La réception des romances <em>Wattpad</em> et <em>Webtoon</em> lues par des adolescentes : apprendre à désirer la violence ?

La réception des romances Wattpad et Webtoon lues par des adolescentes : apprendre à désirer la violence ?

Par LAMBOLEZ Marine

 

Les histoires d’amour dans lesquelles un prince charmant sauve sa bien-aimée des griffes d’un dragon ou d’une belle-mère n’intéressent plus les adolescentes d’aujourd’hui. Si les romances sont toujours particulièrement appréciées du jeune public féminin, les intrigues ont fortement évolué, tout comme les formes que prennent ces romances, avec la lecture en ligne notamment. Denis de Rougemont met en garde contre « [Le mythe de la passion qui] se trahit dans la plupart de nos romans et de nos films, dans leur succès auprès des masses, dans les complaisances qu'il réveille au cœur des bourgeois, des poètes, des mal mariés, des midinettes qui rêvent d'amours miraculeuses1 ». Certes, l’amour reste un sujet central dans les œuvres culturelles à destination de ces adolescentes qu’il qualifie de « midinettes ». Toutefois, entre viol, kidnapping et possessivité malsaine, les passions qui peuplent les rêves des adolescentes n’ont plus rien de mièvre. L’étude des œuvres auto-publiées en ligne pour un public de jeunes femmes en priorité participe, comme l’étude des romances en elles-mêmes, à l’étude des objets déclassés, comme l’explique Béatrice Damian-Gaillard :

 

Marchandises de la culture de masse, les romans sentimentaux appartiennent aux objets déclassés, aux « mauvais genres » (La Mothe, 1989), souvent méprisés par les tenants de la culture savante, dont la culture scientifique. Toutefois, analyser cette littérature permet de saisir, dans une société donnée, l’état de représentations collectives et historicisées de conventions censées orienter les conduites amoureuses et sexuelles  2.

 

Si les romans sentimentaux ont déjà été constitués en objets de recherche « comme à la fois des guides de conduite psychiques pour les femmes des classes populaires et un instrument de légitimation de leur double 3 domination 4 », il s’agit de réactualiser ces questions de recherche au sujet des romances en ligne destinées à un lectorat plus jeune. Les nouvelles formes littéraires numériques que sont Webtoon, une plateforme de bande-dessinées en ligne, et Wattpad, un site où chacun·e peut publier une histoire gratuitement, offrent de nouveaux supports de lecture aux adolescentes. Elles y consomment principalement des romances aux titres évocateurs : L’impératrice remariée, C’est toi et pas un autre, Virginité volée, Kidnappée par un chef de gang, ou encore le plébiscité Inaya, je t’aime jusqu’à la mort. Quel idéal de relation amoureuse ces littératures contemporaines proposent-elles aux adolescentes ? Comment ces représentations d’amours violentes influencent-elles les attentes romantiques de leurs lectrices ? Entre critique, fantasme et apprentissage, quelle en est leur réception ?

 

Présentation du corpus

Le corpus étudié ici est issu de 118 questionnaires remplis par des élèves de 4ème (66 garçons et 52 filles) sur leurs pratiques culturelles. J’y interroge leurs représentations de l’amour et des comportements considérés comme romantiques ou non dans les fictions. J’ai choisi de me concentrer sur les lectures des jeunes filles pour plusieurs raisons. Tout d’abord ce sont les seules à écrire dans les questionnaires qu’elles lisent des romances. Ce sont également les seules à déclarer lire sur la plateforme Wattpad, et un seul Webtoon est lu par des garçons, toutefois il ne parle pas du tout de relations amoureuses. A l’inverse, plus de la moitié des collégiennes interrogées (27) ont cité des bande dessinées Webtoon et/ou des chroniques Wattpad dans leurs lectures du moment et leurs lectures préférées. L’immense majorité de ces fictions se concentrent sur des histoires d’amour. Bien sûr, si « tendanciellement, les filles et les garçons lisent des imprimés différents et ont des préférences variées (...) ces tendances n’annulent pas les exceptions statistiques 5 » et « si variations il y a entre filles et garçons, elles sont socialement constituées et ne sont pas mécaniques 6 ». Cependant, « les régularités statistiques en matière de préférence lectorale manifestent la prégnance des processus de socialisation par reproduction linéaire : identification aux individus de sexe identique par réalisation de lectures semblables et différenciation aux individus de sexe opposé par évitement de leurs lectures 7 ». Le registre de la romance étant considéré comme particulièrement féminin, il semble mis à distance par la majorité des collégiens dans un souci de construction de la masculinité et de conformisme aux normes de genre. Il n’a alors pas paru pertinent de demander l’avis des garçons en entretien à propos de ces récits sentimentaux puisqu’ils ne déclarent pas en lire. Cette décision a également été prise dans le souci de ne pas rompre un bon contact en leur imposant des sujets « féminins » et en s’exposant potentiellement à un rejet de leur part.

L’accès à ces récits se fait de manière autonome, depuis le téléphone ou l’ordinateur personnel de l’adolescente. Leur consommation est difficilement contrôlable par les parents : à moins de se saisir du téléphone de l’adolescente il n’y a pas de moyen de consulter une quatrième de couverture ni même de demander l’avis d’un libraire. Ces récits à lire en ligne ne peuvent pas s’offrir ni se confisquer. Les adolescentes interrogées ont découvert les romances étudiées soit par les recommandations de leurs paires, soit car elles leur ont été suggérées par l’algorithme des plateformes. Parmi les lectures en ligne des adolescentes, sept titres sont particulièrement populaires, ces sept récits étant des histoires d’amour ayant une jeune femme pour protagoniste, tous écrits par des femmes. Ces titres sont divisés en quatre Webtoon sud-coréens et trois chroniques Wattpad, toutes écrites par des autrices françaises. Les Webtoon cités font partie de la catégorie Romance mise en place par le site, sauf True Beauty qui est identifié comme un Drama. La plateforme Wattpad ne propose pas de catégories mais des hashtags qui identifient les thématiques principales de l’histoire par mots-clefs. Les récits analysés sont associés aux hashtags suivants : #amour, #love, #romandamour, #chroniquelove, #thuglove, #amourimpossible, #passion, #hlel 8.

True Beauty, publié en 2018 par Yaongyi, est le Webtoon le plus lu de la plateforme. Les lectrices suivent Ju-Kyeong, une jeune femme coréenne au visage disgracieux qui devient influenceuse grâce à sa maîtrise absolue du maquillage. Ses talents cosmétiques transforment complètement son apparence, et son visage naturel est traité comme sa « double identité ». Le récit s’étire de la rentrée en classe de 1ère jusqu’au 25 ans de Ju-Kyeong, et se concentre parallèlement sur sa carrière et sur le triangle amoureux dans lequel elle se trouve avec deux camarades de lycée, Su-Oh, avec qui l’héroïne termine, et Seo-Jun, qui se sépare d’elle à regret pour poursuivre sa carrière de chanteur de k-pop.

Virginité volée, publié sur Webtoon en 2020 par Hwang Do-Tol, raconte comment Ripley, une jeune adolescente, se réveille dans l’univers d’un de ses romans préférés. Sa présence dans ce monde aux allures médiévales va altérer l’histoire qu’elle connaît, particulièrement la romance entre l’héroïne principale, dont elle prend la place sans le vouloir, et l’inquiétant duc Xeronis. Le premier épisode met en place l’élément qui va perturber l’histoire d’origine lorsque Ripley, ivre à une fête de cette noblesse fictive, finit la nuit avec le duc, qui souhaite ensuite l’épouser car c’est avec elle qu’il a perdu sa virginité.

J’ai élevé une bête, publié par Early Flower en 2020 sur Webtoon, se déroule dans un univers fantastique d’inspiration médiévale. Les lectrices suivent l’innocente et courageuse Blondina, réduite en esclavage toute son enfance, lorsqu’elle découvre qu’elle est en réalité la fille du roi. Alors qu’elle s’adapte difficilement à la vie de château et à ses intrigues, elle recueille un chaton qui a la faculté de parler et de se transformer en jeune homme très séduisant du nom d’Amon. Il est en réalité le chef du clan des panthères légendaires et devient tout à la fois le protecteur et le partenaire amoureux de Blondina.

L’impératrice remariée est un Webtoon de 2019 publié par Alphatart, dont l’histoire prend également place dans un univers fantastico-médieval. L’héroïne, Navier, se voit répudiée par son mari l’empereur au profit de sa nouvelle concubine. Alors que la procédure de divorce la plonge dans le désarroi, elle trouve du soutien auprès d’un oiseau majestueux qui lui livre les lettres d’amour d’un admirateur secret. Cet admirateur n’est autre que Heinly, le futur roi du pays voisin, qui a la faculté secrète de se transformer en oiseau et donne donc lui-même ses lettres à l’impératrice. A la suite de multiples rebondissements, l’impératrice se remarie avec le roi Heinly.

C’est toi et pas un autre est une chronique Wattpad rédigée par snaadz24 en 2021 et qui traite du quotidien de Sana, une jeune musulmane de 17 ans qui vit en banlieue parisienne. Si ses rapports avec ses amis et sa famille sont développés, l’histoire se concentre principalement sur le développement de la romance entre elle et Ryad, un ami de son grand-frère qui vient de sortir de prison.

Kidnappée par un chef de gang, publiée en 2017 par Plume-libre13, raconte comme son nom l’indique l’histoire d’Amaria, jeune musulmane, kidnappée par un chef de gang, Robsco, à Marseille. Les 45 premiers chapitres relatent la captivité d’Amaria et la naissance de sa romance avec Robsco, puis les 35 chapitres suivants sa libération se concentrent uniquement sur sa vie amoureuse et les différentes péripéties qui vont la mener à un mariage avec Robsco. Cette chronique est parsemée d’épisodes particulièrement violents au sein desquels se multiplient les meurtres, les viols et les passages à tabac.

Enfin, Inaya, je t’aime jusqu’à la mort est une chronique Wattpad commencée en 2021 par ina_bsh, toujours en cours de publication aujourd’hui bien qu’en pause depuis plusieurs mois (février 2023). C’est le récit sentimental le plus lu par les adolescentes interrogées, tous supports confondus. Il a été classé cinquième sur plus de 35 5000 chroniques dans la catégorie « récits de vie » sur la plateforme. Il raconte l’histoire d’amour tumultueuse entre Inaya, une jeune musulmane qui vient de déménager de chez son père pour rejoindre sa mère et ses frères et sœurs dans une cité, et Aymen, le meilleur ami de son grand-frère.

Toutes ces histoires se terminent par un mariage présenté comme heureux pour l’héroïne principale. La principale différence entre les chroniques Wattpad et les bandes-dessinées Webtoon est l’univers dans lequel se déroulent les histoires. Tandis que les trois Wattpad prennent place dans des banlieues françaises et revendiquent un certain réalisme, voire un caractère autobiographique, les récits Webtoon se déroulent tous dans des mondes fantastiques à l’esthétique médiévale, excepté True Beauty qui se passe dans l’actuelle Corée du Sud. Ce pays est source de nombreux fantasmes pour les adolescentes lectrices de ce Webtoon, et représente un ailleurs à la fois exotique et idéal qu’elles perçoivent comme un monde enchanté, quasiment au même titre que les royaumes fictifs qui servent de décors aux autres bandes-dessinées.

 

Des princes charmants socialement différenciés

Les élèves interrogées viennent de trois collèges socialement différenciés : un collège REP (Réseau d’Education Prioritaire), un collège de ZUS (Zone Urbaine Sensible) et un collège bourgeois de centre-ville. Les chroniques Wattpad n’ont pas été citées dans cet établissement privilégié. L’une des explications possibles est que cette pratique de lecture n’est pas reconnue comme légitime, comme souligné par les enseignantes observées lors de l’enquête de terrain de mon travail de thèse, notamment parce que l’orthographe des chroniques n’est pas corrigée et contrevient à l’utilité pédagogique supposée de la lecture. Bernard Lahire classe ainsi les rapports des différentes classes sociales aux œuvres culturelles : la bourgeoisie se caractérise par sa « maîtrise naturelle, aisée, du code », les classes populaires par leur « non-maîtrise du code » et la petite bourgeoisie par sa « prétention à maîtriser le code » ou par sa « maîtrise partielle du code 9 ». De plus, ces chroniques mettent en scène des histoires entre des personnages musulmans habitant dans des cités, auxquels l’identification est moindre chez les élèves de classe sociale supérieure et de culture catholique de cet établissement. L’impératrice remariée est le Webtoon préféré de ces adolescentes de milieu aisé. D’après les questionnaires ainsi que les commentaires publiés sur la plateforme, l’impératrice Navier est notamment appréciée par les lectrices car elle contrôle ses émotions et reste digne en toute circonstance. C’est le seul personnage principal adulte et la relation entre elle et Heinly met du temps à se développer, leur premier baiser n’arrivant pas avant plus de 100 épisodes. Par ailleurs, le registre lexical des Webtoon d’inspiration médiévale est soutenu et le vocabulaire mime celui d’une noblesse fantasmée, toujours sur la retenue, ce qui rend les déclarations d’amour d’autant plus précieuses et les moments de violence d’autant plus choquants. Même dans True Beauty la retenue est de mise, afin de rester fidèle à la politesse coréenne, valeur très importante pour les personnages, et aux représentations classiques de l’expression des sentiments en Asie. Au contraire, dans les chroniques Wattpad :

 

L’argot fréquemment utilisé, le « langage de la rue » ou l’usage de mots et expressions arabes favorisent le « contrat de lecture » et conduisent a priori les lectrices à « retrouver du semblable » (Bigey et Olivier, 2010) dans ces fictions. Les chroniques étudiées mettent en scène, des héroïnes et des héros absent.e.s de la littérature populaire (Hoggart, 1970) : des jeunes filles et des jeunes garçons de familles originaires d’Afrique du Nord ou de Turquie et vivant dans des « cités ». Elles mettent en scène des histoires d’amour « impossibles » notamment parce que le héros est un « mauvais garçon » et l’héroïne une fille de « bonne famille »  10.

 

Dans la lignée du caractère authentique régulièrement attendu des productions culturelles à destination des publics de classes populaires, il y a une prétention au réel dans les chroniques Wattpad. Ainsi, Kidnappée par un chef de gang commence par cette phrase « Je m’appelle Amaria, j’ai 19 ans et je vais vous raconter mon histoire. » tandis qu’Inaya, je t’aime jusqu’à la mort est décrit comme « une chronique réelle avec des passages fictifs ». L’accent sur la véracité de récit est particulièrement mis au sein de C’est toi et pas un autre, dont le résumé est le suivant « En résumé, j'étais une fille banale avec une vie banale au cœur d’une cité parisienne, jusqu’à qu’il rentre dans ma vie. Histoire réelle avec des moments fictifs ». Chaque chapitre est introduit par une salutation aux lectrices « Salem Aleykoum mes oukthys 11 » et le chapitre 43 s’ouvre sur un encadré de l’autrice qui règle ses comptes avec des lectrices qui lui enverraient des insultes sur le réseau social Snapchat car elles l’accuseraient de ne pas raconter « sa vraie histoire » quand elle assure le contraire. L’effet de réel est accentué par des mentions de musiques actuelles, de grandes marques et de stars du moment ; ainsi que par références explicites aux chroniques Wattpad au sein de l’histoire. Par exemple, lorsque Sana et sa meilleure amie discutent ensemble d’une chronique qu’elles sont en train de lire, lorsque des amies lui disent à plusieurs reprises « ta vie c’est une putain de chronique » ou encore lors de cet échange entre le personnage principal et Ryad « Tu peux pas être comme tous les gars des chroniques sah ? - Des quoi ? - Bah des chroniques, tu te fous de ma gueule, me dis pas que tu connais pas les chroniques ? ». C’est toi et pas un autre comporte également des extraits de véritables sourates du Coran que Sana récite à Ryad, contribuant à la création d’un univers ancré dans le réel.

Les protagonistes masculins des romances étudiées dressent le portrait de deux masculinités bien distinctes suivant la plateforme où ils apparaissent. Dans True Beauty, les deux prétendants de Ju-Kyeong appartiennent au monde des célébrités : Seo-Jun est un chanteur à succès et Su-Oh, après une brève carrière dans la chanson, se lance dans le mannequinat et le cinéma. Plusieurs scènes montrent des fans reconnaître les deux garçons dans les rues de Séoul. Si nous assimilons la célébrité à une certaine forme de noblesse contemporaine, True Beauty propose bel et bien le même homme idéal que dans les autres fictions Webtoon où le chef de clan Amon, le roi Heinly et le duc Xeronis appartiennent tous à la noblesse de leur univers. Les hommes désirables des Webtoon partagent plusieurs qualités : doux, courageux et sensibles, ils portent tous un intérêt particulier à l’art et perdent tous leur virginité ou se mettent en couple pour la première fois avec l’héroïne. Si ces princes charmants conservent l’ascendant physique et financier sur leurs partenaires, les autrices mettent l’accent sur leur sensibilité, leur dévouement et leur douceur, tout en soulignant que les héroïnes considèrent ces comportements comme inhabituel. Cela fait écho aux conclusions de l’enquête de Viviane Albenga sur les appropriations des histoires d’amour au lycée :

 

Un élément un peu différent émerge : celui d’un horizon d’attente centré sur le dévouement réciproque au sein d’un couple hétérosexuel, les femmes gagnant en autonomie et en indépendance, les hommes en sensibilité. L’idéal mis au jour est donc celui d’un couple hétérosexuel sur la base duquel les assignations de genre seraient assouplies, ce qui ne remet pas en cause le système de genre ni la norme du duo conjugal  12.

 

L’idéal de masculinité mis en avant dans les romances Wattpad correspond, lui, à une masculinité traditionnelle et hégémonique. Les trois hommes au centre de ces romances sont forts, colériques, violents, indépendants. La première fois qu’Amaria rencontre Robsco celui-ci est en train de passer à tabac le meilleur ami de la jeune fille. Voici comment elle le décrit « il avait un charme fou, un visage terrifiant mais beau » (chapitre 1). Lors des premiers rapprochements d’Inaya et Aymen, à l’épisode 15, l’héroïne se justifie auprès des lectrices « Je sais y a deux minutes je voulais l’étriper mais j’aime trop être avec lui ! Il est trop dangerous, regardez comment il m’a piquée ! » Le fait que passer du temps avec Aymen soit dangereux justifie l’intérêt de la jeune fille au lieu de le réfréner.

La masculinité des chroniques se construit également en grande partie en opposition avec la figure du « pédé » qui est sans cesse convoquée dans ces récits. Ainsi, dans les dialogues des chroniques, sont associés à l’homosexualité, et donc, d’après la logique interne au récit, à une forme de masculinité inférieure à celle du héros : le fait d’être sensible, de laisser sa petite-amie parler à d’autres hommes, d’avoir froid, de s’asseoir sur le siège passager d’une voiture, écrire une lettre, être romantique, s’excuser… Autant de comportements marqués du sceau de l’infamie et mis à distance violemment par les personnages masculins. Par conséquent, lorsque Sana a le malheur de qualifier Ryad de « mignon » dans l’épisode 38 car celui-ci lui a ramené à manger alors qu’elle est à l’hôpital, le jeune homme l’insulte, jette ses affaires au sol et claque la porte. Toute qualité traditionnellement perçue comme féminine renvoie à la figure de l’homosexuel lorsqu’elle est attribuée à un homme, et devient dès lors absolument insupportable à ces personnages. Par ailleurs, ils participent tous à des activités illégales : Robsco est un dirigeant mafieux, Aymen gagne sa vie en vendant de la drogue et Ryad a fait de la prison pour agression. Ils représentent parfaitement l’idéal du mauvais garçon, que les héroïnes de ces romances tentent avec plus ou moins de succès de ramener dans le droit chemin pour en faire un mari que leur famille approuvera. Cette nécessité de se ranger afin de pouvoir se marier à l’héroïne et conquérir, non plus son cœur, mais son corps, gardé vierge pour le mariage, constitue l’arc narratif central des trois récits et l’obstacle principal au bonheur des protagonistes. Béatrice Damian-Gaillard l’explique ici :

 

L’amour est donc d’abord envisagé par la figure masculine comme un chaos, un affaiblissement de sa puissance, menaçant sa masculinité, dans la mesure où pour cheminer vers l’acceptation et la réalisation de l’amour fusionnel, il doit renoncer à certains privilèges qu’il pense constitutifs de son identité genrée (la polygamie, la réserve émotionnelle...). (...) Dans son cas, il doit cesser de « s’auto-suffire », sortir de son fonctionnement émotionnel autarcique sans pour autant perdre sa puissance sociale et sa capacité à susciter le désir féminin  13.

 

Le fantasme de la passion

« Les romans sentimentaux se définissent par une intrigue structurée autour de la relation entre un homme et une femme, dont l’enjeu est le jeu des passions, des sentiments et la quête, sans cesse retardée par des obstacles, de l’amour et du bonheur, réalisés par la fusion de deux entités en une14. » Le concept de passion revient très régulièrement dans les questionnaires remplis par les adolescentes pour décrire les relations amoureuses dont elles rêvent. D’après Denis de Rougemont :

 

Passion veut dire souffrance, chose subie, prépondérance du destin sur la personne libre et responsable. Aimer l'amour plus que l’objet de l’amour, aimer la passion pour elle-même, de l’amabam amare d’Augustin jusqu’au romantisme moderne, c’est aimer et chercher la souffrance. Amour-passion : Désir de ce qui nous blesse, et nous anéantit par son triomphe  15.

 

Cette définition met en avant la souffrance qui accompagne un tel sentiment et l’impossibilité de lutter contre celui-ci. Dans une précédente étude 16, 60 % des adolescentes interrogées déclaraient préférer une relation « passionnée » à une relation « heureuse et simple ». La passion y était associée à une relation en montagnes russes, au sein de laquelle se retrouvent des comportements qualifiés d’abusifs (contrôle, abus émotionnel et physique, jalousie excessive, …). Ces comportements s’observent dans chacun des récits étudiés ici. La jalousie est ressentie par tous les personnages étudiés et systématiquement présentée comme une preuve d’amour, même lorsqu’elle est la cause de violence verbale ou physique.

L’amour, et plus précisément l’objet de l’amour des héroïnes, prend une importance incomparable dans leur existence. La relation amoureuse devient une obsession, ce qui explique pourquoi elles acceptent de subir des comportements violents plutôt que d’y renoncer. A plusieurs reprises au cours de la chronique, Inaya compare Aymen à « une drogue » dont elle ne peut se passer pour vivre. L’épisode 45 de C’est toi et pas un autre est également l’occasion d’une longue comparaison entre l’amour que porte Sana à Ryad et l’addiction à une drogue. Ju-Kyeong, l’héroïne de True Beauty, surnomme son petit-ami « Dieu Su-Oh » et le nomme ainsi dans son répertoire téléphonique. A l’épisode 69 de J’ai élevé une bête, à la suite de leur premier rapport sexuel, c’est Amon qui déclare à Blondina « Tu es tout pour moi. Tu es mon bonheur. »

Le schéma de relation ennemies to lovers, central dans les histoires étudiées ici, s’articule autour de la notion de destinée, constitutive de l’idée d’une passion contre laquelle on ne peut lutter. En effet, tous les couples hormis celui de J’ai élevé une bête se détestent avant de s’aimer. Amaria déteste bien sûr Robsco de l’avoir kidnappée ; Sana et Inaya n’apprécient pas les amis de leurs grands frères respectifs ; Ju-Kyeong est victime de chantage de la part de Su-Oh car elle craint qu’il ne révèle à tout le monde à quoi elle ressemble sans maquillage ; Navier se méfie du roi étranger et fanfaron ; Ripley, enfin, est terrifiée par le duc Xeronis de son roman favori. Cependant, les héroïnes n’ont pas le choix : le destin les pousse dans les bras de ces hommes. Dans Virginité volée par exemple, Ripley n’a pas choisi d’avoir une relation sexuelle avec le duc Xeronis puisqu’elle était dans un état second dû à l’alcool, pourtant elle se réveille en n’ayant d’autre choix que d’épouser le duc. Au chapitre 17 d’Inaya, je t’aime jusqu’à la mort l’héroïne semble se résigner à la fatalité quand elle reprend contact avec Aymen, comme contre sa volonté :

 

Je savais que cette histoire allait finir par me tuer un jour, j’avais de plus en plus de sentiments pour lui, il allait me tuer ... je le savais déjà d’avance parce que c’est toujours comme ça avec les mecs comme lui. J’arriverais pas à me détacher de lui donc j’ai écouté mon cœur, quitte à le détruire, et lui ai envoyé un message.

 

La violence comme preuve d’amour

La vision de l’amour offerte par ces histoires a de quoi inquiéter : malsain, dévorant, obsédant, violent...Pourtant, selon Viviane Albenga, de tels récits occupent une fonction bien précise :

 

Les scripts des relations amoureuses hétérosexuelles suscitent des identifications cathartiques tout en jouant un rôle préventif pour ce qui pourrait advenir dans la vie réelle. (…) L’apprentissage des relations amoureuses accompagne même des identifications cathartiques à des histoires difficiles voire sordides (Baudelot, Cartier et Détrez, 1999)  17.

 

Les adolescentes raffoleraient donc des histoires d’amour toxiques car elles leur permettent d’expérimenter émotionnellement, par procuration et identification, des romances torturées et tumultueuses, tout en préservant leur intégrité physique et mentale. Dans ces récits, les violences au sein du couple sont aussi bien physiques qu’émotionnelles. Rindiani Azzahra et Fatih Suhadi Muhammad définissent l’abus émotionnel comme étant « une manière de contrôler l’autre par la critique, l’humiliation l’accusation ou manipulation en utilisant ses émotions 18 ». Les héroïnes ne sont pas dupes de la souffrance qui les attend lorsqu’elles empruntent le chemin de la romance, comme Inaya lorsqu’elle prend la mesure de ses sentiments : « À ce moment-là je me suis dit ok, je suis amoureuse de ce mec. Et les vrais problèmes vont commencer 19. »

Dans les Webtoon, si la violence physique d’un homme à l’encontre de sa compagne le disqualifie clairement et définitivement en tant que prince charmant potentiel, certaines formes d’abus émotionnel sont montrées sous un jour positif : la jalousie excessive, la possessivité, le chantage, le contrôle des fréquentations et parfois des tenues des personnages féminins. Malgré la tendresse et la sensibilité assumée des petits-amis de ces bandes-dessinées, ils sont toujours auréolés de la potentialité inquiétante de la violence physique qu’ils pourraient exercer, s’ils le voulaient, sur leurs partenaires. Ainsi, Amon joue de cet état de fait en s’adressant à sa petite-amie : « Ne me fuis pas, où j’aurais envie de te chasser. Après tout je suis une bête » (épisode 69). Dans L’impératrice remariée Sovieshu, l’empereur et premier mari de Navier, surnomme sa nouvelle compagne Rashta, « sa proie ». Dans l’épisode 7 de Virginité volée, Ripley découvre avec surprise l’étendue de la différence entre le duc de l’aventure qu’elle lisait et celui qu’elle rencontre en chair et en os :

 

Le Xeronis du roman, « aimait » Etoile, mais ce n’était pas de façon douce ni attentionnée. Cet amour était juste malsain et obsessionnel. Sa réplique préférée était « Je souhaite te posséder, même si cela signifie que je dois te dévorer de la tête aux pieds » (…) Et son regard n’était pas aussi...tendre.

 

Décrire le duc ainsi permet de lui conférer l’aura de danger et de désirabilité des personnages masculins toxiques sans mettre en péril la sympathie des lectrices pour le personnage masculin puisque ce n’est pas vraiment lui mais la version fictionnelle dans la fiction de ce personnage. Cette ruse narrative parvient à faire du duc un personnage qui correspond à l’idéal du petit-ami violent et torturé tout en conservant la douceur et la sensibilité nécessaire à faire de lui un mari potentiel pour l’héroïne.

Dans l’univers des chroniques Wattpad, la violence masculine n’a guère besoin de déguisement pour être désirable. Lors du moment présenté comme le plus romantique de l’histoire d’amour entre Ryad et Sana, à l’épisode 41 de C’est toi et pas un autre, celle-ci s’agace que son petit-ami ne lui déclare pas sa flamme et le provoque : « Eh va y je sais même pas pourquoi je parle encore avec toi, je vais allez épouser les gars des chroniques. » La réponse ne se fait pas attendre et révèle bien toute l’ambivalence de ces personnages masculins, entre amoureux transis et partenaires violents : « Va te marier avec un autre gars que moi et je te casse la gueule. » Le récit étudié où la violence est la plus présente est sans conteste Kidnappée par un chef de gang. Dans chacun des 80 chapitres de la chronique, Amaria subit des violences physiques et psychologiques, certains chapitres mettant également en scène des violences sexuelles dont elle est la victime. Les deux personnages principaux s’insultent constamment et se menacent régulièrement de mort, bien que les menaces de Robsco, chef de gang armé et entraîné aux combats à mains nues, aient plus de poids que celles de la frêle Amaria. Les comportements violents et abusifs de Robsco sont décrits comme tels par l’autrice, mais toujours suivis d’un rappel de l’amour que lui porte Amaria :

 

Malgré le fait qu’il soit un meurtrier, qu’il était violent et méchant, tout ça faisait partie de son charme on va dire (épisode 28).

Tout ce que j’avais vécu avec Robsco, il y avait des bons moments c’est vrai mais beaucoup plus d’horribles moments, il m’avait frappée, plongée dans le coma, limite violée. C’était un fou, un meurtrier, un pervers mais malgré tout ça je l’aimais comme une folle. Je ne voulais pas qu’il me libère (épisode 43).

Robsco, tu peux pas me laisser sérieux je vais faire quoi sans toi moi hein ? Même si tu m’as fait souffrir, même si t’es qu’un gros bâtard égoïste et violent je t’aime plus que tout, je pourrais donner ma vie pour toi. Je me vois pas accomplir la moitié de mon dine 20 avec un autre homme que toi même si t’es tout l’opposé d’un homme dans le dine (épisode 45).

 

Les chroniques Wattpad se déroulent dans des univers marqués par la violence, celle du couple mais également celle du monde extérieur, notamment en lien avec le trafic de drogue. L’idylle entre Inaya et Aymen commence à l’épisode 2, lorsque celle-ci le retrouve en sang dans son salon à la suite d’une bagarre avec des trafiquants de la cité voisine, et qu’elle entreprend de le soigner. A l’épisode 10, elle déclare même : « Il avait plein de petites cicatrices, un bleu sur la paupière, une coupure sur la lèvre, ... il était tout abîmé j’avais envie de le réparer. » Par ailleurs les rendez-vous galants entre les deux personnages ont généralement lieu dans la salle de boxe où Inaya s’entraîne, seul lieu hors du contrôle familial. La romance entre Amaria et Robsco a la violence et le contrôle pour points de départ puisque celle-ci est son otage, pour des questions d’argent et de drogue liées à son meilleur ami. Même dans les rares moments de complicité du couple d’Amaria et Robsco, la lectrice est ramenée à la violence de l’univers de la chronique par le rappel des activités mafieuses de Robsco, comme à l’épisode 28 lorsqu’ils dorment ensemble après une séance de jeu sensuel avec une arme à feu. Dans C’est toi et pas un autre, il est dit plusieurs fois et par plusieurs personnages que le frère de Sana la tuerait s’il savait qu’elle a une relation avec Ryad. L’héroïne elle-même fait preuve de violence en se battant avec une camarade de classe qui lance une rumeur à son sujet et à celui de Ryad (épisode 49). Elle associe cet épisode de violence à sa relation amoureuse : « Et se dire que du jour au lendemain une personne peut vous faire changer comme ça, il a révélé une facette de moi que j’aurais jamais voulu connaître. C’était un amour destructeur. »

 

Une socialisation à l’amour toxique

Les représentations et discours quant à l’amour et au couple véhiculés par ces récits à destination des adolescentes participent à la socialisation des lectrices. Elles y vivent, par le biais de l’héroïne principale, leurs premières histoires d’amour, la grande majorité des enquêtées n’ayant jamais été en couple. Elles y apprennent les signes à déceler chez un prétendant, ce qui se fait et ne se fait pas dans une relation et quelle réaction est attendue d’elles face à certains comportements. La socialisation familiale et les discours échangés entre paires jouent également un rôle dans cette éducation sentimentale. En revanche, la consommation de romances est la seule forme de socialisation amoureuse qui permet aux adolescentes de ressentir à la place de, de prendre la mesure des émotions qui secouent la vie de couple avant de l’avoir vécue. Dans son enquête, Viviane Albenga note que ses enquêtées s’inscrivent « dans un usage pratique d’apprentissage quelque peu désenchanté des livres et des films d’amour, qui [leur] permettent de vivre des expériences et d’en tirer des leçons par procuration 21 ».

Si les jeunes lectrices utilisent les histoires d’amours fictionnelles comme autant de ressources pour naviguer dans leur propre vie amoureuse, elles intègrent par là même l’idée que la violence est un élément constitutif des relations de couple. Plusieurs des récits étudiés ont recours à un même stratagème : l’héroïne vit sa première relation de couple avec un personnage secondaire, mais se rend rapidement compte qu’il lui manque quelque chose, qu’elle n’est pas transportée par la puissance de son amour et que cette relation doit prendre fin, au profit d’une relation plus compliquée et intense, mais donc plus réelle, avec le protagoniste masculin. Les chapitres 7 et 8 d’Inaya, je t’aime jusqu’à la mort voient son héroïne se mettre en couple, puis rompre avec Sélim, un gentil camarade de classe. Leur premier rendez-vous se conclut ainsi :

 

Il m’a tirée doucement vers lui pour venir me faire un bisou sur le front. J’avais des papillons dans le ventre… non sah 22 à part le saumon que j’ai mangé tout à l’heure j’avais rien du tout dans le ventre. En fait j’étais contente mais je ressentais rien, moi je pensais que ça allait être un truc de fou la première fois qu’un garçon allait m’embrasser le front, mais non, après je m’inquiétais pas, je me suis dit qu’avec le temps ça viendra.

 

Le passage est très commenté par les lectrices sur Wattpad 23, avec 340 commentaires qui abondent tous dans le même sens « non c’est parce que c’est pas de l’amour », « c’est pas le bon », « c’est le mauvais mec c’est normal », … Pourtant le personnage de Sélim est doux, attentionné et promis à un brillant avenir. Mais, pour les lectrices comme pour Inaya, il manque cruellement d’intensité. Dans L’impératrice remariée, Navier décrit le couple qu’elle forme avec l’empereur Sovieshu comme un mariage de convenance, une alliance politique entre deux nobles qui s’entendent bien. De son côté, Ju-Kyeong sort avec Seo-Jun lorsque Su-Oh est contraint de partir de Séoul pour une durée indéterminée et, si cette relation se déroule bien, elle ne peut passer pour le grand amour car les carrières des deux personnages restent la chose la plus importante pour eux. Au contraire, dans les romances étudiées, l’amour n’est réel que s’il est plus fort que tout. Le fait de tout sacrifier par amour est présenté comme quelque chose de noble et d’attendu, notamment dans True Beauty, L’impératrice remariée, J’ai élevé une bête, C’est toi et pas un autre et Kidnappée par un chef de gang. La leçon à en tirer pour les lectrices est qu’une relation stable, douce et apaisée n’est pas une vraie histoire d’amour. L’amour véritable se traduirait par l’intensité des sentiments, mise en évidence par des actes de violence physique et psychologique de la part d’amants submergés par leurs émotions.

La jalousie est le comportement toxique présent dans chacune des relations amoureuses étudiées et systématiquement montré comme étant une preuve d’amour. Dans Inaya, je t’aime jusqu’à la mort, l’axiome « être jaloux = être amoureux » est accepté sans remise en question par tous les personnages féminins. Les héroïnes Wattpad se voient interdire la fréquentation d’amis masculins par leur partenaire, et si elles protestent pour rester en contact avec leur meilleur ami, celui-ci se révèle invariablement être un traître au bout de quelques chapitres. Ce changement de statut de personnage masculin, du meilleur ami au traître, advient dans les trois chroniques. Les seuls hommes qu’une femme à marier peut fréquenter hors de son mari sont ceux de sa famille et, éventuellement, les amis proches de son partenaire. Quand le personnage de « l’amante » devient récurrent, on observe une grande violence de la part des lectrices, comme au nom d’une solidarité féminine contre la tromperie, légitimée par la normalisation constante de la jalousie dans le couple. Alors que les dialogues de L’impératrice remariée utilisent un registre assez soutenu et sont exempts d’insultes, les commentaires recevant le plus de mentions « j’aime » qualifient Rashta de « pute » et de « salope » ou affirment vouloir la tuer très régulièrement. Les lectrices emploient des surnoms insultants envers l’empereur adultère et sa maîtresse : Trashta et Sovieshit 24.

L’abus émotionnel ne suffit pas, dans ces récits, à qualifier un personnage de violent, mais témoigne plutôt de la véracité de ses sentiments amoureux. Dans Virginité volée, si le duc Xeronis menace Ripley de mort si elle refuse sa demande en mariage, cela n’empêche pas l’héroïne de le décrire comme « tendre » dans l’épisode suivant (7). Dans J’ai élevé une bête Amon tient à contrôler les fréquentations ainsi que les déplacements de Blondina pour la protéger. Quand la princesse se rebelle et se noue d’amitié avec un autre homme, il est révélé quelques épisodes plus tard que c’est un traître qui fomente son assassinat pour des raisons politiques. A l’épisode 67, Blondina part en voyage seule sans demander l’autorisation d’Amon et elle est attaquée par des bandits sur la route. C’est évidemment Amon qui apparaît comme par magie pour la sauver, et déclare « ne t’ai-je pas dit que je serai responsable de toi ? » Le contrôle exercé par les personnages masculins se trouve justifié par l’intrigue, puisque les rares moments où les héroïnes y contreviennent sont immanquablement sanctionnés. Le contrôle d’un homme sur sa compagne est associé au fait de se soucier d’elle, et présenté comme normal, dans les trois chroniques Wattpad. Dans C’est toi et pas un autre tout comme dans Inaya, je t’aime jusqu’à la mort, les princes charmants et futurs maris des héroïnes fouillent leur téléphone, contrôlent leurs fréquentations et les rabaissent régulièrement, moquant leur sensibilité et de leur manque de force physique. Le contrôle atteint son paroxysme dans la relation amoureuse entre Amaria et Robsco puisque celle-ci est son otage pendant la première moitié de la chronique. Même après sa libération Robsco continue de la traiter comme sa prisonnière : fouille du téléphone et des affaires, contrôle de la tenue et des fréquentations, isolement de ses proches, violence verbale et physique dans chaque chapitre, violence sexuelle… et tout est bien qui finit bien, puisque le couple se marie à la fin de l’histoire. La chronique se conclut par ce constat d’Amaria : « C'était mon destin de finir avec lui-même si cela avait été long, même si j'avais dû subir beaucoup d'épreuves pour en arriver là. Je ne regrettais rien de tout ça car je pouvais enfin vivre avec l’homme que j’aime. Et c’était ça le plus important. » Cette citation résume le schéma classique des romances et la morale qu’il convient invariablement d’en retirer. Ainsi,

 

Le point convergent de ces romances est la légitimation de la domination masculine. Celle-ci prend des formes différentes selon le support et on observe que l’asymétrie, en faveur des personnages féminins, des positions socioculturelles dans le couple fictionnel constitue une variation des modalités de mise en scène de la relation amoureuse qui, in fine, est à dominance masculine. Les souffrances féminines mises en récits en attestent. En effet, les premiers temps d’une relation amoureuse hétérosexuelle sont marqués par une ambivalence de la reconnaissance réciproque (construire le « nous amoureux », considérer que l’on « est en couple ») entre les partenaires : les hommes tendent à défendre leur autonomie et à ne pas « se sentir engagés » alors que les femmes œuvrent patiemment et dans la douleur à la construction du couple qu’elles désirent, quelle que soit leur position sociale (Castrillo Bustamente, 2018). Harlequin et Thug love mettent en scène ces souffrances qui valorisent l’abnégation féminine et légitiment la violence masculine 25.

 

La structure patriarcale de la société a tout intérêt à rendre la violence masculine désirable. D’autres messages ayant pour but de « naturaliser » les dispositions genrées telles qu’acceptées en société, comme la pudeur féminine, sont transmis par ces romances. Bien que le désir sexuel soit mixte et que les actes sexuels entre les personnages principaux, s’ils ont lieu, soient consensuels, il y a toujours un jeu où le personnage masculin cherche le rapprochement physique et le personnage féminin feint d’être choqué ou agacé. Malgré ses propres pensées sexuelles, Blondina traite régulièrement Amon de « pervers » quand il se rapproche physiquement. Amaria repousse Robsco lorsqu’il se montre entreprenant physiquement, tout en relatant les nombreux rêves érotiques qu’elle fait à son sujet. La virginité des héroïnes Wattpad leur est particulièrement précieuse car elles sont toutes les trois musulmanes pratiquantes, comme souligné par Mélie Fraysse et Marie-Carmen Garcia : « Une des thématiques centrales est la préservation de la virginité de l’héroïne. Cette dernière est ainsi en congruence avec un modèle socialement valorisé des jeunes filles racialisées : une féminité érotisée associée au respect du principe de virginité 26. » La religion n’apparaît pas dans les Webtoon, pourtant toutes les héroïnes sont également vierges au commencement de l’histoire hormis Navier, mariée à l’empereur depuis plusieurs années. Certes, toutes les autres sont des adolescentes lorsque la lectrice les rencontre, mais les histoires se poursuivent jusqu’à ce qu’elles aient chacune une vingtaine d’années. La pudeur des héroïnes tient plutôt aux normes de genres et à la respectabilité attendue de ces jeunes femmes. Toutefois, le désir féminin a sa place dans toutes les romances étudiées. Il s’exprime principalement par des rêves, des joues rouges et des lapsus. Dans J’ai élevé une bête et L’impératrice remariée, les autrices ont recours à un même procédé : pour rendre la sexualité acceptable elle prend paradoxalement la forme de la zoophilie. Il n’y a pas d’actes sexuels explicites mais la proximité physique et les caresses entre les personnages pré-déclaration d’amour sont seulement autorisées quand Heinly est un oiseau ou quand Amon est un chat.

 

Prévention intradiégétique et réception critique par les adolescentes

Bien que la violence amoureuse semble indissociable de ces romances à destination des adolescentes, certaines se font aussi le relais de discours préventifs. Dans True Beauty la relation de couple d’une des personnages secondaires, Su-Ji, sert d’exemple repoussoir pour les lectrices. Su-Ji est sauvée d’une tentative de suicide par un inconnu avec lequel elle se marie rapidement. Lorsque le couple emménage ensemble son mari commence à la battre, l’insulte sans cesse et l’isole de son entourage. Cette histoire est utilisée par l’autrice afin de faire de la prévention au cours de moments qui interrompent l’histoire principale pour nous montrer le mécanisme des violences conjugales, leurs conséquences sur la victime, ses tentatives pour rationaliser ou de partir. Cet arc narratif se déploie sur deux épisodes. Dans l’épisode 160, Su-Ji raconte les violences qu’elle subit à Ju-Kyeong, qui déclare « Personne ne mérite d’être frappé ! Ce n’est pas de l’amour », puis se conclut à l’épisode 162 dans une réplique qui brise à moitié le quatrième mur, pour l’unique semi-adresse au lectorat au cours des 196 épisodes de la bande-dessinée :

 

Su-Oh : Tu vas vraiment mieux ?

Su-Ji : Oui ça va, grâce à vous deux. J’ai vraiment l’impression de vivre dignement. Je t’en remercie d’ailleurs.

Su-Oh : Bon alors tant mieux... Mais tu peux avoir un traumatisme après avoir vécu de telles atrocités. Donc n’hésite pas à consulter un professionnel si tu en ressens le besoin.

 

Sans aller jusqu’à s’adresser directement aux lectrices, l’épisode 45 de C’est toi et pas un autre renverse brièvement la balance du pouvoir entre Sana et Ryad. Alors que Sana sort de la patinoire avec un groupe d’amis mixte, Ryad arrive dans une voiture lancée à toute vitesse et abuse verbalement Sana en lui ordonnant de monter avec lui et de ne plus parler à d’autres hommes en son absence. Bien qu’ils se remettent ensemble peu de temps après, cette crise de jalousie provoque la seule rupture du couple, à l’initiative de Sana :

 

Il commençait petit à petit à me voler la liberté. Ça commence par des « je veux pas que tu traines avec lui » et ça finit de plus en plus mal… et j’avais pas du tout envie d’être sous l’emprise d’un mec, jamais ! (…) pour moi ma situation stable c’est d’être forte mentalement, ne pas être faible pour pas qu’on m’écrase. Et je ne le suis pas, alors j’ai préféré mettre un stop car malgré tout, je connais mes limites.

 

Dans l’intrigue de L’impératrice remariée, Navier se sépare de l’empereur par jalousie, cependant il est quand même montré qu’elle quitte un homme égoïste et moqueur, parfois violent verbalement, pour une relation certes plus intense mais également plus respectueuse avec le roi Heinly.

Qu’en est-il de la réception de ces œuvres par les adolescentes ? Chacun de ces sept récits est cité par au moins une des adolescentes interrogées parmi ses lectures préférées. Inaya, je t’aime jusqu’à la mort est la lecture la plus citée par les filles, les trois collèges confondus, deux fois plus que la saga Harry Potter. Le Webtoon True Beauty ainsi que Kidnappée par un chef de gang sont tous deux classés dans le top 10 des lectures préférées des enquêtées. Il s’agit de prendre garde à l’écueil noté par Bernard Lahire :

 

Le risque des enquêtes de réception lorsqu’elles sont [...] des manières de réhabiliter la liberté des lecteurs et l’inventivité des tactiques, de mettre en exergue les multiples résistances face aux contraintes des textes et des stratégies dominantes, est de ne pas voir en quoi la réception peut être bornée, délimitée tant par le contexte de lecture (lorsque l’institution scolaire, religieuse, politique, juge et sanctionne les écarts, les mésinterprétations, les malentendus ou les hérésies) que par les schèmes d’expérience à partir desquels les lecteurs s’approprient les textes ; schèmes d’expérience qui sont, cela va de soi, le produit des socialisations passées et présentes  27.

 

Toutefois, il faut également souligner la réception active des adolescentes qui ne se contentent pas d’intégrer les représentations qui leur sont proposées. Par exemple, l’incident de la patinoire dans C’est toi et pas un autre déclenche une vague de commentaires des utilisatrices Wattpad qui se plaignent majoritairement de la possessivité de Ryad, l’accusent de faire honte à l’héroïne et l’enjoignent à se calmer. Cet exercice du contrôle de Ryad sur Sana paraît remettre en cause son statut de personnage désirable et entraîne de nombreuses critiques de la part des lectrices. C’est la passivité de l’héroïne qui est régulièrement dénoncée par les nombreux commentaires postés sous les chapitres de Kidnappée par un chef de gang. Plusieurs lectrices montrent leur colère quand Amaria pardonne sempiternellement Robsco après qu’il l’a frappée au point de l’envoyer à l’hôpital, ce qui se produit une dizaine de fois tout au long de la chronique. Grande lectrice de romances, Céleste 28, une adolescente du collège REP, déclare pourtant :

 

Céleste : Je n’aime pas les chroniques Wattpad sur des relations toxiques, comme la chronique d’Inaya, je t’aime jusqu’à la mort.

ML : Qu’est-ce que tu qualifierais de toxique dedans ?

Céleste : C’est la jalousie, enfin c’est de la possessivité où le garçon il veut plus qu’elle fasse rien toute seule et tout, ça c’est pas de l’amour pour moi, c’est pas une relation où on va être heureux.

 

En dépit de la violence de ces récits, d’après Mélie Fraysse et Marie-Carmen Garcia, les romances Wattpad portent en elles une certaine force de résistance :

 

En effet, les auteur.e.s de chroniques sont des « producteurs culturels [qui] n’ont pas nécessairement un discours idéologique cohérent et construit » (Sapiro, 2007). Leur récit révèle cependant une doxa (Bourdieu, 1997) qui propose depuis leur position doublement dominée (dominé à l’intérieur d’un sous-champ littéraire lui-même dominé) un discours relativement révolutionnaire (au sens symbolique). [...] On peut en effet considérer, en suivant les analyses de Pierre Bourdieu (1980) sur les révolutions symboliques, que la production publique de récits mettant en scène des « amours impossibles » fondés sur la double contrainte qui s’exerce sur les jeunes femmes « issues de minorités non blanches » dans les cités est une forme de réappropriation collective du pouvoir de définition de l’amour romantique selon des principes socialement dominés : ceux des femmes supposées lire ces récits  29.

 

De ce fait, les romances Wattpad pourraient porter en elles une forme de subversion du système de domination racial plutôt que patriarcal, en proposant des récits qui mettent à l’honneur des personnages souvent absents des histoires proposées aux adolescentes. Pour aller plus loin, il convient de rappeler les conclusions de l’étude de Janice Radway qui dès 1984 faisait l’hypothèse que ses enquêtées « semblent penser que les mauvaises romances en particulier les incitent à comparer leur propre comportement à celui d’héroïnes mièvres et passives qui laissent leurs hommes les maltraiter et les bousculer 30 ». Ces personnages seraient alors des contre-modèles, héroïnes de récits de mise en garde pour la lectrice qui apprend de leurs erreurs tout en cultivant son désir d’être plus courageuse, plus intransigeante et indépendante. La lecture de ces romances servirait alors un double objectif paradoxal : assouvir le désir des adolescentes, construit socialement, pour des romances violentes et passionnées au sein desquelles les normes de genre sont particulièrement rigides, tout en leur enseignant comment repérer les comportements abusifs et comment ne pas y répondre dans leurs propres relations en les « empouvoirant » par contraste avec les héroïnes.

 

Conclusion

Ainsi, l’imaginaire amoureux des adolescentes se construit toujours autour de lectures de romances. Le format numérique de ces histoires d’amour les place hors d’atteinte du contrôle parental et en fait un lieu privilégié de l’expression des fantasmes des lectrices. Le choix des titres lus semble particulièrement influencé par la classe sociale des jeunes filles. Toutefois, que ce soit dans un Webtoon à l’univers fantastisco-médiéval ou dans un thug-love sur Wattpad, les récits à destination des adolescentes s’articulent autour des mêmes schémas. La violence y est désirable car elle se fait preuve de la véracité des sentiments et du bien-fondé d’une relation amoureuse. La passion, caractérisée par la souffrance et l’impuissance des personnages, devient la forme d’amour la plus pure et louable. Les représentations du couple et les discours quant à l’amour proposés par ces récits participent à la socialisation amoureuse des jeunes lectrices. Parfois, les émotions de lecture prennent la place des premières expériences amoureuses et donnent l’opportunité aux adolescentes de ressentir les hauts et les bas de ces relations torturées quand elles-mêmes n’ont jamais été en couple. La représentation systématique des comportements abusifs, en particulier la jalousie excessive, comme autant de preuves d’amour et d’intensité de la représentation semble contribuer à une éducation sentimentale patriarcale qui attend des jeunes filles qu’elles subissent la violence de leurs partenaires avec le sourire. Toutefois, ces pratiques de lectures, mais aussi d’écriture, portent en elles un potentiel de subversion des dominations de genre et de race. Ne pas présumer une réception passive de la part des adolescentes met en lumière le potentiel « empouvoirant » de ces lectures. Ces récits peuvent servir à leurs lectrices de contre-modèles, et leur permettent de faire incursion dans le monde des relations amoureuses et d’en vivre les expressions les plus violentes sans en subir les conséquences.

 

  1. Denis de Rougemont, L’amour et l’Occident, Paris, Plon, 1972, p. 24.
  2. Béatrice Damian-Gaillard, « Les romans sentimentaux des collections Harlequin : Quelle(s) figure(s) de l’amoureux ? Quel(s) modèle(s) de relation(s) amoureuse(s) ? », Questions de communication, 20(2), 2011, 317336 ; p. 318.
  3. Économique et patriarcale.
  4. Béatrice Damian-Gaillard, « Les romans sentimentaux des collections Harlequin : Quelle(s) figure(s) de l’amoureux ? Quel(s) modèle(s) de relation(s) amoureuse(s) ? », op.cit., p. 325.
  5. Christine Détrez, Fanny Renard, « Avoir bon genre ? » : les lectures à l’adolescence. », Le français aujourd’hui, n° 163(4), 2008, 1727, p. 20.
  6. Ibid.
  7. Ibid.
  8. Issu du mot arabe « halal » qui signifie « licite », une hlel est la petite-amie sérieuse d’un homme musulman, avec qui il envisage le mariage, faisant de cette relation amoureuse une relation licite aux yeux de la communauté religieuse. Au masculin, un hlel est un mariage religieux.
  9. Bernard Lahire, « Entre sociologie de la consommation culturelle et sociologie de la réception culturelle », Idées économiques et sociales, 155(1), 2009, 611, p. 9.
  10. Mélie Fraysse, Marie-Carmen Garcia, « Les Thug Love : des romans sentimentaux à l’épreuve de la classe et de la race », Genre en séries, 01/05/2019, http://journals.openedition.org/ges/299
  11. Bonjour mes sœurs.
  12. Viviane Albenga, « Autonomie, sensibilité et dévouement : genre et appropriations culturelles des histoires d’amour à l’âge du lycée », Genre en séries, 01/05/2019, http://journals.openedition.org/ges/351
  13. Béatrice Damian-Gaillard, « Les romans sentimentaux des collections Harlequin : Quelle(s) figure(s) de l’amoureux ? Quel(s) modèle(s) de relation(s) amoureuse(s) ? », op.cit., p. 320.
  14. Ibid., p. 317.
  15. Denis, de Rougemont, L’amour et l’Occident, op.cit., p. 53.
  16. Marine Lambolez, « Protéger sa meilleure amie, sauver son mec : Les adolescentes n’aident que les autres », Genre éducation formation, 01/06/2021, https://revuegef.org/article/69/proteger-sa-meilleure-amie-sauver-son-mec-les-adolescentes-naident-que-les-autres
  17. Viviane Albenga, « Autonomie, sensibilité et dévouement : genre et appropriations culturelles des histoires d’amour à l’âge du lycée », op.cit.
  18. « Emotional abuse is a way to control another person by using emotions to criticize, embarrass, shame, blame, or otherwise manipulate another person. ». Rindiani Azzahra, Fatih Suhadi Muhammad, « Toxic relationship in Anna Todd’s Wattpad story After », Journal of Language, n°3, 2021, p. 166-176, p. 171.
  19. Chapitre 14, lignes 1-2, https://www.wattpad.com/1018590107-chronique-d%27inaya-%C2%AB-jusqu%27%C3%A0-la-mort-%C2%BB-14
  20. Le dine, terme coranique, pourrait être traduit par « voie religieuse ». Être « dans le dine », c’est vivre sa foi de façon pieuse, vivre selon les préceptes de l’Islam. Réaliser un mariage religieux permet de réaliser la moitié de la voie vers une vie pieuse.
  21. Viviane Albenga, « Autonomie, sensibilité et dévouement : genre et appropriations culturelles des histoires d’amour à l’âge du lycée », op.cit.
  22. Sah veut dire en arabe sérieux, vraiment.
  23. Les deux plateformes proposent un espace commentaire mais seul Wattpad offre la possibilité de poster un commentaire à propos d’un passage précis du chapitre.
  24. Respectivement des jeux de mots entre Rashta et Trash (poubelle) et Sovieshu et Shit (merde).
  25. Mélie Fraysse, Marie-Carmen Garcia, « Les Thug Love : des romans sentimentaux à l’épreuve de la classe et de la race », op.cit.
  26. Ibid.
  27. Bernard Lahire, « Entre sociologie de la consommation culturelle et sociologie de la réception culturelle », Idees economiques et sociales, 155(1), 2009, 611, p 7.
  28. Les prénoms des enquêtées ont été anonymisés.
  29. Mélie Fraysse, Marie-Carmen Garcia, « Les Thug Love : des romans sentimentaux à l’épreuve de la classe et de la race », op.cit.
  30. Janice Radway, Reading the Romance : Women, Patriarchy, and Popular Literature, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1984, p. 207.