Colonisation spatiale et jeux vidéo : l’effet-pionnier dans <em>Mass Effect: Andromeda</em> et <em>Journey to the Savage Planet</em>

Colonisation spatiale et jeux vidéo : l’effet-pionnier dans Mass Effect: Andromeda et Journey to the Savage Planet

Par GAMBIN Gatien

L’imaginaire spatial est peuplé de nouveaux mondes, de planètes inédites que la science-fiction se plaît à explorer et à coloniser. Le jeu vidéo occupe une place de choix parmi les médiums où se déploie cet imaginaire 1. Depuis ses débuts avec Spacewar! 2, la thématique spatiale s’y décline sous plusieurs formes : la guerre spatiale (Wing Commander, 1990, Homeworld, 1999-2022, Halo, 2001-2021), le space horror (Dead Space, 2008-2013, Alien: Isolation, 2014), les empires galactiques (Endless Space, 2012, Stellaris, 2016), l’exploration de l’Espace 3 (No Man’s Sky, 2016, Outer Wilds, 2019), la terraformation (Per Aspera, 2020, Terraformers, 2022) ou encore la colonisation spatiale.

Cette dernière thématique n’est pas cantonnée à un genre vidéoludique 4 en particulier. Elle sert souvent de postulat narratif pour des jeux de simulation urbaine (Aven Colony, 2017, Ixion, 2022) ou des jeux de stratégie (Civilization: Beyond Earth, 2014, Imagine Earth, 2014) par exemple. Mais elle demande aussi parfois au joueur d’incarner plus directement les colons, à travers un avatar de pionnier. C’est notamment le cas dans deux jeux que nous nous proposons d’analyser dans le cadre de cet article : Mass Effect: Andromeda de BioWare Montréal, commercialisé en 2017 5, et Journey to the Savage Planet de Typhoon Studios, commercialisé en 2020 6. Ils permettent tous deux de jouer un pionnier qui doit s’assurer de la viabilité de nouveaux mondes spatiaux avant leur future colonisation.

A l’heure où l’expansionnisme spatial fait débat – certains dénoncent son bagage colonial 7 ou son caractère démobilisateur du point de vue écologique 8, d’autres défendent sa nécessité pour la préservation de l’espèce humaine 9 –, le choix d’un pionnier comme avatar du joueur pose question. Les game studies ont établi que l’avatar est à la fois une « instance narrative » et un « moyen pour le joueur “d’être au monde du jeu” 10 ». Dès lors, il convient d’interroger l’emploi d’un pionnier en tant qu’avatar en observant l’expérience ludique et narrative produite par ce type de personnage et, à cette fin, croiser l’approche ludologique et narratologique. On pourra alors observer les formes et les effets de ce que nous proposons d’appeler « l’effet-pionnier ».

Avec ce terme, nous désignons un ensemble de procédés ludo-narratifs qui configurent une expérience de pionnier pour le joueur à travers un avatar au cœur d’un récit d’exploration et de colonisation d’autres planètes. L’effet-pionnier procède à la fois des mécaniques ludiques qui orientent l’attitude du joueur face à l’environnement virtuel et d’un cadre narratif dont la diégèse et la ludiégèse – « l’ensemble des éléments […] qui sont simultanément ludiques et narratifs 11 » tels que les objectifs d’un jeu par exemple – orientent la manière dont le personnage est perçu par le joueur12.

Ce procédé se manifeste dans Mass Effect: Andromeda et Journey to the Savage Planet. Pour le définir, nous comparerons les deux jeux en nous attachant à analyser les représentations de la colonisation spatiale qu’ils véhiculent et leur articulation au gameplay des jeux. Ces deux dimensions de l’analyse permettent de ne pas tomber dans l’écueil relevé par Sabine Harrer. Elle observe en effet que les game studies, en particulier anglo-saxonnes, séparent souvent l’activité ludique des représentations véhiculées par un jeu, quitte à nier la connexion de l’œuvre à un passé colonialiste en s’attachant à son analyse purement formelle 13. A l’étude des formes, nous associerons donc l’approche culturaliste, qui suppose d’analyser l’ancrage socio-historique de l’effet-pionnier de ce corpus. Cette démarche nous permettra d’interroger les perspectives qu’offrent ces œuvres sur l’exploration d’exoplanètes et leur hypothétique colonisation.

D’abord, nous verrons que l’emploi d’un avatar-pionnier ancre les jeux dans l’héritage du mythe américain de la Frontière (Frontier). Ensuite, nous préciserons les formes que prend l’effet-pionnier dans chaque jeu et les représentations différentes de la colonisation spatiale qu’elles véhiculent. Nous chercherons, pour finir, à situer ces représentations dans la culture spatiale contemporaine afin de mieux comprendre l’absence de nouvelles perspectives proposées par ces jeux sur les nouveaux mondes spatiaux.

 

Idéal pionnier et jeux vidéo

La figure du pionnier stellaire renvoie à son homologue historique, le pionnier qui arpente et défriche un nouveau sol pour se l’accaparer, qui fonde un nouveau territoire propice à la colonisation. Cette figure est profondément liée à l’histoire nord-américaine et à l’un de ses mythes fondateurs : la Frontière, une bande de nature sauvage peuplée par endroits d’autochtones que les colons venus d’Europe font reculer à mesure qu’ils avancent vers l’Ouest 14. Le pionnier stellaire troque l’Ouest américain contre les étendues sauvages des exoplanètes ; il ne rencontre plus des natifs-américains mais des extra-terrestres. Il reste néanmoins un explorateur et un précurseur à la recherche de nouvelles terres et de nouvelles richesses. Aussi, l’effet-pionnier s’installe à travers un gameplay pensé autour de la découverte et de la prospection.

L’effet s’organise d’abord à travers des mécaniques ludiques éculées : explorer un territoire qui, peu à peu, devient familier, et accumuler des ressources. Mass Effect: Andromeda transforme les joueurs en « serial imperialists 15 » puisqu’il leur fait scanner constamment leur environnement, qu’il les incite à miner des matières premières pour améliorer leur équipement et qu’il les contraint à installer des avant-postes pour dévoiler les cartes des planètes explorées. Il en est de même dans Journey to the Savage Planet. Son gameplay repose sur l’exploration grâce à un level design qui encourage la découverte de voies inédites en connectant différents espaces avec de nouveaux équipements. Toutefois, la découverte ne s’effectue pas sans détruire au passage la faune et la flore de la planète afin de récupérer les précieuses ressources nécessaires à l’exploration.

Prospecter et découvrir ne sont pas des mécaniques ludiques innovantes pour un médium dont la promesse est de « maîtriser » de nouveaux mondes virtuels et d’« en faire [notre] propre terrain de jeu 16 ». En cela, le jeu vidéo favorise l’usage d’une figure de pionnier tant il permet aux joueurs d’appliquer l’idéal défini par Frederick Jackson Turner :

 

[…] le pionnier, pressé d’occuper les terres sauvages, avançait à travers le continent, détruisant tout sur son passage, ouvrant des voies nouvelles et ne s’attachant qu’à l’immédiat, se grisant de son effort et de ses rudes conquêtes  17.

 

Outre sa transposition en actes ludiques, cet idéal prend forme également dans le récit de ces jeux. La figure du pionnier est un levier narratif en ce qu’elle organise la diégèse autour de la mission de colonisation. Dans Mass Effect: Andromeda, le héros Ryder est même nommé « Le Pionnier 18 » tout au long de l’aventure puisqu’il remplit une fonction : évaluer la viabilité des « mondes en or » qui doivent accueillir les colons de l’Initiative Andromède. Même mission pour le personnage de Journey to the Savage Planet – qui ne porte pas de nom propre – qui doit évaluer l’habitabilité de la planète AR-Y 26.

L’usage d’un pionnier comme personnage est, de plus, facilité par son inscription dans un imaginaire spatial nord-américain largement façonné par une métaphore qui associe l’Espace à la Frontière. Il est tantôt la « dernière frontière » (le capitaine Kirk dans Star Trek 19), tantôt la « nouvelle frontière » (J. F. Kennedy 20), tantôt la « haute frontière » (G. K. O’Neill 21), tantôt la « prochaine frontière » (D. Trump 22) ; quel que soit l’adjectif censé renouveler l’image, il situe l’exploration spatiale dans la continuité de la conquête de l’Ouest. Or, cette métaphore présente l’espace intersidéral comme « un paysage passif sans aucun autre but que la subsistance humaine 23 » en même temps qu’elle évacue la dimension internationale de l’exploration spatiale en la confondant dans un mythe nord-américain. Dans notre corpus, l’effet-pionnier se décline sous deux formes : l’une contribue à poursuivre cette métaphore en faisant l’apologie du rôle du pionnier et l’autre se présente comme une critique de cette métaphore en se moquant du rôle du pionnier.

 

Mass Effect: Andromeda, la célébration du pionnier

Dans le jeu de BioWare, le pionnier est une figure héroïque car il est essentiel à la mission de colonisation. Chaque espèce de l’Initiative Andromède possède son Pionnier, les seuls individus en symbiose avec une intelligence artificielle pour les aider dans leur tâche d’évaluation des exoplanètes. L’héroïsation du Pionnier s’effectue d’abord à travers plusieurs bandes-annonces intitulées « briefing trailers ». Chaque vidéo présente sous une forme didactique un élément de l’univers du jeu. Celle qui présente le rôle du Pionnier humain et de son équipe – en réutilisant d’ailleurs l’image de la Frontière24 – s’achève sur un appel à la mobilisation : chacun est invité à participer à quelque-chose de « bien plus grand qu’eux 25 » si tant est qu’il fasse partie des « plus courageux et des plus brillants ». En soulignant ainsi la grandeur de la mission et le caractère héroïque du Pionnier, la bande-annonce sollicite les affects des joueurs tout en créant un horizon d’attente épique. Un autre de ces spots publicitaires alimente la dimension exploratoire de l’effet-pionnier en présentant les nouvelles planètes par le biais de concept arts. Il attise la curiosité des joueurs pour ces « mondes en or » à travers une représentation partielle des paysages du jeu 26.

Ces « briefing trailers » sont des métalepses qui tentent d’effacer la séparation entre la promotion extra-diégétique du jeu et la promotion intra-diégétique de l’Initiative Andromède. Le récepteur est projeté dans la peau d’un membre de l’Initiative et, plus que de vanter le jeu en lui-même, le discours promotionnel s’attache à justifier et valoriser le projet de colonisation. Pour ce faire, la campagne promotionnelle s’appuie sur une rhétorique de la Terre promise où espoir et grandiloquence priment. Comme le rappelle Jean Godefroy Bidima :

 

On ne peut mobiliser les peuples vers la terre promise, vers un idéal, vers un mouvement concret, que s’ils s’investissent affectivement sur des croyances, des images, des emblèmes et des bénéfices  27

 

L’ambivalence diégétique du discours promotionnel de Mass Effect: Andromeda permet donc la « mobilisation » des joueurs en amont du jeu, et sa poursuite dans le jeu à travers un récit qui transforme Ryder en « Messie galactique 28 ».

Le Pionnier est celui qui amène les peuples de la voie lactée en Terres promises et ramène la paix dans la galaxie d’Andromède. Le joueur incarne un sauveur qui, grâce à sa technologie lui permettant d’interagir avec les artefacts d’une ancienne civilisation extraterrestre, peut terraformer les planètes explorées. Chaque planète n’est au départ qu’un territoire dangereux et inhabitable, un milieu hostile qui correspond directement à la définition de la Frontière par Turner 29. Ce n’est qu’en remplissant les missions de terraformation des planètes que l’environnement devient praticable sans risque – hormis la faune belliqueuse. Une fois le processus de terraformation entamé, la carte s’élargit et offre de nombreuses quêtes secondaires permettant d’améliorer la jauge de viabilité de chaque planète. L’intrication du système de quêtes et de l’objectif de terraformation, bien qu’artificiel 30, fournit au joueur la part d’« héroïsme victimaire 31 » propre à toute rhétorique de la Terre promise : selon Bidima, la promesse d’une terre est également liée au besoin de prouver qu’on la mérite. Et le joueur est récompensé une fois qu’il a achevé la conquête de tous ces nouveaux mondes. Après que toutes les jauges ont été remplies à cent pour cent, une dernière cinématique – la véritable fin du jeu – révèle l’hommage de l’Initiative Andromède fait à Ryder : le nouveau foyer de l’humanité est nommé Ryder-1. Le parcours héroïque s’achève, le Pionnier entre dans la postérité.

L’appropriation vidéoludique de ces nouveaux territoires atteint donc son paroxysme à travers un dernier acte symbolique qui n’est pas sans évoquer l’onomastique des territoires américains – à commencer par le nom du continent lui-même, inspiré par l’explorateur Amerigo Vespucci. Cette conclusion entérine l’association de Mass Effect: Andromeda à l’héritage colonialiste américain. Le jeu donne à jouer un Pionnier ancré dans le mythe de la Destinée Manifeste, une idéologie américaine qui justifie l’expansionnisme civilisationnel en en faisant une mission divine. De plus, cet effet-pionnier configure un rapport héroïque entre le joueur et les planètes qu’il explore : l’environnement n’est qu’un obstacle dans la quête d’un héros qui réitère le topos de l’élu.

Avec la glorification de la colonisation spatiale poussée à son paroxysme, l’effet-pionnier a quelque chose de caricatural et même de potentiellement parodique. Les développeurs de Typhoon Studios l’ont bien saisi puisqu’ils ont décidé de traiter ce thème sur un ton satirique dans leur jeu Journey to the Savage Planet.

 

Journey to the Savage Planet, la tentative de satire du pionnier

Sur le plan narratif, ce jeu se présente comme un anti-Mass Effect: Andromeda tant il dévoie le rôle glorieux du pionnier. Le joueur se réveille dans la peau d’un membre du « programme pionnier » de l’entreprise Kindred Aerospace envoyé sur une exoplanète pour l’évaluer. C’est ce que révèle une cinématique introductive en full motion video (la FMV) 32. Si la mission est semblable à celle de Ryder, la vidéo installe tout de suite un ton parodique : le PDG Martin Tweed vante la quatrième place de son entreprise parmi les meilleures compagnies d’exploration interstellaire, sur un fond vert où s’enchaînent des clips qui semblent tout droit sortis d’une banque d’images libres de droit. Son intégration sur le fond vert est grossière et il explique la mission du pionnier grâce à une maquette sur un ton infantilisant. Là où les « briefing trailers » se veulent grandiloquents, la communication institutionnelle intra-diégétique de Journey to the Savage Planet adopte un ton kitsch pour tourner en dérision la mission de colonisation spatiale – ton souligné par l’usage de la FMV qui détonne dans la production vidéoludique contemporaine.

Au-delà de la parodie, le jeu veut surtout proposer une satire du pionnier et une critique de la colonisation spatiale. Certains éléments sont anecdotiques et nourrissent le ton irrévérencieux du jeu, comme la customisation du personnage qui se limite à la sélection d’une photo parmi un choix de portraits ridicules – il est même possible de choisir un chien. D’autres développent une réflexion plus profonde sur la figure du pionnier comme le système de game over. Puisque l’exploration d’AR-Y 26 est dangereuse, Kindred a prévu dans le vaisseau du personnage un système de clonage. Aussi, dès que le joueur meurt, il se réincarne dans une nouvelle version de son avatar. Difficile de faire plus impersonnel : le pionnier de Journey to the Savage Planet est renvoyé à une fonction de pion interchangeable.

Typhoon Studios utilise également le sarcasme pour ironiser sur ses mécaniques ludiques. Le jeu propose un gameplay centré réellement sur l’exploration au contraire d’Andromeda puisqu’il reprend les codes du genre Metroidvania 33 dans lequel le level design labyrinthique nécessite d’acquérir de nouveaux équipements ou de nouvelles compétences pour explorer des lieux jusque-là inatteignables. Comme l’a montré Matthieu Letourneux, l’horizon d’attente vidéoludique se constitue avant tout autour du gameplay 34. Ici, Typhoon Studios joue avec l’horizon d’attente de son système de jeu en ironisant sur ses mécaniques. Puisque le jeu se déroule en vue à la première personne et que le personnage possède une arme, le joueur peut avoir le réflexe de tirer sur la faune par exemple. Mais il est accompagné d’une intelligence artificielle, E.K.O, qui ne manque pas de se moquer des actes du joueur à travers des répliques sarcastiques. Cette IA s’apparente à la conscience du personnage qui est une coquille vide n’ayant aucune ligne de dialogue. A travers ses remarques, ce sont les actes du joueur qui sont jugés. Dans la première zone du jeu, par exemple, il rencontre des « oiseaux-bulles », une espèce inoffensive. Ceux-ci génèrent des ressources utiles à l’amélioration de l’avatar, soit en les nourrissant, soit en les tuant. S’ils sont tués, l’IA avoue : « Je vais être honnête avec toi, je me sens un peu mal. [Ils] sont tellement cute 35 ! » Pourtant, les tuer est plus rentable que de les nourrir ; le jeu semble ainsi laisser le choix au joueur de la manière dont il interagit avec son environnement. Très vite, cependant, il découvre que le respect des extraterrestres n’est pas une option viable. Une partie de la faune est belliqueuse et doit être éliminée pour survire et, surtout, ces oiseaux-bulles doivent être sacrifiés pour pouvoir débloquer certaines zones (il faut les donner à manger à des plantes carnivores). Le jeu opère donc un écart entre ce qu’il dit et ce qui est fait ; il est ironique en ce qu’il veut développer un propos volontairement différent du gameplay qu’il propose.

C’est dans cet intervalle que se dessine une satire de la colonisation spatiale et de la figure du pionnier. Le jeu induit un rapport possessif, destructeur et impérialiste avec son environnement, mais plutôt que de l’exalter, il s’en moque. On peut alors parler d’un effet-pionnier ironique. Néanmoins, le jeu ne propose pas vraiment de critique au-delà de sa trame narrative car ses mécaniques ludiques, très vite, embrassent un schéma vidéoludique impérialiste traditionnel. En voulant être un anti-Andromeda, le jeu de Typhoon Studios partage au fond plus de similitudes avec le jeu de BioWare que son ton ironique ne le suggère.

Tout discours ironique comprend un risque : que le message sous-jacent se perde dans le premier degré du discours. Dans un médium où l’interaction prime, la réflexivité d’un jeu s’opère également – si ce n’est plus – à travers ses mécaniques ludiques. Sinon, le risque est d’installer une dissonance ludo-narrative, un écart entre le récit et les actions effectuées par le joueur 36. Le jeu de Typhoon Studios souffre, de plus, de la dimension métaleptique de l’avatar. En effet, Barnabé et Delbouille observent qu’en « servant de médiation entre le joueur et l’objet-jeu, l’avatar est l’un des principaux vecteurs de [la] réflexivité intrinsèque des œuvres vidéoludiques 37. » Autrement dit, la médiation du jeu à travers l’avatar rappelle au joueur que le jeu n’est qu’un jeu ; il provoque l’attitude ludique au sens de Jacques Henriot, pour qui jouer est une activité durant laquelle nous sommes conscients que nous jouons 38. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’engagement moral, entendu comme un engagement émotionnel du joueur lorsqu’il doit faire face à un choix moral 39, est moindre dans Journey to the Savage Planet. Le remplacement de l’avatar par un clone souligne l’insignifiance du pionnier en même temps qu’il met au jour sa réalité de personnage fictionnel. Or, puisqu’il ne s’agit que d’un jeu, tuer des oiseaux-bulles n’engage plus moralement le joueur.

La comparaison des deux jeux de notre corpus montre que les procédés ludo-narratifs qui constituent l’effet-pionnier produisent des expériences de jeu similaires. Pour autant, ces œuvres offrent des représentations différentes de la colonisation spatiale, l’une héroïque et l’autre ironique. Elles se rejoignent toutefois dans leur rapport ambigu aux enjeux postcoloniaux vidéoludiques. Analyser cette ambiguïté permet de saisir les perspectives qu’offre l’effet-pionnier sur la culture spatiale contemporaine.

 

L’effet-pionnier : postcolonial ou postmoderne ?

Dans son article sur les « terrains de jeu postcoloniaux 40 », Sybille Lammes observe la manière dont les jeux de colonisation historique (Civilization, 1991-2016, Age of Empire, 1997-2021, etc.) reconfigurent l’héritage colonialiste à travers l’agentivité des joueurs 41. Dans ces jeux, d’après elle :

 

Il n’y a pas tant une reconstruction de l’expérience d’être un explorateur du nouveau monde qu’une transformation de cette expérience en activité ludique, dans laquelle la maîtrise de l’espace devient plus une lutte personnelle qu’une réitération historique fidèle de la manière dont les relations à l’espace ont été façonnées par des forces hégémoniques externes […]  42.

 

L’espace est ici entendu comme un territoire que les joueurs s’approprient et reconfigurent au fil de leurs parties. La dimension postcoloniale de ces jeux se déploie donc dans la mutation et l’altération43 de l’héritage colonial 44.

Mass Effect: Andromeda et Journey to the Savage Planet manquent de ce potentiel transformatif du postcolonialisme. Ils n’ouvrent pas de nouvelles perspectives sur l’héritage colonial de la colonisation spatiale. Une première raison, évidente, est que cette colonisation n’existe pas (encore). En effet, bien qu’elle soit débattue, promue et imaginée, elle ne reste qu’à l’état de projet. Une autre raison est qu’en s’attachant à la figure du pionnier, ces deux jeux ne parviennent pas à échapper à l’analogie Espace/Frontière. A la différence des jeux de stratégie et de gestion étudiés par Lammes, l’effet-pionnier se manifeste à travers un avatar. Le curseur des jeux de stratégie et de gestion n’est pas semblable au personnage de pionnier inscrit dans une diégèse 45 ; le curseur fait du joueur un pionnier tandis qu’un personnage de pionnier demande à être incarné. Autrement dit, cette médiation par l’avatar implique de jouer un rôle déterminé par le jeu et son récit. Par conséquent, l’agentivité du joueur vis-à-vis de son environnement est réduit. Si Lammes identifie une praxis postcolonialiste dans son corpus, le nôtre montre plutôt la poursuite de la « praxis néocolonialiste » vidéoludique dénoncée par Harrer 46 qui se manifeste à travers cette médiation.

L’effet-pionnier héroïque « résiste à la décolonisation 47 », notamment de l’imaginaire spatial, en ne considérant la colonisation qu’au prisme de l’aventure. Dès lors, il invisibilise les problématiques qui lui sont liées. L’effet-pionnier ironique, bien que soutenant une position anticolonialiste, propose une expérience de la décolonisation qui est affaiblie par l’écart entre le propos et la pratique. En somme, sous une forme ou sous une autre, l’effet-pionnier réitère en actes ludiques la colonisation plus qu’il ne la reconfigure ; il n’ouvre pas de nouvelles perspectives sur les nouveaux mondes spatiaux car il réemploie des perspectives historiques – la conquête des territoires fraîchement découverts par telle ou telle civilisation – mais surtout contemporaines – la doxa expansionniste de l’industrie aérospatiale privée couramment nommée le NewSpace.

Les représentations de la colonisation spatiale véhiculées par ces deux jeux doivent être resituées dans leur contexte : elles sont le produit d’une pop culture spatiale constituée aujourd’hui autour du NewSpace 48. La filiation est rendue évidente dans les deux œuvres à travers une figure d’entrepreneur à l’origine de la mission de colonisation : Jien Garson dans Mass Effect: Andromeda, la milliardaire qui lance l’Initiative Andromède et Martin Tweed, le PDG de Kindred Aerospace. La première est une figure positive qui utilise les arguments récurrents en faveur de la colonisation spatiale : appel à l’aventure et préservation de l’espèce humaine. Le second est un des éléments centraux du ton parodique du jeu : il est ridiculisé, ses intentions sont énigmatiques et son égocentrisme se transforme en démence dans les cinématiques finales. C’est à travers le traitement de ce personnage que prend forme la véritable portée critique de Journey to the Savage Planet. La satire de l’œuvre ne vise pas tant la figure du pionnier qu’elle s’amuse des milliardaires acteurs de l’industrie aérospatiale comme Elon Musk ou Jeff Bezos.

L’effet-pionnier ironique tel qu’il se manifeste dans le jeu de Typhoon Studios en fait également une œuvre résolument pop culturelle. Richard Mémeteau différencie la pop culture de la contre-culture à partir de la tendance postmoderne de la pop culture à l’appropriation – notamment mythique –, à la récupération et à la parodie 49. Journey to the Savage Planet détourne Andromeda, s’amuse de l’idéal pionnier et moque la culture spatiale contemporaine telle qu’elle est diffusée auprès d’un large public. C’est une œuvre « pop » jusque dans son esthétique bariolée. L’effet-pionnier héroïque se veut pop également. Non seulement Andromeda récupère les topoï de la colonisation américaine et le discours expansionniste du NewSpace, mais il actualise aussi un genre romanesque désuet : le roman de monde perdu (la Lost World Romance) 50. L’imaginaire et les aventures canoniques de ce genre aux accents impérialistes prononcés conviennent à une narration de l’exploration interstellaire qui renoue avec l’imaginaire spatial de l’âge d’or de la science-fiction 51 plutôt que d’en proposer de nouvelles représentations. A défaut d’être postcolonial, l’effet-pionnier vidéoludique se révèle plutôt postmoderne. Tant qu’il actualisera l’idéal pionnier de Turner, il ne pourra proposer des représentations nouvelles de l’exploration spatiale.

 

Conclusion

Associer l’exploration spatiale au mythe de la Frontière contribue à faire des exoplanètes découvertes non pas des nouveaux mondes à explorer et à préserver, mais des Nouveaux Mondes à conquérir. L’emploi des majuscules de cette deuxième formulation renvoie au concept historique de « Nouveau Monde » et à l’idéologie colonialiste qui le sous-tend. L’adjectif « Nouveau », ici, n’est plus tant un marqueur de la nouveauté qu’un marqueur de renouvellement : l’Ancien monde est remplacé par le Nouveau, la planète Terre est remplacée par les exoplanètes, mais on y reproduit l’histoire coloniale.

En littérature de science-fiction contemporaine, de nouvelles représentations de l’exploration spatiale émergent, qui tentent de s’affranchir de l’idéal pionnier ou de critiquer la rhétorique du Nouveau Monde dans l’Espace. Ainsi en est-il de L’Incivilité des fantômes 52, roman de Rivers Solomon qui saisit pleinement les soubassements colonialistes de l’expansionnisme cosmique, ou de Apprendre si par bonheur 53, de Becky Chambers, court roman dans lequel l’équipage de spationautes met un point d’honneur à ne pas perturber la faune et la flore des planètes qu’il explore dans un objectif purement scientifique.

Dans la science-fiction spatiale vidéoludique, l’effet-pionnier semble encore trop présent et trop prégnant pour permettre de telles représentations. L’analyse comparée des deux jeux de notre corpus a montré que l’effet-pionnier résulte de deux facteurs – la combinaison d’une praxis vidéoludique impérialiste et d’une doxa spatiale expansionniste – en même temps qu’il les produit et, partant, les renforce. Nous avons observé l’effet-pionnier sous deux formes : l’héroïsation du pionnier ou son ironisation. Pour l’une comme pour l’autre, l’effet-pionnier reste avant tout un procédé qui installe le joueur dans un rôle de pionnier. Aussi, il participe à la configuration de l’expérience ludique des jeux d’exploration spatiale au-delà de notre corpus. Le rogue-like 54 Out There (Mi-Clos Studio, 2014), le jeu No Man’s Sky (Hello Games, 2016) et son univers démesuré ou encore les MMORPG 55 tels qu’Eve Online (CCP, 2003) ou Elite: Dangerous (Frontier Developments, 2014) sont autant d’espaces ludiques qui proposent d’incarner un pionnier. L’effet-pionnier y prend, sans doute, des formes nouvelles qui donnent à voir d’autres représentations de la colonisation spatiale 56.

Dans ces quelques exemples, toutefois, ces représentations renouvellent peu l’imaginaire spatial. En contrepartie, comme notre corpus, elles alimentent une pop culture spatiale. L’effet-pionnier, en ce sens, est un symptôme de la dimension industrielle de la production vidéoludique mainstream dont fait partie Mass Effect: Andromeda : il ne peut prendre une forme novatrice tant il dépend également de l’imaginaire populaire. Lorsqu’un jeu vidéo triple A 57 s’approprie l’imaginaire spatial, il reprend alors à son compte celui du NewSpace, qui est au cœur de la culture spatiale contemporaine. Toutefois, cet imaginaire évolue, comme en témoigne Journey to the Savage Planet qui le détourne puisqu’il ne souffre pas d’impératifs de production identiques 58. L’ironie de son effet-pionnier traduit la volonté des narrative designers du jeu de ne pas accepter les représentations de la colonisation spatiale du NewSpace sans les questionner. Deux jeux récents poursuivent ce projet de Typhoon Studios : Ixion de Bulwark Studios (sorti le 7 décembre 2022) qui antagonise les figures du NewSpace et Deliver Us Mars de KeokeN Interactive (sorti le 2 février 2023) 59 dont le scénario conteste le caractère utopique de la colonisation martienne. Cependant, ces jeux abandonnent la parodie et les décors bigarrés : l’Espace et ses nouveaux mondes y sont devenus des lieux aux perspectives décevantes, cruelles et obscures.

 

  1. Fanny Barnabé, Julie Delbouille, « Aux frontières de la fiction : l’avatar comme opérateur de réflexivité », Sciences du jeu [En ligne], n°9, 2018, « Du ludique au narratif. Enjeux narratologiques des jeux vidéo », Sébastien Genvo (dir.), p.1. URL : http://journals.openedition.org/sdj/958
  2. Steve Russel et al., Spacewar! [Jeu vidéo], PDP-1, 1962.
  3. Nous faisons le choix d’ajouter une majuscule au substantif Espace lorsqu’il désigne l’espace interstellaire (autrement appelé le cosmos ou l’outer space en anglais) afin de le différencier de l’espace au sens géométrique ou philosophique.
  4. Matthieu Letourneux observe que dans les jeux vidéo le genre prend une forme différente que celle qu’il a dans d’autres médiums ; il ne désigne plus un ensemble de codes narratifs et de thème, mais le gameplay de tel ou tel jeu. Ainsi, il observe que l’univers et le récit d’un jeu vidéo relèvent plutôt de sa thématique que de son genre. (Matthieu Letourneux, « La question du genre dans les jeux vidéo », p. 39-55, in Sébastien Genvo (dir.), Le Game design de jeux vidéo : Approches de l’expression vidéoludique, Paris, L’Harmattan, « Communication et civilisation », 2005.)
  5. Marc Walters, Mass Effect: Andromeda [Jeu vidéo], Canada, © BioWare Montréal (développeur), Etats-Unis, © Electronic Arts (éditeur), Windows, PlayStation 4, Xbox One, 2017.
  6. Alex Hutchinson, Journey to the Savage Planet [Jeu vidéo], Canada, © Typhoon Studios (dév.), Italie, © 505 Games (éd.), PlayStation 4, Xbox One, Stadia, Windows, 2020.
  7. Taylor Genovese, The New Right Stuff: Social Imaginaries of Outer Space and the Capitalist Accumulation of the Cosmos, Mémoire de Master, San Francisco, Northern Arizona University, 2017, p. 160 ; Linda Billings, « Colonizing other planets is a bad idea », Futures, vol. 110, juin 2019, « Human Colonization of Other Worlds », Kelly C. Smith, Keith Abney (dir.), p. 44-46, p. 45 ; Lisa Messeri, « We Need to Stop Talking About Space as a “Frontier” », Slate.com, 15 mars 2017, https://slate.com/technology/2017/03/why-we-need-to-stop-talking-about-space-as-a-frontier.html ; Caroline Haskins, « The Racist Language of Space Exploration », The Outline, 14 août 2018, https://theoutline.com/post/5809/the-racist-language-of-space-exploration ; Deondre Smiles, , « The Settler Logics of (Outer) Space », Society+ Space, 26 octobre 2020, https://www.societyandspace.org/articles/the-settler-logics-of-outer-space
  8. Frédéric Neyrat, « La planète Terre, les humains et la condition d’errance : un antéhumanisme », Ecologie & Politique, n°55, 2017, « Abolir la condition humaine : entre chimères et calamités », Jean-Paul Déléage (dir.), p. 63-79, p. 69.
  9. Gonzalo Munevar, « An Obligation to Colonize Outer Space », Futures, vol. 110, op. cit., p. 38-40 ; Brian Patrick Green, « Self-preservation Should Be Humankind’s First Ethical Priority and Therefore Rapide Space Settlement Is Necessary », Futures, vol. 110, op. cit., p. 35-37.
  10. Fanny Barnabé, Julie Delbouille, « Aux frontières de la fiction : … », op. cit., p. 2.
  11. Fanny Barnabé, Narration et jeu vidéo : pour une exploration des univers fictionnels, Liège, Presses Universitaires de Liège, 2018, p. 22.
  12. Nous remercions Clotilde Thouret pour son aide à la formulation de cette définition.
  13. Sabine Harrer, « Casual Empire: Video Game as Neocolonial Praxis », Open Library of Humanities [En ligne], n°1, vol. 4, 2018, collection spéciale : « Postcolonial Perspectives in Game Studies », p. 1-28, p. 19.
  14. Frederick Jackson Turner, La Frontière dans l’histoire des Etats-Unis, Paris, Presses Universitaires de France, 1963 [1935], p. 3-6.
  15. Michael Fuchs, Vanessa Erat, Stefan Rabitsch, « Playing Serial Imperialists: The Failed Promised of BioWare’s Vidéo Game Adventures », Journal of Popular Culture, n°6, vol. 51, 2018, « Revisiting Adventure », Johan Höglund, Agniezska Soltysik Monnet (dir.), p. 1476-1499.
  16. Mary Fuller, Henry Jenkins, « Nintendo and New-World Travel Writing: A Dialogue », p. 57-72, in Steven G. Jones (dir.), Cybersociety: Computer-Mediated Communication and Community, New York, Sage, 1995, p. 62 cité dans Michael Fuchs, Vanessa Erat, Stefan Rabitsch, « Playing Serial Imperialists: … », art. cite. Version originale : « […] one of the central incentives of playing video games “is the promise of moving into the next space, of master these worlds and making them your own playground”. »
  17. Frederick Jackson Turner, La Frontière dans l’histoire des Etats-Unis, op. cit., p. 238.
  18. Ou « La Pionnière » car le jeu permet de choisir entre un Ryder masculin ou féminin lors de la création du personnage.
  19. Gene Roddenberry, Star Trek [Série TV], Etats-Unis, © Desilu Productions, © Norway Corporation, © Paramount Television, NBC, 79 épisodes, 1966-1969, 52 min.
  20. Expression employée par J.F. Kennedy pour illustrer son programme lors de son discours d’investiture à la tête du Parti Démocrate américain le 15 juillet 1960.
  21. Gérard K. O’Neill, The High Frontier: Human Colonies in Space, New York, Morrow, 1976.
  22. Marina Koren, « No One Should “Colonize” Space », The Atlantic, 17 septembre 2020, https://www.theatlantic.com/science/archive/2020/09/manifest-destiny-trump-space-exploration/612439/
  23. Lisa Messeri, « We Need to Stop Talking About Space as a “Frontier” », op. cit.
  24. « Mass Effect: Andromeda: Pathfinder Team Briefing », YouTube, chaîne : « IGN », 30 janvier 2017, https://www.youtube.com/watch?v=OLyipBNKlko&t=88s 00:01:20.
  25. Ibid., 00:02:40 (Version originale : « The individuals who makes up this team are everything the Andromeda Initiative represents: a chance for the bravest and the brightest to come together to something bigger than ourselves. »
  26. « Mass Effect: Andromeda: Official Golden Worlds Briefing Trailer », YouTube, chaîne : « IGN », 9 mars 2017, https://www.youtube.com/watch?v=aji8Wh0lap8&t=1s
  27. Jean-Godefroy Bidima, « Terres promises : Usages et mésusages du théologico-politique », p. 169-191, in Odile Hamot (dir.), Terre(s) promise(s) : Représentations et imaginaires, Paris, Classiques Garnier, « Rencontres », 2021, p. 186-187.
  28. Tomasz Z. Majkowski, Magdalena Kozyra, « Lost Worlds of Andromeda: Mass Effect: Andromeda and the Victorian Adventure Novel for Boys », Studia Humanistyczne AGH, n°2, vol. 20, 2021, « Revisiting Narrativity in Video Games », Krzystzof M. Maj, Damian Gałuszka (dir.), p. 23-40, p. 25.
  29. Frederick Jackson Turner, La Frontière dans l’histoire des Etats-Unis, op. cit. 4.
  30. La terraformation dans Mass Effect: Andromeda est un processus qui relève plus de la magie que de la science. En effet, la simple activation d’un artefact extraterrestre rend instantanément la planète plus habitable. Le jeu ne se préoccupe pas de considérations scientifiques sur la terraformation au contraire de jeux tels que Per Aspera (© Tlön Industries, 2020) ou Terraformers (© Asteroid Lab, 2022) qui placent ce procédé au cœur de leur gameplay.
  31. Jean-Godefroy Bidima, « Terres promises : Usages et mésusages du théologico-politique », op. cit., p. 173. Souligné dans le texte.
  32. Procédé qui consiste à intégrer des cinématiques en prises de vue réelles à l’intérieur d’un jeu vidéo dont les graphismes sont des modélisations et des animations en trois dimensions.
  33. Sous-genre du jeu de plateforme et du jeu d’aventure-action qui repose sur un level design où les niveaux sont connectés les uns aux autres et sont pour beaucoup inaccessibles sans un équipement disponible plus loin dans le jeu. L’exploration des niveaux s’effectue donc à rebours : le joueur revient sur ses pas pour débloquer de nouveaux accès grâce aux items obtenus, souvent en battant les boss du jeu. Le nom provient de la contraction de Metroid (© Nintendo, 1986) et Castlevania (© Konami, 1986), deux « œuvres-parangons » (Letourneux, 2005, 50) qui ont établi les propriétés ludiques du genre.
  34. Matthieu Letourneux, « La question du genre dans les jeux vidéo », op. cit., p. 39.
  35. L’anglicisme est dû à une version française québécoise. Le doublage français de Journey to the Savage Planet est québécois, fait rare dans l’industrie vidéoludique qui tend à effacer toute trace d’accents.
  36. Clint Hocking, « Ludonarrative Dissonance in Bioshock », click nothing.typepad.com [en ligne], 7 octobre 2007, https://clicknothing.typepad.com/click_nothing/2007/10/ludonarrative-d.html
  37. Fanny Barnabé, Julie Delbouille, « Aux frontières de la fiction : … », op. cit., p. 3.
  38. Jacques Henriot, Le Jeu, Paris, Presses Universitaires de France, 1969.
  39. Jaroslav Švelch, « The Good, the Bad, and the Player: The Challenges to Moral Engagement in Single-Player Avatar-Based Video Games », p. 52-68, in Ethics and Game Design: Teaching Values Through Play, Karen Schrier, David Gibson (dir.), New York, Information Science Reference, 2010, p. 56.
  40. Sybille Lammes, « Postcolonial Playgrounds: Games and Postcolonial Culture », Eludamos: Journal for Computer Game Culture, n° 1, vol. 4, 2010, p. 1-6.
  41. Ibid., p.2.
  42. Ibid., p. 4. Version originale : « Being a new world traveller is not so much re-constructed, but rather transformed into a playful activity, in which mastering space becomes more a personal power struggle than an accurate historical re-iteration of how spatial relationships have been shaped by external hegemonic forces (Lammes 2003; Magnet 2006). »
  43. Ibid., p. 2.
  44. Lammes cite comme exemple la possibilité de l’uchronie comme manifestation du postcolonialisme transformatif : dans Civilization VI (© Firaxis Games, 2016) par exemple, les Aztèques peuvent conquérir l’Espagne. Ce faisant, le joueur inverse un fait historique et crée ainsi sa « propre histoire postcoloniale » (« […] create their own postcolonial stories », p. 4).
  45. Fanny Barnabé, Julie Delbouille, « Aux frontières de la fiction : … », op. cit., p. 14.
  46. Sabine Harrer, « Casual Empire: … », op. cit. 
  47. Ibid., p. 2.
  48. Emmanuel Laurentin, « 50 ans après le dernier homme sur la lune, l’explore-t-on pour la connaître ou l’exploiter ? » [Podcast], Le Temps du débat, France Culture, 14 décembre 2022, intervention d’Alban Guyomarc’h sur la pop culture spatiale entre 00:29:54 et 00:30:45.
  49. Richard Mémeteau, Pop Culture : Réflexions sur les industries du rêve et l’invention des identités, Paris, Zones, 2014, p. 15-16.
  50. Tomasz Z. Majkowski, Magdalena Kozyra, « Lost Worlds of Andromeda: … », op. cit., p. 29.
  51. Selon l’anthologiste Jacques Sadoul, l’âge d’or de la science-fiction s’étend de 1938 à 1957 (Une histoire de la science-fiction – 2 : 1938-1957, L’âge d’or, Paris, Flammarion, « Librio », 2000, p. 5-11). Durant cette période s’établissent les spécificités de la SF, en particulier la place de la technologie et de la science dans les récits. A cette époque, la course à l’Espace entre les Etats-Unis et l’URSS n’a pas encore eu lieu ; l’imaginaire spatial est nourri par les récits de colonisation spatiale tels que Farmer in the Sky de Robert Heinlein (1950) ou The Martian Chronicles de Ray Bradbury (1950). Mass Effect: Andromeda assume une filiation plus forte avec cet héritage science-fictionnel qu’avec la période suivante, la « new wave science-fiction » des années 60 aux années 80, plus politique, plus expérimentale.
  52. Rivers Solomon, L’Incivilité des fantômes [An Unkindness of Ghosts], Bussy-Saint-Martin, Aux Forges de Vulcain, 2019 [2017]. Le roman raconte la résistance et la révolte d’Aster dans le vaisseau Matilda (une référence au Clotilda, le dernier bateau d’esclaves arrivé aux Etats-Unis) dans lequel une société esclavagiste s’est remise en place après plusieurs siècles de voyage stellaire vers une destination inconnue.
  53. Becky Chambers, Apprendre, si par bonheur [To Be Taught, If Fortunate], Nantes, l’Atalante, « La Dentelle du Cygne », 2020 [2019]. Dans ce court roman, un équipage explore différentes planètes avec un impératif : préserver la faune et la flore extra-terrestre. Leur mission pionnière est donc purement scientifique et dénuée d’idéologie colonialiste.
  54. Le rogue-like est un genre vidéoludique dont les caractéristiques principales sont la difficulté et l’aléatoire : le game over est fréquent et à chaque nouvelle partie, les niveaux du jeu sont réaménagés.
  55. Massively Multiplayer Online Role Playing Game, soit jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs.
  56. La communication dont est issu cet article incluait Out There dans le corpus. Nous explorions l’hypothèse que l’effet-pionnier à l’œuvre dans le jeu donne à voir l’absurdité de la fonction de pionnier stellaire. L’absurde dans ce jeu tient en ce qu’il suppose de répéter sans cesse les mêmes gestes ludiques pour des fins qui se concluent très souvent par une mort de l’astronaute que l’on incarne (c’est le propre des rogue-like) ou par des séquences narratives qui soulignent l’insignifiance du pionnier face à l’immensité du cosmos. Les fins du jeu sont nombreuses, mais sont à majorité pessimistes et concluent un récit sombre généré aléatoirement.
  57. L’équivalent vidéoludique des blockbusters cinématographiques.
  58. Le jeu du studio BioWare est édité par Electronic Arts, l’une des entreprises les plus importantes dans l’industrie vidéoludique, dont les productions sont à gros budget et impliquent de grandes équipes internationales. Le studio en lui-même est spécialisé dans les grosses productions : chaque sortie d’un jeu de leur franchise Dragon Age ou Mass Effect est un évènement. A l’inverse Typhoon Studios est composé d’une trentaine d’employés et leur éditeur, 505 Games, a une notoriété largement moindre qu’Electronic Arts.
  59. Emmanuel Monnereau, Ixion [Jeu vidéo], France, ©Bulwark Studios (dév.), Royaume-Uni, © Kasedo Games (éd.), Windows, 2022 ; Koen Deetman, Deliver Us Mars [Jeu vidéo], Pays-Bas, © KeokeN Interactive (dév.), Royaume-Uni, © Frontier Developments (éd.), PlayStation 4 et 5, Xbox One, Xbox Series, Windows, 2023.