<em>Smile or die.</em> Survivre à l’hiver du Nord, une question d’humour ?

Smile or die. Survivre à l’hiver du Nord, une question d’humour ?

Par BALLOTTI Alessandra

Året har 16 måneder: november,

december, januar, februar, marts, april 

             maj, juni, juli, august, september, 

          oktober, november, november, november, november  1

Henrik Nordbrandt, Håndens skælven i november (1986)

 

Froids, inhospitaliers, pâles... ce ne sont pas les glaciers du Svalbard, mais les habitants de la Norvège, dans les représentations comiques, impertinentes et à la limite du politically correct. Sans vouloir entendre que la narration sur le sujet du Nord reflète une image univoque, nous savons que le Nord (et par extension l’hiver) se présente dans un « amalgame s’appuyant sur une simplification » des formes, couleurs et présence d’éléments naturels 2. Pour cela, nous considérons le Nord comme un espace générique qui possède pourtant des caractéristiques climatiques spécifiques et globalement reconnues. Or, est-il possible de resémantiser le Nord par le biais de ses traits hivernaux afin de le parfaire ?

Si mettre en relation le Nord et l’hiver n’est pas une posture nouvelle, nous devons considérer que malgré son importance conceptuelle, l’hiver tend à être remplacé – ou bien à coïncider – par l’idée du Nord. Cela est possible grâce aux transformations qui ont eu lieu au courant des siècles. Dans l’imaginaire collectif, la notion d’hiver a changé au long des deux cents dernières années. La venue du confort, du chauffage, de l’amélioration des conditions de vie a favorisé la transformation de l’hiver entendu comme une saison effrayante (à laquelle on ne peut qu’essayer de survivre) à l’hiver considéré comme une saison à connaître et à étudier 3. L’effet le plus évident qui en découle est la normativité des activités hivernales (comme les sports d’hiver), le contrôle humain de la saison (la météo, les webcams des stations de ski) et la ridiculisation ou l’atténuation de ses aspects les plus atroces en vue d’une fonction apotropaïque (pensons notamment au discours populaire actuel sur les chutes de neiges considérées comme des phénomènes de Guinness World Record plutôt que des événements à craindre). De ce dernier aspect nous nous occuperons dans cet article pour montrer à quel point la comicité et le bonheur de l’hiver deviennent des voies d’accessibilité au Nord.

Le triomphe de l’hiver – synecdoque de la nature – est déterminé par deux facteurs qui lui sont attachés : la conquête des montagnes et la conquête du Nord. Comme l’explique Louis-Edmond Hamelin dans Nordicité Canadienne (1976), les traits attribués au Nord ne concernent pas exclusivement les terres septentrionales, mais ils ont des spécificités qui s’adaptent à des territoires différents. L’imaginaire du Nord se construit autour de représentations qui sont partiellement présentes dans d’autres imaginaires, et pour cela on peut parler de « nordicité séculaire » (le froid aux époques anciennes), de « nordicité orographique » (le nordicisme de la montagne), de « nordicité des lieux » et de « nordicité zonale » (qui concernent plutôt un espace géographique boréal). Hamelin indique aussi autre deux types de nordicité – la « nordicité saisonnière » et la « nordicité mentale ». Ces deux aspects de cet imaginaire sont mis en dialogue dans cet article afin de vérifier les effets de la tournure comique ou du ton paisible que certaines productions sur le Nord et sur l’hiver prennent à l’époque contemporaine.

La nordicité mentale « exprime l’état de Nord » qui « se loge dans l’imaginaire » pour ensuite se « manifeste[r], d’une façon expresse ou non, dans les opinions, attitudes et interventions ». Elle contribue « à faire des pays froids un immense artefact culturel », et se présente « comme un fait, un processus de connaissances et une éthique ». Sa démarche s’inscrit ainsi dans « une quête de sens », dans une réflexion intense qui démarre d’une triple analyse, à la fois culturelle, écologique et régionale 4.

La nordicité saisonnière, en revanche, se situe dans ces zones géographiquement extérieures au monde circumpolaire. Il s’agit d’un phénomène qui se vérifie lorsque, « aux moyennes latitudes », « plusieurs traits climatiques deviennent momentanément analogues à ceux de la zone polaire stricte », comme durant l’hiver. Cela parce que durant cette saison, « les franges polaire et tempérée de l’hémisphère boréal connaissent des paysages et des comportements apparentés 5 ». Sur cette base, se vérifient des rapprochements entre le concept spatial de zone froide et le concept temporel de saison froide, en favorisant ce que nous appelons le « chronotope boréal ».

 

Pourquoi donc l’hiver devient-il une métonymie du Nord ? La réponse la plus évidente consisterait à relier les caractéristiques typiques du Nord et de l’hiver pour montrer des correspondances formelles. Cependant, il existe une solution historique plausible qui s’ajoute à cette motivation esthétique. Selon Adam Guldock, en raison de certaines conditions climatiques, l’intérêt pour l’hiver a trouvé une voie d’expression narrative à l’époque moderne. Les siècles plus récents ont promu une normalisation de l’hiver correspondant à une conquête conceptuelle qui se vérifie en même temps que la conquête matérielle de l’hiver. Gudlock considère aussi que le triomphe humain sur cette saison, à la fois fait physique et acte imaginatif, est une étape de renégociation moderne des frontières du monde 6. Considérer l’hiver par rapport aux régions du Nord nous permet ainsi une nouvelle réflexion sur le plan l’imaginaire mais aussi au niveau sociologique. Vers la moitié du XIXe siècle, une transformation du paysage naturel s’est produite avec des conséquences sur l’imaginaire hivernal et sur sa représentation littéraire. À la fin de 1850, le phénomène hydrogéologique connu sous le nom de « recul des glaciers » a eu lieu. Cette époque coïncide avec un autre changement climatique : entre 1550 et 1850, en Europe, il y a eu une diminution soudaine des températures, considérée par les experts comme un petite âge glaciale – ou une période interglaciaire. Des températures significativement plus basses sont enregistrées au cours de cette phase géologiquement courte, mais suffisamment longue pour laisser une trace durable dans l’imagination européenne. Pour cette raison, l’art moderne redécouvre l’hiver et en fait un sujet fictionnel. En effet, de nombreuses expressions artistiques du XIXe siècle (peinture, musique, littérature) se focalisent sur un paysage hivernal. Mais que se passe-t-il à la fin de ce petit âge glacial ?

Non seulement nous connaissons les conséquences de cette époque climatique particulière sur les arts, mais nous pouvons également interpréter la sensibilité des auteurs aux variations atmosphériques (pensons à Frankenstein de Mary Shelly écrit en 1816, la soi-disant « année sans été »). Mais que se passe-t-il lorsque l’hiver se retire ? Quand, au lieu de winter is coming, winter is going, qu’est-ce qui en reste dans l’imaginaire européen ? La fascination pour les régions froides est restée dans les sédiments de l’imaginaire européen comme une quête inaboutie, un désir de découverte inaccompli, qui pourrait expliquer pourquoi les pays du Nord sont devenus les sociétés sur lesquelles nous projetons nos rêves de perfection. Serait-elle la raison qui nous pousse à considérer ces terres comme les pays du bonheur à l’heure actuelle ? Est-ce un transfert, un fantôme, une recherche de l’hiver perdu ou s’agit-il s’une caricature pour vaincre l’inquiétude de sa perte ?

 

Les régions boréales ne sont souvent indiquées qu’avec quelques traits distinctifs (devenus stéréotypés) : un climat rigoureux, un paysage naturel hostile à la vie humaine, une couverture de neige blanche et une alternance oxymorique entre la lumière de l’été et l’obscurité de l’hiver. Les oppositions binaires que ce stéréotype évoque ne se limitent pas à l’opposition Nord/Sud, froid/chaud, clair/obscur, mais regardent également une attitude récente consistant à considérer les pays de l’Europe du Nord comme des sociétés du bien-être et du bonheur.

Ces éléments étaient autrefois attribués à une vie rude et sévère en relation aux caractéristiques constitutives du Nord, tandis que leur effet s’est transformé à l’époque contemporaine. Nous sommes donc confrontés à une resémantisation des stéréotypes du Nord et de l’hiver. La présence de stéréotypes – entendus comme « une représentation collective réductrice 7 » – est inévitable à partir du moment où nous avons affaire à des imaginaires et à des représentations. À travers l’évolution de ces stéréotypes, la représentation de la Scandinavie dans l’imaginaire commun change au fil des époques. Or, cela n’est pas étonnant et plusieurs travaux ont déjà été consacrés à ce sujet 8. Au contraire, nous devons considérer l’évolution de ces stéréotypes et leurs fonctions pour comprendre la raison des changements et leurs conséquences sur les imaginaires. Quelle est la pertinence de ces stéréotypes ? De quoi sont-ils les symptômes ? Leur resémantisation contribue-t-elle à transformer leur nature ?

Pour montrer cette resémantisation comique et paisible de l’hiver nordique nous allons mener notre étude vers deux motifs à la fois narratifs et sociologiques :

1) Le hygge comme stéréotype de société du bonheur ;

2) Le paysage naturel comme chronotope de l’hiver.

Selon Michael Pickering, l’affaiblissement de l’homogénéité concourt au renforcement du cliché 9, ce qui implique de nouveaux enjeux. Quand les stéréotypes se resémantisent, les caractéristiques du Nord sont-elles transférées sur l’hiver ? S’agirait-il d’une simplification ou d’une complexification ?

 

Le hygge : survivre à l’hiver avec le bonheur

 

What lies behind the Danish code hygge? Is it merely, as some have suggested, a cold-climate adaptation to long winter nights? The very least one can say of it is that is reflects a skill, talent, and concerned for the values of conviviality and positive sociality  10.

 

Avec cet extrait de 1991, Steven Borish identifie le hygge comme une réaction au climat froid typique des longues nuits d’hiver danoises. Le hygge est décrit comme la démonstration de la résilience des peuples du Nord à un hiver prolongé et désagréable. Plusieurs experts remarquent que la basse température hivernale « has been [a] contributing factor as to why the Nordic countries to some extent romanticize the home as a “safe haven” where families get together and gather new strength to once again face the outside world 11 ».

Nous en déduisons que pour survivre au sombre et au froid, les Danois auraient inconsciemment inventé un style de vie agréable et convivial qui facilite la création d’un environnement positif et social. Dans cette perspective extrême (surtout si on considère les températures de l’hiver danois par rapport à d’autres pays du Nord), le hygge serait une réponse à l’impossibilité de partager des expériences dans un espace climatiquement néfaste pour la socialisation. En effet, comme Carsten Levisen le montre également, la notion de hygge concerne à la fois une attitude et une atmosphère, et fait référence au partage et à la « togetherness 12 » : passer du temps ensemble, entre amis ou en famille, est le point de départ pour comprendre cette philosophie de vie scandinave. Le hygge devient ainsi un « key cultural concept in that its realization involves many of the basics attitudes and values of Danish culture 13 ».

Selon Judith Hansen « to be in a situation characterized by hygge » signifie « to be in a state of pleasant well-being and security with a relaxed frame of mind and an open enjoyment of the immediate situation in all small pleasures 14 ». L’apparat sémantique que Hansen emploie pour définir le hygge correspond à celui que nous associerions à une situation – voire un pays – caractérisée par le bonheur. Hansen n’hésite pas à déployer les notions de sécurité, de détente, des grandes joies et des petits plaisirs en faisant une référence explicite au bien-être. Nous pouvons ainsi considérer le hygge en rapport à l’idéologie politique de l’État-providence, mais aussi à l’image courante des sociétés scandinaves comme des foyers idéaux. Si le débat sur le phénomène du hygge existe depuis vingt ans aux pays nordiques, il n’est devenu que récemment un discours à la mode à l’échelle européenne. Cela comporte une nouvelle configuration des pays scandinaves dans l’imaginaire commun qui s’accompagne d’un stéréotype positif. La propagation de cette question a concouru à son association avec une autre idée récente : le bonheur comme caractéristique identitaire des pays scandinaves.

Toutefois, pourquoi considérer le hygge comme une extension de l’hiver scandinave ? Dans son analyse sociologique et linguistique du phénomène, Carsten Levisen montre qu’il intéresse à la fois le champ sémantique de la chaleur et de la lumière 15 (des oxymores de l’hiver) et que ses éléments les plus emblématiques contiennent tous des références à ces deux domaines (les bougies, la cheminée, le chocolat chaud et les gâteaux faits maison enfournés 16). Cependant, si on analyse la chaleur et de la lumière d’une perspective symbolique, nous pouvons considérer le hygge comme un rituel de passage qui opère sur le modèle du rituel d’agrégation individué par Arnold Van Gennep 17. Cette pratique répondrait ainsi à une tentative d’expulsion de l’hiver et le hygge renforcerait la nature dichotomique de cette saison dans la culture scandinave. En termes d’imaginaire du Nord, cela ne fait que contribuer à créer un système de références nordiques, les « couches discursives différenciées » décrites par Daniel Chartier 18. Ces discours su le hygge et sur l’hiver se rapprochent conceptuellement pour deux raisons principales :

1. Le hygge persiste en raison de l’existence de la saison froide : cette pratique culturelle ontologiquement opposée à une condition météorologique spécifique ne peut se vérifier qu’en présence de sa Némésis. En considération de sa nature domestique et de l’emploi de sources de chaleur et de lumière (les cierges et les boissons chaudes), il implique aussi une exorcisation de l’hiver. À ce sujet, Jeppe Trolle Linnet inscrit l’origine du hygge dans les habitudes d’une nation qui voit réduire son importance sur le plan international (ce qui est le cas du Danemark à partir de 1864). Au sein de cette dimension climatique et politique, s’établit une pratique sociale qui valorise la vie familiale et les petites communautés en dépit des conditions climatiques défavorables 19.

2. Le hygge consiste dans une généralisation (qui encourage une banalisation) : l’attitude qui consiste à profiter des expériences simples, ce qui n’est pas spécifique au Danemark mais qui est une ressource universelle 20, comme le suggère le best-seller de Marie Tourell Søderberg, Hygge: The Danish Art of Happiness (2016). Or, ce concept concerne profondément les valeurs culturelles danoises au point que de nombreux anthropologues le considèrent comme représentatif de cette société 21. Le hygge correspond ainsi à cette « nordicité mentale » définie par Hamelin comme l’artefact culturel évoquant l’imaginaire du Nord. Considéré en ces termes, le hygge montre l’aspect positif de la vie hivernale scandinave : des saisons longues et froides qui favorisent les situations sociales intimes et une vision plus légère de l’existence 22. Par le biais de cette généralisation du hygge se structure le même mécanisme opérant dans la transformation mentale de l’hiver en ses unités moindres (neige, froid, blancheur) avec la possibilité qu’il soit resémantisé sous d’autres formes (notamment le Nord).

 

Bien que ce soit une pratique danoise, le hygge est devenu un symbole de la Scandinavie et de la vie de ses habitants 23. Compte tenu de l’importance sociale, culturelle et identitaire du hygge, il reste à comprendre ses implications sur le public non scandinave pour saisir sa portée sur l’imaginaire et son impact sur la représentation de l’hiver.

Le hygge est devenu une tendance, hors de la Scandinavie. Il suffit de consulter le nombre élevé de publications qui portent sur ce sujet et qui sont destinées au grand public, ou de considérer que les users des réseaux sociaux on fait du hashtag #hygge un topic trend depuis 2017. Dans les dernières années, « the Danish hygge penetrated the media discourse and the imagination of consumer readers. The recipients of mass communication are surrounded with the all-pervasive mantra: the Danish are the happiest people in the world 24 ». Non seulement la littérature de masse s’est abondamment passionnée pour le phénomène (symptôme de la fascination du public), mais des livres comme Hygge: The Danish Art of Happiness de Marie Tourell Søderberg sont devenus des best-seller étrangers (ce qui suggère la possible projection du public étranger dans cette manière de vie scandinave).

Nous concentrons notre analyse sur The Little Book of Hygge. The Danish Way to Live Well (2016) de Meik Wiking en raison de son statut particulier, principalement dû à ses conditions de création et à son succès. En effet, ce n’est que quelques mois après sa publication que le livre a été traduit dans les majeures langues européennes, au point qu’on compte onze langues de traduction à l’heure actuelle. Comme dans le cas de Hygge: The Danish Art of Happiness de Marie Tourell Søderberg, le paratexte est incontournable pour comprendre la réception du public. La couverture informe d’emblée qu’il s’agit d’une publication insérée dans la liste des « Top Ten Bestseller » par The Times. Cette stratégie d'édition est principalement conçue pour attirer l'intérêt du public en établissant un lien étroit entre le nombre de copies vendues et les apports bénéfiques du mode de vie danois. En valorisant la reconnaissance du public, ce type de diffusion alimente ainsi la perception du hygge. Cette construction éditoriale repose sur une relation intertextuelle : pour réitérer le concept, la maison d’édition Penguin a publié dans la même collection d’autres guides à la vie scandinave. Pour instruire les lecteurs étrangers, l’année suivante a ainsi paru un autre livre de Meik Wiking, The Little Book of Lykke. The Danish Search for the World’s Happiest People (2017). En 2019, Penguin a publié The key to happiness. How to Find Purpose by Unlocking the Secrets of the Worlds Happiest People qui analyse plus spécifiquement les raisons pour lesquelles le Danemark serait le pays du bonheur 25.

Depuis son introduction dans le livre, le concept de hygge est considéré en concomitance avec l’hiver scandinave. L’auteur présente une définition générique dénotant que « hygge is about atmosphere and an experience, rather than about things », mais ajoute dans le paragraphe suivant :

 

One December, just before Christmas, I was spending the weekend with some friends at an old cabin. The shortest day of the year was brightened by the blanket of snow covering the surrounding landscape. When the sun set, around four in the afternoon, we would not see it again for seventeen hours, and we headed inside to get the fire going. We were all tired after hiking and were half asleep, sitting in a semicircle around the fireplace in the cabin wearing big jumpers and woolen socks. The only sounds you can hear were the stew boiling […]. The one of my friends broken the silence.

- Could this be any more hygge? – he asked rhetorically.

- Yes, […] if there was a storm ranging outside  26.

 

En ces quelques lignes de description du hygge, nous retrouvons les traits distinctifs de l’hiver : le manteau neigeux, la lumière scintillante, l’obscurité, le besoin humain de chaleur, la cheminée, les vêtements chauds, les bruits étouffés (ou leur absence), la tempête de neige, mais aussi décembre, Noël et le jour le plus court de l’année. Comme ce dialogue le montre, la simple accumulation de ces éléments hivernaux est suffisante pour évoquer une image de hygge. Non seulement ces représentations font référence à la fois à l’hiver et au hygge, mais elles sont également des signifiants (au sens de Ferdinand de Saussure) qui stimulent l’imaginaire du Nord. Nous sommes en présence des tagmèmes du boréalisme – les moindres unités évocatrices de l’espace boréal qui tiennent à la grammaire du Nord définie par Sylvain Briens 27. Cela implique que le hygge devient une préfiguration tant de l’hiver que du Nord dans les imaginaires étrangers.

L’idée du hygge favorise un glissement sémantique de l’hiver : ses caractéristiques concernent une façon de survivre agréablement à la saison froide, de mener une existence légère au sein d’un environnement rude classiquement désigné pour les individus forts. La transformation de l’espace nordique en zone de bonheur s’accomplit par la resémantisation des éléments de la saison froide : l’hiver devient le protagoniste des lieux du bien-être et cesse d’être une épreuve d’endurance. La resémantisation est opérante au point que The Little Book of Hygge suggère que les pays scandinaves ont su faire de l’hiver une raison de vivre.

Les livres de Meik Wiking proposent une relation étroite entre le hygge et les statistiques sur la qualité de vie plaçant le Danemark au premier rang 28, et ils montrent les paramètres nécessaires pour obtenir et reproduire cette condition de vie. Par le biais de cette narration, ces produits de marketing exportés dans le monde entier encouragent la reproduction stéréotypée de la culture danoise à travers les bougies et les boissons chaudes : ces représentations sont intrinsèquement liées à l’hiver scandinave sans pourtant le mentionner explicitement. Pour garantir la diffusion d’une même image préconçue 29 au grand public européen, ces livres sont tous publiés dans un même format. Non seulement les traductions des titres d’une langue à l’autre 30, mais aussi les autres éléments paratextuels sont maintenus constants. Il s’agit d’une posture qui relève de deux différentes attitudes : 1) d’un côté, la volonté consciente de diriger la perception du public étranger et d’adresser le stéréotype des pays scandinaves (les traductions étrangères disposent toutes du même design de couverture), 2) de l’autre côté, cette pratique facilite la propagation d’une « grammaire boréale » commune au sein de public différents (y aurait-il un apprentissage aux codes boréaux ?).

Quel est donc l’effet social de cette pratique culturelle ? Que révèle l’étude sémiotique du hygge sur la société ? Il ne faut pas oublier que The little book of Hygge est produit par le Happiness Research Institute de Copenhague, tout comme les autres publications de Wiking. Cette institution se donne comme objectif « to inform decision makers of the causes and effects of human happiness, make subjective well-being part of the public policy debate, and improve quality of life for citizens across the world ». Le Happiness Research Center nourrit le mythe de la Scandinavie comme Arcadie contemporaine, réactualisant un autre stéréotype de la société nordique contemporaine : le modèle scandinave. Proposer un nouveau modèle scandinave à travers un discours sur le bonheur ne signifierait-il pas l’amplifier et dépasser métaphoriquement les limites de ce modèle sociopolitique ? La crise du folkhem, annoncée depuis les années 1980, pourrait-elle trouver une voie alternative dans la diffusion de cette nouvelle forme de société idéale ? Bien que l’aspect superficiel semble prendre le relais sur le contenu politique et philosophique du folkhem 31, cette idée persiste. Cette formule frivole et simplificatrice n’est qu’une manière de réactualiser son storytelling à une époque d’orientation politique et existentielle incertaine 32.

En effet, le site Happiness Research Institute de Copenhague contient plusieurs approfondissements qui rebondissent sur l’idée de la société scandinave (danoise en l’occurrence) comme idéal du bonheur. À plusieurs reprises, des mots qui associent le Danemark, le bonheur et les ranks internationaux se répètent, en approfondissant les questions du welfare et de l’écodurabilité, de la sécurité et de l’égalité sociale, de la qualité de vie des jeunes générations pour comprendre « the factors that loom large in their lives and identify the social forces that shape their happiness 33 ». C’est aussi le cas de la recherche « The Happy Danes. Exploring the reasons behind the high levels of happiness in Denmark » qui exhorte à considérer le Danemark comme l’un des pays ayant l’une des meilleures qualités de vie, tout en expliquant « how a strong civil society, a good work-life balance, and a high level of social security are causes of happiness 34 ».

Les publications de Meik Wiking et les études de l’Happiness Research Center accompagnent enfin la définition de hygge donnée par l’Oxford Dictionary en 2018. La récente introduction du mot « hygge » dans le vocabulaire anglais est un exemple éloquent. La décision d’insérer le concept tel quel dans un autre système linguistique et culturel souligne l’impossibilité de traduire dans un autre contexte la substance que la notion scandinave contient. Ce mot n’est pas un signifiant passif, mais une affirmation performative qui agit pour le locuteur. Pour cette raison, le fait que hygge ne puisse pas être traduit dans une autre langue indique que son appartenance culturelle et son imaginaire de référence sont essentiels pour sa compréhension. C’est une variation linguistique qui dénote la même richesse expressive contenue dans les nombreuses nuances que les Inuits du Groenland emploient pour dire la neige : il ne s’agit pas seulement de pouvoir décrire le paysage avec plus de précision, mais cela révèle aussi une pratique d’observation, de cohabitation, d’un système plus profond d’émotions et d’expériences qui représente le patrimoine culturel inhérent à un mot.

Le hygge serait ainsi un mode de vie tellement particulier qu’il ne s’observerait que dans les pays scandinaves. Toutefois, les études se répandent dans le reste d’Europe. L’Oxford Dictionary le confirme en parlant du hygge comme d’une « quality of cosiness and comfortable conviviality that engenders a feeling of contentment or well-being (regarded as a defining characteristic of Danish culture) ». La définition s’articule autour de la sphère du bien-être, du confort, de l’hospitalité, de la convivialité qui deviennent les traits caractéristiques de l’atmosphère de cette société. Le peuple danois est proposé en modèle : « Why not to follow the Danish example and bring more hygge into your daily life 35? »

Ce concept originairement forgé au sein de sociétés scandinaves devient ainsi une expression globale du bien-être et du style du Nord et s’accompagne d’une spéculation de l’image qui se répand vers le reste du monde. Le discours sur un Nord-modèle suit une transformation qui, par extension, devient déterminante dans des productions qui portent sur un même stéréotype de l’hiver nordique.

 

Le paysage hivernal comme chronotope narratif du Nord

Les productions télévisuelles des dernières années sont définies par Jason Mittel par leur structure complexe dans laquelle des éléments autrement secondaires jouent un rôle plus actif 36. En termes narratifs, les locations deviennent plus pertinentes pour comprendre le sens de la fiction sérielle audiovisuelle et changent la perception de la narration de la part du spectateur 37. Dans une structure narrative complexe, la dimension spatio-temporelle devient fonctionnelle dans la construction de l’intrigue, ce qui valorise son potentiel expressif. De cette manière, elle cesse d’être un élément de l’arrière-plan dans lequel situer l’action principale, et devient un dispositif actif par rapport aux autres éléments narratologiques 38.

En considérant la location comme un chronotope bakthinien 39 – une unité de temps et d’espace qui agit activement sur le récit – nous analyserons le film comique Quo vado? (2016) qui a comme location le cercle polaire. Dans ce film, le paysage hivernal n’est plus seulement un décor, mais participe au développement de l’intrigue et nous montrerons les implications sémantiques du paysage hivernal en tant que chronotope narratif du Nord. La resémantisation d’éléments hivernaux en perspective comique permettrait une transformation de l’Imaginaire du Nord.

La comédie serait un moyen de survie (narratif) dans le Nord 40, tout comme le bonheur favorisait une nouvelle représentation de l’hiver et de la Scandinavie. Le Nord devient-il un nouveau locus amoenus par opposition au locus terribilis décrit par les voyageurs polaires ? Comment s’accomplit ce renversement sémantique en laissant inaltérés les tagmèmes boréaux de la grammaire du Nord ?

Selon Adam Gopkin, le potentiel de l’hiver extrême (et par cette expression il entend l’hiver du Grand Nord) est un scénario naturel qui invite à la parodie et à la comédie de l’absurde, au point qu’il a été exploité à plusieurs reprises par des productions comiques 41. Pour comprendre la resémantisation et son effet amusant, il est nécessaire que ces récits remplacent l’héroïsme par l’humour. Non seulement dans ces histoires se produit un changement sémantique qui tend à ridiculiser la relation de pouvoir entre l’homme et la nature, mais ces latitudes encouragent un discours ironique sur le protagoniste. L’hiver scandinave est la source du motif comique dans le film italien Quo vado? (2016) de Gennaro Nunziante. Le film se concentre sur un fonctionnaire public paresseux et corrompu du Sud de l’Italie – satire de ce qui serait l’italien moyen – envoyé à Ny Ålesund dans l’archipel arctique de Svalbard par son patron. Une partie de son séjour punitif se déroule à Bergen, où le protagoniste se heurte dans un premier temps à la rigidité du climat et de la vie nordique, pour ensuite l’accepter pleinement – toujours en remarquant une différence culturelle démesurée entre le Nord et le Sud de l’Europe. Le développement du personnage principal passe par la découverte de l’écologie, du recyclage, du respect de la liberté d’autrui, par l’abolition des différences de genre, par des klaxons qui ne sonnent pas à cause des embouteillages, tout ce que le héros appelle la « civilisation », dans ce « Nord civilisé » qu’il juxtapose à plusieurs reprises au Sud dont il est originaire. Cette nouvelle mise en récit du voyage initiatique est principalement une narration comique résumée dans la formule en latin macaronique « quo vado » au lieu du quo vadis biblique, et elle se joue sur toutes les tonalités de l’hiver.

La première apparition du Nord (qui correspond aussi aux premiers troubles du personnage) se construit sur un contraste visuel outre que sémantique, autour de l’imaginaire des neiges.Pour soutenir cette antithèse, le scénario change soudainement : de l’intérieur des bâtiments du Ministère du Travail à Rome, le spectateur suit le débarquement imprévu du protagoniste dans une tempête de neige au cercle arctique. Or, une première antinomie est mise en question à partir de cette scène, car Checco est déposé au Grand Nord pendant l’été, mais ce n’est pas la chaude saison italienne qu’il connaît. Dans cette représentation agit un renversement sémantique construit sur la perception de l’hiver. Il est ainsi question de cette « nordicité saisonnière 42 » par laquelle Louis-Edmond Hamelin désigne la perception des périodes hivernales typiques des pays tempérés et de leurs habitants. L’été arctique rappelle au personnage principal les caractéristiques de l’hiver de Roccaraso – une région montagneuse des Abruzzes en Italie. Le motif comique consiste dans cette inversion de la binarité hiver/été et froid/chaud. Checco appelle sa mère pour lui confier la terrible nouvelle : il se trouve « au cercle polaire arctique, ça caille 43 », il fait incroyablement plus froid qu’à Roccaraso. Or, la réaction du spectateur italien qui reconnaît Roccaraso comme un terme de comparaison hyperbolique permet aussi de renverser l’atmosphère tragique normalement attribuée aux récits de voyages aux pôles. Comme tout explorateur du début du siècle qui se retrouvait face aux mystères du Nord glacial, Checco est ingénument impréparé pour sa mission. Il n’a pas les moyens de survivre à l’hiver arctique (il suffit de penser qu’il atterrit de l’hélicoptère en costume-cravate sans aucun type d’équipement adapté à l’environnement extrême dans lequel il se trouve).

La même situation se présente pour le gel, traditionnellement ennemie du voyageur polaire car le principal responsable de ses souffrances, voire de son trépas. Grâce au cadre comique du récit de Nunziante, les éléments hivernaux autrefois responsables de l’atmosphère inquiétante et tragique prennent la fonction de déclencheurs de rire. Abandonné en costume sur la banquise, le personnage déclare sa volonté de résister : il ne quittera jamais son travail comme le voudraient ses employeurs et il avoue qu’il est prêt à subir l’hiver. Cela jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il a été amené au pôle. Ainsi, ni la neige, ni le froid, ni le blanc du paysage ne révèlent au protagoniste (et au spectateur) que le décor de l’intrigue a évolué, et une indication géographique précise est nécessaire.

Le dévoilement a lieu devant un drapeau norvégien, renversé pour former une croix latine, devant lequel Checco s’agenouille pour prier en dépit de la neige qui commence à se déposer sur son corps 44. Pour la première fois, des repères spatiaux apparaissent. Cependant, ces coordonnées géographiques ne désignent pas un endroit réellement existant. Elles font référence à une zone proche du lieu fictionnel mis en place par le film : nous sommes ainsi confrontés à un espace qui existe au niveau discursif mais non physique. Le spectateur réel (tout comme Checco dans la fiction) ne se pose pas de question sur la tangibilité des indications géographiques données. Cela parce qu’un climax géographique est concentré dans une seule scène : l’un après l’autre « North Pole », « Svalbard », « Ny Ålesund », « 79°N11°56’E » défilent sur l’écran. Lorsque leur précision s’affine, la compréhension du spectateur diminue : si Gennaro Nunziante avait choisi de montrer d’emblée la latitude et la longitude, le spectateur aurait difficilement compris la position géographique de Checco (étant donné qu’elle ne correspond pas à une zone réelle). La première indication donnée (North Pole) est la plus générique mais aussi la plus utile au grand public, pour lequel le film est conçu. En revanche, Svalbard et Ny Ålesund sont des informations plus précises qui nécessitent des compétences particulières pour être saisies. De manière progressive, la ponctualité des informations spatiales concerne un groupe plus restreint de public capable de les décrypter : la nordicité 45 est inversement proportionnelle à l’attente du spectateur.

Cette scène montre à quel point la représentation du Nord n’est qu’une métonymie de l’hiver : de façon paradoxale, l’indication géographique précise n’apporte rien au récit. En fait, les coordonnées indiquées ne correspondent à aucun site du Spitzberg où l’intrigue est censée avoir lieu. Il se vérifie alors la possibilité d’une lecture plurielle du storytelling qui distingue l’apparat écrit-visuel (comportant des informations inutiles dans l’économie du récit) de l’image visuelle (construite sur l’imaginaire de l’hiver et nécessaire pour transmettre l’atmosphère défavorable au personnage principal). Ce redoublement du storytelling est ultérieurement chargé de la narration orale de Checco qui explique être en voyage vers l’Arctique. Au niveau oral, la sémantique du froid parcourt les scènes dédiées à la construction identitaire du personnage. Lorsqu’il appelle son supérieur pour rentrer de la mission, celui-ci se réjouit de « le laisser refroidir un peu 46 » et quand Checco tombe amoureux remarque que sa femme est capable de « transformer la glace polaire en paisible fraîcheur 47 ». Un discours métalinguistique se structure à partir de ces répliques et montre que la présence de l’hiver au niveau linguistique intensifie l’effet ironique. Il est question d’une double lecture jouée sur les contrastes et les parallélismes : les discours des personnages narrativisent l’hiver comme une construction métaphorique et allusive. L’ambiguïté du langage figuré encourage ainsi d’autres situations ironiques plus subtiles par rapport à la composante visuelle où l’hiver prend un rôle métonymique.

Si le Nord de Gennaro Nunziante n’existe pas dans la dimension physique et réelle, il est pourtant un espace de la géographie imaginaire et fictionnelle construit à partir d’une esthétique régulièrement attribuée au Nord. Il s’agit d’un « territoire discursif 48 » ou d’un « espace discursif 49 » qui se structure sur l’imaginaire de l’hiver. D’un point de vue visuel, Checco fait face à un hiver si blanc que la ligne d’horizon entre le ciel et les étendues de glace n’est plus visible 50. Cet élément acquiert en importance en raison de la position narrative de cette scène, et les stéréotypes se condensent dans cette première représentation du Nord métonymique : la dimension chromatique (ou plutôt monochromatique) de la neige qui recouvre le paysage s’accompagne du silence et de l’absence d’autres formes de vie en réitérant l’image classique du Grand Nord.

Comme Andrea Bernardelli le montre, la représentation des locations est narrativement inerte dans de nombreuses productions télévisuelles – ce qui signifie que le paysage est un simple cadre 51. Ce n’est pourtant pas le cas du paysage hivernal de Nunziante, car il ne s’agit pas d’une représentation neutre. Mis à part la comicité primaire, l’hiver est une source d’amusement en raison de son aspect négatif et les difficultés du personnage principal comportent un effet cathartique sur le lecteur. Pour cela les régions boréales sont introduites comme un endroit « si merdique que même un déchet radioactif ou un parasite se sentirait mal à l’aise 52 » et conçues comme une imposition pour forcer l’employé à démissionner. L’hiver polaire est perçu comme un traumatisme renforcé par l’ironie du point de vue exogène qui détermine le contraste entre la nature et le personnage. Il devient alors fondamental de renverser la dichotomie associée à l’hiver avec une binarité sur le plan identitaire, ce qui est possible parce que le héros est italien (le contraste Nord/Sud est essentiel en ce sens). La première rencontre avec la ville de Bergen se joue sur les paroles de la bande sonore « I am an italiano boy 53 », et au vert de l’aurore boréale se rajoutent le blanc et le rouge du drapeau tricolore, quand la nostalgie pour « la mère patrie Italie » se fait sentir.

Les dialogues visent également à construire un discours d’antinomie entre la Norvège et l’Italie, proposées comme symboles du Nord et du Sud. Quand le héros réalise que « tout ce Nord-là, a refroidit son instinct latin 54 » et qu’il court le risque de devenir de nouveau « un peu incivile », il s’investit dans un apprentissage de la civilisation, qui correspond à une intégration complète mais exacerbée. Ces « rendez-vous de civilisation », comme il les appelle, le transforment. Il devient « un homme tout à fait différent » qui a abandonné les poses « irrespectueuses 55 » et qui refuse ses origines. L’assimilation atteint son paroxysme quand le personnage principal en arrive à blâmer ces Italiens qui sont inévitablement passés par les ruelles de Bergen salies par les déchets, ou quand il préfère parler norvégien avec son père en décrétant l’« Italienski, volgaria 56 ».

Un véritable conflit de civilisation se dramatise à l’écran par le biais de l’effet comique. Un remake grotesque du conflit entre civilisés et barbares de temps anciens est explicité par des phrases comme « en Italie nous ne sommes pas civils, mais nous sommes au moins polis » ou bien réitéré par l’utilise de l’injurie « Viking, t’es un Viking 57! » contre le gérant d’un pseudo-restaurant italien incapable de cuisiner des pâtes.

Construite sur la binarité réductive Nord/Sud, la différence culturelle finit par être un motif d’insatisfaction. Ce n’est pas un élément mineur, car il se développe dans le temps narratif qui correspond à l’hiver norvégien. La voix-off de Checco raconte son histoire :

 

J’étais de plus en plus convaincu de rester là-bas [en Norvège]. Mais je n’avais pas pris en considération le long hiver norvégien. Six mois où le sombre du soir s’alterne au sombre du matin. Et tout cela retombe évidemment, énormément, sur l’humeur des gens  58.

 

Toute la première partie du récit arctique se déroule pendant l’été nordique qui est cependant perçu comme un hiver rigide mais radieux, et n’a pas de conséquences négatives en termes de narration. Non seulement le froid n’est pas ressenti comme le châtiment qu’il aurait fallu, mais il est surtout une première étape de l’épanouissement du personnage et encourage son côté altruiste. Cependant, dans la deuxième partie de son séjour à Bergen, nous ne sommes plus face à une « nordicité saisonnière », mais au vrai hiver du Nord. L’hiver scandinave est long et ardu sur le plan climatique, même pour les autochtones, comme les Norvégiens asthéniques prêts à s’ôter la vie que Nunziante décrit. Comme le veut un autre lieu commun sur la saison froide, le taux de suicide est élevé dans ces latitudes, et on souffre de périodes de dépression dues au manque de lumière. En perspective sémiologique, il est intéressant de noter que ni la neige ni le froid ne sont les protagonistes de ces scènes de l’hiver négatif, mais seulement le noir, le sombre et la dépression. Précisément ces éléments sont retenus par le protagoniste qui, désormais fatigué de sa vie au Nord et nostalgique de sa maison, ne trouve plus de contrepoint positif dans ces terres froides.

Toutefois, à ce point du storytelling, le champ sémantique utilisé n’est plus celui de la saison froide et les représentations visuelles n’ont plus à voir avec l’imaginaire hivernal. Au contraire, c’est la question de la civilisation qui revient, selon une simple stratégie de redondance lexicale sur laquelle Nunziante a insisté au long des quarante minutes du film concernant le Nord. C’est ainsi que le norvégien cesse d’être l’idiome de préférence du héros et redevient une « langue inutilement complexe 59 » et que Checco doute de son intégration dans ce cadre de froid perpétuel. Cela montre que l’effet comique est souvent lié à l’accumulation et à l’excès pour rendre le grotesque humoristique. Lorsque le sujet de l’humeur est un élément reconnu comme typique d’un espace culturel, l’accumulation d’images figées authentifie le stéréotype de départ. Cette accumulation de stéréotypes tend à étendre un effet qui pourrait être incertain : pour reproduire l’idée de la société du bien-être à notre époque, il ne suffit pas de créer un nouveau stéréotype basé sur une image isolée. L’accumulation garantit en revanche une certaine influence sur l’imaginaire collectif.

En effet, dans la perspective italienne du metteur en scène, la Norvège est initialement assimilée à l’efficience du welfare, car « ici [quand] tu ne travailles pas, l’État te soutient 60 », avec la finalité de remarquer la distance entre le spectateur italien et la réalité proposée. Cette image disproportionnée de la Norvège made in Italy des années 2010 est une représentation stéréotypée s’exprimant par le biais du langage caricatural de la critique sociale.

Ce film réactualise à la fois de manière spéculaire et horizontale l’opposition entre « nous »/les individus civilisés et « eux »/les barbares pillards qui existait lors des premiers échanges entre les peuples du Nord et le reste de l’Europe. Selon le personnage principal, la Norvège est « un endroit magnifique » qui l’a délivré « de l’héritage culturel latin 61 », mais elle reste un lieu où il s’exprime difficilement. Or, cette opposition est psychologiquement rassurante pour ceux qui la reçoivent et la conçoivent, car elle repose dans la simplification du discours binaire. Ce couple antinomique banalise le système des oppositions et permet de déléguer à l’autre ce que nous n’utilisons pas pour nous définir 62. Cela explique pourquoi cet imaginaire se construit sur une série de dichotomies sommaires : Nord/Sud, froid/chaud, neige/soleil, bruit/silence, (mais aussi barbare/latin, civilisés/sauvages).

À partir de ces dichotomies, Nunziante crée des situations excessives qui déterminent une intrigue comique. Une vie extrême attend le personnage principal lors de sa mission au pôle : défendre une biologiste des attaques des ours polaires. La pollution qui a désormais atteint les mers du Nord laisse présager un changement génétique imminent. Le krill – à la base de la chaîne alimentaire de l’Arctique – est contaminé par des métaux dangereux et l’équipe de scientifiques italiens que Checco rejoint détecte la présence d’arsenic et de cadmium qui empoisonnent les eaux. Ces chercheurs s’occupent des effets de la fonte de la calotte polaire sur la faune arctique : le travail des experts consiste à étudier les conditions de vie des phoques, des lemmings et des ours polaires et diverses scènes du film se concentrent sur ces animaux typiques de l’imaginaire des régions froides. L’hiver n’est donc pas un danger pour ces personnages, au contraire, il est leur raison de vie au point que leur mission consiste dans sa préservation. L’hiver devient la source de la matière narrative : les températures élevées ont endommagé la fourrure des animaux polaires, ce qui rend nécessaire l’intervention des scientifiques.

Toutefois, parler de défense écologique ou d’éco-littérature serait excessif étant donné la superficialité de ces considérations sur la disparition de l’hiver dans le récit. Sauf si on considère cette production en termes de comédie. La simplification et la généralisation du message écologique sont évidentes dans plusieurs dialogues du film, tant que des phrases comme : « la pollution des mers et le réchauffement de la planète sont des problèmes qui concernent tous 63 » sont insérées à des moments stratégiques de l’intrigue. Or, cette simplification du message a à voir avec l’effet sur le spectateur. Pour que la comicité de la narration reste constante, le récit doit contenir un quantitatif restreint de matériel « sérieux ». Cela signifie que le contenu écologique ne doit être ni omniprésent ni trop compliqué. Le contenu ironique permet de raconter et de commenter la réalité, mais la compréhension de ce contenu nécessite un partage culturel commun : l’ironie devient un acte communicatif de la pragmatique de la communication. C’est une autre raison qui fait de l’hiver non pas un simple motif narratif – ou une composante secondaire de l’intrigue de Quo vado? – mais plutôt un chronotope de la représentation 64.

 

Conclusion

En conclusion, pourquoi représenter le Nord par sa métonymie hivernale ? Au moment où l’hiver est de plus en plus difficile à saisir (quand winter is going), nous avons besoin de stéréotypes inédits pour projeter de nouveaux fantômes sur le Nord. Serait-ce une façon de nous rassurer et donc de réévaluer la perte de l’hiver ? Les stéréotypes sur les pays scandinaves trouvent une resémantisation qui alimente une perception renversée : au long du film de Nunziante, l’image du Nord alterne entre un espace inhospitalier et un paradis terrestre, ainsi que le hygge considère une situation climatique ardue comme un catalyseur des relations sociales.

Cette opération est rendue possible par un nouvel emploi comique et idéal des traits de l’imaginaire de l’hiver. Les tagmèmes boréaux ainsi recontextualisés transforment la perception de l’hiver et favorisent sa divulgation. Le film de Gennaro Nunziante et le livre de Meik Wiking dévoilent une autre considération : tout comme The Little Book of Hygge, Quo vado? a battu tous les records de recettes et a eu un impact important sur l’imaginaire du Nord par le biais de ses traductions 65. La fortune cinématographique de Nunziante s’accomplit avec l’exportation du film en Espagne en 2017 66, tandis que les livres de Weiking sont traduits en onze langues. Dans ces nuances étrangères d’une même grammaire boréale, la recherche d’un Nord comme représentation métonymique de l’hiver reste constante.

Cette resémantisation du Nord en perspective hivernale contribue à transmettre à un vaste public une image idéale et ironique d’un espace autrefois inaccessible. Elle opère enfin sur la réception du public de masse, car des fondements des questions actuelles (le danger écologique et la satisfaction personnelle) trouvent une voie d’expression rapide et de fort impact. Ces productions populaires n’approfondissent pas les thématiques envisagées et ne s’inscrivent ni dans des travaux de critique ni dans de réflexions ontologiques. Toutefois, elles relèvent des pistes comiques exorcisant la crainte et des prédispositions sensibles favorisant la prolifération d’un discours qui fait le deuil de l’hiver.

 

  1. Notre traduction : « L’année à 16 mois : novembre, décembre, janvier, février, mars, avril, mai, juin, juillet, août, septembre, octobre, novembre, novembre, novembre ». Ce poème de Henrik Nordbrandt est devenu une expression de l’autodérision danoise.
  2. Daniel Chartier, « Qu’est-ce que l’imaginaire du Nord ? », Études Germaniques, vol. 71, n° 2, avril-juin 2016, p. 189-200, p. 189-190.
  3. Adam Gopnik, Winter. Five Windows in the Season, Toronto, House of Anansi Press, 2011 [version ebook s.p.].
  4. Louis-Edmond Hamelin, « Le Nord et l’hiver dans l’hémisphère boréal », Cahiers de géographie du Québec, vol. 44, n° 121, 2000, p. 5-25.
  5. Id., p. 15.
  6. Adam Gopnik, Winter. Five Windows in the Season, op. cit.
  7. Myriam Watthee-Delmotte, Laurence Van Yepersele, Paul-Augustin Deproost, Mémoire et identité. Parcours dans l’imaginaire occidental, Louvain, Presses universitaires de Louvain, 2008, p. 42. Malgré la définition du stéréotype comme un élément réducteur, les auteurs spécifient que les effets du stéréotype peuvent être de « fermeture » ou bien d’« ouverture » et donc donner des possibilité de sens sur l’altérité.
  8. Voir Hildor Arnold Barton, Northern Arcadia : Foreing Travellers in Scandinavia, 1775-1815, Carbondale, Southern Illinois University Press, 1998 ; Hildor Arnold Barton, Sweden and Visions of Norway. Politica and Culture, 1814-1905, Carbondale, Edwardsville, Southern Illinois University Press, 2013 ; Frédérique Toudoire-Surlapierre, L’Imaginaire nordique, Paris, L’Improviste, 2006.
  9. Michael Pickering, Stereotyping. The Politics of Representation, London, Palgrave, 2001, p. 4-5.
  10. Steven M. Borish, The land of the living: The Danish folk high schools and Denmark's non-violent path to modernization, Blue Dolphin Pub, 1991, p. 278.
  11. Jeppe Trolle Linnet, Interweavings: A cultural phenomenology of everyday consumption and social atmosphere within Danish middle-class families, Syddansk Universitet, Det Samfundsvidenskabelige Fakultet, 2010 ; Søren Askegaard, Jeppe Trolle Linnet, « Towards an epistemology of consumer culture theory: phenomenology, structure and the context of context », Marketing Theory, 2010.
  12. Carsten Levisen, Cultural Semantics and Social Cognition: A case study on the Danish universe of meaning, Berlin, Mouton de Gruyter, 2012.
  13. Judith Friedman Hansen, We are a little land: Cultural assumptions in Danish everyday life, Salem, Ayer Publishing, 1980, p. 62.
  14. Id., p. 58.
  15. Carsten Levisen, Cultural Semantics and Social Cognition: A case study on the Danish universe of meaning, op. cit.
  16. Id., p. 106. Cela implique une prise en compte particulière, sur le plan symbolique, de l’utilisation des cierges qui sont les objets plus évocateurs du hygge à l’étranger et en Scandinavie.
  17. Arnold Van Gennep, Les rites de passage, Paris, Éditions A. et J. Picard, 1981 [1909, 1969], p. 180.
  18. Daniel Chartier, « Qu’est-ce que l’imaginaire du Nord ? », op. cit., p. 190.
  19. Jeppe Trolle Linnet, op. cit.
  20. Traduit en français comme Hygge: L'art du bonheur à la danoise
  21. Hansen 1976, Schwartz 1985, Borish 1991, Schmidt-Lauber 2003, Linnet 2010.
  22. Carsten Levisen, Cultural Semantics and Social Cognition: A case study on the Danish universe of meaning, op. cit.
  23. Jeppe Trolla Linnet, « Money can’t buy me Hygge. Danish Middle-Class Consumption, Egalitarianism, and the Sanctity of the Inner Space », Social Analysis, vol. 55, n° 2, 2011, p. 21-44.
  24. Włodzimierz Karol Pessel et al., « The Hygge Phenomenon. Between a Lifestyle And Nationalism », Przegląd Humanistyczny, 2018, vol. 461, n° 2, p. 35-47, p. 35.
  25. Voir aussi Carsten Levisen, « The Story of Danish Happiness: Global Discourse and Local Semantics », International Journal of Language and Culture, vol. 1, n° 2, 2014, p. 174-193. 
  26. Meik Wiking, The Little Book of Hygge: The Danish Way to Live Well, London, Penguin UK, 2016, p. 6.
  27. Sylvain Briens, « Boréalisme. Le Nord comme espace discursif », Études germaniquesLe boréalisme, 2016, n° 2, p. 179-188 ; Sylvain Briens, « Boréalisme. Pour un atlas sensible du Nord », Études Germaniques, Le boréalisme 2.0, 2018, n° 2, p. 151-176.
  28. Voir le premier chapitre de The Little Book of Hygge, « The key of happyness? »
  29. La première de couverture à teinte bleue, beige et orange du livre est maintenue inaltérée dans toutes les éditions et associe une théière et des boissons chaudes avec des bougies, des feuilles et des oiseux rappelant la proximité à la nature.
  30. Nous attestons la publication en français (Le petit livre de Hygge. Mieux vivre la méthode danoise), en italien (Il libro del Hygge. La via danese delle felicità), en portugais (O livro do Hygge. O segredo dinamaquès para ser feliz), en espagnol (Hygge. La felicidad en la pequegnas cosas), en allemand (Hygge. Ein Lebensgefül, das einfach glücklich macht), en néerlandais (Hygge. De Deense kunst van het leven), en hongrois (Hygge. A dán élétérzés, amely boldoggá tesz), en finnois (Hygge. Hyvän elämän kirja), en slovaque (Malá Kniha Hygge. Dánske umenie šťastného života), en tchèque (Hygge. Prostě šťastný způsob života), et plus récemment traduit aussi en turc (Hayatimizin en anlamli günü bugüdür. Hygge. Danimakalilarin mutluluk sirri).
  31. Voir Sylvain Briens, Martin Kyllhammar, Poétocratie. Les écrivains à l’avant-garde du modèle suédois, Paris, Itahaque, 2016 ; Martin Kyllhammar, « Écologie et politique ? Et si l’on donnait la parole aux écrivains… », Deshima, « Des modèles nordiques ? L’urbanisme durable/ La littérature de jeunesse », n° 6, 2012, p. 129-135.
  32. Voir Zygmunt Bauman, Liquid Modernity, Cambridge, Polity Press, 2000.
  33. Maria Stahmer Humlum, Michael Birkjær, Jacob Fischer, Marie Lange Hansen, Lydia Kirchner, Meik Wiking, Det gode, unge liv. Hvordan fremmer vi det? En undersøgelse af unges trivsel i Danmark, København, Institut for Lykkeforskning, 2017. Voir aussi : Xavier Landes, Cindie Unger, Kjartan Andsbjerg, Kirsten Frank, Meik Wiking Sustenaible Happiness. Why Waste Prevention May Lead to an Increase in Quality of Life, København, Institut for Lykkeforskning, 2015; Meik Wiking, Happiness Equality Index Europe 2015, København, Institut for Lykkeforskning, 2015.
  34. https://www.happinessresearchinstitute.com/publications [consulté le 10/03/2020].
  35. https://en.oxforddictionaries.com/definition/hygge [consulté le 10/03/2020]. Italique dans l’original.
  36. Jason Mittel, Complex TV. The poetics of contemporary television storytelling, New York, NYU Press, 2015.
  37. Alberto Nahum García Martínez, « El paisaje en el policíaco de la tercera edad dorada de la televisión », in G. Cappello (ed.), Ficciones cercanas. Televisión, narración y espíritu de los tiempos, Universidad de Lima, Fondo Editorial, 2017, p. 257–71.
  38. Marie-Laure Ryan, Kenneth Foote, Maoz Azaryahu, Narrating Space/Spatializing Narrative: Where Narrative Theory and Geography Meet, Columbus, Ohio State University Press, 2016.
  39. Anne Marit Waade, « Locations in Television Drama Series: Introduction », Series-International Journal of TV Serial Narratives, 2017, vol. 3, n° 1, p. 5-10.
  40. Pensons à la série américano-norvégienne Lilyhammer (2012-2014) d’Anne Bjørnstad et Filif Skodvin mettant en scène un gangster italo-américain qui s’installe dans la ville norvégienne éponyme connue pour les Jeux olympiques d’hiver. Les scènes comiques sont souvent causées par l’interprétation erronée des situations culturelles concernant le froid et la neige. Lorsque le protagoniste trouve une tête d’animal devant sa porte, il la considère d’emblée comme un avertissement des truands et non comme une stratégie pour conserver la viande, tandis que pour ses voisins il s’agit d’une évidence. Or, ce qui manque au protagoniste étranger est la possibilité de décodifier les signes de cette culture hivernale : la resémantisation des codes de l’hiver implique un certain niveau de compréhension. Il ne s’agit pas que d’une faculté exclusive du protagoniste, mais aussi du public, car autrement l’effet comique ne pourrait pas se vérifier.
  41. Comme dans The Gold Rush de Charlie Chaplin (1925). Voir Adam Gopnik, Winter. Five Windows in the Season, op. cit.
  42. Louis-Edmond Hamelin, « Le Nord et l’hiver dans l’hémisphère boréal », Cahiers de géographie du Québec, vol. 44, n° 121, 2000, p. 5-25, p. 7.
  43. Gennaro Nunziante, Quo vado?, Taoduefilm, 2016.
  44. La Norvège de Gennaro Nuniziante est aussi une métonymie du Nord entier : les seules indications géographiques certaines sont données quand le héros débarque à Ny Ålesund pendant la tempête de neige et quand il se trouve à Bergen. Sauf le drapeau norvégien et les coordonnés du début, le spectateur ne reçoit aucun encadrement spatial. La mise en scène comique exacerbe la perte des repères typique de la littérature de voyage aux pôles : le protagoniste se retrouve face à des références géographiques fiables et précises (au contraire de ceux qui partaient à la découverte du monde du Nord), mais elles ne lui sont aucunement utiles. L’effet de dépaysement causé par les champs enneigés est tel que Checco continue à demander où il se trouve.
  45. Louis-Edmond Hamelin, La Nordicité canadienne, Éditions Hurtubise, HMH, 1980.
  46. Gennaro Nunziante, Quo vado?, op. cit., minute, 21’50’’.
  47. Idem., minute 26’20’’.
  48. Stéphanie Bellemare-Page, Daniel Chartier, Alice Duhan, Maria Walecka-Garbalinska, Le lieu du Nord : vers une cartographie des lieux du Nord, Québec, PUQ, 2015.
  49. Sylvain Briens, « Boréalisme. Le Nord comme espace discursif », op. cit.
  50. Gennaro Nunziante, Quo vado?, op. cit., 00:20:48.
  51. Andrea Bernardelli, « Paesaggi Seriali: L’uso del cronotopo narrativo nella serialità televisiva », Altre Modernità, n° 20, vol. 11, 2018.
  52. Gennaro Nunziate, Quo vado?, op. cit., 00:19:44. C’est nous qui traduisons de la phrase originale du film : « Mi dite un posto di merda, così di merda dove anche un parassita si senta a disagio ? »
  53. La forme linguistiquement mixte et signifiante « Je suis en mec italien » souligne un autre aspect de la génération italienne mise au pilori : la compétence limitée dans les langues étrangères qui pénalise ceux qui déménagent à l’étranger.
  54. L’italique est nôtre.
  55. Gennaro Nunziate, Quo vado?, op. cit., 00:41:35.
  56. Id., 00:49:48.
  57. Id., 00:56:50.
  58. Id., 00:52:00.
  59. Id., 00:55:00.
  60. Id., 00:47:30.
  61. Id., 00:47:30 et 00:46:19.
  62. Frédérique Toudoire-Surlapierre, Oui/Non, Paris, Édition de Minuit, 2013.
  63. Gennaro Nunziante, Quo vado?, op. cit., 00:25:23.
  64. La métonymie de l’hiver est également confirmée par la généricité du chronotope. Les personnages ne parlent pas de « Norvège » mais de « Nord », d’un endroit où à minuit rayonne le soleil et où l’hiver est long, froid et dépressif. Ce sont des généralisations soulignées par la tenue comique du stéréotype.
  65. Cette nouvelle resémantisation montre la complexité de ce discours : si les dynamiques de la perception italienne s’articulent autour d’un Nord/utopique/nowhere opposé au Sud/barbare/italien, le transfert culturel espagnol modifie complètement ce paradigme. Pour l’adaptation espagnole a été choisi un titre spatialement ancré comme Un italiano en Noruega [Un Italien en Norvège] déplaçant toute l’attention sur une partie de l’intrigue du film, qui pourtant ne se joue pas entièrement en Norvège. Par le titre, le couple binaire Sud (« un Italien »)/Nord (« en Norvège ») est explicité, mais c’est omettre un autre cadre narratif du film se déroulant en Afrique et qui propose l’alternance entre le Sud de l’Europe/le Sud du monde. En revanche, l’opposition Nord/Sud est simplifiée. Ce dualisme fonctionne au point que l’adaptation espagnole exacerbe l’original italien. Pourquoi le faire si cette opposition binaire est gratifiante déjà dans sa version italienne ? L’adaptation espagnole du film propose d’autres enjeux qui réactivent le stéréotype d’une manière encore différente : la resémantisation de l’imaginaire nordique dans le contexte espagnol se situe hors de la dynamique Italie/Scandinavie pour proposer une nouvelle opposition plus globale Nord/Sud. Cela est possible, car le scénario est norvégien, mais surtout grâce à l’extériorité du regard espagnol.
  66. La bande annonce et les affiches espagnoles du film reportaient l’exclamation : « La pelicula más taquillera de la historia en Italia. » [Le film le plus rentable de l’histoire en Italie].