A whole new world, a new fantastic point of view. Rhétorique et représentations de nouveaux mondes

A whole new world, a new fantastic point of view. Rhétorique et représentations de nouveaux mondes

Par BEAUVIEUX Fantine, GAMBIN Gatien

Du Mundus Novus aux nouveaux mondes

Au début du XVIe siècle circule en Europe 1 un document intitulé Mundus Novus. Ce court texte est présenté comme la retranscription en latin d’une lettre d’Amerigo Vespucci à destination de Lorenzo Pietro di Medici 2. L’explorateur y décrit les « nouvelles régions qu’il a trouvées et explorées avec sa flotte 3 ». Surtout, il y entérine, dès l’introduction, l’expression « Nouveau Monde » pour désigner un territoire cartographié par les Européens depuis 1492 ; Christophe Colomb pense avoir rejoint les Indes, Amerigo Vespucci affirme qu’il s’agit d’un Nouveau Monde, encore inconnu pour les européens. L’épithète « nouveau », ici, joue un rôle double : il qualifie le territoire américain à la fois à partir du critère de la connaissance et à partir de celui de la modernité. Le Nouveau Monde, en effet, induit qu’il existe un Ancien Monde, celui de l’Europe, plus couramment nommé « Vieux Continent ». Avec le Nouveau Monde, le vieux laisse la place au neuf. En France, nos manuels d’Histoire ne s’y sont pas trompés puisqu’il est traditionnellement admis que le passage du XVe au XVIe siècle opère une transition entre le Moyen-Âge et l’Epoque moderne. Derrière le concept de « Nouveau Monde » s’affirme donc une rupture entre deux espaces et entre deux époques. L’expression cristallise les promesses du continent américain : une extension des limites géographiques, un désir de changement, un retour à la nature sauvage, l’espoir de nouveaux modèles de société. En somme, elle pose les fondements du mythe de la Frontière théorisé par Frederick Jackson Turner 4.

Que faire aujourd’hui de ces promesses ? La dimension positive et l’espoir portés par l’expression « Nouveau Monde » s’effritent. Le monde n’est plus nouveau depuis qu’il est observable dans sa totalité grâce aux satellites – un pouvoir désormais accessible pour tout un chacun grâce aux outils numériques tel que Google Earth. L’image de « la bille bleue 5 » a permis une prise de conscience de la finitude de notre planète 6, renforcée par la prise de conscience de ses ressources limitées 7.

Il ne semble plus y avoir de Nouveau Monde, seulement notre monde globalisé, la Terre. La recherche d’une planète B – Mars ou ailleurs – est une manière de refuser ce constat, de poursuivre la découverte d’un nouveau territoire habitable par l’Homme, une forme de « néo-hyper-modernisme8 ». Refuser l’appel d’un Nouveau Monde ailleurs, à l’inverse, revient à se demander : « Sommes-nous Modernes ou Terrestres 9 ? » et, par conséquent, à remettre en cause le progrès moderne. Cette tendance forte dans un XXIe siècle en proie aux angoisses écologiques s’accompagne d’une critique de la colonisation caractéristique de l’Epoque moderne. Le concept même de Nouveau Monde n’a plus lieu d’être puisque les Amériques n’étaient nouvelles qu’aux yeux des colons européens ; la nouveauté d’une chose dépend du référentiel de ceux qui la considèrent nouvelle.

Pour autant, l’usage de l’expression ne se tarit pas car elle dépasse le cadre de la géographie et sert désormais à désigner tout nouveau paradigme. Pour conclure son abondante analyse de la sortie de la religion et l’installation de la démocratie en occident, Marcel Gauchet titre par exemple : L’Avènement de la démocratie, IV : Le Nouveau Monde 10. Il emploie cette formule pour caractériser la transition d’un monde à un autre. Dès qu’un domaine évolue, la formule est utilisée pour commenter cette évolution. Ainsi, un changement de méthodes managériales entraînerait l’apparition d’un nouveau monde du travail 11 ; les cryptomonnaies feraient émerger un nouveau monde économique12 ; la pandémie de COVID-19 serait suivie d’un nouveau monde 13 ; les projets de métavers provoqueraient l’avènement d’un nouveau monde numérique 14, etc. Ce bref inventaire illustre une tendance conversationnelle caractérisée par l’évocation d’un nouveau dès qu’un changement survient dans un domaine. D’ailleurs, les références accolées à ces exemples montrent que l’expression « nouveau monde » est devenue un élément de langage des commentaires médiatiques. Elle est devenue une formule rhétorique qui se déploie sous deux formes : l’espoir et la critique.

Lorsque Bertrand Claverie emploie l’épithète « nouveau » pour qualifier le monde auquel les membres de Génération Ecologie aspirent, lorsque le réalisateur Yann Richet intitule son documentaire écologiste « Nouveau Monde » ou lorsque Cyril Dion titre son ouvrage Demain. Un nouveau monde en marche 15, c’est pour faire appel à toute la puissance d’espérance de l’expression. Lire ces mots active chez les récepteurs le désir d’un changement, d’un monde-à-venir bénéfique. Il en va de même pour les chantres des changements censés révolutionner un domaine et, partant, créer un nouveau monde. Il y a là quelque chose qui a à voir avec la rhétorique de la Terre promise analysée par Jean Godefroy Bidima :

 

La terre promise réactive des élans, donne de l’espoir à ceux qui avaient un horizon étriqué, soude les communautés vers un idéal qui soit moins narcissique, réaffirme les identités communautaires, allume des conflits et peut aussi produire des leurres et des violences  16.

 

Lorsque l’expression « nouveau monde » est chargée d’espérance, elle devient l’étendard d’un projet commun, elle organise un collectif autour d’un même espoir. La violence dont parle Bidima se présente pour les personnes qui n’adhèrent pas à cet idéal commun. Quand Mathilde Ramadier 17 conte les mésaventures des jeunes travailleurs dans la « coolitude des start-ups », elle illustre la violence potentielle derrière ce supposé « nouveau monde du travail ». De même, Nathalie Sonnac entend dénoncer l’antidémocratisme des médias contemporains qu’elle réunit sous le nom : « Le Nouveau Monde des médias » 18. Marc Lazar, lui, commente la politique d’Emmanuel Macron, présentée comme un nouveau monde, en lui opposant une réalité qui tiendrait plutôt du « vieux monde 19 ». Dans ces trois cas, l’expression « nouveau monde » prend un sens ironique qui rend la nouveauté toute relative et détourne l’idéalisme de la formule. La perspective critique adoptée ici souligne que la formule est surtout un élément de communication dont il faut parfois se méfier.

Il reste que cette formule manifeste un changement, qu’il soit désiré ou réprouvé. En cela, désigner quelque chose comme un « nouveau monde » implique une confrontation avec un monde plus ancien, comme c’était le cas dès l’utilisation de la formule par Vespucci. Cette confrontation, toujours, est affaire de points de vue qui s’opposent.

 

Nouveaux mondes : nouvelles perspectives ?

Une séquence phare du film d’animation Aladdin de Ron Clements et John Musker 20 est significative de ces interrogations : Aladdin et Jasmine survolant Agrabah dans une nuit bleutée et chantant la célèbre chanson « A Whole New World 21 ». Sur leur tapis volant, les jeunes amoureux rêvent d’un monde nouveau libéré des contraintes qui sont les leurs et qu’il leur reste à découvrir 22. La rhétorique du nouveau monde est au cœur de la chanson 23 : les tourtereaux en recherche d’émancipation imaginent un endroit pour s’épanouir pleinement ; ils se confrontent ainsi au modèle du vieux monde, incarné par le Sultan et son vizir, le pernicieux Jafar. Pour rêver de ce nouveau monde, Aladdin et Jasmine volent au-dessus d’Agrabah ce qui leur permet de voir la ville sous un nouvel angle. Le « fantastique nouveau point de vue » est celui du palais, vu du ciel 24. C’est grâce à cette perspective nouvelle qu’Aladdin entend « ouvrir les yeux 25 » de Jasmine, la princesse qui n’a jamais quitté le palais.

Un nouveau monde n’est jamais autre chose qu’une question de perspective. Dire d’un monde qu’il est nouveau, c’est créer une représentation de ce monde à travers un angle novateur. Les nouveaux mondes peuvent ainsi être multiples : dans le discours médiatique, le nouveau monde du travail, le nouveau monde écologique ou le nouveau monde de la finance peuvent coexister, par exemple, car ils ne sont que des représentations utiles pour circonscrire et analyser un phénomène donné – dans les faits, la compatibilité de ces phénomènes est discutable. Bien que certains mondes désignés comme nouveaux puissent être des territoires réels, l’usage de l’épithète génère des représentations de ces lieux. Le continent américain était un Nouveau Monde uniquement pour les colons européens qui l’ont imaginé à partir des récits qui en ont été faits ; le Nouveau Monde était pour eux une représentation, jusqu’à ce qu’ils l’arpentent. La nouveauté est un mouvement plutôt qu’un état, une période plutôt qu’une époque, puisque le « nouveau » cesse de l’être lorsqu’il devient le statu quo. En cela, un nouveau monde ne peut être qu’une représentation qui, une fois vécue, perd de sa nouveauté. Pour les colons européens, le Nouveau Monde est ainsi devenu leur monde. Les nouveaux mondes ont une date de péremption ; la formule, elle, est pérenne. Elle doit sa longévité à sa capacité à déplacer le regard, à offrir de nouvelles perspectives sur le monde de référence dans lequel sont produites telle ou telle représentation d’un nouveau monde.

Les genres de l’imaginaire comme la fantasy ou la science-fiction se démarquent dans cet exercice de décentrement du regard. Ils appartiennent à ce que Simon Bréan nomme « un régime ontologique matérialiste 26 » où s’opère une distance entre monde réel et monde fictionnel. Les mondes inventés dans ces genres sont profondément nouveaux, soit parce qu’ils sont en rupture avec le monde de référence des récepteurs, soit parce qu’ils sont spéculés à partir de celui-ci 27. Pour Darko Suvin, la science-fiction est plus particulièrement caractérisée par la prépondérance de novums, nom qu’il emprunte à Ernst Bloch pour désigner les éléments d’innovation au cœur d’un récit de science-fiction. Le mot désigne en Latin des « choses nouvelles ». La science-fiction adopte en quelque sorte l’adjectif « nouveau » au sens strict puisqu’elle repose sur l’imagination d’un monde a priori futuriste. Cet exemple témoigne de l’importance du point de vue de celui qui qualifie une chose de nouvelle : tous ces novums¸ en effet, sont des innovations pour les récepteurs d’une œuvre de SF, et surtout pour leurs auteurs 28 ; dans la diégèse, ils peuvent être tout à fait commun 29.

L’originalité des perspectives offertes par les nouveaux mondes – qu’ils désignent un paradigme, un univers fictionnel ou un territoire – pose toutefois question. Alice Carabédian montre par exemple que les utopies – des mondes neufs et pleins de promesses – restent trop attachées au mythe moderne du progrès 30, une position peu cohérente avec notre « condition postmoderne 31 », qui les transforme en dystopies. Aux nouveaux points de vue fantastiques, ces imaginaires troquent souvent des perspectives déformantes de notre réalité, tout en pessimisme et en contraintes. Sans sombrer dans le dystopisme, la représentation d’un nouveau monde peut également s’apparenter à un recyclage ou à un vernis. L’imaginaire de la colonisation spatiale apparaît par exemple bien souvent comme une actualisation de mythes anciens où de vieux modèles coloniaux sont calqués sur de nouveaux mondes, tandis que ce que l’on nomme « nouveau monde du travail » apparaît surtout comme une apparence nouvelle des principes capitalistes puisqu’elles sont orientées vers les mêmes aspirations productivistes.

Cet échantillon de représentations de nouveaux mondes précise les interrogations qui font l’objet de ce dossier. À travers des articles au croisement de plusieurs disciplines – littérature, littératures comparées, études culturelles, études cinématographiques, analyse bédéistique et anthropologie –, nous analyserons les perspectives offertes par les représentations de nouveaux mondes. Sont-elles réellement nouvelles ? Ou sont-elles de simples colorations différentes de notre monde – plus ou moins lumineuses ou plus ou moins obscures ? Parviennent-elles à se détacher d’anciennes représentations, d’anciennes conceptions du monde ? Peuvent-elles faire autre chose que commenter l’époque où sont produites ces représentations ? Sont-elles vouées à critiquer notre monde ? Ou à en faire l’éloge ?

Pour conclure cette réflexion, , la « Symphonie du Nouveau Monde 32 » paraît tout indiquée. Composée par Antonin Dvořák lors de son séjour aux États-Unis, elle fut perçue comme l’acte de création d’une musique symphonique américaine. Pourtant, le compositeur a toujours refusé cette paternité et s’est agacé des commentaires affirmant qu’il s’était inspiré des mélodies amérindiennes et afro-américaines. La structure de l’œuvre est avant tout la « revendication » de sa culture tchèque33. Deux enseignements sont à tirer de cette anecdote. D’abord, à trop dire d’un monde qu’il est nouveau, on biaise notre compréhension d’un phénomène ou d’un objet en induisant un changement radical qui peut être factice. Ensuite – et ce sera là le fil rouge de ce dossier –, dès lors qu’un monde est réputé nouveau, il convient d’interroger son originalité. Ce n'est qu’ainsi, en écartant le biais de la nouveauté proclamée, que l’on peut se demander si la manière dont on (se) représente des nouveaux mondes ouvre des perspectives singulières ou, au contraire, fait preuve de conformisme.

 

Présentation du numéro

Au sein de la littérature de l’imaginaire, on assiste aujourd’hui à un besoin de nouvelles représentations, de nouveaux mondes. C’est donc sans surprise qu’apparait un engagement net et important dans de nombreuses fictions sur les questions sociales qui traversent le monde contemporain. En complément de la présente introduction, ce dossier s’ouvre sur l’analyse par Anne Besson de plusieurs récits d’autrices où se manifeste un désir de proposer de nouvelles perspectives sur les enjeux sociaux contemporains. Il est question de réparer les écueils des genres de l’imaginaire et de représenter l’aspiration contemporaine à proposer et découvrir de nouveaux mondes.

Interroger les représentations de nouveaux mondes nécessite l’examen de la manière dont leurs créateurs les imaginent. Que ce soit dans la fiction littéraire, audiovisuelle, ou bien dans le monde réel, « Imagination », la première partie du dossier, portera sur les façons de faire monde et de rêver de nouveaux lieux. À travers une approche ethnocritique, Anne Bravo s’intéresse ainsi aux Furtifs, un roman de science-fiction d’Alain Damasio, et décrypte la construction de nouveaux lieux au sein d’un univers dominé par les nouvelles technologies où la modernité se mêle à la solitude et s’oppose au vivant. Le récit questionne le rapport des sociétés contemporaines à ces notions et, dans ces perspectives, montre le lien à la nature et au vivant comme proposition libératrice. Ce pouvoir réflexif de la fiction est d’autant plus frappant chez la philosophe Margaret Cavendish, notamment dans son ouvrage The Blazing World (1666) étudié par Marie Gall. Elle analyse le rôle du récit qui permet de mettre en œuvre une expérience de pensée soutenant les théories scientifiques de l’autrice, notamment à travers la création de nouveaux mondes mentaux. Car la puissance spéculative du faire monde s’exprime également à un niveau plus intime. C’est le sujet de l’article d’Anaëlle Dano-Freulon qui étudie la manière dont les studios Pixar ont représenté « l’espace cognitif à l’écran autour d’une dialectique du souvenir et de la mémoire ». Si ces films – Inside Out (2015), Finding Dory (2016) et Coco (2017) – ont en commun le fait qu’ils illustrent le fonctionnement psychique, ils se distinguent par la représentation de ce dernier et proposent la mise en scène de trois mondes bien différents. Cependant l’imaginaire ne s’arrête pas aux fictions, et les promesses de nouveaux mondes ont également lieu dans la vie réelle contemporaine. Florence Boux livre à ce propos une enquête ethnographique d’un écovillage qui promet un monde où l’accent est mis sur l’authenticité, le lien social et l’écologie, pour pallier les manques de la société occidentale contemporaine. Mais cette promesse pourrait davantage tenir de l’utopie car elle semble difficile à tenir lorsque le village est composé d’êtres humains ayant grandi dans un monde individualiste.

L’opposition entre un point de vue prétendu neuf et une vision ancienne sera l’objet de la seconde partie, intitulée « Confrontation ». Celle-ci s’observe actuellement au sein des musées, dont Mathilde Vançon étudie les changements. Les aspirations de la société se modifient au fil des années et aujourd’hui les musées ne peuvent pas ignorer les considérations éthiques de la société. Ils doivent s’adapter, aussi tentent-ils de se redéfinir à travers leur lexique mais aussi grâce à la littérature à laquelle ils laissent la place de traduire une forme de modernisation des musées. À une toute autre époque, Grégoire Jacquemot étudie le cas de la poésie versifiée des années 1820 qui connaît un changement de paradigmes. Le passage d’un monde à l’autre se répercute ici sur la création : une école moderne veut s’imposer et proposer de nouveaux espaces, une nouvelle « posture du poète » qui s’appuie sur la « couleur locale ». Cette opposition entre ancien et nouveau monde se manifeste également dans la fiction contemporaine. Fantine Beauvieux analyse la représentation du monde du travail au sein du film Dumbo de 1941 et de son adaptation sortie en 2019 et comment elle évolue selon les époques de production. Hugo Glineur analyse quant à lui l’articulation entre monde ancien et monde nouveau à travers « l’exemple de la magie super-héroïque du Docteur Fate » dans ses premières apparitions en comics (entre 1940 et 1944). Ce personnage, en effet, naît en pleine création des univers super-héroïques tout en réinvestissant la mythologie mésopotamienne. De la confrontation des mondes peut ainsi émerger une coexistence. C’est d’ailleurs souvent le cas, dès que la novation se produit par le recyclage d’éléments antérieurs.

Il est pourtant déconseillé d’« utiliser une vieille carte pour explorer un nouveau monde 34 ». La dernière partie de ce dossier, intitulée « (Post-)Colonisation », remonte ainsi aux racines colonisatrices du concept de « Nouveau Monde » pour questionner l’actualisation de cette idéologie. Viktoriia Kokonova explore « l’image utopique du Brésil, héritée du Moyen Âge [qui] se déconstruit au contact avec la réalité ». Le récit idyllique ne tient pas en dehors de la littérature viatique qui lui permet de circuler ; les promesses d’un paradis permis par la colonisation sont vaines. Wesner Bruel Obolo étudie « l’esprit de la décolonisation comme passage de l’ancien au neuf » dans deux romans (Rouge impératrice de Léonora Miano, 2019, et Aux États-Unis d’Afrique d’Abdourahman Waberi, 2006). Il interroge la mise en place d’utopies panafricaines dans toute leur complexité. Paradoxalement, c’est à travers la science-fiction, genre pourtant tourné vers le futur, que se retrouvent les traces les plus prégnantes de l’héritage colonialiste. C’est ce qu’explorent Mathieu Lottiaux et Gatien Gambin à travers leurs articles respectifs. Le premier analyse la manière dont la colonisation américaine devient un mythe cosmogonique dans Farmer in the Sky de Robert Heinlein (1950) et The Martian Chronicles de Ray Bradbury (1950). Le second compare la représentation de la figure du pionnier interstellaire, et son incarnation, dans deux jeux vidéo : Mass Effect : Andromeda (2017) et Journey to the Savage Planet (2020).

 

* *

*

 

Ce dossier et les articles qui le composent sont issus d’un colloque jeunes chercheurs et jeunes chercheuses. Organisé avec le soutien du laboratoire LIS, il s’est tenu les 13 et 14 octobre 2022 sur le campus Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Lorraine, à Nancy. Nous remercions Maria Macedo et le comité scientifique qui nous ont aidé à organiser le colloque et à éditer ces actes : Clotilde Thouret, pour nous avoir lancé sur la piste des nouveaux mondes, Anne Cousseau, Alain Génetiot et Victor-Arthur Piégay, pour nous avoir aidé à baliser le chemin. Merci également à Florent Coste, Matthieu Freyheit, Alain Guyot et Yannick Hoffert de s’être associés au comité scientifique pour modérer les séances du colloque. Merci à Anne Besson d’avoir accepté de contribuer à ce projet. Merci, enfin, aux auteurs et autrices de ce dossier qui, grâce à leurs disciplines et leurs objets respectifs, ont permis une réflexion riche et transversale sur nos représentations de nouveaux mondes.

  1. Pour une étude des traductions européennes du Mundus Novus au XVIe siècle, voir Roberto Levillier, Santiago du Chili, Ediciones de los Anales de la Universidad de Chile, « Serie Verde », n°3, 1957, p. 13 pour les traductions latines et p. 32 pour les traductions italiennes, allemandes et françaises. Disponible en ligne : https://obtienearchivo.bcn.cl/obtienearchivo?id=documentos/10221.1/40592/1/225723.pdf
  2. Une traduction anglaise de la lettre de Vespucci est disponible sur le site internet de l’Encyclopedia Virginia (Auteur inconnu, « Mundus Novus (1503) », Encyclopedia Virginia, 7 décembre 2020, https://encyclopediavirginia.org/entries/mundus-novus-1503/)
  3. Ibid., « […] from those new regions which we found and explored with the fleet ». 
  4. Frederick Jackson Turner, La Frontière dans l’histoire des Etats-Unis, Paris, Presses Universitaires de France, 1963 [1935].
  5. En anglais : « The Blue Marble ». L’expression provient du titre d’une célèbre photographie de la Terre dans sa totalité prise par l’équipage d’Apollo 17 le 7 décembre 1972.
  6. Sébastien Vincent Grevsmühl, La Terre vue d’en haut. L’invention de l’environnement global, Paris, Seuil, « Anthropocène », 2014, p. 204-214.
  7. Dennis L. Meadows, Donella H. Meadows, Jørgen Randers, William W. Behrens III, The Limits to Growth. A Report for the Club of Rome’s Project on the Predicament of Mankind, New York, Univervse Books, 1972. Disponible en ligne : http://www.donellameadows.org/wp-content/userfiles/Limits-to-Growth-digital-scan-version.pdf
  8. Bruno Latour, Où Atterrir ?, Paris, La Découverte, 2017, p. 42-43.
  9. Ibid., p. 74, en italique dans le texte.
  10. Marcel Gauchet, L’avènement de la démocratie. IV, Le Nouveau Monde, Paris, Gallimard, 2017.
  11. Mathilde Ramadier, Bienvenue dans le nouveau monde. Comment j’ai survécu à la coolitude des start-ups, Paris, Premier Parallèle, 2017 ; Les Echos Le Parisien Evénements, « Replay – Le nouveau monde du travail », YouTube, 01/12/2021, https://www.youtube.com/watch?v=kKQ7FYx0oTk (enregistrement vidéo d’un évènement sur le sujet) ; Romain Bendavid, « “Plus rien ne sera jamais comme avant” dans sa vie au travail », Fondation Jean Jaurès, 01/07/2022, https://www.jean-jaures.org/publication/plus-rien-ne-sera-jamais-comme-avant-dans-sa-vie-au-travail/ ; Murielle Joudet, « “L’Homme debout” : Zita Hanrot et Jacques Gamblin dans un face-à-face entre l’ancien et le nouveau monde du travail », Le Monde, 17/05/2023, https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/05/17/l-homme-debout-zita-hanrot-et-jacques-gamblin-dans-un-face-a-face-entre-l-ancien-et-le-nouveau-monde-du-travail_6173675_3246.html
  12. Cyril Armange, « Le nouveau monde de la finance décentralisée », Les Echos, 19/03/2023, https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-le-nouveau-monde-de-la-finance-decentralisee-1917144
  13. Josep Borrell, « La pandémie de coronavirus et le nouveau monde qu’elle crée », European Union External Action (Service Diplomatique de l’Union Européenne), 23/032020, https://www.eeas.europa.eu/eeas/la-pand%C3%A9mie-de-coronavirus-et-le-nouveau-monde-quelle-cr%C3%A9e_fr ; le site d’actualités RFI réunit sur une même page tous les articles qui ont trait à l’après-COVID 19, celle-ci est intitulée « Après le Covid-19 vers un nouveau monde ? » : https://www.rfi.fr/fr/tag/apr%C3%A8s-le-covid-19-vers-un-nouveau-monde/
  14. Philippe Cassoulat, François Illouz, Métavers, NFT : décrypter le nouveau monde, Paris Hermann, 2022 ; auteur inconnu, « Métavers : nouveau monde utile ou divertissement illimité ? », numérique éthique.fr, 13/05/2022, https://numeriqueethique.fr/ressources/articles/metavers-nouveau-monde-utile-ou-divertissement-illimite (site annexe de la compagnie d’assurance La MAIF sur les usages du numérique)
  15. Cyril Dion, Demain : un nouveau monde en marche, Paris, Colibris, Arles, Actes Sud, « Domaines du possible », 2015.
  16. Jean-Godefroy Bidima, « Terres promises : Usages et mésusages du théologico-politique » in Odile Hamot (dir.), Terre(s) promise(s) : Représentations et imaginaires, Paris, Classiques Garnier, « Rencontres », 2021, p. 186-187.
  17. Pour une recension de l’ouvrage, voir l’article de Salvatore Maugeri dans « Travailler plus ! », La Nouvelle Revue du Travail, n°11, 2017, https://journals-openedition-org.bases-doc.univ-lorraine.fr/nrt/3390
  18. Nathalie Sonnac, Le Nouveau monde des médias : une urgence démocratique, Paris, Odile Jacob, 2023.
  19. Marc Lazar, « Marc Lazar, sociologue : “Le macronisme, qui se voulait inventeur d’un nouveau monde, utilise aujourd’hui les techniques du vieux monde” », Le Monde, 28/03/2023, https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/28/marc-lazar-sociologue-le-macronisme-qui-se-voulait-inventeur-d-un-nouveau-monde-utilise-aujourd-hui-les-techniques-du-vieux-monde_6167236_3232.html
  20. Ron Clements, John Musker, Aladdin, © Walt Disney Pictures, 1992.
  21. Tim Rice, Alan Menken, « A Whole New World », © Walt Disney Records, 4min04, interprétée par Lea Salonga et Brad Kane.
  22. Le refrain chanté par Aladdin évoque plutôt le besoin de liberté (« No one to tell us no / Or where to go / Or say we’re only dreaming »). Celui de Jasmine évoque plutôt la découverte (« A whole new world / A dazzling place I never knew »).
  23. La version française, « Ce rêve bleu », n’utilise pas l’expression « nouveau monde ». Elle se focalise plutôt sur l’instant onirique que vivent Jasmine et Aladdin. Pour autant, le refrain d’Aladdin conserve un peu de la rhétorique du nouveau monde comme lieu émancipateur : il souhaite toujours un monde « Où personne ne nous dit / C’est interdit ».
  24. Gabriel Méndez Lozano, « A Whole New World – Aladdin (1992) 1080p », YouTube, 1min12.
  25. « I can open your eyes » chante Aladdin à Jasmine dans le premier couplet de la chanson.
  26. Simon Bréan, La Science-fiction en France : théorie et histoire d’une littérature, Paris, PUPS, « Lettres françaises », 2012, p. 28. Ce régime appartient au régime ontologique poétique, qui désigne pour Bréan l’ensemble des textes de fiction où « le monde du texte est produit par le texte », en opposition au régime minimaliste, où « le monde du texte est le monde de référence », comme c’est le cas pour l’article ici présent, ou pour les articles de journaux par exemple.
  27. Ibid.
  28. Alice Carabédian, Utopie Radicale. Par-delà l’imaginaire des cabanes et des ruines, Paris, Seuil, 2022, p. 96.
  29. Darko Suvin, Metamorphoses of science fiction: on the poetics and history of a literary genre, New Haven, Londres, Yale University Press, 1979, p. 63.
  30. Alice Carabédian, Utopie Radicale, op. cit., p. 25-27.
  31. Jean-François Lyotard, La Condition postmoderne : rapport sur le savoir, Paris, Editions de Minuit, 1979, p. 20. Sur l’idée d’une fin du mythe moderne du progrès, voir : Jacques Bouveresse, « Le mythe du progrès selon Wittgenstein et von Wright » in Mouvements, vol. 1, n°19, Paris, La Découverte, 2002, p. 136 ; Peter Wagner, Sauver le progrès : comment rendre l’avenir à nouveau désirable, Paris, La Découverte, 2016, p. 174 ; Lucian Boia, La Fin du monde : une histoire sans fin, Paris, La Découverte, coll. « La Découverte poche. Essais », n° 74, 1999 [1989], p. 106.
  32. Antonin Dvořák, Symphonie n°9 en mi mineur, « Du Nouveau Monde », composée en 1893.
  33. Stephane Friédérich, « La Symphonie n°9 de Dvorak : pourquoi est-elle surnommée “Nouveau Monde” ? », Radio Classique, 19/05/2020, https://www.radioclassique.fr/histoire/oeuvres/la-symphonie-n9-de-dvorak-pourquoi-est-elle-surnommee-nouveau-monde/
  34. Cette citation, qui sonne comme un proverbe, est attribuée à Albert Einstein, bien que sa provenance exacte soit inconnue. Elle est ici traduite et remaniée. La citation originale est la suivante : « You can’t use an old map to explore a new world. »