Froid météorologique et mémoriel dans Suspicious river et White Bird in a Blizzard de Laura Kasischke
Les images du froid en littérature nous hantent – de la forêt enneigée et des récits du Klondike décrits par Jack London au froid mortifère auquel se confrontent des écrivains contemporains comme Rick Bass, Pete Fromm ou Annie Proulx. Tout en reprenant certains topoï de cette littérature du froid et des grands espaces, Laura Kasischke plonge le spectateur dans des territoires plus psychologiques que topographiques ou atmosphériques.
Née en 1961 à Grand Rapids dans le Michigan, Kasischke fait de la culture de l’hiver un révélateur où l’imaginaire côtoie des réflexions d’ordre météorologique, où les traces mémorielles laissées par le froid sur les personnages transforment les souvenirs, voire les gèlent. On s’interrogera sur cette étonnante fascination exercée par le froid et l’hiver sur l’auteure américaine, qui suscite de nombreuses descriptions d’espaces blancs et une sélection pointue de signes perceptifs associés au froid dans son écriture. Il s’agira, d’une part, de recenser les occurrences littéraires liées au froid, à l’hiver et aux conditions climatiques difficiles, d’autre part, de comprendre les conséquences de ces mises en scène d’un hiver rude et inquiétant sur les personnages au cours de l’histoire qu’ils traversent. Pour cela, nous détaillerons les récurrences du froid tel qu’il est décrit dans A Suspicious River (1996) tout en confrontant ces passages avec un autre roman de Kasischke : White Bird in a Blizzard (1999). Le froid serait-il, comme chez d’autres auteurs, un élément permettant de renforcer l’isolement des personnages ? Dans ce cas, les descriptions d’engourdissement et des sensations corporelles associées au froid seraient-elles porteuses d’une forme de paralysie des corps et des capacités d’action des héroïnes ? A moins que ce froid météorologique et mémoriel ne soit le signe plus profond d’un véritable gel des affects ? Dans tous les cas, nous tenterons d’explorer les significations du froid kasischkien en regard des symboliques véhiculées dans les littératures américaines et européennes afin de mieux cerner les multiples références au froid et leurs racines, ainsi que leurs répercussions sur les personnages comme sur la narration. En nous appuyant sur ces lectures comparées, nous verrons comment l’hiver extrêmement rude peut devenir le prétexte à un déploiement d’images et de sensations qui se combinent au climat psychologique et à la quête mémorielle des héroïnes.
Caractéristiques et origine du froid kasischkien
Vivant à Chelsea dans le Michigan, Laura Kasischke s’inspire de la particularité de cette région entourée par les Grands Lacs qui forment une frontière avec la province canadienne de l’Ontario, véritable source d’inspiration climatique pour plusieurs de ses romans comme pour ses poèmes. « Chelsea, où je vis… Une petite ville modeste, encore sauvage, où on peut certaines nuits, entendre les coyotes hurler 1… » Il faut dire que dans cette région, les hivers sont rigoureux et la relation aux éléments naturels s’en ressent, comme l’explique l’auteur : « Dans le Michigan, la nature est omniprésente. Je m'intéresse à l'expérience sensorielle et je tente de la traduire parce que j'aime les images, les métaphores 2. » Tandis que certains écrivains s’arrêtent sur les descriptions physiques et sur les aspects matériels liés au froid, comme Pete Fromm ou Jack London, qui décrivent les moyens mis en œuvre par les protagonistes pour se protéger des conditions climatiques, d’autres focalisent sur le froid ressenti et sur les sensations corporelles et mémorielles, comme Annie Dillard :
Il neigeait, puis le ciel se dégageait et je donnais de grands coups de pied et de poing dans la neige. Je parcourais le quartier enneigé qui s’assombrissait, oublieuse de tout. Je mordais et écrasais sur ma langue les doux vermisseaux de glace qui s’étaient formés en rangées sur mes moufles. J’enlevais une moufle pour retirer de ma bouche quelques bribes de laine. Les ombres bleues grandissaient et s’approfondissaient sur la neige du trottoir ; les ombres bleues se rejoignaient et montaient dans la rue comme une inondation. Je marchais sans mots, sans yeux, sourde, plongée dans mon cerveau, jusqu’à ce que – quoi 3 ?
Dans ce cas, la saison hivernale peut être l'élément déclencheur d'un livre et le récit s’élabore ensuite entièrement à partir de sensations et de souvenirs liés au froid et à ses manifestations. « Quand l'hiver se rapproche, explique Laura Kasischke, chaque jour qui passe est associé à la mort. Sur le plan symbolique et métaphorique, les images de ces changements entrent en résonance avec des personnages en situation désespérée, comme mon héroïne 4. » Pour cet écrivain qui enseigne à l’Université du Michigan à Ann Arbor, l’univers du froid n’est pas sans rappeler la tradition littéraire initiée par Jack London. L’hiver est « dur, long et sombre 5 » confie-t-elle lors d’un entretien. Au-delà des représentations atmosphériques, qu’il s’agisse de la brume, du gel, de la glace, du blizzard ou de la neige, les vues hivernales inquiètent le lecteur, car elles contiennent les prémisses d’une menace sourde. En effet, le blizzard comme la neige sont des éléments hostiles pouvant atteindre les hommes et comportant une forme de danger, comme on peut le lire au début de A Suspicious River, lorsque la ville se prépare à l’âpreté de l’hiver et se replie sur elle-même : « Toute la ville avait déjà fermé ses volets et s’était, pour ainsi dire, enfermée pour l’hiver 6. » Ici, le froid est bien un élément littéraire jouant le rôle d’accélérateur de l’isolement, celui de la ville comme celui de l’héroïne. Il renforce l’aspect dramatique qui est sous-jacent à ce début de récit.
En peinture, les phénomènes météorologiques permettent de déjouer les attentes du public en empêchant une appréhension claire des espaces représentés, brouillant la vue, perturbant la lisibilité. Tout se passe comme si Laura Kasischke faisait de même dans l’écriture, instaurant petit à petit un malaise, une distorsion dans le récit. Ainsi, la neige, signe d’avertissement de temps austères, est en corrélation avec le froid, le gel et la vie suspendue. Mais comment ne pas voir dans ces signes associés au froid une évocation de la disparition, qui est souvent au cœur de nombreux de ses romans ?
Dans Eden Spring (2010), étrange récit inspiré par l’histoire vraie d’un gourou du Michigan qui subjuguait des fidèles et de nombreuses jeunes filles, Laura Kasischke retrace l’histoire d’une communauté en s’attachant aux événements qui suivent l’étrange découverte d’un cadavre de jeune fille, construisant le récit autour de cette disparition initiale inquiétante. Dans The Raising, une femme est témoin d’un grave accident de voiture d'un couple d'étudiants. L'accidentée qui a succombé à ses blessures hante le campus de l’université sur fond de nature neigeuse :
La scène de l’accident était exempte de sang et empreinte d’une grande beauté. Telle fut la première pensée qui vint à l’esprit de Shelly au moment où elle arrêtait sa voiture. Une grande beauté. La pleine lune était accrochée dans la ramure humide et nue d’un frêne. L’astre déversait ses rayons sur la fille, dont les cheveux blonds étaient déployés en éventail autour du visage. Elle gisait sur le côté, jambes jointes, genoux fléchis […] Le garçon, qui s’était extrait du véhicule accidenté, franchit un fossé rempli d’eau noire pour venir s’agenouiller à côté d’elle 7.
Au fil de chaque roman, souvent organisé autour de la banalité du quotidien, s’infiltre une angoisse, un mal insidieux, que le lecteur tente de cerner. Les femmes y sont souvent sous emprise, chancelantes et parfois victimes. C’est le cas dans A Suspicious River, dont le tempo impose de quitter l’engourdissement qui frappe la ville afin de sonder les profondeurs de la psyché. Comme l’explique Josyane Savigneau, Laura Kasischke « est aussi une dénonciatrice tranquille, mais radicale, de la société américaine, d’une réalité où tout ce qui s’affiche comme une réussite, comme un univers en ordre et en harmonie, ne demande qu’à se fissurer, voire à exploser. À aller jusqu’à la destruction et au meurtre 8 ».
La quête de la mère morte dans À Suspicious River
En rédigeant A Suspicious River, Laura Kasischke a tout d’abord posé un temps : celui de l’hiver. Publié aux États-Unis en 1996, ce premier roman, qui fut adapté au cinéma en 2000 par Lynne , retrace le destin d’une héroïne : Leïla Murray, réceptionniste dans un Motel à Suspicious River, petite ville insignifiante du Michigan. C’est donc sur le paysage hivernal et sur les eaux mortes du Michigan que s’ouvre le récit, avec une personnification du mois d’octobre, qui voit apparaître les premiers signes annonciateurs de l’hiver : « En octobre, comme la chorale volante d’une église ; vêtus de longues robes blanches, ils nous quittaient alors que l’hiver du Michigan s’approchait déjà de l’horizon, prêt à souffler 9. » D’autres romans américains ouvrent ainsi sur l’hiver, comme Carol de Patricia Highsmith : « Janvier était tout. Et janvier était unique, une porte massive. Son froid emprisonnait la ville dans une bulle grise. Janvier était des instants et janvier était une année. Il entraînait les instants dans sa pluie et les figeait dans la mémoire de Therese 10. » Ces périodes de froid intense affectent non seulement les paysages et les habitants mais perturbent également les événements et impactent nos souvenirs.
On découvre en ce début d’automne l’histoire de Leïla : une fille unique mal-aimée par une mère séductrice, un père faible et un conjoint impalpable : Rick. La jeune réceptionniste du motel propose ses services à la clientèle masculine sans aucun but avant qu’elle ne suive le seul homme qu'elle croit aimer : Gary. Mais derrière ces scènes banales transparaît progressivement le drame sous-jacent, celui de la disparition de la mère, puis la fin tragique de l'héroïne :
Dès les premières lignes de son premier roman, A Suspicious River […], tout l’était déjà, « suspicious », c’est-à-dire suspect, louche, bizarre, très bizarre. Les eaux de la rivière semblaient « calmes comme la mort. » Les cygnes, telles des visions de Magritte, montaient la garde en bons « soldats voraces » 11.
D’entrée, la narratrice impose au lecteur le spectacle de sa relation trouble à sa mère défunte, assassinée dans des circonstances malsaines. L’héroïne fonce inexorablement vers un destin aussi sombre et violent que celui de sa mère, assassinée par l’oncle de la narratrice, s’attachant à un client étrange, Gary Jensen, pour s’enfoncer dans la déchéance. Cet attrait mortifère pour les traces du drame vécu est décrit sur un ton sinistre et rattaché à des souvenirs liés au froid. Ce choix volontaire d’un récit détaché n’est pas anodin, car il permet à l’auteur d’ouvrir un espace critique et de décrire des images ambivalentes, où les signes du froid ouvrent sur la préfiguration de la mort. Les personnages sont complexes et n’inspirent pas confiance. Leïla se prostitue sans que l’on connaisse véritablement ses motivations. Rien n’explique l’indifférence de son compagnon Rick. Et qu’est-ce qui attire Gary en elle ? Le lecteur assiste à la déchéance progressive de l’héroïne, à la perte de ses sensations et au refroidissement de son corps, en quelque sorte abandonné, à partir d’images associant nudité, pureté, froideur et dureté du marbre, qui contrastent avec une robe pourpre, comme un signal fragile rattaché au printemps, pour rompre l’aspect mortifère de l’hiver :
Mes jambes nues viraient au blanc pur dans le vent de février – elles avaient été piquées, tout d’abord, elles s’étaient ensuite engourdies. C’était un matin de vieille neige à la lourdeur de marbre, avec un ciel bas, de la couleur d’une ampoule de flash usagée, qui pesait tristement, comme le devoir. Je portais une robe violette, une robe de printemps, au cœur de l’hiver, et j’avais mes bottes abîmées 12.
Dans ces images de nudité et de froid, le lecteur peut ressentir l’engourdissement du corps de Leïla, rendue insensible au froid dans sa robe printanière qu’elle porte en plein cœur de l’hiver. Le corps, comme l’esprit, est marqué par une perte de sensibilité, par une faiblesse anormale et par une sensation de paralysie. Parallèlement, une quête autour des souvenirs d’enfance et d’adolescence permet des allers et retours entre présent gelé et passé chargé de drames : celui d’une mère trop sensuelle trompant son mari avec son beau-frère, pour finir assassinée par lui. Or l’accumulation des expériences traumatiques ne conduit l’héroïne ni vers la rédemption ni vers l’espoir. Au contraire, les situations s’enlisent et ce portrait de femme froide et insensible glace le spectateur par la force de son détachement envers l'existence. En outre, par les références extrêmement nombreuses au froid qui se combinent à l’association méticuleuse des souvenirs conservés par Leïla autour de la figure de la mère morte, le lecteur est convié à éprouver, avec la narratrice, l'expérience de la disparition et de la pétrification, symbolisée par un jardin gelé recouvert de neige, sous lequel repose le corps de la mère défunte : « Je me suis rendormie, vers un rêve dans lequel la tombe de ma mère était un jardin potager recouvert de neige 13. »
Le passage vers la mort semble la seule voie envisageable pour Leïla. L’héroïne se vit comme un cadavre potentiel, incapable de réussir un travail de deuil. La fin du récit s’achève sur le triomphe des pulsions de mort : Leïla battue et pourchassée par les amis de Gary Jensen, qui la laissent mourante dans l’eau sombre de Suspicious River : « L’eau noire s’élève au-dessus de ma taille, huileuse, mon corps s’engourdit dans le froid. Au fond de la rivière, la boue colle à mes talons nus, mais elle ne peut me retenir 14. » Cette « eau noire […], huileuse 15 », semblable à celle de Suspicious River qui engloutit Leïla à la fin du roman, est bien celle dont parle Gaston Bachelard dans L'eau et les rêves : essai sur l'imagination de la matière.La poétique bachelardienne, qui dévoile les ressources oniriques d’espaces et de matières, semble sous-tendre les références poétiques et visuelles de Kasischke lorsqu’elle rompt ainsi la banalité d’un quotidien décevant et fait surgir des modes de présence, des bribes de rêves et des sensations intimes. Or loin d’être jaillissante et rafraîchissante comme un symbole de vie, ni calme et propice à la rêverie, l’eau s’apparente chez Kasischke au « véritable support matériel de la mort 16 », noire et huileuse. Elle est bien l’eau dormante et lourde qui engloutit et capture le corps mort. Leïla a donc éprouvé jusqu’au bout l’épreuve de l’absence. Et c’est ce franchissement ultime vers la mort que met en scène Kasischke, avec cette image du silence blanc de la mère et de sa bouche gelée : « Ma mère vient juste d’ouvrir la bouche pour dire un mot, mais cette bouche reste figée, ouverte comme une cuillère. Seul en sort du silence 17. »
Un récit élaboré autour du froid et du gel dans White Bird in a Blizzard
C’est également par une froide journée de janvier, « par un après-midi glacé de janvier 18 », que commence le récit de White Bird in a Blizzard (1999), adapté au cinéma sous le titre White Bird par Gregg Araki en 2014 :
J’ai seize ans lorsque ma mère se glisse hors de sa peau par un après-midi glacé de janvier – elle devient un être pur et désincarné, entouré d’atomes brillants comme de microscopiques éclats de diamants, accompagné, peut-être, par le tintement d’une cloche, ou par quelques notes claires de flûte dans le lointain – et disparaît 19.
En présentant ce climat météorologique dès l’entrée du roman, avec des images poétiques d’éclats de diamants scintillants comme la glace, Kasischke transfigure le décor de banlieue impersonnel et pose le ton du roman. Les personnages semblent pétrifiés dans leur vie quotidienne, suspendus, comme si un gel les pétrifiait progressivement. Tandis que le mari se résigne et reste imperturbable face aux questions de l’inspecteur, la fille, Katrina, 16 ans, réagit avec calme, comme s’étant absentée d’elle-même, tandis que vont progressivement remonter en elle les souvenirs d’une mère destructrice. Ainsi cette mère persécutrice, Eve, revient dans les images des rêves obsédants, invariablement associée au gel, à la glace et à la neige. L’héroïne voit ses draps transformés en neige, tandis qu’un froid l’enserre et que sa mère apparaît, telle un ange immense, colosse de marbre aux ailes froides :
La nuit suivant le départ de ma mère, je rêve que mes draps sont devenus de la neige et que leur blancheur froide m’enveloppe dans l’hiver comme un enfant mort-né. La lumière, le lit, les draps – on dirait qu’un ange pâle et énorme est agenouillé au-dessus de moi, un colosse de marbre pur, qui semble me repousser de ses ailes aux doigts nus vers la matrice d’un mois de janvier dans l’Ohio 20…
Cette mère « froide », « gelée », pourrait-on dire, « un être pur et désincarné, entouré d’atomes brillants comme de microscopiques éclats de diamants, accompagné, peut-être, par le tintement d’une cloche, ou par quelques notes claires de flûte dans le lointain 21, » comme la décrit le récit, qui focalise sur des sensations auditives et cristallines, est paradoxalement une absente qui s’incarne à travers des images répétitives et glacées. « Elle la voit dans des paysages de blancheur, nue dans une mer de givre, noyée dans le brouillard, perdue sous un manteau de neige. La psychologue lui explique que les rêves n’ont pas forcément un sens 22. » Parallèlement, deux champs de description se mettent en place. D’une part, des remarques circonstanciées concernant le froid météorologique et d’autre part, des visions plus poétiques, très sensorielles, élaborées autour de la mère disparue et des nombreux rêves qui s’y rattachent. Les images associées au froid et à la neige entremêlent ainsi des images brillantes et poétiques avec des sensations d’engourdissement, de gel ou de désintégration : « Et enfin, l’hiver nous est tombé dessus en petits fragments célestes brillants d’oxygène et d’éther, qui viennent frapper le sol comme de minuscules éclats de verre froid 23. » Or chez Kasischke, la mère est inquiétante et flotte telle une forme indistincte, floue et sans contour, semblable à une entité vaporeuse, que Kat manque de percuter :
Chaque nuit, je me trouve dans une grotte de glace, ou bien ma mère m’appelle, mais je ne peux la repérer dans tout ce blanc qui nous entoure. Je conduis précautionneusement sur le lac gelé, j’entends la glace craquer sous moi, mais je ne peux ouvrir la portière de la voiture pour sauter au-dehors. Puis il y a de la neige devant les phares, je roule soudain à cent cinquante à l’heure et elle surgit sur ma route, seulement vêtue de perles. Je fais une embardée, mais j’ai touché quelque chose de doux et de solide à la fois, que j’ai envoyé valser sur le bas-côté de la route, et quand je reviens en arrière pour voir ce que c’est, il n’y a plus rien 24.
Ce qui immerge le lecteur dans ce monde étrange provient notamment de cet univers poétique associé au froid, qui envahit les descriptions autour du climat et de la quotidienneté, formant une rupture dans le récit avec de curieuses images de décomposition, associant la boue, le dégel et des matières instables : « Depuis quelques jours, il fait plus chaud, la neige se déchire en haillons humides et froids, en guenilles de petites robes de baptême souillées 25. » Une expérience sensorielle, indissociable de l'atmosphère et du drame en train de se nouer, se construit progressivement autour de ces images de froid et de gel, qui contribuent à accentuer l’angoisse des personnages et à pointer leurs sentiments souterrains. Le froid envahit tout, transforme tout en un univers pétrifié où l’héroïne ne peut plus avancer. Ce froid stérilisateur nie les actions vitales de Kat et perturbe son entrée dans la vie adulte et la sexualité. Le rien, le néant et l’invisible, qui sont liés à la disparition de la mère, s’entremêlent aux images associées au blizzard, aux draps de neige, aux grottes de glace et aux tempêtes d'hiver qui reviennent hanter l'héroïne dans ses rêves.
Derrière la retenue émotionnelle de sa mère, derrière sa distance froide et ses regards glacés, qui sont décrits dans les souvenirs qui ressurgissent, peut transparaître le concept de la « mère morte », tel que l’a défini le psychanalyste André Green, qui évoque une imago qui s’est constituée dans la psyché de l’enfant, à la suite d’une dépression maternelle : « La mère morte est une mère qui demeure en vie, mais qui est pour ainsi dire morte psychiquement aux yeux du jeune enfant dont elle prend soin 26. » En effet, la mère qui était très investie auprès de sa fille s’est progressivement détachée à la fois de sa fille et de son mari pour sombrer dans une dépression qui l’a rendue lointaine et atone, comme si elle quittait la vie. Aussi, le lecteur peut-il reconstituer la disparition de la mère dans la vie de la jeune Kat. Si cette disparition semble dans un premier temps libératrice pour la jeune fille, cette absence s’avère ensuite pesante et génère des images et des rêves encombrants. Dès lors, l’angoisse kasischkienne semble rejoindre l’angoisse « blanche » décrite par Green autour de la mère morte. Il s’agit d’une expérience de la perte, concomitante d’une « série blanche », catégorie qui s’inscrit dans une série de concepts créés par Green : « hallucination négative, psychose blanche, deuil blanc, tous relatifs à ce qu’on pourrait appeler la clinique du vide, ou la clinique du négatif 27. »
Car au-delà du doute concernant la disparition de la mère, qui suscite diverses interrogations chez le lecteur (a-t-elle quitté le domicile conjugal par déception, s’est-elle enfuie avec un amant, a-t-elle été prise d’un coup de folie, a-t-elle été assassinée ?) l’image de la mère disparue flotte sur le récit et provoque, chez Kat, un progressif détachement, d’abord de son quotidien, puis de ses émotions, tandis que remontent à la surface des souvenirs qui l’embarrassent. Le froid omniprésent joue donc un rôle à part entière dans ce thriller psychanalytique, que ce soit dans les rêves macabres ou dans la découverte finale du cadavre gelé de la mère tuée par le père de l'héroïne et entreposé dans le congélateur du sous-sol de la maison :
Je me mets alors à genoux et je tâte le centimètre de givre et d’espace dans lequel je peux glisser mes doigts, je finis par trouver ce qui bloque. Un cadenas a été glissé dans un trou foré dans la poignée, et ce cadenas a ensuite été fourré à l’intérieur. Je le tourne et le retourne, je le prends dans ma main et l’examine, mais je n’ai pas vraiment besoin de le voir pour comprendre qu’il s’agit du cadenas que mon père utilisait pour fermer son placard, celui dans lequel il enfermait ses magazines. 90 – 60 – 91. Il s’ouvre très facilement dans ma main – comme une aiguille qui tombe dans une meule de foin. Je ne bouge pas. J’écoute. Et alors, la grisaille de janvier se met à fondre autour de moi. « Maman est là », dit-elle. Les voyelles s’élèvent comme des zéros gelés au-dessus du congélateur et s’avalent les unes les autres en plein vol 28.
Cette fin jouant avec le froid domestique propose une image du cadavre glacé, conservé et figé dans le temps mais offre toutefois une forme de délivrance. Dans Le Cimetière des poupées, Mazarine Pingeot propose le récit d'une mère infanticide, écrit à la première personne depuis sa prison. À la fin de sa confession, on comprend qu'elle avait conservé dans sa cave le cadavre de son bébé réfrigéré. « Je l'ai mis là, à côté, pas loin, qu'il reste sous la main, idéal et froid 29. »
Comme chez Kasischke, un drame de la vie ordinaire devient le prétexte d’un récit accordant une place importante aux sensations liées au froid, au gel, aux émotions liées à l’hiver, montrant le corps pris dans une forme de torpeur, que l’on trouve également dans l’écriture circonstanciée de Pingeot : « J’ai froid, l’hiver arrive. C’est mal chauffé ici. Les enfants ont-ils de nouveaux vêtements, les anciens doivent être trop petits. Plus rien ne protège mon corps, ni graisse ni vie intérieure, les murs sont humides, mal isolés, il me faudrait un bon pull, peux-tu me l’envoyer 30 ? » L’atmosphère oppressante des flash-backs liés à la vie familiale trouve chez Kasischke une solution dans la découverte inattendue du cadavre de la mère, dissimulé dans le congélateur.
Dans Trop dire ou trop peu, Judith Schlanger définit les notions littéraires de hot et de cool. Selon elle, « il existe un fantastique cool plus récent, beaucoup plus insidieux, qui fait naître le malaise dans le lecteur plutôt que chez les personnages. Un fantastique de la suggestion, inquiétant et subtilement troublant 31 ». Au-delà de cette notion de cool et de cette esthétique du froid, les romans de Kasischke n’ont de cesse d’immerger le lecteur dans une atmosphère inquiétante, sans apporter de réponse satisfaisante quant aux différentes possibilités dramatiques qui sous-tendent le récit. En cela, ils diffèrent des romans policiers, même s’ils en reprennent certaines trames. Il faut donc attendre une rencontre macabre finale pour libérer le lecteur de son attente anxieuse durant tout le récit, faisant ainsi éprouver une tension difficile, semblable à celle que ressent l’héroïne. Mais pourrait-on y voir aussi un risque ? Car contrairement aux récits policiers, « le lecteur se retrouve totalement abandonné, livré à une position d’inévitable voyeurisme, c’est-à-dire à ses propres fantasmes, à ses propres excitations. Rien ne fait écran, rien ne fait médiation 32 », comme le décrit Hélène Merlin-Kajman au sujet de certains romans anxiogènes dans son essai Lire dans la gueule du loup. Et de préciser que « la littérature doit s’entendre comme cet ensemble de textes qui visent à produire des effets sur la sensibilité des lecteurs […] de façon à ouvrir un champ d’expérience à la fois singulier à chacun et cependant en quelque sorte commun 33 ». Or le caractère froid et détaché des romans de Kasischke, de même que la récurrence des images mortifères qui pèsent sur le lecteur, génèrent le malaise et l’incompréhension. Comme d’autres écrivains ont pu l’expérimenter précédemment, White Bird in a Blizzard est un roman basé sur un fait divers, tel De sang froid (1966) de Truman Capote. Mais ici, l’univers spécifique, à la fois psychologique et poétique associé au froid, donne au texte les caractéristiques d’une « littérature [qui] permet que s’élaborent en quelque sorte ensemble, mais dans le respect des différences, les souffrances individuelles qui risquent toujours aussi de se transformer en souffrance sociale de grande échelle 34 ». Le meurtre de la mère, sous-jacent durant la totalité du récit et pressenti dans les rêves de Kat, pourrait apparenter la lecture à une expérience douloureuse, voire à une souffrance, telle que la décrit Hélène Merlin-Kajman :
Aujourd’hui, la littérature, quels que soient les textes choisis, sert trop souvent à plonger les lecteurs en enfer, comme si la plongée en enfer était la seule expérience capable de réveiller et d’exciter des sentiments humains […] Dans le partage littéraire qui prend les textes « en bonne part », de façon transitionnelle, momentanément, nous cessons d’être ensemble à la manière de l’enfer. Veiller sur ce partage, voilà qui peut nous aider à reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui faire de la place 35.
Tout le travail de Kasischke hésiterait entre ces deux postures : plonger le lecteur en enfer, le déstabiliser, notamment par cette mise en place d’un univers froid et mortifère, mais aussi lui proposer un cheminement, une voix à travers ces univers glacés, un code pour se repérer dans les rêves répétitifs et dans les images du froid afin de mieux affronter les angoisses de disparition que tout un chacun éprouve au cours de sa vie.
Conclusion : l’aura du froid
Au final, en questionnant le rôle joué par le froid et ses nombreuses allusions dans ces deux romans, il apparaît deux évidences : d’une part, l’attrait pour des contrées peu habitées, où la nature se donne à ressentir et à éprouver par le biais de sensations climatiques, où les hivers sont rudes et les habitants confrontés à un climat hostile comportant une forme de menace. D’autre part, des images pleines de poésie, transfigurant la banalité du quotidien, où le froid est associé à la disparition, à la perte de sensation et au deuil. Dans ces deux romans, la neige et le froid renvoient à un paysage extérieur comme à un paysage mental.
Si pour Thomas Mann, l’aura de froideur s’avère une déterminante nécessaire à toute création, c’est que les stimuli extrêmes sont nécessaires pour renouveler la littérature. C’est ce qu’il expérimente dans La Montagne magique (1924), lorsque son héros, Hans Castorp, affronte une tempête de neige et ses doutes existentiels, perdant ses repères, se laissant gagner par la fièvre et la tentation de la mort, avant de s’enfoncer encore un peu plus dans le refus du monde et dans la vie monotone au sanatorium de Davos :
Sur le côté droit, à quelque distance de là, une forêt perdue dans la brume. Il s’y dirigea afin d’avoir en vue un but terrestre, au lieu de cette transcendance blanchâtre, et s’élança d’un seul coup sans avoir vu venir la moindre déclivité. L’éblouissement interdisait de discerner la configuration du sol. On ne voyait rien ; tout s’estompait à vue d’œil. Des obstacles le projetaient en l’air à l’improviste. Il s’abandonnait à la pente sans pouvoir distinguer son degré d’inclinaison 36.
Pour Kasischke, cette attirance pour le froid dans plusieurs de ses romans est aussi associée à une symbolique faisant l’objet d’une valorisation spécifique. Entre la tentative de paralysie et la régénération créatrice, le froid amène les personnages à dépasser leurs limites, décrites dans l’apparence anonyme et impersonnelle des décors typiques de l’Amérique middle-class. En incorporant au récit des remarques sur un froid éprouvant, qui se fait petit à petit envahissant, elle permet à ses héroïnes d’affronter leurs angoisses et de lutter contre les grandes peurs existentielles. La neige et la glace sont, en effet, les ingrédients d’une épreuve, où l’héroïne doit, entre auto-punition et auto-affirmation, surmonter ses peurs ou périr. Dans ce sens, les écrits de Kasischke rejoignent les contrées silencieuses et mémorielles décrites par Maurice Blanchot, qui déclarait : « Une œuvre littéraire est, pour celui qui sait y pénétrer, un riche séjour de silence, une défense ferme et une haute muraille contre cette immensité parlante qui s’adresse à nous en nous détournant de nous 37. »
- Florence Noiville, « Le calme trompeur », Le Monde des livres, 23/08/2013, p. LIV12.
- François Busnel, « Laura Kasischke : je souhaitais travailler sur les fantômes », L’express, 24/10/2011, https://www.lexpress.fr/culture/livre/laura-kasischke-je-souhaitais-travailler-sur-les-fantomes_1042763.html.
- Annie Dillard, Une enfance américaine, Paris, Christian Bourgois, 1999 [1988], p. 34.
- François Busnel, op. cit.
- Sabrina Champenois, « Laura Kasischke : Melancholia Americana », Libération, 22/08/2013, p. 28.
- Laura Kasischke, À Suspicious river, Anne Wicke (trad.), Paris, Christian Bourgois, 1999, p. 26. « The whole town had already closed down – boarded up, it seemed, for winter. » Laura Kasischke, Suspicious river, New York, Houghton Mifflin Harcourt Publishing Company, 1996, p. 22.
- Laura Kasischke, Les revenants, Eric Chédaille (trad.), Paris, Christian Bourgois, 2011, p. 11. « The scene of the accident was bloodless, and beautiful. That was the first word that came to Shelly’s mind when she pulled over. Beautiful. The full moon had been caught in the damp bare branches of an ash tree. It shot down on the girl, whose blond hair fanned around her face. She lay on her side […] The boy had already climbed out of the smashed vehicle and crossed a ditch full of dark water to kneel by her side. » Laura Kasischke, The Raising, New York, Harper perennial, 2011, p. 2.
- Josyane Savigneau, « La délicieuse férocité de Laura Kasischke », Le Monde des livres, 8/06/2007, p. LIV3.
- Laura Kasischke, À Suspicious river, op. cit., p. 36. « October like a flying church choir in white robes, leaving, while the Michigan winter shuffled itself together on the horizon, ready to blow. » Laura Kasischke, Suspicious river, op. cit., p. 35.
- Patricia Highsmith, Carol, Emmanuelle de Lesseps (trad.), Paris, Calmann-Levy, 1990 [1952], p. 145. « January. It was all things. And it was one thing, like a solid door. Its cold sealed the city in a gray capsule. January was moments, and January was a year. January rained the moments down, and froze them in her memory. » Patricia Highsmith, Carol, Churchill & Dunn, 2005 [1952], p. 119.
- Sabrina Champenois, « Laura Kasischke : Melancholia Americana », op. cit., p. 28.
- Laura Kasischke, À Suspicious river, op. cit., p. 238. « My legs were bare, turning pure white in the February wind – stung at first, then numb. It was a marble-heavy morning of old snow, a low sky pressing down dully, like duty, the color of a spent flashcube. I was wearing a purple dress, a spring dress, in this dead of winter, and the broken boots. » Laura Kasischke, Suspicious river, op. cit., p. 293.
- Id., p. 90. « I fell asleep again, into and out of a dream in which my mother’s grave was a vegetable garden covered over with snow. » Id., p. 104-105.
- Id., p. 380. « The black water rises over my waist, oily, and then my body goes numb with the cold. The mud at the bottom of the river sucks at my bare heels, but it can’t hold me back. » Id., p. 540.
- Ibid. « The black water […] oily ». Ibid.
- Laura Kasischke, Un oiseau blanc dans le blizzard, Anne Wicke (trad.), Paris, Christian Bourgois, 2000, p. 99. Texte original comme pour les autres citations ? Laura Kasischke, White bird in a blizzard, e-book, Boston ; New York, Houghton Mifflin Harcourt, 1999, p. ???
- Laura Kasischke, À Suspicious river, op. cit., p. 45. « My mother has just opened her mouth to say a word, and her mouth is frozen in the shape of a spoon. Silence is all that comes out. » Laura Kasischke, Suspicious river, op. cit., p. 47.
- Laura Kasischke, Un oiseau blanc dans le blizzard, op. cit., p. 11. « one frozen January afternoon » Laura Kasischke, White bird in a blizzard, op. cit., p. 22.
- Ibid. « I am sixteen when my mother steps out of her skin one frozen January afternoon – pure self, atoms twinkling like microscopic diamond chips around her, perhaps the chiming of a clock, or a few bright flute noes in the distance – and disappears. » Ibid.
- Id., p. 20. « The first night my mother’s gone I dream my sheets have turned to snow, and their cold white wraps me in winter like a stillborn baby. The light, the bed, the sheets – it-s as if a pale angel, enormous, is kneeling over me, a colossus of pure marble, as if she is pressing me with her bare-fingered wings back into the womb of January in Ohio. » Id., p. 60-61.
- Id., p. 11. « pure self, atoms twinkling like microscopic diamond chips around her, perhaps the chiming of a clock, or a few bright flute noes in the distance. » Id., p. 22.
- Eric Neuhoff, « White Bird », Le Figaro, 15/10/2014, p. 32.
- Laura Kasischke, Un oiseau blanc dans le blizzard, op. cit., p. 120. « Until winter fell all over us like pieces of heaven, glazed with oxygen or ether, hitting the ground in small, cold shards. » Laura Kasischke, White bird in a blizzard, op. cit., p. 158-159.
- Id., p. 61. « Night after night I’m in a cave of snow, or my mother is calling to me but I can’t find her in the whiteout all around us. I’m driving slowly over a frozen pond, hear it cracking under me, but can’t open the car door to jump out. Then, there’s snow in the headlights, and suddenly I’m driving ninety-five miles an hour, and she leaps into my path wearing nothing but pearls. I swerve, but I’ve hit something soft and solid, thrown it to the side of the road, and, when I go back to find it, it’s gone ». Id., p. 77.
- Id., p. 247. « For a few days now, the weather has been warmer, turned the snow to damp rags –ruined, dirty, christening gowns ». Id., p. 337.
- Gregorio Koho (dir.), Essais sur La mère morte & l'œuvre d'André Green, Ana de Staal, Andrew Weller (trad.), Paris, Ithaque, 2009, p. 99.
- Id., p. 44.
- Laura Kasischke, Un oiseau blanc dans le blizzard, op. cit., p. 321. « So I get down on my knees and feel the half-inch of frost and space where I can slip my fingers into it, until I find what’s holding it closed. There’s a lock snapped through a hole that’s been slipped into the freezer. I pull it around and out, examine it in my hand – though I don’t need to see it to know it’s the combination lock my father used to keep on his file cabinet, the one in which he kept his magazines. 36-24-35. It opens simply in my hand – a needle dropping into a stack of hay. I don’t move. I listen. And then the gray matter of January begins to melt all around me. « Here’s Mama », she says, and the vowels rise in two frozen zeroes above the freezer, swallow each other in midair […] I lifted its lid, looked inside myself, and there my mother was. » Laura Kasischke, White bird in a blizzard, op. cit., p. 447-449.
- Charlotte Rotman, « Mazarine jette un froid », Libération, 26/07/2007, https://www.liberation.fr/societe/2007/07/26/mazarine-jette-un-froid_98938.
- Mazarine Pingeot, Le cimetière des poupées, Paris, Julliard, 2007, p. 134.
- Judith Schlanger, Trop dire ou trop peu : la densité littéraire, Paris, Hermann, 2016, p. 103-104.
- Hélène Merlin-Kajman, Lire dans la gueule du loup. Essai sur une zone à défendre, la littérature, Paris, Gallimard, 2016, p. 124.
- Id., p. 272.
- Id, p. 274.
- Id, p. 275.
- Thomas Mann, La Montagne magique, Claire de Oliveira (trad.), Paris, Fayard, 2016 [1924], p. 495. « Rechts seitwärts in einiger Entfernung nebelte Wald. Er wandte sich dorthin, um ein irdisches Ziel vor Augen zu haben, statt weisslicher Transzendenz, und fuhr plötzlich ab, ohne dass er im geringsten eine Geländesenkung hatte kommen sehen. Die Blendung verhinderte jedes Erkennen der Bodengestaltung. Man sah nichts ; alles verschwamm vor den Augen. Ganz unerwartet hoben Hindernisse ihn auf. Er überliess sich dem Gefälle, ohne mit dem Auge den Grad seiner Neigung zu unterscheiden. » Thomas Mann, Der Zauberberg, Frankfurt am Main, Fischer Verlag, 2002 [1924], p. 721.
- Maurice Blanchot, Le Livre à venir, Paris, Gallimard, 1959, p. 267.