien que le lecteur comme les autres personnages de l’histoire aient du mal à croire aux fantômes qu’elle dit voir. En revanche, dans The Haunting, elle est beaucoup plus courageuse et sexuellement libérée. Des personnages secondaires féminins tels que Miss Jessel et Mrs Grose deviennent également bien plus complexes. Selon Steven Gerald 83, l’évolution du personnage féminin dans le cinéma d’horreur est en partie due à l’accroissement du public féminin, mais Marta F. Suarez y voit une évolution logique dans notre monde contemporain. Elle explique que les représentations de genre sont en train de subir un processus de transformation : « Le spectre de la féminité et de la masculinité stéréotypiques (quoiqu’il soit présenté comme inadéquat), à la fois évolue en transgressant la caractérisation essentialiste, en s’éloignant des archétypes […] et en donnant des qualités habituellement attribuées à l’autre sexe 84. »

Isabella van Elferen précise que « la nostalgie et la transgression sont deux aspects d’apparence opposés pourtant inséparables de la réécriture du gothique puisque tous deux sont définis par le désir de recréer des histoires, des situations ou des identifications 85. » D’après elle, lorsqu’il y a réécriture il y a transgression, et de nouvelles possibilités d’identification s’offrent au public. Le personnage de Dani dans The Haunting semble représenter cette transgression et créer une situation d’identification pour le public LGBTQ2S+. Selon Rosa María Díez Cobo 86, l’horreur rend la transgression dans The Haunting symbolique. Elle explique que s’il y a autant de réécritures d’histoires de maisons hantées, c’est parce que ce décor participe activement à la construction de scénarios. En effet, elle définit la maison hantée comme un agent qui aide au développement de la trame comme un protagoniste. Par exemple, en faisant face aux fantômes qui hantent Bly, Dani trouve le courage de faire face à ses propres fantômes, ce qui la libère sexuellement. Díez Cobo 87 souligne que l’assujettissement de la femme à l’espace domestique fait de la maison hantée le lieu idéal où placer une héroïne. Cela explique en partie le côté transgressif de la sexualité de Dani qui vient renverser le cliché de la femme emprisonnée par son foyer, trope emblématique des premiers romans et histoires gothiques.

Badley 88 affirme que le gothique « informe » le féminisme car il pointe du doigt la victimisation des femmes et illustre leur rage quant à cette injustice. Ludot-Vlasak va plus loin encore et pense que des œuvres telles que The Haunting, basées sur des classiques de la littérature, ont la possibilité de renverser les clichés employés dans ces dits classiques. Il précise que ce processus d’adaptation et de transgression n’a absolument pas pour but de « tuer » le canon ou de « banaliser la littérature ». Il s’agit plutôt d’« explorer quelques modalités de ce que les séries télévisées font à la littérature au lieu de perpétuer la consécration des grands textes ou de souligner l’écart de valeur incommensurable entre culture télévisuelle et panthéon littéraire 89. » De ce fait, The Haunting semble questionner la représentation du genre féminin dans la littérature horrifique traditionnelle. Par exemple, dans l’épisode 3 Miss Jessel dit que les femmes qui étudient le droit « doivent prouver que leur cerveau n’est pas entre leurs cuisses ». De même, plus tard Mrs Grose dit qu’elle ne sait pas « pourquoi les jeunes femmes brillantes sont toujours punies ». Ces deux phrases pourraient sembler anodines mais elles soulignent le harcèlement sexuel et l’oppression que subissent les femmes dans cette série horrifique et par extension, dans la société. Dans l’épisode 8, le flashback vers le XVIIe siècle décrit également la condition des femmes qui à l’époque n’avaient aucun droit à la propriété. Ainsi la série critique le manque de droits octroyés aux femmes aussi bien au XVIIe qu’au XXe siècles, ce qui fait écho au manque d’égalité dans notre société contemporaine.

L’héroïne archétypique devient ingénieuse, intelligente et dangereuse dans les fictions horrifiques post-modernes. Par exemple, dans l’épisode 2, Dani menace d’appeler la police et sort à l’extérieur du manoir, prête à faire face à Quint 90. Dans l’épisode suivant elle prend même l’initiative d’aller explorer la propriété seule dans le noir pour vérifier que Quint ne rôde pas dans les parages, alors même qu’un policier vient d’en faire le tour. Ainsi, elle montre non seulement son courage mais encore son manque de confiance envers les hommes. De même, dès le début de la série elle dit apprendre vite et être plus courageuse que les gens ne le pensent, ce que Jamie confirme plus tard. De ce fait, non seulement c’est une héroïne pleine de bravoure, mais aussi une femme dont la force est également reconnue et respectée par d’autres. Elle devient même martyre à l’épisode 9 lorsqu’elle se sacrifie pour sauver Flora. D’autres personnages féminins de la série sont tout aussi puissants. Par exemple, Jamie a un fort caractère et Mrs Grose a le courage d’affronter la femme du lac à l’épisode 9. Pour Adam Knee, il n’est pas seulement important de créer des personnages féminins forts, mais également de changer les monstres masculins en monstres féminins, « se distancier des généralisations englobantes de figures monstrueuses masculines qui attaquent des victimes féminines 91. » En cela, Viola Lloyd est un personnage horrifique très actuel, bien que ses actes puissent être quelque peu justifiés.

De plus, The Haunting propose une réelle transgression du standard hétéronormatif. Alors qu’Edmund Wilson 92 explique que The Turn of the Screw peut être vu comme un livre révélant « un cas neurotique de répression sexuelle », Flanagan met en scène un personnage qui arrive à dépasser cette répression. Darren Elliott-Smith 93 explique que le penchant de l’horreur pour les adaptations plaît au public LGBTQ2S+ parce qu’il permet de se réapproprier le passé littéraire comme historique en créant des personnages queer dans des œuvres originellement normatives, ou bien d’homosexualiser des personnages déjà présents, comme c’est le cas de Dani. L’horreur est spécifiquement propice à des questionnements qui peuvent résonner chez les personnes queer. Par exemple, la perte, le dégoût de soi-même, la honte ou encore l’opposition attraction-répulsion se retrouvent souvent au cœur de l’intrigue horrifique, comme c’est le cas dans The Haunting. Ainsi, de par sa facilité à scénariser la désolation, l’horreur permet de souligner les rapports affligeants entre homosexualité, ou non-normativité, et acceptation de soi. Alors que Ashleigh Ray 94 affirme que le célibat de la protagoniste dans la nouvelle de James la rend vulnérable, dans la série son célibat devient un deuil. Par ce deuil, Dani semble non seulement rompre avec son fiancé mais également rompre avec la société hétéronormative dans son ensemble. Phyllis M. Betz 95 dit même que la fiction gothique lesbienne commence généralement par une perte ou une séparation. Cette séparation permettrait au personnage féminin de prendre de la distance par rapport à sa réalité et de s’émanciper sexuellement plus facilement : « Elle se réconcilie avec sa séparation familiale, sociétale, et son ancienne version d’elle-même pour arriver à enfin se réaliser en tant que lesbienne. » Dans l’épisode 9, Dani demande Jamie en mariage et lui dit : « Je sais qu’on ne peut pas se marier, je m’en fiche. » Cela révèle l’engagement queer et féministe de la série. De plus, dans l’épisode 2, Mrs Grose répond à Jamie que Bly n’est pas un lieu de romance lorsqu’elle lui confie que Dani est bien trop jolie. Cela semble sous-entendre que l’horreur refuse l’amour lesbien tout comme la société. Le lieu horrifique a d’ailleurs un effet d’infertilité romantique qui n’est pas seulement propre à l’amour lesbien. Aucun amour n’est possible là où l’horreur a lieu. Paulina Palmer 96 explique que l’érotisme et l’amour lesbiens sont vus par la culture hétéro-patriarcale, tout comme par l’horreur, comme transgressifs. Elle argue notamment que l’horreur, même si elle peut sembler refuser l’homosexualité, aide au final à « rendre visible ce que la culture rend invisible », pour ainsi révéler un sujet tabou comme le lesbianisme au grand jour. Cela fait partie de la contre-culture propre au cercle générique de l’horreur. Selon Palmer, la « spectralité » correspond tout particulièrement aux articulations de l’invisibilité et du manque de représentation du lesbianisme dans la fiction horrifique. Alors, la présence d’un couple lesbien dans The Haunting n’en devient que plus légitime.

Jeffrey Andrew Weinstock explique que le surnaturel représente des possibilités sexuelles alternatives à la norme de façon anti-hégémonique. Il parle notamment de la « pulsion textuelle homosexuelle 97 » qu’il définit comme des représentations plus ou moins implicites du désir homosexuel, qui viennent interrompre la prétendue harmonie du modèle hétérosexuel, rendant ainsi une histoire queer. Selon lui, et c’est là que The Haunting est exemplaire, le désir homosexuel est « transformé en un conte gothique, une histoire de désir refoulé et érotique qui peut s’exprimer seulement par le biais de la déréalisation d’un.e des participant.e.s 98. » En effet, dans la série, lorsque Dani rencontre Jamie elle n’est pas pleinement elle-même mais bien hantée par son défunt fiancé. Alors que Dani brave finalement sa peur à la fois sexuelle et fantomatique, son idylle n’est que de très courte durée et elle finit par s’effacer à nouveau quand elle est possédée par la femme du lac. Dani perd ainsi ses rapports avec le réel. Le désir homosexuel semble donc, du moins ici, faire l’objet d’un haunting qui dénature l’amour lesbien. Le public pourrait y voir une métaphore quant à la difficulté d’exprimer une sexualité non conventionnelle dans une société patriarcale et hétéronormative. Par ailleurs, Dani rejoint Jamie en tant que fantôme dans le dernier épisode de la série. Ici le thème romantique de l’amour plus fort que la mort semble donc être mis au service de l’inclusivité.

D’autant plus que d’après Palmer 99, le secret joue un grand rôle dans la vie des femmes lesbiennes. En effet, Dani a plus d’un squelette dans le placard, elle cache à la fois son homosexualité et le secret de son fiancé décédé. Selon Palmer, la maison hantée, justement à la façon d’un placard, crée un environnement sombre où cacher et réprimer sa sexualité. Le placard, représenté ici par la maison hantée, est un lieu littéral et figuré – qu’on qualifiera plutôt d’univers fictionnel – où le temps s’écoule en marge du monde. Il n’est donc pas surprenant que Flanagan réutilise ce même environnement pour aller plus loin dans la libération sexuelle de sa protagoniste. Comme Palmer le clame, « l’homosexualité a infiltré l’horreur 100 », et cela depuis des décennies – c’était déjà le cas dans le Dracula de Francis Ford Coppola (1993) qui est connu pour son encodage queer 101. Michelle Denise Wise 102, quant à elle, pense que le lesbianisme dans l’horreur passe souvent par une mise en lumière des relations familiales dysfonctionnelles. Dans The Haunting, la famille de Dani semble être absente et la mère de son fiancé Edmund lui sert de mère de substitution. Bien que cette dernière semble bienveillante, elle encourage la relation hétérosexuelle de son fils et Dani, ce qui contribue à sa répression.

Harry M. Benshoff 103 souligne que beaucoup de théoriciens ont défini un schéma générique dans l’horreur. Ce schéma se divise en deux, d’un côté le « normal », représenté par des blancs hétérosexuels de classe moyenne, et de l’autre côté des personnes de couleur, personnes queer, pauvres ou monstrueuses. The Haunting, au contraire, rompt ce cliché horrifique binaire, puisque bien que Mrs Grose soit noire, un fantôme – donc par définition un monstre – et de classe moyenne voire ouvrière, elle n’en reste pas moins un fantôme plein de bonnes intentions et esthétiquement harmonieux. En « déblanchissant 104 » le personnage de Mrs. Grose, Flanagan rend son œuvre plus inclusive. Cristina Santos Garcia 105 dit que les médias sont le meilleur moyen de partager et faire entendre différentes voix, points de vue et opinions. C’est également grâce aux supports culturels que des représentations plus variées, de personnes noires entre autres, sont possibles. Elle argue qu’en mélangeant et en diversifiant les représentations dans le procédé de création artistique cinématographique, alors il sera possible d’atteindre un réel progrès vers la justice et l’égalité. The Haunting, en participant à cette inclusion de personnages féminins, homosexuels, et de couleur, s’inscrit dans une poétique du divers proprement post-moderne et pop culturelle.

 

Pour conclure, Mike Flanagan, de par l’actualité et l’inclusivité de son œuvre, semble faire partie de ceux qui veulent diversifier l’art visuel horrifique. En effet, bien que la saison 1 de The Haunting ait représenté un drame familial d’horreur, on y trouvait déjà un couple lesbien, et dans la saison 2 c’est une histoire d’amour lesbien, tragique et lugubre, qui se situe au centre de la trame narrative. Par ailleurs, comme le souligne Jamie à la fin de la série, toute histoire d’amour est une histoire de fantômes. Dani est hantée par le souvenir de son ex-fiancé, puis hantée par sa sexualité réprimée, avant d’être finalement hantée par son sacrifice. Elle arrive au manoir hanté et en repart tout aussi, si ce n’est plus, hantée. Ce cercle vicieux souligne la qualité horrifique de The Haunting. Tout dans la série joue un rôle dans la dynamique paradoxale de l’horreur-beauté : structure narrative, caractérisation, musique, cinématographie. De plus, le caractère addictif de la série est en partie créé par l’identification aux personnages et la sympathie que le public peut éprouver pour eux. Flanagan boucle l’histoire avec un retour dans le présent où Jamie termine son récit. En montrant les réactions émues de l’audience de Jamie face à cette troublante histoire, The Haunting of Bly Manor semble nous demander si, en définitive, le cœur de l’horreur est réellement la peur.

 

  1. Mike Flanagan, The Haunting © Amblin Television, Paramount Television Studios, FlanaganFilm (saison 1), Intrepid Pictures (saison 2), 2018-2020.
  2. Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, Paris, Poulet-Malassis et de Broise, 1861 [1857], p. 225-228.
  3. « Terms like deconstruction, schizophrenia, subversion, and even body began to sound as Gothic as they were politically correct » (Linda Badley, Film, Horror, and the Body Fantastic, Westport, Greenwood Press, 1995, p. 2-3).
  4. J’utilise ici le mot « suppôt » pour souligner que l’horreur, genre généralement associé à la représentation du mal sous différentes formes, est devenu l’acolyte de la pop culture, cette dernière aidant le genre à muter, à s’adapter et à foisonner.
  5. Bethany Layne, « The Haunting of Bly Manor : Why Henry James’s Eerie Tale Still Inspires so Many Adaptations », The Conversation, 12/10/2020, https://theconversation.com/the-haunting-of-bly-manor-why-henry-jamess-eerie-tale-still-inspires-so-many-adaptations-147878.
  6. Roxana Oltean, « Dennis Tredy, Annick Duperray and Adrian Harding, eds., Henry James and the Poetics of Duplicity », Transatlantica, revue d’études américaines, n° 1, 2013 « Revisiting the Gilded Age/Littérature et philosophie », Nicolas Barreyre, Evelyne Payen-Variéras (dir.), p. 1-5, p. 1.
  7. « No estamos solo ante una adaptación de la novela de James sino ante una “ adaptación de adaptaciones ” o “ adaptación genealógica” » (Lucas Gagliardi, « La Incesante vuelta a la tuerca The Haunting of Bly Manor », Revista Luthor, n° 47, 2021, p. 49-72, p. 50).
  8. Il en va de même pour le nom de famille des propriétaires de Bly, « Wingrave », qui remonte probablement à l’histoire courte Owen Wingrave également de James, ou encore les prénoms de l’oncle des enfants (Henry) et de la jardinière (Jamie), qui pourraient quant à eux trouver leur origine dans le nom de l’auteur de The Turn of the Screw.
  9. Lucas Gagliardi, op. cit., p. 56.
  10. Ronan Ludot-Vlasak, « Les Séries télévisées au prisme de l’intertextualité : quelques perspectives sur les frontières du littéraire », TV/Series, n° 12, 2017, « Littérature et séries télévisées/Literature and TV series », p. 1-17, p. 14.
  11. « […] undead revenants, ancient curses, outmoded belief systems, hauntings, trauma – all are centra to Gothic narrative. » (Wayne Johnson, Keith McDonald, Contemporary Gothic and Horror Film : Transnational Perspectives, Londres-New York, Anthem Press, 2021, p. 1).
  12. « […] the centrality of setting – that atmosphere of gloom and decay which adheres to the crumbling abbey and the ruined castle in the gothic novel. In few other genres does setting play such a significant and defining role. » (Dale Bailey, American Nightmares : The Haunted House Formula in American Popular Fiction, Madison, The University of Wisconsin Press, 1999, p. 4).
  13. Horace Walpole est connu pour avoir écrit le premier roman dit gothique, Le Château d’Otrante (1764), dont le décor ressuscite l’architecture gothique.
  14. Dale Bailey, op. cit., p. 15.
  15. « L’ensemble général d’idées, de croyances, de sentiments, etc. qui est typique d’une période particulière de l’histoire. » (« The general set of ideas, beliefs, feelings, etc. that is typical of a particular period in history. » [Cambridge Dictionary, « Zeitgeist », Cambridge Dictionary, https://dictionary.cambridge.org/es-LA/dictionary/english-spanish/zeitgeist]).
  16. « […] we inhabit today a culture of fear, which finds threats of decay and destruction at every turn, the horror film offers confirmation of this zeitgeist. It tells us that our belief in security is a delusion, that the monsters are all around us, and that we, the inhabitants of this collective nightmare, are just so much meat awaiting the slaughter. While this yields a dark portrait, indeed, the great paradox of the genre is that all of this is converted into a pleasurable experience for viewers, or at least for those who regularly patronize the films. » (Stephen Prince, « Introduction : The Dark Genre and Its Paradoxes », p. 1-14, in Stephen Prince [dir.], The Horror Film, Piscataway, Rutgers University Press, 2004, p. 4).
  17. « […] to confront primordial fears in a safe environment, preparing an individual for a cruel world and providing a cautionary source of morality in an entertaining manner. » (Colin Odell, Michelle LeBlanc, Horror Films, Harpenden, Kamera Books, 2011, p. 2-4).
  18. Stephen Prince, op. cit., p. 1-2.
  19. Jack Morgan, The Biology of Horror : Gothic Literature and Film, Carbondale, Southern Illinois University Press, 2002, p. 180-185.
  20. « […] a kind of archaeology, the uncovering of an occluded narrative […] The safety and familiarity of houses invites a contemplation of grim compensatory scenarios of penetration and threat. » (Barry Curtis, Dark Places : The Haunted House in Film, Londres, Reaktion Books, 2008, p. 33).
  21. Jamie dans le présent qui narre l’histoire.
  22. Jack Morgan, op. cit., p. 201-203.
  23. On peut citer la phrase suivante : « Rien n’était plus naturel que ces choses soient les autres choses qu’elles n’étaient absolument pas. » (« Nothing was more natural than that these things should be the other things they absolutely were not » [Henry James, The Turn of the Screw, Londres, Penguin Classics, 1986 [1898], p. 181]).
  24. D’ailleurs, la représentation glauque d’enfants est un trope horrifique par excellence, tout comme peuvent l’être les fantômes, les possessions, les maisons hantées et les paysages mornes.
  25. Françoise Grellet, Literature in English : Anthologie des Littératures du Monde Anglophone, Paris, Hachette Supérieur, « HU », 2002, p. 372.
  26. « bucle de recuerdos » (Lucas Gagliardi, op. cit., p. 65).
  27. « […] incapaz de controlar su propia narración » (ibid, p. 66).
  28. « the tempestuous loveliness of terror » (William Hildebrand, « Self, Beauty and Horror : Shelley’s Medusa Moment », p. 150-165, in G. Kim Blank (dir.), The New Shelley : Later Twentieth-Centuries Views, ‎Londres, Palgrave Macmillan, « Studies in Romanticism », 1991, p. 151).
  29. « In the expansive domain opened up by the sublime all sorts of imaginative objects and fears situated in or beyond nature could proliferate in a marvellous profusion of the supernatural and the ridiculous, the magical and the nightmarish, the fantastic and the absurd. » (Fred Botting, Gothic, Londres-New York, Routledge, 2005 [1996], p. 3).
  30. Barry Curtis, op. cit., p. 31.
  31. Karen Hollinger, « The Monster as Woman : Two Generations of Cat People », p. 346-358, in Barry Keith Grant (dir.), The Dread of Difference : Gender and the Horror Film, Austin, University of Texas Press, 1996, p. 347.
  32. Craig Lambert, « The Horror and the Beauty : Maria Tatar Explores the Dazzle and the “Dark Side” in Fairy Tales – and Why We Read them », Harvard Magazine, novembre-décembre 2007, p. 38.
  33. Arnold Hauser, The Social History of Art, Volume IV : Naturalism, Impressionism, The Film Age, Londres, Routledge, 1999 [1951], p. 111.
  34. « L’impressionnisme est à la fois une tendance artistique et un mouvement apparus en France dans le dernier quart du XIXème siècle. Il s’exprime le plus souvent dans des peintures de paysages et des scènes de la vie moderne, qui mettent l’accent sur la sensation visuelle et l’expression instantanée des effets lumineux. » (Larousse, « Impressionnisme », Larousse, s.d., https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/impressionnisme/187117).
  35. Jean-Pierre Esquenazi, « Histoires sans fin des séries télévisées », S. & R., n° 39, 2015, p. 95-102, p. 97-98.
  36. L’expressionisme allemand au cinéma date de 1920. Il utilise des mouvements déformés et exagérés, des couleurs intenses et crée de l’appréhension. Cependant, Tybjerg ne réduit pas la définition de l’expressionisme au seul cinéma allemand et l’associe plus largement au fantastique.
  37. Casper Tybjerg, « Shadow-Souls and Strange Adventures : Horror and the Supernatural in European Silent Film », p. 15-39, in Stephen Prince (dir.), The Horror Film, Piscataway, Rutgers University Press, 2004, p. 34.
  38. Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Le Dictionnaire des symboles, mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres, Paris, Robert Laffont/Jupiter, 1982, p. 974-975.
  39. « It is an established scenario for childhood fears, tentative new beginnings, dramas of inheritance and the return of the repressed. The frozen time of the ‘haunted house’ continues to fascinate in an age of more fragmented and varied experiences of dwelling » (Barry Curtis, loc. cit.).
  40. L. Andrew Cooper, Gothic Realities : The Impact of Horror Fiction on Modern Culture, Jefferson, McFarland & Company, 2010, p. 146. Cooper affirme également que le goût est un outil sens qui n’a pas encore était utilisé en faveur de l’horreur. Cependant, dans The Haunting Mrs Grose ne mange jamais et cela donne un indice sur sa qualité fantomatique. Flanagan semble donc questionner le goût dans un cadre horrifique et ce de façon moderne.
  41. Philip Hayward, « Introduction : Scoring the Edge », p. 2-13, in Philip Hayward (dir.), Terror Tracks Music, Sound and Horror Cinema, Londres, Equinox, 2009, p. 2.
  42. Ross J. Fenimore, « Voices that Lie Within the Heard and the Unheard in Psycho », p. 80-97, in Neil Lerner (dir.), Music in the Horror Film : Listening to Fear, New York, Routledge, 2010, p. 80.
  43. « Watching back-to back episodes of the same program in a single sitting. » (Azza Abdel-Azim Mohamed Ahmed, « A New Era of TV-Watching Behavior : Binge Watching and its Psychological Effects », Media Watch, vol. 8, n° 2, 2017, p. 192-207, p. 192-193).
  44. Ibid, p. 194.
  45. Gabrielle Trépanier-Jobin et Alexane Couturier, « L’Immersion fictionnelle au-delà de la narrativité », Sciences du jeu, n° 9, 2018, « Du ludique au narratif. Enjeux narratologiques des jeux vidéo », p. 1-19, p. 1-2.
  46. Isabelle Schmitt-Pitiot, « Sarah Hatchuel, Rêves et séries américaines. La fabrique d’autres mondes », Miranda, n° 13, 2016, « Thomas Spence and his Legacy : Bicentennial Perspectives », p. 1-4, p. 1.
  47. Benjamin Campion, « Regarder des séries sur Netflix : l’illusion d’une expérience spectatorielle augmentée », TV/Series, n° 15, 2019, « La Sérialité en question(s) », p. 1-22, p. 14.
  48. Tudor Oltean, « Series and Seriality in Media Culture », European Journal of Communication, vol. 8, n° 5, 1993, p. 5-31, p. 10-11.
  49. « angustia de las influencias » (Lucas Gagliardi, op. cit., p. 58).
  50. « En consecuencia, algunos indicios de la novela se convierten en subtramas completas que insumen varios episodios y que además se suman a elementos extraídos de otros relatos de James » (ibid., p. 58).
  51. Jean-Pierre Esquenazi, « Machines sérielles et montages du temps », Télévision, C.N.R.S. Editions, vol. 7, n° 1, 2016, p. 145-162, p. 150.
  52. Luke Thurston, Literary Ghosts from the Victorians to Modernism : The Haunting Interval, Londres, Routledge, 2012, p. 1-3.
  53. L. Andrew Cooper, op. cit., p. 1-25.
  54. Élizabeth Durot-Boucé, Le Lierre et la Chauve-Souris : Réveils Gothiques Emergence du Roman Noir Anglais 1764-1824, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2004, « Le roman gothique et la descente vers l’Irrationnel »,
  55. Stephen King, Anatomie de l’horreur, Albin Michel, 2018 [1981], p. 3.
  56. « I’m afraid therefore I enjoy » (Julian Hanic, Cinematic Emotion in Horror Films and Thrillers : The Aesthetic Paradox of Pleasurable Fear, Londres, Routledge, 2010, p. 3).
  57. « I take it that a frightening movie is able to color the viewer’s experience in various hues of fear—most prominently terror, shock, dread and horror » (ibid., p. 28).
  58. « While in frightening types of suspense like terror or dread I am scared, in a non-frightening suspense scene I am merely captivated » (ibid., p. 205).
  59. Colin Odell et Michelle LeBlanc, op. cit., p. 8.
  60. Julian Hanic, op. cit., p. 161.
  61. Ce terme est issu du monde des jeux vidéo. Un « easter egg » est une image cachée que le public est invité à retrouver.
  62. Jack Morgan, op. cit., p. 70.
  63. Rebecca Coyle, « Spooked by Sound The Blair Witch Project », p. 213-228, in Philip Hayward (dir.), Terror Tracks Music, Sound and Horror Cinema, Londres, Equinox, 2009, p. 213.
  64. Robert B. Heilman, « The Freudian Reading of the Turn of the Screw », Modern Language Notes, vol. 62, n° 7, 1947, p. 433-445, p. 434.
  65. Noël Carrol, The Philosophy of Horror, or Paradoxes of the Heart, Londres, Routledge, 1990, p. 89.
  66. Jane Stadler, Pulling Focus : Intersubjective Experience Narrative Film, and Ethics, New York, Continuum, 2008, p. 147.
  67. Élizabeth Durot-Boucé, op. cit. .
  68. « Stephen King suggests that horror acts as a barometer for issues that bother us as a society. » (Marc Blake, Sara Bailey, Writing the Horror Movie, Londres, Bloomsbury, 2013, p. 6).
  69. « Surrogate victim of the horror » (Colin Odell, Michelle LeBlanc, op. cit., p. 2 et 12).
  70. Jane Stadler, op. cit., p. 104.
  71. Stephen King, loc. cit.
  72. Sandra Laugier, Nos vies en série, Paris, Gallimard, « Climats », 2019, p. 21.
  73. Ibid., p. 28.
  74. Isabel Cristina Pinedo, « Postmodern Elements of the Contemporary Horror Film », p. 85-117, in Stephen Prince (dir.), The Horror Film, Piscataway, Rutgers University Press, 2004, p. 87.
  75. David Harvey, The Condition of Postmodernity : An Enquiry into the Origins of Cultural Change, Oxford, Blackwell Publishers, 1991, p. 66.
  76. Par exemple, dans The Haunting, bien que Dani et Jamie vivent plusieurs années paisibles et que les enfants quittent le manoir hanté, la femme du lac finit par refaire surface et Dani met fin à ses jours, laissant Jamie en deuil.
  77. « […] make whiteness strange by studying the performance of whiteness in moving pictures and other forms. » (Gwendolyn Audrey Foster, Performing Whiteness : Postmodern Re/Constructions in the Cinema, New York, State University of New York Press, 2003, p. 1-2).
  78. « Whiteness is a master narrative that is increasingly being questioned and marked. Postmodernists reconfigure identity as a performance that is itself fractured, unstable, and mutable » (ibid.)
  79. Gwendolyn Audrey Foster, op. cit., p. 5.
  80. « both present a critique of forms of narrative and representation which place man as subject. » (John Storey, Cultural Theory and Popular Culture : A Reader, Londres, Pearson Education Limited, 2006, p. 399).
  81. Iris Brey, Le Regard féminin : une révolution à l’écran, Paris, Éditions de l’Olivier, 2020, p. 26.
  82. Ibid, p. 35.
  83. Elle prend très au sérieux son rôle de protectrice des enfants.
  84. Steven Gerald, « Introduction », p. 1-7, in Steven Gerald, Samantha Holland, Robert Shail (dir.), Gender and Contemporary Horror in Television, Bingley, Emerald Publishing Limited, 2019, p. 5.
  85. « […] the spectrum of stereotypical femininity and masculinity (albeit one presented as inadequate), both evolve by transgressing essentialist characterisation, moving away from the archetypes […] and embracing signifiers commonly attributed to the other gender. » (Marta F. Suarez, « Damaged Survivors in The Walking Dead. Gender and the Narrative Arcs of Carol and Daryl as Protectors and Nurturers », p. 175-186, in Steven Gerald, Samantha Holland, Robert Shail [dir.], Gender and Contemporary Horror in Television, op. cit., p. 177).
  86. « Nostalgia and transgression are two seemingly opposed yet inseparable aspects of Gothic rewriting, as they are both defined by the desire to re-create stories, situations, or identifications. » (Isabella van Elferen, Nostalgia or Perversion ? Gothic Rewriting from the Eighteenth Century until the Present Day, Cambridge, Cambridge Scholars Publishing, 2007, p. 3).
  87. Rosa María Díez Cobo, « Arquitecturas del hogar invertido : reescribiendo la casa encanta », BRUMAL, Research Journal on the Fantastic, vol. 8, n° 1, 2020, Universidad de Burgos, p. 135-156, p. 137-139.
  88. Rosa María Díez Cobo, op. cit., p. 144.
  89. Linda Badley, op. cit., p. 103.
  90. Ronan Ludot-Vlasak, op. cit., p. 14-15.
  91. Dans The Turn of the Screw elle essaye également de confronter Quint lorsqu’elle l’aperçoit (chapitre 4).
  92. « […] moving away from all-encompassing generalizations about male-identified masculine monsters attacking female victims. » (Adam Knee, « Gender, Genre, Argento », p. 241-258, in Barry Keith Grant (dir.), The Dread of Difference : Gender and the Horror Film, op. cit., p. 242).
  93. « A neurotic case of sex repression » (Alexander E. Jones, « Point of View in the Turn of the Screw », PMLA, vol. 74, n° 1, 1959, p. 112-122, p. 114).
  94. Darren Elliott-Smith, Queer Horror Film and Television : Sexuality and Masculinity at the Margins, New York, I. B. Tauris, 2016, p. 242.
  95. Ashleigh Ray, « Let’s Talk About Sex », A Closer Look at The Turn of the Screw, s.d., https://acloserlookattheturnofthescrew.weebly.com/letrsquos-talk-about-sex.html.
  96. « […] loss as the starting point for the major characters to initiate the process of reconciling their separations from family, society, and a former version of self-with their new awareness of themselves as lesbians. » (Phyllis M. Betz, The Lesbian Fantastic : A Critical Study of Science Fiction, Fantasy, Paranormal and Gothic Writings, Jefferson, McFarland and Company, 2011, p. 103-104).
  97. Pauline Palmer, « Lesbian Gothic : Transgressive Fictions », Fazendo Gênero 9, 2010, « Diásporas, Diversidades, Deslocamentos (colloque de Universidad Federal de Santa Catarina) », p. 2-4.
  98. « queer textual impulse » (Phyllis M. Betz, op. cit., p. 83).
  99. « And in each case same-sex desire is turned into a Gothic tale, a story of ghosted desire and of erotic longing that can only find expression through rendering it impossible by ‘derealizing’ one of the participants » (ibid.).
  100. Paulina Palmer, The Queer Uncanny, New Perspectives on the Gothic, Cardiff, University of Wales Press, 2012, p. 24.
  101. « Homosexuality has also infiltrated the genre of American horror » (ibid., p. 108-109).
  102. Pratique qui consiste à inclure de motifs ou sous-entendus à connotations queer dans une œuvre de fiction.
  103. Michelle Denise Wise, « I am a Monster, Just like She Said » : Monstrous Lesbians in Contemporary Gothic Film, A Dissertation Submitted in Partial Fulfillment of the Requirements for the Ph. D. in English, Middle Tennessee State University, 2016, p. 85-86, 21/06/2016, https://jewlscholar.mtsu.edu/items/27f11464-6942-499d-8fe8-7ba84ce0b146.
  104. Harry M. Benshoff, « Blaxploitation Horror Films : Generic Reappropriation or Reinscription », Cinema Journal, vol. 39, n° 2, 2000, University of Texas Press, p. 31-50, p. 31.
  105. J’emprunte et traduis le terme anglophone de unwhitewashing employé pour parler de la tendance contemporaine à inclure des personnages de couleur dans des films et séries historiques, personnages originellement blancs ou inexistants.
  106. Cristina Santos Garcia, Hollywood Contra El Mundo : La apropiación cultural y la representación de las culturas nativas de América y del Pacífico, Universitat de Lleida, 2017, p. 5, 22/02/2018, https://repositori.udl.cat/handle/10459.1/62695.