Vivre (dans) l’innommable : figure de la lesbienne dans <em>Désorientale</em> de Négar Djavadi et <em>Tous les hommes désirent naturellement savoir</em> de Nina Bouraoui

Vivre (dans) l’innommable : figure de la lesbienne dans Désorientale de Négar Djavadi et Tous les hommes désirent naturellement savoir de Nina Bouraoui

Par ALLOUACHE Ferroudja

Introduction : d’où je parle

S’il peut sembler banal d’évoquer le thème de l’homosexualité dans la littérature en général, rien ne va de soi en ce qui concerne le domaine francophone maghrébin et sans doute encore moins celui des pays du Moyen Orient, comme l'Iran. Les travaux consacrés à ce sujet relèvent du champ des sciences sociales (sociologie, anthropologie) et demeurent encore marginaux (davantage pour le second, même si quelques tentatives d’analyses de la question dans la poésie persane sont systématiquement mises à l’index). Le poids des religions monothéistes, qui ont proscrit les relations homosexuelles/lesbiennes, est encore prégnant dans les sociétés de tradition arabo-musulmane.

Ce qui explique notre intérêt pour les deux romancières franco-algérienne Nina Bouraoui et franco-iranienne Negar Djavadi tient à cette exception : dans l’historiographie littéraire francophone, elles font figures de pionnières ! Pour la première fois, les narratrices de Désorientale (2016) et de Tous les hommes désirent naturellement savoir (2018) évoquent la souffrance qu’elles vivent, un quotidien qu’elles expérimentent à contre-courant de la famille/société parce qu’homosexuelle/lesbienne. Rares sont les récits d’auteures qui prennent le risque d’attaquer de front ce sujet : les deux écrivaines, femmes, ont osé faire de ce tabou l’objet central de leur récit 1. Oser car jusqu’à présent, parler de cet interdit, comme celui de la sodomie, a surtout été abordé du point de vue « masculin 2 ». Le motif de l’homosexualité est évoqué sous l’angle socio-anthropologique lorsqu’il s’agit d’analyser la sexualité dans les pays de tradition musulmane. Quant à la figure de la femme lesbienne, elle reste marginale dans la fiction francophone.

Kimiâ et la narratrice de Tous les hommes… sont deux lesbiennes qui ne s’assument pas. Elles vivent (dans) l’innommable. Leur voix, qui prend en charge la narration, semble un soliloque qui rend compte, autant que possible, des souffrances qu’endurent les deux narratrices. Narrer, tenter de mettre en mots la difficulté de vivre une sexualité voulue mais non assumée, désirée mais réprimée. Forcées au mensonge, aux travestissements, tour à tour coupables et battantes, elles bricolent entre leur univers clandestin et l’environnement social qui leur fait payer cher leur a-normalité.

Il s’agit donc de montrer que la composition fragmentaire des deux romans, qui alternent histoire familiale et histoire au présent des narratrices, traduit la difficulté à narrer une poétique de la différence sexuelle. Les clandestines homosexuelles avancent masquées, elles ne se disent pas, elles restent suspendues dans l’inter-dit, le déni de soi, position que leur impose le jeu des relations sociales. L’écriture lève alors le voile sur une singularité diffractée, désorientée, interroge les mots-stigmates qui l’entravent, l’assignant à une appartenance figée.

 

1. L’esthétique du fragment : dissimulation, éclatement, inachèvement 

La composition de Désorientale et Tous les hommes désirent naturellement savoir repose sur le fragment qui, ainsi que l’indique son étymologie, renvoie à l’idée d’une partie séparée d’un ensemble, de morceaux épars, quelque chose de non terminé, d’inachevé 3. Procéder de la sorte permet d’exprimer l’idée de l’éclatement de la trame narrative, dans la mesure où les romancières alternent des histoires insérées dans d’autres épisodes (Djavadi) ou de très brefs récits présentés telle une succession de tableaux (Bouraoui). Cependant, les deux romancières détournent d’une certaine manière le genre du fragment (aphorisme, fable, etc. constituant une unité cohérente) pour le disséminer dans l’ensemble du récit général. Les deux narratrices, Kimia et celle de Tous les hommes désirent 4tentent de narrer ce qu’elles ne peuvent narrer qu’en passant par l’intrusion d’autres histoires, ce qui produit un effet de dissimulation et d’instantanéité, brisant ainsi le fil de l’histoire qui intéresse le lecteur : la difficulté de se vivre lesbienne/homosexuelle dans le huis clos familial et celui des marges.

Le fragment renvoie aussi à l’idée de brisure, d’éclats éparpillés, comme le sont les vies des deux narratrices : Kimia et la voix anonyme de Tous les hommes…sont davantage dans la suggestion, comme pour susciter/titiller la curiosité du lecteur et l’amener à vagabonder, errer à la recherche de sens, à multiplier les interprétations, donner du sens aux trous qui parsèment les deux textes. Il ne découvrira donc pas d’histoire continue d’aventures mettant en scène des héroïnes lesbiennes qui vivent clandestinement ou luttent pour réaliser un amour défendu, se révoltent ou se soumettent à l’ordre social institué. Aucune place n’est laissée au voyeurisme. Le recours permanent au temps de l’enfance, elle-même prise dans l’histoire familiale, greffée pour partie à l’Histoire de l’Iran ou de l’Algérie, et savamment intriquée à celle de la France, crée cet effet d’éparpillement et rend mieux compte de la difficulté à narrer la vie morcelée des narratrices. Adopter un tel procédé se révèle une stratégie narrative efficace pour ménager le suspense, retarder autant que possible l’histoire secrète attendue.

La structure de Désorientale est originale à ce titre : le roman est organisé en deux parties (Face A, la réussie et Face B, celle qui est recalée/cachée), à l’intérieur desquelles l’on grappille des bribes d’informations de chapitre en chapitre 5 qui orientent/désorientent la lecture de manière fallacieuse entre l’histoire familiale en Iran et celle de la narratrice qui vit à Paris, passant une partie de son temps à l’hôpital Cochin où elle est suivie pour une PMA (procréation médicalement assistée). Pierre, un Belge rencontré gare du Nord, séropositif, fait don de son sperme. Ils forment un vrai faux couple pour que l’opération réussisse. Un index des noms propres, inséré en fin d’ouvrage, est proposé comme « mise au point généalogique » au cas où l’on serait perdu dans le fil labyrinthique du récit et des noms. Le procédé emprunte à la structure enchâssée des Mille et une nuits pour rendre au plus juste une mémoire « qui charrie tant d’histoires, de mensonges, de langues, d’illusions, de vies rythmées par des exils et des morts, des morts et des exils, que je ne sais trop comment en démêler les fils », écrit Kimiâ (10-11).

Elle recourt à la mise en abyme pour tisser des fils re-nouant, entre elles, les micro-histoires à l’intérieur desquelles s’esquisse subtilement une identité sexuelle en rupture avec les divers milieux socio-culturels fréquentés, en Iran ou en France. Kimiâ fait l’expérience de la différence, souvent exprimée sous les noms de honte ou d’homophobie qu’elle retourne contre elle, tant l’incorporation de la violence sociale à l’encontre des lesbiennes/homosexuelles est prégnante. Le regard social qui condamne toute relation avec une personne de même sexe l’accule au « goût du faux-semblant et du mensonge » (194). À Téhéran, lorsque sa sœur Leïli lui murmure à l’oreille, et en français pour que personne ne comprenne, « Ça suffit maintenant. Franchement arrête [de faire le pitre], on dirait une lesbienne. » (214, en italique dans le texte), c’est le trouble qui la saisit. Le blanc typographique surgit, la suite est suspendue, comme tue. L’impossibilité à mettre des mots sur une réalité qui la frappe de plein fouet : « Ce que je ressentais ne pouvait plus être exprimé par des mots simples » (214). Kimiâ affronte la « violence soudaine de la vérité » (214). Le mot lesbienne, qui fait son apparition pour la première fois, la renvoie à la honte, à ce qui ne peut se dire, la condamne au silence, à vivre seule cette éviction du monde des autres. Dès lors, son seul désir : « disparaître de la surface de la terre » (215). L’incorporation des représentations sociales est si forte que Kimiâ se dispose à « nager dans le sens du courant » (326), métaphore que tisse le récit : « Mon existence était constituée de continents à la dérive sur lesquels j’avais réussi à tenir debout un temps, trouvant un équilibre grisant dans le déséquilibre général » (323).

Nager, aller dans un sens puis dans l’autre : Kimiâ navigue en hésitant : l’intrusion de typographies variées (allant de l’italique à des variations de la taille des polices) dans le corps textuel participe du brouillage narratif, produisant un effet déstructuré, voire décousu du texte. La narratrice opte pour le différé : les vibrations saphiques sont renvoyées à l’obscurité, réapparaissant çà et là dans la lettre de la grand-mère qui avait tout compris, la fuite du régime et l’éprouvante traversée familiale pour atteindre la France.

L’agencement de Tous les hommes désirent également savoir peut, à première vue, troubler le lecteur. Le roman est construit selon une architecture qui fait alterner quatre verbes à l’infinitif, dont deux qui ponctuent le récit : « se souvenir » (68 fois), « Devenir » (35 fois), eux-mêmes parfois interrompus par le verbe « Savoir » (14 fois) et, vers la fin, l’apparition de « Être » (3 fois), de sens plein, qui clôt la narration. Un prologue et un épilogue, sans titre, se donnent à lire comme une réflexion sur le hasard des rencontres, la différence et l’orientation sexuelle, l’amour. Ils situent le lieu de la parole de la narratrice qui, comme Kimiâ, navigue « au centre de l’océan sans aucune autre rive sur laquelle accoster » (212).

La succession des micro-récits, semblables à des tableaux autonomes, repose sur un équilibre ténu permettant à la narratrice d’évoquer des bribes de sa vie de manière éparpillée, par fragments mémoriels. « Se souvenir » évoque le passé : la lumière de la plage d’Alger, ses garçons « beaux, musclés », des « frères déchainés » (91), les promenades avec le Père, la mère violentée par des garçons/hommes à Alger et ses parents français qui ne lui pardonnent pas son mariage avec un Algérien demeuré suspect à cause de son « origine ». Au contraire, « Devenir » touche au présent de la narratrice marqué par la honte sociale, la peur d’être démasquée ou de ne pas plaire et la clandestinité liée à son attirance pour les femmes. « Devenir » narre la solitude de celle qui se cherche « une nouvelle famille » (136).

Cependant, l’ingéniosité narrative réside dans l’illusion que cette alternance de fragments appartenant respectivement à l’un ou l’autre verbe (ou encore au verbe « Savoir ») racontent séparément deux faces/identités de la narratrice. Or, le lecteur se perd parmi ces bribes éparpillées qui re-composent l’identité constellée de la narratrice.

 

2. Dissimulation et inachèvement

Le fragment se prête aussi à l’art de la dissimulation : en effet, à quelle(s) ruse(s) recourent les narratrices pour ne pas dire sans détour ? Kimiâ Sadr se plaît à jouer avec le lecteur en livrant, au compte-goutte, des détails sur l’enfant-garçon-manqué qu’elle était à Téhéran et en introduisant des épisodes sans fin sur les 7 Oncles et son père, les grands-parents, remontant la filiation jusqu’à l’arrière-grand-père Montazemolmok et son harem, à la fin du XIXe siècle ! Elle rompt le fil en interpelant le lecteur : « Vous me dites : c’est cliché l’histoire de cette fille dont le père veut un fils, qui vire garçon manqué et finit lesbienne. C’est vrai » (218) et aiguise aussitôt la curiosité, laissant à peine temps de réagir : « Mais c’est vrai quand on a eu accès aux livres […], digéré mai 68 et la libération sexuelle […] Mais, vu de Téhéran, ce genre de cliché, même avalé de travers, n’existe pas. Le terme “garçon manqué” n’existe pas ; ni aucun autre terme, aucun autre mot, qui reconnaitrait un tant soit peu cette différence. On est garçon ou fille et ça s’arrête là » (219). Afin de différer sa rencontre et sa vie « clandestine » avec Anna, Kimiâ interrompt souvent le récit/les histoires parallèles ou insère des parenthèses qui ralentissent l’intrigue amoureuse : « Permettez-moi avant qu’il soit trop tard […] de revenir sur ma ressemblance avec ma mère » (168), ou encore « J’ouvre une parenthèse pour préciser que mes oncles et mon père refusaient cette ressemblance » (170).

Si le fragment se révèle efficace pour retarder autant possible la suite du récit, il n’en demeure pas moins qu’il concourt à produire une forme d’inachèvement de toutes les micro-histoires que la narratrice se plaît, jambes écartées dans le cabinet du docteure Gautier, à manier avec habileté. La mise en abyme ouvre des perspectives de lecture, rendant ainsi le texte poreux à de multiples interprétations : « Vous auriez sans doute préféré que le docteur vienne et qu’on en finisse. Moi aussi. Mais puisqu’il faut encore une fois attendre, vous ne m’en voudrez pas si, malgré ma position incongrue et mes jambes écartées, je vous parle un peu des précautions mortuaires d’Oncle Numéro 2 » (228). Disperser les récits, multiplier les détails a priori futiles et, de la sorte, éconduire le lecteur.

Le récit de Bouraoui donne également l’impression d’une dispersion de l’histoire de l’amour impossible à raconter. Entre Alger et Paris, entre les paysages méditerranéens et ceux de la côte bretonne, la boîte de nuit, s’esquisse progressivement l’identité de la narratrice « architecte » et « archéologue » de sa mémoire (12). Pour se livrer, elle procède par image, manière de concentrer en quelques paragraphes, parfois quelques phrases, tenant parfois sur un quart de page, une parole indicible 6. Ses « souvenirs », condensés et dépouillés, ont pour ancrage la géographie des corps (sur les plages, dans le huis-clos des maisons rennaise ou algéroise) dont le sien pris dans un va-et-vient entre passé et présent de la narratrice. Tout se passe comme si elle réinterrogeait l’émotion corporelle, le plaisir éprouvé alors pour essayer de répondre à une quête existentielle annoncée dès le début du texte : « Je veux savoir qui je suis, de quoi je suis constituée » (12). Mais derrière cette frénétique émotion évoquée dans « Se souvenir » et « Savoir », viennent cogner des réminiscences étincelantes de violence : la fiction s’ouvre sur la guerre que mène la narratrice contre elle-même (15), celle, sociale, que vivent sa mère et son père dans la famille française de Rennes, méfiante à leur égard (les clichés sur les « Arabes » : mêmes ceux qui réussissent n’y échappent pas).

Ainsi, l’alternance des verbes participe d’une volonté de rassembler des bribes de vie malgré une forme d’incohérence qui traduit ou trahit une résistance à dire, écrire, pour faire émerger une parole qui peine à se dire. Dans ses aller-retour entre sa « vie sauvage » algérienne, où elle explore le désir interdit que procure le jeu des corps avec Ali, son double presque parfait, son « frère de jouissance » (153), où elle surprend ceux, nus, des nounous arabes, et les secrets de sa famille française, distante, surgissent, dans la narration, des éclats de conscience, des secousses qui mettent le sujet dans une position d’équilibriste pouvant, à tout moment, basculer : le monde qui l’entoure lui renvoie l’image d’un être « fragile ». Ainsi, quand son père lui achète le portrait d’une bergère, il dit : « elle a l’air aussi fragile que toi » (63) ; ou encore cette remarque sur la solitude qui guette comme un poignard le moment de chuter : « Il me faudra m’habituer à cette nouvelle solitude : être différente des autres » (88). De fait, elle sait qu’« [il] y a une enfance homosexuelle. Cette enfance est la mienne. Elle ne répond à rien. Elle ne s’explique pas. Elle est » (61, en italique dans le texte). Le glissement sémantique et progressif pose un constat (il y a), puis exhibe une revendication singulière (la mienne) et aboutit à une affirmation catégorique (ne s’explique pas), renforcée par l’emploi absolu du verbe être qui impose l’existence, de fait, du sujet énonçant (Foucault).

Mais cette énonciation ne peut se faire que par le fragmentaire, ce qui est mais ne peut être dit totalement, du moins pas de manière rassemblée. Le fragmentaire a pour fonction de ne pas tout dire, de taire ce qui peut mettre en danger celle qui avance démasquée. Fragment-taire. Jaillissent alors, au fil de la narration, des éclats de violence révélant ses réminiscences ou ses manques : « Mes idoles sont les garçons d’Alger […] ils sont libres, beaux, musclés, ce sont mes frères déchaînés, je rêve de les rejoindre dans leurs jeux dangereux » (91), Ali, son « double », avec qui ils forment un « couple maléfique » (95), « nous sommes frère et sœur de violence » (94). Dans tous les cas, la reconstitution des souvenirs clés témoins de sa nature « homosexuelle » fonctionne comme un flash puissant, révélateur de ses côtés sombres : ainsi, l’épisode de sa découverte des mots d’Histoire d’O dans la bibliothèque de sa mère la plonge dans la révélation de sa souffrance, inconnue jusque-là : « ils ont éveillé mon désir par une trajectoire jusque-là inconnue, jouir de la souffrance, et le tableau de deux femmes entre elles, que je ne cessai de reconstituer » (101).

Ainsi, la structure éclatée de Désorientale, le caractère inachevé qui compose l’architecture de Tous les hommes désirent naturellement savoir disent en creux le manque, l’incomplétude qui caractérisent les deux héroïnes qui se vivent comme mutilées d’une partie d’elles-mêmes. Comme si procéder par fragment – idée surtout valable pour le second roman – référait aussi à l’idée de commencement : chaque page devient un morceau-souvenir évoquant un moment unique marquant.

 

3. Le dire lesbien : comment nommer la différence ?

3.1 Face A : garçon manqué /fille ratée ?

« […] je ne m’assume pas, c’est éprouvant d’être différente, même si je ne peux plus faire autrement […] je trouve cela difficile d’être homosexuelle, personne ne s’en rend compte, ne mesure ça, cette violence », constate avec douleur et amertume la voix sans nom de l’héroïne de Bouraoui, constat qui soulève deux remarques : d’une part, la difficulté à assumer ce qu’elle est, « différente », « homosexuelle » et, d’autre part la violence que lui renvoie son environnement. Personne ne « mesure ça », le coût psychique et ses effets. C’est tellement « éprouvant » que seul le ça semble traduire toute la violence émotionnelle.

Le désir sexuel lesbien relève-t-il d’une expérience impensable au point de ne pouvoir la nommer ? Comment se vivre ou se définir ou encore dire sa différence dans une société qui rejette, nie cette différence, contraint au non-choix ? Plus qu’une identité sexuelle imposée, c’est leur identité amoureuse que les deux narratrices tentent de cerner, remontant les méandres de leur passé où affleurent des réminiscences par intermittence. Elles partagent une éducation commune et ce, à divers niveaux. Elles grandissent dans des milieux intellectuels privilégiés mais ancrés dans une société où la surveillance exercée sur les corps et surtout celui des femmes est prégnante. Toutes deux ont un oncle qui a dû cacher son homosexualité, en a souffert dans la plus grande solitude (« le secret finit toujours par se retourner contre son détenteur », affirme la narratrice de Tous les hommes…) et quand les familles le savent, elles cultivent le secret « le propre de la famille est de garder les secrets, de ne jamais les révéler et de les nier quand ils sont trahis », 190). Nier la chose, ne pas la nommer, la rend inexistante. Elle n’est pas.

Surtout, les deux narratrices reviennent sur leur éducation singulière pour leur milieu culturel respectif. Petites, à Alger ou Téhéran, elles sont élevées comme des garçons par des pères plutôt libres, mais qui semblent ignorer leur sexe. Kimiâ l’affirme d’emblée : « dès que j’ai su marcher, il agit avec moi comme il l’aurait fait avec son fils imaginaire » (167). Il lui enseigne toutes les activités épargnées aux filles « élevées pour être le ciment de la famille » (212) : préparer son tabac, connaître le nom des rues, faire une omelette, découper un journal, lire le français, regarder un match de boxe avec Mohammed Ali, réciter de la poésie persane, s’intéresser à l’Histoire, aimer Harold Lloyd et les westerns, allumer le moteur de la voiture, passer les vitesses, vérifier la pression des pneus (177). Si bien qu’elle déclare comme une évidence : « je savais que j’étais une fille, mais j’étais sûre qu’en grandissant je deviendrai non pas une femme, mais un homme » (50). Comme si le « devenir homme » signifiait ne plus être femme, se quitter pour un autre corps. Sans doute que la frontière des sexes signifie davantage lorsqu’une fille nait dans un endroit où les clivages hommes-femmes et la supériorité des uns écrasant l’existence des autres sont plus marqués, incorporés et peu mis en question. Lorsque les rues de Téhéran sont « à feu et à sang », que la mère en interdit l’accès aux filles, Kimiâ est dehors, joue au foot ou suit les « aînés qui fabriquent des cocktails Molotov » (203-204). Elle agit comme un garçon, elle est garçon.

La narratrice de Tous les hommes… évoque aussi des moments marquants avec son père autour des matchs de foot, des promenades en bord de mer, entre hommes : « Je me serre contre mon père, je suis parmi les hommes, l’un d’entre eux, et je suis l’homme, le fils de mon père » (90). Elle condense, en une seule phrase, la métamorphose ressentie au contact du corps masculin : d’un constat (« je suis parmi les hommes »), le glissement vers un état (« l’un d’entre eux ») est immédiat, produisant une illusion quasi réelle (« le fils de mon père »). Mais le plus souvent, elle recourt à l’euphémisme pour maintenir l’effet suggestif : « je suis l’être dont il ne faut pas dévier le sens du chemin qu’il prend ». (61) Plus tard, lorsqu’elle commence à fréquenter la boîte de nuit exclusivement réservée aux femmes, elle dira : « je sors seule comme un homme » (24).

 

3.2 Garçon manqué : trouble dans le corps

Les narratrices se vivent donc comme garçon, le comparatif traduisant l’attitude dans le processus d’identification et la croyance dans l’illusion que le comportement induit : elles sont ce qu’elles pensent être : des garçons. La ressemblance est si forte que l’adverbe disparaît, laissant paraître des filles qui ne le sont pas, pas à leurs yeux mais ni totalement garçons aux yeux de leurs proches. Comme si un accord tacite les liait. Lorsqu’elle parle de sa place dans la famille, la narratrice de Tous les hommes… confirme le droit de « [s]e déguiser, de [s]e travestir » (61), ou celui de jouer le garçon avec Ali dont la mère craint qu’il ne devienne « homosexuel à [s]on contact » (83).

Dans tous les cas, ce que les deux narratrices expriment est le mal être dans un corps qui ne colle pas à leur peau. Lorsque Kimiâ surprend son image dans un miroir en pied, – habillée en jupe-salopette pour la rentrée des classes – sa réaction traduit un trouble qui la ramène brusquement à la réalité : « Ce que je ressentis fut alors si étrange et inattendu que je restai comme pétrifiée : l’impression d’être déguisée en fille et la conscience soudaine d’en être une » (178), comme si le corps aperçu n’était pas celui qu’elle habitait (intérieurement). Très vite, c’est la « panique d’être obligée d’aller à l’école avec cet accoutrement et de [s]e comporter en conséquence » (178) qui l’inquiète, inquiétude qui n’est autre que la prise de conscience de devoir endosser une identité qui n’est pas sienne, à tout le moins pas celle qu’elle ressent ou habite. Le mâle en elle va rapidement être identifié par l’une de ses sœurs qui prononce, pour la première fois, le mot « lesbienne », terme qui la laisse sans mots tant le choc est brutal lorsqu’il parvient à ses oreilles : « à l’autre bout de cette confusion légitime, il y avait la violence soudaine de la vérité » (214). Mais qu’importe, la gamine fuit la compagnie des filles, quête sans cesse l’extérieur, celui des hommes, de « l’interdit, que la fille iranienne, tenue par des lignes de démarcation mentales tracées autour de son berceau, considérait comme vulgaire » (212). Malgré l’assignation incorporée comme norme/normale – et osons le jeu de mot norme mâle –, Kimiâ se sent très proche des garçons : « grande, mince, cheveux courts, torse plat, mains et pieds immenses », elle leur ressemble (210). Ce désir d’identification, enfoui en elle/lui, apparaît à maintes reprises dans la narration : « Par un curieux micmac psychique, quand je m’imaginais adulte, je me voyais torse nu, fumant ma cigarette sur le balcon dès l’arrivée du printemps » (213).

La structure éclatée du roman de Bouraoui fait que les détails sur l’orientation sexuelle de la narratrice affleurent de manière dispersée. Ils semblent anodins mais orientent l’interprétation que l’on pourrait donner aux activités a priori innocentes de celle qui manie le récit : porter la « cravate de papa » lorsqu’elle « joue à l’écrivain, qui, à [s]es yeux, est toujours un homme » (57), adopter toujours le rôle de garçon dans ses jeux avec Ali : « Ali ne me demande pas pourquoi je parle de moi au masculin. […] Je ne suis pas une fille ou pas une fille comme les autres, c’est le garçon en moi qui l’attire, lui qui achève toujours sa journée en pleurant. » (95). Ou encore les fois où elle s’imagine garçon parmi ceux des plages d’Alger : « En rêve, je deviens l’un d’eux, je remise la part féminine de mon être, qui ne correspond pas à mes envies, aux chemins que je prends. Je ne suis plus la fille. Je ne serai jamais la femme. » (17). L’identification passe par la négation forte (ne plus/ne jamais) de ce qu’elle est mais qu’elle rejette, nie.

Sur un autre plan, les deux romancières accordent des moments importants à l’expression du mal-être de leur personnage. Elles explorent le versant solitaire de la vie sociale d’une lesbienne. Si bien que parfois ce que les héroïnes ont à dire de personnel prend la forme d’aphorismes ou de propos à valeur de vérité générale.

La narratrice de Tous les hommes désirent naturellement savoir semble plus dure avec elle-même, comme si elle avait incorporé la violence extérieure. La culpabilité la guette à chaque page/passage à l’acte même si elle ignore « la nature de [sa] faute » (33). Elle vit dans la peur permanente « d’avoir été démasquée, de mériter une punition » (19), la peur « qu’on la dénonce » pour ses « penchants », son « inversion », sa « nature » (32). De fait, les formules employées sonnent comme une condamnation : « Je fais l’expérience de la délinquance sans commettre de délit » (32), « Je me sens coupable, mais j’ignore la nature de la ma faute » (33). La guerre qu’elle « mène contre [elle]-même » (15) inaugure le récit d’une existence clandestine à la boite de nuit le Kat, « milieu des femmes » homosexuelles, marginales. Sa vie se résume aux rejets cumulés (« Ely n’aime pas les Arabes »), à sa « peur des femmes et de l’inconnu » qu’elle retourne contre elle : « Je souffre de ma propre homophobie » (31), « J’ai honte de moi » (142), et crie tout autant son souhait d’appartenir à leur communauté. Appartenir : vœu pieu qui parsème son chemin d’embûches et rejets : c’est « pédé » que lui lance Tarek, un copain d’enfance, mot qu’elle reprend et s’attribue comme un stigmate : « Je suis en colère contre moi, le pédé » (247). Sa grand-mère maternelle ne l’épargne pas non plus : « Celle-là, il faudrait la payer pour aller avec un garçon. Soit c’est une intellectuelle, soit c’est une lesbienne » (160). Le démonstratif égratigne celle qui est pointée du doigt, montrée comme marginale, a-normale et lesbienne achève son exclusion définitive du cercle familial. La narratrice commente : « Je lui donne raison et je lui en veux. Jamais je n’aurais pensé qu’il était si difficile d’accepter sa condition » (Ibid.). Accepter sa condition relève-t-il d’un choix assumé ? Rien ne semble évident tant la narratrice et Kimiâ cherchent à échapper au destin que leur imposent leurs familles, leurs milieux culturel et social : quand l’une « cherche d’autres directions que celles que l’on m’assigne » (Tous les hommes… 75), l’autre ne sait que faire avec la « chose monstrueuse » qui lui colle à la peau telle une seconde nature (216).

De son côté, Kimiâ affronte le silence et la souffrance de la famille, causés par l’exil à Paris : elle a du mal « avec la normalité » (273). La complicité a brutalement cessé entre la « préado grande et sans formes » et son père Darius, dont elle aurait aimé qu’il prononçât le mot « homosexualité » à propos de son frère. Le secret ainsi partagé l’aurait aidée à parler d’elle, comme si le fait de mettre des mots sur l’orientation sexuelle de l’oncle numéro 2 pouvait retisser la relation père-fille. Jamais les « explications » ne sont venues ainsi que le rapporte Kimiâ (231) : 

 

Après avoir attendu des explications qui ne venaient pas, je lui demandai si Oncle Numéro 2 avait interprété la décision de Mère comme l’acceptation de qui il était. Darius fronça les sourcils, ralentit le pas et se tourna vers moi :

« Qu’est-ce que tu veux dire ? »

Soudain j’hésitai.

« Je ne sais pas…. Je veux dire, Oncle Saddeq était… (Difficile de prononcer le mot en persan tellement il sonne vulgaire, mais Darius comprit).

Il était ce qu’il était. Personne ne sait vraiment ce que vivent les gens.

Oui enfin, même moi je sais que..

Toi peut-être, me coupa Darius, mais moi je ne le sais pas. »

 

Face au mutisme familial qui ne lui laisse pas d’espace de parole, Kimiâ trouve refuge à l’extérieur : elle se rase les cheveux, fréquente les punks, les déclassés et autres marginaux que les familles rejettent pour leur orientation sexuelle. Elle rate des cours mais se tue à la natation afin d’avoir le corps de Peter Murphy : « fesses plates », « hanches étroites », « épaules droites », cuisses dessinées » (276) 7. Son corps devient « hybride » (277). Elle s’abîme dans l’alcool à mesure que le lien avec sa mère se détériore. Aux yeux de celle-ci, elle est une « trainée », faute de la catégoriser autrement : « Elle ne sait pas ce que je suis, mais pas une fille », martèle Kimiâ (283). Dans son monde des minorités, « la FACE B », dite la recalée, l’indésirée, elle vit son homosexualité comme une honte, une violence qu’elle retourne contre elle. Si bien qu’elle passe son temps à nager à contre-courant du monde qui l’entoure. Jeune, elle fuit ses sœurs pour retrouver « des garçons. Grande et mince, cheveux courts, torse plat, mains et pieds immenses, je leur ressemblais. » Elle précise cependant qu’elle quête « l’extérieur, l’interdit, que la fille iranienne, tenue par des lignes de démarcation mentales tracées autour de son berceau, considérait comme vulgaire » (212). Elle fuit sa condition mais plus grande, femme, sa « nature » la rattrape vite. Elle est lesbienne et le vit mal.

La guette alors la solitude à l’image de la narratrice de Bouraoui, comme si toutes deux avaient « en commun l’affreuse virginité qui consiste à n’être pas de [leur] monde » (Yourcenar, Feux, 1957). De cette souffrance solitaire, les héroïnes en font un creuset de réflexions et invitent à réinterroger l’hétérosexualité comme norme instituée mais non objectivée.

 

4. Écrire/dire le mâle être lesbienne 

La phrase provocatrice jetée tel un pavé dans la mare et qui a eu le mérite de semer le trouble dans le genre, « les lesbiennes ne sont pas des femmes », de Monique Wittig 8, permet sans doute d’avancer l’idée que la figure de la lesbienne chez Djavadi et Bouraoui va dans le sens de cette affirmation. Elle échappe à la pensée binaire, à l’imposition du clivage homme/femme. Le trouble ressenti et vécu par leurs personnages dit en creux l’impossibilité à définir l’Être lesbienne : ni complètement une femme ni totalement un homme, sans doute un troisième corps.

Si les définitions figent, Bouraoui et Djavadi usent subtilement du fragment afin de faire trembler l’ordre du discours, troubler le sens/l’essence des mots stigmates que la société impose au régime des sexes. Elles campent deux personnages qui éprouvent/goûtent au quotidien « l’amer bonheur de se sentir pareilles 9 » aux hommes et la difficulté à nommer et affirmer le désir puissant ressenti pour les femmes. Le dire lesbien peine à se frayer une place dans l’espace discursif. Il semble même impossible de nommer la « chose monstrueuse » qu’est l’homosexuelle : Kimiâ et la narratrice de Tous les hommes…se heurtent continuellement au verrouillage social et au contrôle du corps, surtout quand il trahit ce qu’elles dissimulent. A Paris, lorsqu’elles passent à l’acte afin de vivre des expériences secrètes, elles se rendent compte que franchir le seuil de leur peur n’est pas s’affranchir du regard social. Elles sont conscientes de transgresser un tabou qui, comme l’indique son sens, dit l’interdit de dire ou de faire. D’où le fantasme de disparaître qui s’incarne sous divers aspects  dans les récits : mensonge, déguisement, clandestinité.

Alors elles consacrent leur temps à maquiller leur vie tout en essayant de cerner l’être-différent qu’elles ressentent, rejettent ou tentent d’oublier. Kimiâ le résume bien : il n’y a rien de pire que la pensée binaire qui obstrue toute direction autre que la contrainte à l’hétérosexualité (Adrienne Rich). La binarité impose le choix du non-choix : elle ne permet pas l’émergence d’un espace tiers pour penser d’autres possibilités d’être, d’aimer. « Être homosexuel ou hétérosexuel ne veut rien dire. Ces considérations si conflictuelles et polémiques sous la lumière crue du jour, sont trop poreuses pour résister aux nuits de cette décennie agitée qui s’achève » (278). Si bien que l’affirmation radicale de Wittig résonne comme une onde de choc, faisant voler en éclats la dichotomie genrée. N’est-ce pas ce qu’essaie de mettre en voix la narratrice de Tous les hommes désirent naturellement savoir lorsqu’elle évoque sa vie « désaxée de [sa] "normalité" » ? quand elle revient sur sa particularité : « Nous sommes à part. Nous le resterons. Les homosexuelles » (141) ? C’est la marge, le « à part », qu’il s’agit d’explorer, savoir ce qu’ils signifient et qu’elle déclare telle une vérité incontestable : « Entre femmes, il n’y aucune prise de pouvoir d’un corps sur un autre, on est à égalité et ça joue pour la suite, l’égalité physique, même si l’un des deux esprits domine, il n’y a pas ce schéma de l’asservissement du plus faible » (139). Ou encore lorsqu’elle analyse le lieu-origine de son désir homosexuel (61) :

 

« Il y a une enfance homosexuelle. Cette enfance est la mienne. Elle ne répond à rien. Elle ne s’explique pas. Elle est. […] L’enfant homosexuel n’est pas l’être raté, il est l’être différent, hors norme et à l’intérieur de sa norme à lui, dont il ne comprendra que plus tard qu’elle le distingue des autres, le condamnant au secret, à la honte. »

 

De son côté, Kimiâ interroge l’entre-deux, l’inter, ce qu’il y a au centre mais relié à aucun point : dans sa « culture, l’important c’est d’être quelque chose ; s’inscrire dans une catégorie et d’en suivre les règles. La transsexualité existe parce qu’il y a pire qu’être transsexuel : être homosexuel ». Ce n’est même pas une honte, poursuit-elle, c’est « une impossibilité d’être. Une non-réalité » (219-220). Aucune possibilité pour une troisième identité, aucune échappatoire.

D’une certaine manière, les narratrices comme l’ingénieuse conceptrice de la Pensée straight, remettent en cause l’idée du même, du même opposé à l’Autre, soit féminin/masculin. Pour elles, l’être lesbienne rend caduque la frontière entre les sexes. La lesbienne ouvre des perspectives discursives. Ce qui semblait évident, si familier – l’institution de catégories aliénantes, pensées et posées comme valeurs – devient étrange.

 

Pour ne pas conclure

« L’existence lesbienne inclut à la fois la transgression d’un tabou et le rejet d’une forme de vie obligatoire », écrit Adrienne Rich (1981 : 32). Si les deux narratrices corroborent ce constat, il faut néanmoins rappeler que le « rejet d’une forme de vie obligatoire » ne va pas de soi. Certes, les narratrices sont parvenues à échapper à toute contrainte sociale, mais à quel prix ? Certes Kimiâ vit avec Anna mais clandestinement : elle manie le mensonge de bout en bout pour obtenir le droit de recevoir un don de sperme (interdit aux couples homosexuels), ne révèle rien à ses sœurs. La narratrice de Tous les hommes… manipule aussi le mensonge avec les filles et femmes du Kat tant elle craint de dévoiler qui elle est. Mais elle cherche, elle veut savoir pourquoi il est si difficile d’aller et d’aimer à contre-courant.

Autrement dit, elle pose la question de « Savoir » comme possibilité de renoncer aux définitions. Savoir, c’est la prise de conscience de l’existence lesbienne même si cette conscientisation n’advient que de manière parcellaire, ce dont rend compte le choix du fragment. Il suit le mouvement intranquille des héroïnes. Surtout, il s’affranchit des définitions. « [Q]ue l’écriture parle pour moi et me délivre », clame la narratrice qui rapporte « la nuit des femmes » dans son journal. Et que le lecteur soit interpellé.

 

  1. Dernièrement, Fatima Daas, jeune auteure française dont les parents sont originaires d’Algérie, a publié La Petite dernière (août 20, Noir sur blanc éditeur), récit-monologue qui relate la vie d’une jeune de Clichy, française, musulmane et homosexuelle.
  2. Le sujet affleure çà et là, souvent relégué en arrière-plan, parfois de manière sous-entendue, dans quelques romans : Le Passé simple de Driss Chraïbi, qui évoque la sodomie, a fait scandale dès sa parution en 1954 ; ou plus explicite comme dans L’enfant de sable et La Nuit sacrée de Ben Jelloun (Zina est élevée comme un garçon et doit se marier avec sa cousine). Plus récemment, Qu’attendent les singes (2014) de Yasmina Khaddra ou Harraga (2007) de Boualem Sansal, esquissent discrètement des portraits de femmes lesbiennes : une commissaire qui partage sa vie avec une femme droguée dans le premier cas ; l’aveu de Lamia pour Chérifa, jeune femme de 16 ans qu’elle recueille chez elle, dans le second. L’accent est mis sur la dimension sociale plus que sur l’identité amoureuse des héroïnes. Ces dernières années, Rachid O. et Abdallah Taïa publient des récits dont les personnages sont gays.
  3. TLFI: http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/affart.exe?19;s=2389800840;?b=0; 18 sept. 20, 12 :10 :24.
  4. La narratrice n’a pas de nom.
  5. 10 chapitres pour la Face A, 4 pour la face B et un dernier, non numéroté, comme décroché.
  6. Ce procédé est une spécificité du style de Bouraoui et ce, dès son premier récit, La Voyeuse interdite (1991).
  7. La narratrice de Tous les hommes… note le même constat : « J’ai maigri, ma nature homosexuelle a recouvert mon enfance, mon adolescence et une partie de ma jeunesse. Je suis pourvue d’un autre corps à force de sorties, d’idées étranges, de désirs obsédants, refoulés », p. 136.
  8. Monique Wittig, La Pensée straight, Paris, éd. Amsterdam, 2018 [2001], p. 77.
  9. Adrienne Rich cite un passage de La Vagabonde de Colette, « La contrainte à l’hétérosexualité », Nouvelles questions féministes, 25/09/20, https://www.jstor.org/stable/i40027094, p. 41.