De quoi l’hiver est-il le nom en littérature de jeunesse? <em>Les Fiancés de l’hiver</em> de Christelle Dabos, « La reine des Neiges » de Andersen et <em>L’Armoire magique</em> de C. S. Lewis

De quoi l’hiver est-il le nom en littérature de jeunesse? Les Fiancés de l’hiver de Christelle Dabos, « La reine des Neiges » de Andersen et L’Armoire magique de C. S. Lewis

Par MERCIER-FAIVRE Anne-Marie

Mon Automne éternelle ô ma saison mentale

Apollinaire, « Signe » (Alcools)

 

Si l’on excepte les histoires ayant pour thème les animaux et les plantes en hiver 1, les joies de l’hiver 2 et de la neige 3, Noël, ou l’enfance malheureuse (voir « La petite marchande d’allumettes » d’Andersen) – cette saison, la plus dure pour les faibles permettant au réalisme d’atteindre au tragique –, il y a relativement peu d’histoires pour la jeunesse dans lesquelles l’hiver ait une place centrale 4 : on trouve des contes russes 5, un conte de Grimm (« Dame Hiver » ou « Dame Holle », proche d’un conte de Flandres, « La servante de Marie au blé » 6) qui explique comment la neige tombe, mais peu d’autres récits célèbres. On peut expliquer cela par le fait que le printemps et l’été sont des saisons perçues comme « neutres » : toute représentation d’une scène en automne ou en hiver est connotée négativement 7. C’est encore plus vrai dans les textes illustrés et les albums.

La Passe-miroir, livre de Christelle Dabos 8, paru en 2013 chez Gallimard jeunesse (grand format), est un cas intéressant en ce qu’il cristallise des éléments hivernaux et un intertexte aisément repérable. Il s’agit d’une œuvre foisonnante et extrêmement intéressante. Si l’hiver n’en est pas le thème principal, le premier volume se déroule en grande partie pendant l’hiver d’un lieu qui est décrit comme le Pôle d’un monde imaginaire, une zone glaciale, où le thermomètre semble « figé à la même température, mois après mois 9 » à la température de moins vingt-cinq degrés. Dans ce traitement du froid, on peut voir des échos d’autres œuvres, un recyclage de contes et de mythes qui illustre la place que peut tenir cette saison dans l’imaginaire populaire. Si Christelle Dabos cite comme sources d’inspiration Marcel Aymé, J. K. Rowling, Philip Pullman, Hayao Miyazaki « et l’univers d’Alice au Pays des Merveilles » qui, dit-elle, « la hante 10 », j’ajouterais d’autres sources, conscientes ou non, quant au thème de l’hiver.

À travers la confrontation de ces œuvres, quelques traits récurrents apparaissent qui pourraient indiquer des lignes de force dans les représentations imaginaires de l’hiver pour les pays de la zone tempérée, telles qu’elles sont exprimées à travers des œuvres de culture populaire. On peut alors se demander si la littérature contemporaine pour la jeunesse ne fait que recycler des motifs connus ou si elle innove. Pour examiner cette question, on peut isoler quatre de ces motifs, tous quatre disant quelque chose de l’imaginaire lié à cette saison : le ravissement du héros (au sens de rapt), la présence de la bestialité, le dévoilement du réel et la rupture du temps cyclique, c’est-à-dire la mort.

 

Le ravissement du héros / de l’héroïne

Le titre du premier volume de Christelle Dabos, Les Fiancés de l’hiver, désigne à la fois la saison dans laquelle se déroulent les événements narrés dans le volume et le lieu où ils se déroulent principalement : l’héroïne – dont le point de vue gouverne tout le livre – apprend en septembre qu’elle est fiancée malgré elle à un homme de l’« arche 11 » du Pôle qu’elle devra épouser un an plus tard. Elle quitte le jour même son monde pour le suivre.

L’héroïne, Ophélie, est originaire de l’« arche » nommée « Anima » ; comme tous les habitants de cette arche, elle fait partie des « animistes » qui donnent vie à tous les objets et savent de ce fait soit lire leur histoire, soit les animer, les réparer, etc. Le pays est dominé par une immortelle, Artémis, et gouverné par des Doyennes, autant dire que c’est un matriarcat. Malgré la référence à Artémis, la Diane chasseresse des latins, associée à la lune et à la virginité, les filles doivent obligatoirement se marier et avoir des enfants avec quelqu’un de leur arche, donc de leur famille. Si l’on met tous ces éléments en regard, on voit que le monde d’Anima (son nom est évocateur) est tout entier orienté du côté de la vie, de la continuité, du féminin, et l’on pourrait dire de la fécondité s’il n’y avait le nom d’Artémis.

Ophélie a refusé par deux fois des mariages avec des cousins. Sur décision des Doyennes, elle est arrachée à son monde pour être mariée à un homme d’une autre arche. Le roman débute le jour où la jeune fille l’apprend et rencontre pour la première fois son fiancé dont tout le monde ignorait jusqu’au nom. Elle doit partir avec lui dès le lendemain sans avoir pu faire ses adieux aux plus jeunes de sa fratrie. Ce départ prend des allures de rapt, d’autant plus que le fiancé ne fait aucun effort pour être aimable avec qui que ce soit et écrase la famille de son mépris, ce qui fait dire à la mère qu’elle « refuse de céder [sa] fille à ce rustre 12 ».

Première impression : une jeune fille qui quitte contre son gré et contre celui de sa mère le pays de l’été pour épouser un homme, gigantesque et farouche, qui vit dans un pays lointain assimilé à l’hiver, tout cela évoque le mythe de Proserpine (la Perséphone des Grecs) 13, fille de Jupiter et de la déesse des moissons, Cérès. D’après Ovide, c’est Vénus qui, fâchée de la virginité de Pallas et de Diane, décide de limiter le nombre des vierges divines et du même coup d’étendre son empire sur le royaume des morts : « la fille de Cérès, elle aussi, si nous le souffrons, restera vierge ; car elle nourrit la même espérance ».

 

[Sur son ordre, Cupidon] perce le cœur de Dis [Puton]. Non loin des remparts d’Henna il est un lac profond qu’on appelle Pergus […] le printemps y est éternel. Dans ce bocage Proserpine prenait ses ébats ; elle cueillait des violettes ou des lis éclatants de blancheur ; avec l’ardeur propre aux jeunes filles, elle en remplissait des corbeilles et les plis de sa robe, rivalisant avec ses compagnes à qui en ramasserait le plus ; la voir, l’aimer et l’enlever furent pour Dis, ou peu s’en faut, l’affaire d’un instant  14.

 

Dans Les Métamorphoses, le royaume de Pluton apparaît comme hivernal (le neuvième cercle de l’Enfer de Dante est lui aussi glacé) :

 

La Pâleur et le Froid habitent dans toute leur étendue ces lieux incultes ; les mânes nouveaux ignorent où est le chemin qui conduit à la ville du Styx, où est le palais redoutable du noir Dis [Pluton] ; Cette ville immense a mille avenues et des portes ouvertes de tous côtés  15.

 

Le palais de la reine des neiges d’Andersen est lui aussi blanc, froid, immense. Il est désert car, au contraire de celui de Pluton, il n’y pas une âme pour le fréquenter :

 

Les murailles du château [de la reine des neiges] étaient faites de neige amassée par les vents, qui y avaient ensuite percé des portes et des fenêtres. Il y avait plus d'une centaine de salles immenses. La plus grande avait une longueur de plusieurs milles. Elles étaient éclairées par les feux de l'aurore boréale. Tout y brillait et scintillait. Mais quel vide et quel froid  16 !

 

Dans le roman de Christelle Dabos, la ville du Pôle, la Citacielle, est une création originale un peu entre la ville flottante et la ville labyrinthe. Elle combine des éléments a priori contradictoires. Le froid l’entoure, mais la chaleur et les couleurs règnent à l’intérieur, illusoires comme on le verra plus loin. Christelle Dabos insiste beaucoup sur les regrets d’Ophélie, sur la jeunesse qu’elle sait devoir quitter ; cette certitude convient à l’atmosphère automnale du début du roman, qui propose comme une transition : elle contemple ses petites sœurs « jouant au cerceau dans la cour de la maison, au milieu des feuilles mortes. Elles chantaient des comptines, se lançaient des défis […]. Une bouffée de nostalgie envahit brusquement Ophélie 17 ». Elle voit une dernière fois son petit frère « sauter dans les flaques, avec ses petites sœurs, ses cousins et ses cousines. Ils incarnaient l’enfance qu’elle aurait voulu revivre une dernière fois ce soir 18 ». L’insistance sur l’enfance qu’on abandonne joue le même rôle que l’évocation des fleurs tombées de Proserpine ; elle sert à dramatiser davantage la situation et à opposer la jeunesse et la vie à la froidure et à la mort. Dans ce mythe, on voit le pôle printemps/été (les abords du lac Pergus au « printemps éternel », Proserpine et sa mère) opposé à son contraire (le royaume des morts au froid éternel, Pluton).

L’enlèvement lui-même est la scène la plus célèbre du mythe. Il est souvent représenté par les peintres et les sculpteurs. Pluton emporte Proserpine sur son char.

 

Le ravisseur lance son char en avant, il excite ses coursiers, en les appelant chacun par son nom ; sur leurs cous et sur leurs crinières il secoue les rênes teintes de la sombre couleur de la rouille ; il franchit les lacs profonds, les étangs […] ; puis les campagnes […]  19.

 

L’enlèvement de Proserpine dans un char tiré par des chevaux noirs semble servir de matrice à plusieurs enlèvements de contes d’hiver où figurent des traineaux : si le trajet vers le Pôle d’Ophélie commence en dirigeable, il se poursuit en traineau, tiré par des chiens gigantesques qui évoquent les chevaux noirs de Pluton, mais aussi le fameux Cerbère, le chien qui garde les Enfers : « Ophélie eut un choc quand elle aperçut les traineaux que l’on attelait pour eux. Le pelage ébouriffé par le vent, les chiens loups étaient aussi imposants que des chevaux 20. »

 

Devant elle, Thorn dirigeait leur attelage ; son ombre immense, tendue en avant, épousait le vent comme une flèche. […] Alentour, les branches nues des arbres griffaient le paysage, lacéraient la neige et recrachaient ici et là des lambeaux de ciel. Secouée dans tous les sens, luttant contre le sommeil visqueux qui l’engourdissait, Ophélie avait l’impression que cette course n’avait pas de fin. […] Un appel d’air, puisant comme un torrent, lui coupa le souffle, tandis que les énormes chiens et le traineau accrochaient ce courant et s’arrachaient de la neige. […] Plus ils s’élevaient dans le ciel, plus ils gagnaient en vitesse  21.

 

Christelle Dabos s’est sans doute inspirée d’un autre traineau ravisseur, celui de la reine des neiges d’Andersen. Rappelons le conte : le diable fabrique un miroir qui fait voir le côté maléfique de tout : « Le beau, le bien s’y réfléchissaient, disparaissaient presque entièrement ; tout ce qui était mauvais et déplaisant ressortait, au contraire, et prenait des proportions excessives 22. » Le miroir se brise et se répand sur la terre ; il pénètre dans le cœur d’un jeune garçon, Kay, qui jusque-là jouait au milieu des fleurs avec son amie Gerda : « Les deux petits embrassaient les fleurs […] quelles belles journées se succédaient pour eux, pendant qu’ils jouaient à l’ombre des rosiers couverts de fleurs 23 ! » À partir du moment où le miroir du diable le touche, Kay a le cœur sec et ne s’intéresse plus qu’aux faits. Ayant attaché par jeu sa luge à l’arrière d’un traineau, il se trouve emporté au loin, au nord, par la reine des neiges. L’épisode du traineau est frappant par sa dramatisation :

 

La peur le prit. Il dénoua enfin la corde qui liait son traîneau à l’autre. Mais il n’y eut rien de changé : son petit véhicule était comme rivé au grand traîneau qui allait comme le vent. Kay se mit à crier au secours ; personne ne l’entendit ; la neige tombait de plus en plus épaisse, le traîneau volait dans une course vertigineuse ; parfois il y avait un cahot comme si l’on sautait par-dessus un fossé ou par-dessus une haie ; mais on n’avait pas le temps de les voir. Kay était dans l’épouvante. Il voulut prier, dire son Pater ; il n’en put retrouver les paroles ; au lieu de réciter le Pater, il récitait la table de multiplication, et le malheureux enfant se désolait. Les flocons tombaient de plus en plus durs ; ils devenaient de plus en plus gros ; à la fin on eut dit des poules blanches aux plumes hérissées. Tout d’un coup le traîneau tourna de côté et s’arrêta. La personne qui le conduisait se leva : ces épaisses fourrures qui la couvraient étaient toutes de neige d’une blancheur éclatante. Cette personne était une très-grande dame : c’était la Reine des Neiges  24.

 

À bord du traineau, Kay contemple le paysage hivernal en noirs et blancs, ce qui provoque en lui un mélange d’horreur et d’émerveillement :

 

Il regarda dans le vaste espace des airs, il se vit emporté avec elle vers les nuages noirs. La tempête sifflait, hurlait : c’était une mélodie sauvage comme celle des antiques chants de combat. Ils passèrent par-dessus les bois, les lacs, la mer et les continents. Ils entendirent au-dessous d’eux hurler les loups, souffler les ouragans, rouler les avalanches. Au-dessus volaient les corneilles aux cris discordants. Mais plus loin brillait la lune dans sa splendide clarté. Kay admirait les beautés de la longue nuit d’hiver. Le jour venu, il s’endormit aux pieds de la Reine des Neiges  25.

 

Dans le deuxième tome du Monde de Narnia de C. S. Lewis, L’Armoire magique, le jeune Edward passe dans un pays enseveli sous la neige dans lequel l’hiver semble devoir durer toujours. La Sorcière blanche est responsable de cette situation. Son traineau apparait à plusieurs reprises mais est moins impressionnant : il ne vole pas – c’est d’ailleurs ce qui provoque l’échec de la sorcière 26. Il n’est pas tiré par des chiens géants (ceux-ci jouent un autre rôle important dans l’histoire) mais par deux rennes d’une blancheur éblouissante, et est conduit par un nain vêtu d’une fourrure d’ours polaire, comme sa maitresse et comme la Reine des neiges. La Sorcière blanche, comme la reine d’Andersen, invite Edmund, frigorifié, à se mettre sous son manteau, avant de le nourrir 27 de loukoums enchantés (très addictifs !), qui provoqueront sa trahison vis-à-vis de ses frère et sœurs. Lors de leur deuxième rencontre, il est emporté sur le traineau, dans un voyage affreux, dans lequel il se retrouve affamé et couvert de neige :

 

La seule façon de se réconforter était d’essayer de croire que toute cette histoire n’était qu’un rêve, dont il pourrait s’éveiller d’un instant à l’autre. Et tandis qu’ils poursuivaient leur course, pendant des heures et des heures, tout lui parut en effet se dérouler comme dans un rêve  28.

 

Dans ces trois récits pour la jeunesse, les héros, deux garçons et une jeune fille, reprennent le personnage de Proserpine : ils incarnent la jeunesse et l’innocence et sont enlevés par un personnage âgé et inquiétant. Contrairement à ce qui se passe dans les Métamorphoses, où le point de vue est celui du narrateur, c’est leur point de vue qui porte l’histoire. Ils vivent un cauchemar qui semble ne pas avoir de fin, et qui se transforme pour l’un (Kay) en un éblouissement « sauvage » alors que les deux autres sont dans un demi-sommeil, entre rêve et réalité. Christelle Dabos semble influencée par ces deux sources mais on pourrait en imaginer d’autres tant le motif du traineau 29 et de son bruit de clochettes est présent dans l’imaginaire hivernal. Les enfants « ravis » incarnent l’innocence et la jeunesse menacés, comme le printemps et l’été le sont par l’automne et l’hiver.

 

Le fiancé animal

Le roman de Christelle Dabos joue avec le motif du « fiancé animal », que l’on trouve dans de nombreux contes et qui a été étudié par Bruno Bettelheim dans Psychanalyse des contes de fées. Le promis d’Ophélie est vu à travers les yeux de celle-ci au moment de leur première rencontre et décrit comme tel :

 

Enivrée de bruits et de pluie, à demi consciente, Ophélie passa de visage en visage jusqu’à tomber sur le poitrail d’un ours polaire. Hébétée, elle ne réagit pas quand l’ours marmonna un « bonsoir » glacé tout là-haut, loin au-dessus de sa tête  30.

 

Un peu plus tard, dans la calèche qui les transporte (ce monde a une technologie ancienne – autre référence à Andersen ?), Ophélie se livre à un examen plus détaillé de son fiancé : « Contrairement à son impression, Thorn n’était pas un ours, même s’il en avait l’apparence. Une ample fourrure blanche hérissée de crocs et de griffes lui couvrait les épaules 31. » Une stature de géant, une figure balafrée et un air perpétuellement « glacial » complètent le tableau. L’image de l’ours revient à plusieurs reprises (« il se dressait si haut dans sa fourrure hirsute que de dos il ressemblait à s’y méprendre à un ours polaire 32 » ; il est « aussi raide qu’un grand ours empaillé 33 » avec « sa fourrure d’ours mal léché 34 » ; « elle devait épouser cet ours, elle n’avait pas le choix 35 ». Si Thorn évoque l’ours blanc, avec sa fourrure blanche, et est donc ainsi un double masculin de la Reine des neiges comme de la Sorcière blanche, il est, contrairement à elles, laid et rébarbatif et il ne cherche jamais à être aimable. On trouve une autre remarque récurrente, celle de la cicatrice qui défigure son visage. Plus tard, débarrassé de sa fourrure, il a toujours l’air d’un animal, par exemple, celui « d’un faucon pèlerin, nerveux et agité, prêt à prendre son envol 36 ». Tout au long du premier volume, on insiste sur le fait qu’Ophélie et Thorn ont « deux natures […] incompatibles 37 ».

La famille de Thorn est celle des Dragons, tous très grands, très blonds, tous chasseurs, brutaux et sanguinaires. Ophélie la découvre avant son départ, dans les archives du musée d’Anima, à travers une gravure représentant un portrait de chasse :

 

Un homme posait fièrement devant un immense tas de fourrures. […] elle comprit que le tas de fourrures derrière lui, n’était en fait qu’une seule et même fourrure, celle d’un loup mort. Il était grand comme un ours  38.

 

Les chasses monstrueuses des Dragons évoquent les cauchemars des hivers d’antan, les serviteurs du diable ou ceux de la Sorcière blanche :

 

Des ogres avec des dents monstrueuses, et des loups, et des hommes à tête de taureau ; les esprits des arbres mauvais et des plantes vénéneuses ; et d’autres créatures que je ne décrirai pas car, si je le faisais, les grandes personnes ne vous permettraient sans doute pas de lire ce livre : scrofuleux, vieilles carabosses, incubes, spectres, horreurs, démons, esprits follets, furies et gorgones. […] Un hurlement d’épouvante et des sons inarticulés jaillirent des gosiers de ces créatures […]  39.

 

Chez Andersen, on ne trouve pas de loups, mais des brigands qui disent vouloir manger l’appétissante Gerda et ne la laissent vivante que pour servir de jouet à une petite fille qui joue du poignard et s’amuse à terroriser un pauvre renne (5e histoire). Mais, arrivée chez la reine des neiges, Gerda affronte une armée étrange :

 

La voilà donc toute seule, la pauvre Gerda, sans souliers et sans gants, au milieu de ce terrible pays de Finnmarken, gelé de part en part. Elle se mit à courir en avant aussi vite qu’elle put. Elle vit devant elle un régiment de flocons de neige. Ils ne tombaient pas du ciel, qui était clair et illuminé par l’aurore boréale. Ils couraient en ligne droite sur le sol, et plus ils approchaient, plus elle remarquait combien ils étaient gros. Elle se souvint des flocons qu’elle avait autrefois avec la loupe, et combien ils lui avaient paru grands et formés avec symétrie. Ceux-ci étaient bien plus énormes et terribles ; ils étaient doués de vie. C’étaient les avant-postes de l’armée de la Reine des Neiges. Les uns ressemblaient à des porcs épics ; d’autres, à un nœud de serpents entrelacés, dardant leurs têtes de tous côtés ; d’autres avaient la figure de petits ours trapus, aux poils rebroussés. Tous étaient d’une blancheur éblouissante  40.

 

L’être éternel qui domine l’ache du Pôle dans Les Fiancés de l’hiver (l’équivalent d’Artemis pour l’arche d’Anima) est lui aussi marqué par la blancheur :

 

[Farouk] possédait la pureté du marbre. Sa figure imberbe […] semblait faite de nacre. […] Sa longue natte blanche était torsadée autour de son corps comme une étrange rivière de glace. Il paraissait à la fois vieux comme le monde et jeune comme un dieu. Sans doute était-il beau, mais Ophélie le trouvait trop dépourvu de chaleur humaine pour s’en émouvoir  41.

 

L’hiver – ou le pôle qui représente un hiver immobile – est associé à des figures animales ou à des êtres dénués d’humanité. La description de la société hivernale est marquée par les mêmes traits : le Pôle de Christelle Dabos est, très tôt dans le roman, décrit comme étrange et brutal, par les propos de l’oncle d’Ophélie, archiviste de sa famille : « De toutes les arches, le Pôle est celle qui traîne la plus mauvaise réputation […] Ce n’est même pas une vraie famille, ce sont des meutes qui se déchirent entre elles 42. » L’opposition « vraie famille » (le singulier a son importance) et « meutes » résume l’essentiel. Sous son allure sophistiquée (il y a une Cour, des intrigues, des favorites, des femmes élégantes couvertes de bijoux, un ambassadeur, des décors somptueux et une nombreuse domesticité très organisée), le Pôle est un lieu de luttes perpétuelles pour le pouvoir ; certaines familles ont été décimées (celle des Dragons l’est au cours du roman), d’autres bannies dans des bois à l’hiver glacial. Le meurtre d’enfants y est monnaie courante, y compris au sein d’une même famille 43 : s’il n’y a pas d’ours, il y a des personnages qui s’apparentent à des ogres. En outre, la police est brutale et corrompue, et les domestiques sont traités comme des animaux, méprisés et corvéables à merci. Cela provoque l’étonnement d’Ophélie qui croyait « que ces professions-là avaient disparu avec l’ancien monde 44 » : sur Anima, tous les habitants sont membres d’une seule et même famille, il n’y a pas de serviteurs et l’administration n’a rien d’autoritaire (sauf en ce qui concerne le mariage) ni de policier, les Doyennes jouant un rôle de Conseil des sages. « Sur Anima, on était tous le cousin de quelqu’un et on ne s’encombrait pas de ce cérémonial. Ici, il flottait déjà dans l’air une sorte de hiérarchie inviolable dont Ophélie ne saisissait pas la nature 45 ».

La société hivernale est brutale et marquée par l’archaïsme : l’hiver serait ainsi le lieu imaginaire de l’évocation d’un passé perçu comme fascinant et inhumain : animalité, médiévalisme, noirceur et blancheur, vont bien ensemble, comme vont bien ensemble la neige 46 et le sang évoqués par Giono dans Un Roi sans divertissement. L’hiver est rappelons-le, la saison des loups, et pas uniquement en littérature de jeunesse – l’auteur de Game of thrones s’en est souvenu.

 

L’hiver comme révélation

L’hiver ne serait-il que négatif ? On s’en doute, la réponse est non : dans la littérature adressée à la jeunesse, les épreuves ont une valeur initiatique et c’est également le cas dans ces textes. Dans « La Reine des neiges », Gerda libère Kay de l’enchantement après être passée à travers de nombreux dangers et des souffrances. L’épreuve du froid n’est pas la moindre et l’on peut faire un parallèle avec les tortures subies par le personnage de « La petite sirène » du même auteur.

Mais Kay a-t-il appris quelque chose, lui qui semble après son dés-enchantement avoir tout oublié des raisons de son séjour dans les neiges ? La morale est à chercher non chez les personnages qui, devenus adultes, renouent avec l’innocence de l’enfance métaphorisée par le printemps et les fleurs, mais chez le lecteur. Le sens du conte est apparemment (mais seulement apparemment) clair : le miroir du diable, on le devine à travers les effets qu’il a sur le comportement de Kay, c’est l’esprit positif, celui qui fait aimer les chiffres et la symétrie et se désintéresser des fleurs, donc du vivant et du sensible.

 

Dès lors, il ne joua plus aux mêmes jeux qu’auparavant : il joua à des jeux raisonnables, à des jeux de calcul. Un jour qu’il neigeait (l’hiver était revenu), il prit une loupe qu’on lui avait donnée, et, tendant le bout de sa jaquette bleue au dehors, il y laissa tomber des flocons. « Viens voir à travers le verre, Gerda, » dit Kay. Les flocons à travers la loupe paraissaient beaucoup plus gros ; ils formaient des hexagones, des octogones et autres figures géométriques. « Regarde ! reprit Kay, comme c’est arrangé avec art et régularité ; n’est-ce pas bien plus intéressant que des fleurs ? Ici, pas un côté de l’étoile qui dépasse l’autre, tout est symétrique ; il est fâcheux que cela fonde si vite. S’il en était autrement, il n’y aurait rien de plus beau qu’un flocon de neige  47.

 

Le fiancé d’Ophélie, comptable et mathématicien, est lui-même une sorte de Kay touché par le diable, ne croyant qu’aux chiffres et réduisant tout à eux 48 ; Ophélie apparaît comme une autre Gerda, qui doit faire fondre la glace du cœur de son fiancé polaire. Mais Ophélie elle-même doit changer et elle change effectivement à travers les épreuves qu’elle subit : « Sur Anima, Ophélie ne s’intéressait qu’à son musée. Elle était devenue aujourd’hui, par la force des choses, plus curieuse des autres. […] Ophélie voulait se forger sa propre opinion, faire ses choix personnels, exister pour elle-même 49. » À plusieurs reprises, de manière un peu insistante, le message est assené par la narratrice : Ophélie doit sortir d’elle-même pour enfin affronter le monde. La présentation qui est faite d’elle, en début de volume, la montrant comme une future archiviste qui n’est à l’aise que dans son musée ou avec ses plus jeunes frères et sœurs et qui refuse mariage, féminité et relation avec d’autres du même âge, programme d’emblée son évolution : le passage par l’Hiver est une nécessité, dangereuse mais indispensable. Thorn lui-même fait ce diagnostic dans les premiers temps de leur rencontre :

 

– Plus je vous observe, plus je suis conforté dans ma première impression […]. Trop chétive, trop engourdie, trop choyée… Vous n’êtes pas forgée pour l’endroit où je vous emmène. Si vous m’y suivez, vous ne passerez pas l’hiver. […]

– Vous ne me connaissez pas, monsieur  50.

 

Si le froid et ses effets sont évoqués à de nombreuses reprises et avec beaucoup de précision 51, ce n’est pas toujours de manière négative. La Citacielle est aussi le lieu de l’illusion et des merveilles. Dans l’un des lieux les plus enchanteurs, où tous veulent pénétrer, on sent cependant que le ver est dans le fruit :

 

Ils se trouvèrent aussitôt dans l’allée d’une roseraie. Ophélie leva les yeux et découvrit, entre les arceaux de roses blanches, une vaste nuit étoilée. Le Clairdelune portait bien son nom. La tiédeur de l’air était si suave, le parfum des fleurs si enivrant qu’elle ne douta pas un instant qu’ils venaient de pénétrer dans une illusion  52.

 

Ophélie se défie de la perfection, du rêve. D’emblée elle préfère le vrai, même laid, au faux, si beau soit il – métaphore d’un amour qui pourrait venir, comme dans le conte de Madame Leprince de Beaumont, d’elle (la pas très Belle) à la Bête ?

Le miroir du diable d’Andersen semble être de la même étoffe qui annule les rêves : « Le beau, le bien s’y réfléchissaient, disparaissaient presque entièrement ; tout ce qui était mauvais et déplaisant ressortait, au contraire, et prenait des proportions excessives 53. » Ce miroir semble être un point de vue critique sur le monde, « hivernal » et peut être celui d’un adulte amer qui, comme Ophélie, se défie des contes de fées

Lorsque, encore ignorante du danger des lieux et de la perversité de ses habitants, elle visite seule la ville, elle marche dans l’envers du décor, dans des lieux sordides et malodorants, mais où elle respire un « air vrai 54 ». Usant malgré elle de ses talents de « liseuse », Ophélie découvre les pensées de Thorn et celles-ci sont très proches des siennes : il « ne pourrait jamais se reposer ici [il] aurait voulu quitter cet endroit, aller dehors, le vrai dehors, avaler du vent à s’en vitrifier les poumons 55 ». Le lecteur comprend que les deux fiancés, si différents en apparence, aspirent à la même chose. Les conversations où ils sont seul à seule et se disent des choses importantes, sincères et parfois désagréables se déroulent d’ailleurs toujours dans le froid. Le froid est le lieu de la vérité et du dépassement de soi. L’originalité radicale de Christelle Dabos réside dans le fait que l’hiver n’est pas une valeur négative, ni un temps figé : il est la vérité à laquelle revenir, loin d’un monde qui se contente de faux-semblants et ne se maintient qu’en asservissant les humains dans des illusions mortifères et des conduites criminelles.

 

La rupture du temps cyclique

Pluton règne sur les Enfers. Lorsqu’il entraîne Proserpine dans le monde souterrain, il la fait passer du monde des vivants au monde des morts. Cérès, sa mère, la cherche longtemps en vain et maudit les terres, brise les charrues, tue les agriculteurs et les animaux ; les blés meurent. Lorsqu’elle retrouve sa fille, elle ne peut la faire revenir totalement mais obtient qu’elle passe la moitié de l’année aux Enfers (l’hiver et l’automne) et l’autre auprès d’elle (le printemps et l’été). Ce mythe sert ainsi à expliquer l’alternance des saisons. L’opposition monde des vivants / monde des morts se résout donc en opposition printemps « éternel » (celui dans lequel se plaisait la jeune Proserpine) / hiver permanent (le monde de son époux). Cette alternance est le garant de la survie du monde : pour que Cérès, déesse des moissons, favorise les humains, sa fille doit l’assister, faute de quoi le monde mourra.

Dans L’Armoire magique de C. S. Lewis, les héros se trouvent confrontés à la Sorcière Blanche qui se prétend reine de Narnia. Celle-ci est décrite ainsi dès le début du roman : « C’est elle qui tient tout Narnia sous sa domination. C’est elle qui fait que c’est toujours l’hiver. Toujours l’hiver et jamais Noël… vous imaginez 56 ! » L’hiver n’est donc pas ici le temps de l’attente d’un moment agréable, d’une fête (l’arrivée du Père Noël, de son traineau et de ses cadeaux). Mais cela va plus loin.

L’hiver sans Noël est aussi une bonne formule pour faire saisir aux jeunes lecteurs un concept commun à toutes ces œuvres : l’hiver n’y est pas décrit comme une saison, marquée par la présence du solstice (qui coïncide à peu près avec la date choisie par les chrétiens pour célébrer la naissance du Christ) mais comme un absolu, équivalent à un pôle (comme chez Andersen et Dabos) ou à un lieu de neiges éternelles, tous lieux étant connus pour être a priori inaccessibles aux humains et invivables. Il est un temps arrêté, une saison éternelle : ce n’est pas un temps qui précède le printemps, mais c’est un état qui semble devoir durer éternellement, une stase mortelle et mortifère, à moins qu’un héros, c’est-à-dire un enfant, ne vienne rompre le charme : on voit que les références au christianisme ne sont pas loin – dans Narnia et dans le conte d’Andersen elles sont explicites. L’absence de Noël équivaut à l’absence de solstice, c’est-à-dire à l’absence de perspective d’un allongement des jours qui ramène à la belle saison. C’est aussi la vision d’un monde sans dieu, plongé dans le désespoir et l’assurance d’une mort sans horizon de résurrection ni de rédemption. Il s’agit de faire en sorte que le froid et les neiges redeviennent les caractéristiques d’une saison passagère, et – symboliquement aussi bien que biologiquement – que la vie triomphe de la mort.

À la fin du conte d’Andersen, le mot que doit former Kay avec des lettres de glace pour être libéré de la reine des neiges n’est pas anodin, de même qu’il n’est pas anodin que la même cause provoque à la fois sa libération et la destruction du fragment du miroir du diable : hiver et miroir diabolique sont donc ici liés.

 

Il cherchait en ce moment à composer le mot Éternité. Il s’y acharnait depuis longtemps déjà sans pouvoir y parvenir. La Reine des Neiges lui avait dit : « Si tu peux former cette figure, tu seras ton propre maître ; je te donnerai la terre toute entière et une paire de patins neufs » […] Il leva la tête et la regarda. Gerda chanta, comme autrefois dans leur jardinet, le refrain du cantique : Les roses fleurissent et se fanent. Mais bientôt Nous reverrons la Noël et l’Enfant Jésus. Kay, à ce refrain, éclata en sanglots ; les larmes jaillirent de ses yeux et le débris de verre en sortit, de sorte qu’il reconnut Gerda et, transporté de joie, il s’écria : « Chère petite Gerda, où est-tu restée si longtemps, et moi, où donc ai-je été ? » […] les morceaux de glace se mirent à danser joyeusement, et, lorsqu’ils furent fatigués et se reposèrent, ils se trouvèrent figurer le mot Éternité, qui devait donner à Kay la liberté, la terre entière et des patins neufs  57.

 

Le refrain de Gerda, « Les roses fleurissent et se fanent. Mais bientôt / Nous reverrons la Noël et l’Enfant Jésus » insiste sur le fait que le retour de Noël est la promesse aussi bien d’une nouvelle floraison que d’une renaissance, l’assurance que le temps a repris son cours et le cycle des saisons. Si le temps des humains est linéaire, et qu’ils sont pour cela mortels, le temps de la nature et de la religion est un temps cyclique, une figure de l’éternité : contre les êtres maléfiques, reine des neiges ou sorcière blanche, les enfants des contes font revenir l’été et fondre les glaces. La fin du conte associe encore les enfants – qui après leur aventure sont devenus des adultes – au printemps : « Kay et Gerda marchaient toujours la main dans la main ; le printemps se faisait magnifique, amenant la verdure et les fleurs 58. » Kay et Gerda sont retournés dans leur enfance fleurie et semblent devoir y demeurer éternellement. De même, les enfants de L’Armoire magique redeviennent des enfants en retournant dans leur monde d’origine.

 

Conclusion

Ainsi, si de nombreux motifs se répètent dans ces œuvres, leur sens varie fortement. Dans toutes ces œuvres, le motif du rapt et de l’enlèvement aérien marque à la fois le basculement vers la fiction et la menace de mort représentée par le froid de l’hiver. Les œuvres de littérature de jeunesse rejouent les anciens mythes de fertilité et la crainte d’un hiver éternel, comme dans le roman de Ramuz, Si le soleil ne revenait pas (1937). Dans les œuvres antérieures au XXIe siècle, le héros enfant, sauveur du monde, se doit de faire revenir le printemps et de remettre le temps en marche. Le roman de Christelle Dabos place la mission de ses héros sur un tout autre plan. Son autre originalité est que le ravisseur et le ravi finissent par se découvrir unis dans un même combat. La bestialité du premier se dissipe, et est vue pour ce qu’elle est, une illusion créée par la peur, tandis que l’ennemi véritable s’avère être celui qui triche sur l’hiver et fait vivre les humains dans l’illusion d’un éternel été. En revanche, l’inhumanité de la reine des neiges et de la sorcière blanche demeure chez Andersen et chez Lewis. Ces personnages maléfiques incarnent l’hiver et la malédiction qui les touche condamne autant le personnage que la saison, qui est bien leur « saison mentale », comme l’automne l’est chez Apollinaire 59.

Si la Citacielle des Fiancés de l’hiver est le lieu de l’illusion, l’hiver est sa vérité. L’hiver est, plus qu’une saison, un lieu hostile comme la forêt des contes, mais c’est par ce lieu qu’il faut passer pour réussir les épreuves. Passer par l’hiver c’est abandonner le confort du cocon de l’enfance tout en refusant la facilité des illusions et des compromissions des adultes. C’est aussi rechercher la transparence.

La présence des miroirs dans ces œuvres pose question : celui du diable est présenté par Andersen comme un miroir trompeur. Mais l’est-il tant que cela ? N’est-il pas l’équivalent du regard d’un point de vue adulte critique et soucieux des faits tandis que son envers serait celui de l’enfance naïve, ignorante et heureuse, de la poésie fleurie au risque de la mièvrerie ? Ne serait-il pas la vérité d’une ambivalence – celle de tout auteur de livres pour la jeunesse, ou d’Andersen ? Les miroirs de La Passe-miroir sont, comme ceux d’Alice, des portes vers d’autres mondes. Ils sont une confrontation à soi (comme dans la série des Harry Potter, où le miroir du Rised (anagramme de désir dans la traduction française) est une tromperie, tout en révélant un désir profond, donc une vérité. La capacité d’Ophélie à traverser les miroirs est un garant de son authenticité :

 

Passer les miroirs, ça demande de s’affronter soi-même. Il faut des tripes […] pour se regarder droit dans les mirettes, se voir tel qu’on est, plonger dans son propre reflet. Ceux qui se voilent la face, ceux qui se mentent à eux-mêmes, ceux qui se voient mieux qu’ils sont, ils pourront jamais  60.

 

Le miroir de Christelle Dabos est un équivalent de l’hiver (la possibilité, en français, de jeu sur le mot « glace » y participe) : il ne faut pas tricher avec l’hiver, c’est un passage vers des lieux différents et tout aussi difficiles. Il ne ramène pas vers un été perpétuel, il ne fait pas retourner en enfance, il ne promet pas un monde meilleur, mais il amène progressivement son personnage à l’âge adulte, passant par désillusions et découvertes.

 

  1. Par exemple, Emma, où vont les plantes en hiver ? de Spider [D. Melani], Sarbacane, 2009.
  2. Notamment dans le cadre des séries comme La famille souris de Kazuo Iwamura (L’école des loisirs, 1998), Elmer de David McKay (Kaléidoscope, 1995), Petit-Bond de Max Velthuijs (L’école des loisirs, 1992).
  3. Histoire du bonhomme de neige de Raymond Briggs (1978), Jour de neige de Komako Sakaï (L’école des loisirs, 2006), Il va neiger de Anne Brouillard (Syros, 1994).
  4. Les contes qui débutent par une rêverie sur le thème des gouttes du sang sur la neige (comme « Blanche Neige ») ne prennent la neige que comme accroche et l’oublient vite. Voir Pierre Gallais, « Le sang sur la neige (le conte et le rêve) », Cahiers de civilisation médiévale, n°81, (janvier-mars 1978), p. 37-42, p. 38.
  5. « La moufle », « La fiancée du gel » et « La jeune fille de neige » ; un conte rapporté comme limousin par Emile Henry Carnoy (Contes français, Paris, Leroux, 1885, p. 141 et suiv.), intitulé « Le petit garçon de neige », est proche de « La jeune fille de neige ».
  6. Voir http://www.conteur.com/forum/read.php?6,20654.
  7. Une recherche sur les titres comprenant le mot « hiver » dans les catalogues ou listes d’ouvrages pour la jeunesse (fonds pour la jeunesse, site Ricochet…) fait sortir des œuvres aux tonalités sombres : Le Combat d’hiver de Jean-Claude Mourlevat (Gallimard, 2006), La Cérémonie d’hiver d’Elise Fontenaille-N'Diaye (Rouergue, 2010) ; du côté des albums, on retrouve de belles réalisations mélancoliques comme Dame Hiver illustré par Nathalie Novi (Didier, 2002), Öko un thé en hiver de Mélanie Rutten (MeMo, 2010), L’Enfant de la neige de François David et Marc Solal (Møtus, 2008), Neige de Grégoire Solotareff et Olga Lecaye (L’école des Loisirs, 2000).
  8. C’est le premier roman de Christelle Dabos, qui s’est d’abord essayée sur le web à travers le site « Plume d’argent ». Quatre volumes ont paru ; le premier est intitulé « Les fiancés de l’hiver » et a remporté en 2012 le « Concours du premier roman jeunesse », organisé par Gallimard jeunesse, RTL et Télérama. Il a été publié à la suite de ce prix et a depuis été primé plusieurs fois, notamment en 2016 par le Grand prix de l'Imaginaire. Son succès a été tel que le livre a connu un sort qui n’est réservé qu’aux œuvres marquantes dans le domaine de la fantasy pour la jeunesse, avec une rapide publication dans une collection de poche (« Folio ») non spécifiquement adressée à la jeunesse.
  9. Christelle Dabos, La Passe-miroir. Les fiancés de l’hiver, Paris, Gallimard, 2013, p. 322. Dans le tome 2, qui se déroule au printemps, on indique la température de moins quinze degrés (p. 16).
  10. Voir http://www.passe-miroir.com/index.php?id=7#question4.
  11. Le monde est éclaté en plusieurs « arches » qui flottent dans l’espace comme autant de planètes proches.
  12. Christelle Dabos, La Passe-miroir. Les fiancés de l’hiver, op. cit., p. 76.
  13. Voir Ovide, Les Métamorphoses, V, 341-571 et Fastes, IV, 417 et suiv. Proserpine est d’ailleurs le nom de l’un des « esprits de famille », chef ou dieu tutélaire d’une arche, dans le roman de Christelle Dabos.
  14. Ovide, Les Métamorphoses, V, Georges Lafaye (trad.), Jean-Pierre Néraudau (éd.), Paris, Gallimard, 1992, p. 176-179.
  15. Ovide, Les Métamorphoses, op. cit., IV, 434 et suiv., p. 148-149.
  16. Andersen, Contes danois, Ernest Grégoire et Louis Moland (trad.), Paris, Garnier, 1873, p. 264. Garnier a réédité les Contes danois dans cette traduction en 1979 ; on trouve toujours cette traduction, par exemple chez Bnf éditions (2016), ou dans un volume proposant « La Reine des neiges » seul chez Magnard (2018).
  17. Christelle Dabos, La Passe-miroir. Les fiancés de l’hiver, op. cit., p. 54
  18. Id., p. 59.
  19. Ovide, Les Métamorphoses, V, op. cit., p. 176-179.
  20. Christelle Dabos, La Passe-miroir. Les fiancés de l’hiver, op. cit., p. 121.
  21. Id., p. 123-124.
  22. Andersen, Contes danois, op. cit., p. 216.
  23. « Les parents eurent l’idée de poser les caisses en travers de la petite ruelle, d’une fenêtre à l’autre : ce fut un embellissement considérable : les pois suspendant leurs branches, les rosiers joignant leurs fleurs formaient comme un arc de triomphe magnifique. Les enfants venaient s’asseoir sur de petits bancs entre les rosiers.
  24. Id., p. 222.
  25. Id., p. 224.
  26. Il est bloqué par la fonte des neiges due à l’arrivée du lion Aslan, figure christique qui sauve le monde en se sacrifiant pour Edmund puis en ressuscitant.
  27. Cela peut être mis en parallèle avec la grenade mangée par Proserpine, qui la lie au royaume des morts, comme la fleur cueillie par le père dans La Belle et la Bête lie celui-ci au monstre.
  28. C. S. Lewis, Les Chroniques de Narnia. L’Armoire magique, Anne-Marie Dalmats (trad.), Gallimard jeunesse, 2001 [1950], p. 121.
  29. L’entrée en hiver dans un traineau a ainsi deux visages, l’un euphorique avec l’image du Père Noël, l’autre beaucoup plus inquiétant, sur fond de neige et de hurlements de loups.
  30. Christelle Dabos, La Passe-miroir. Les fiancés de l’hiver, op. cit., p. 61.
  31. Id., p. 62.
  32. Id., p. 70.
  33. Id., p. 75.
  34. Id., p. 76.
  35. Id., p. 81.
  36. Id., p. 84.
  37. Id., p. 385.
  38. Id., p. 28.
  39. C. S. Lewis, Les Chroniques de Narnia. L’Armoire magique, op. cit., p. 159.
  40. Andersen, Contes danois, op. cit., p. 262.
  41. Christelle Dabos, La Passe-miroir. Les fiancés de l’hiver, op. cit., p. 425.
  42. Id., p. 19-20.
  43. Tous les enfants de Berenilde, la tante de Thorn et l’un des principaux personnages du roman ont été assassinés l’un après l’autre.
  44. Christelle Dabos, La Passe-miroir. Les fiancés de l’hiver, op. cit., p. 135.
  45. Id., p. 118.
  46. « Du sang sur la neige » est un titre qui marque, par les contrastes de couleur et de chaleur et l’opposition vie/mort : un film d’espionnage réalisé par Raoul Walsh en 1943 avec Errol Flynn et Julie Bishop, un roman policier de Levi Henriksen au titre proche de Du sang sur la glace de Jo Nesbø, un scénario de World of Warcraft, un épisode du jeu vidéo Skyrim (The Elder Scrolls V: Skyrim, Bethesda Softworks, 2011).
  47. Andersen, Contes danois, op. cit., p. 221.
  48. « […] les chiffres ne se trompent jamais […] Ils avaient déjà essayé de lui coller un greffier aux fesses pour vérifier si son intégrité était sans faille. Et ils s’étaient cassé les dents, parce qu’[il] ne se fiait qu’aux chiffres. Ni à sa conscience ni à son éthique, seulement aux chiffres ». Christelle Dabos, La Passe-miroir. Les fiancés de l’hiver, op. cit., p. 482-483.
  49. Id., p. 260-261.
  50. Id., p. 111.
  51. « […] des cristaux de glace se soulevèrent en nuages autour d’eux tandis que la température remontait. La chaleur qui se coulait dans les veines d’Ophélie se transforma bientôt en supplice. » Christelle Dabos, La Passe-miroir. Les fiancés de l’hiver, op. cit., p. 128.
  52. Id., p. 265.
  53. Andersen, Contes danois, op. cit., p. 216.
  54. Christelle Dabos, La Passe-miroir. Les fiancés de l’hiver, op. cit., p. 169.
  55. Id., p. 482.
  56. C. S. Lewis, Les Chroniques de Narnia. L’Armoire magique, op. cit., p. 25.
  57. Andersen, Contes danois, op. cit., p. 266-267.
  58. Id., p. 269.
  59. Apollinaire, « Signe », Alcools, Gallimard, [1920] 1968, p. 111.
  60. Christelle Dabos, La Passe-miroir. Les fiancés de l’hiver, op. cit., p. 89.