De <em>Mecanoscrito del segundo origen</em> de Manuel de Pedrolo à <em>Segundo Origen</em> de Bigas Luna et Porta. Des mutations de la violence dans l'adaptation d'un récit littéraire à l'écran

De Mecanoscrito del segundo origen de Manuel de Pedrolo à Segundo Origen de Bigas Luna et Porta. Des mutations de la violence dans l'adaptation d'un récit littéraire à l'écran

Par MAUCLAIR Patricia

Au commencement était le roman, Mecanoscrit del segon origen, véritable best-seller écrit en catalan en 1974 par Manuel de Pedrolo et devenu un ouvrage de référence pour des milliers de collégiens et lycéens catalans dès sa parution. Depuis 2013, il figure au cœur d'un programme pédagogique destiné à favoriser la lecture financé par la Catalogne 1. Publié en castillan pour la première fois en 1984 et réédité à de nombreuses reprises, vendu à plus de 2 millions d’exemplaires, ce roman demeure également une référence pour la science-fiction espagnole. Anaya a fait le choix de le rééditer en 2013 dans la collection « Clásicos modernos ». La maison d’édition précise sur son site que ce livre peut être lu aussi bien par des élèves de collège que par des élèves de lycée 2. Traduit dans plus d’une vingtaine de langues, il a notamment été publié en français chez Hachette dans la collection « Livre de poche Jeunesse » en 1993, sous le titre Le deuxième matin du monde. Puis en 2007, Bigas Luna et Carles Porta achètent les droits du roman pour l’adapter au cinéma et cosignent le scénario du film Segundo origen sorti en salle en 2015 dans toute l’Espagne.

Mecanoscrito del segundo origen, titre de la traduction en castillan sur laquelle nous baserons notre réflexion 3, est écrit par l’un des auteurs les plus prolifiques de la littérature catalane du XXe siècle. Romancier, essayiste, dramaturge, poète, traducteur, Pedrolo embrasse tous les genres littéraires. En 1975, avec le recueil de nouvelles Trajecte final, Pedrolo confirme son talent d’auteur de science-fiction à laquelle il sait donner une empreinte particulière. Jeune soldat dans le camp des vaincus pendant la guerre civile, écrivain incorruptible pendant la dictature franquiste, Pedrolo n'a pour seules limites que celles de son imagination, osant aborder l’homosexualité dans Un amor fora ciutat (1959) ainsi que la sexualité féminine dans Visita la senyora Soler (1959), deux romans qui ne furent publiés que dans les années 1970, non sans provoquer procès et scandale public. Dans son roman Acte de violència, écrit en 1961, Pedrolo imagine une mobilisation alternative non agressive en réponse à la répression imposée par le pouvoir dictatorial, proposant là une véritable réflexion autour de la violence. Cette question s’impose à nouveau dans Mecanoscrito del segundo origen : suite à une agression raciste, les deux héros de ce roman post-apocalyptique, Alba, une jeune fille de 14 ans, et Dídac, un mulâtre de 9 ans, se retrouvent sous l’eau tandis qu’à la surface une attaque extraterrestre extermine tous les mammifères et détruit presque toutes les habitations ; Alba et Dídac doivent dès lors lutter seuls pour survivre, animés du désir de devenir les nouveaux parents de l’humanité. L’expérience de nos deux robinsons condamnés à une vie sauvage est donc par essence violente. Après avoir analysé la dimension initiatique qui sous-tend le roman et justifie la violence en présence, nous verrons comment et pourquoi le passage d’un objet sémiotique à un autre, c’est-à-dire le passage d’un récit destiné à un lectorat espagnol des années 1970/1980 à des images réservées à un jeune public du XXIe siècle modifie le traitement de la violence.

 

Le lecteur face la mort, des images-chocs

Le roman de Pedrolo est le reflet de toute une époque traversée de violences qui questionnent et révoltent. L’Espagne s'apprête alors à accoucher péniblement de sa démocratie dans un contexte mondial agité par des guerres et des crises pétrolières. Des étrangers hippies font leur apparition sur les plages espagnoles tandis que les horreurs de la guerre au Vietnam ou de la famine dans le monde s’imposent au regard des Espagnols via leurs nouveaux téléviseurs. La disparition de la censure permet à la presse et au cinéma d’aborder des sujets de société dérangeants. Le cinéma quinqui témoigne des mutations sociales en filmant la nouvelle délinquance et l’explosion du trafic de drogue, tandis que le cinéma du destape, sous-genre cinématographique à fort contenu érotique s’impose massivement dans les salles. El amor del capitán Brando de Jaime de Armiñán ose montrer pour la première fois un sein de femme en 1974 en racontant l’histoire d’amour platonique entre une maîtresse d’école et un jeune garçon alors âgé de 13 ans. Un autre cinéma espagnol cherche à interroger sur la violence du monde en associant l’enfant à des images choquantes. El espíritu de la colmena (1973), de Victor Erice et Críacuervos (1976), de Carlos Saura, montrent des enfants traumatisés par la violence des adultes. En 1976, s’inspirant très certainement du classique Le village des damnés (1960), Narciso Ibáñez Serrador adapte le roman de Juan José Plans El juego de los niños (1976) dans ¿ Quién puede matar a un niño ? (1976) où les enfants éliminent les adultes. C’est donc sur fond de libération des mœurs que Mecanoscrit del segun origen a vu le jour, osant montrer ce qui n’aurait jamais pu l’être avant, donnant à vivre aux jeunes lecteurs une expérience tout à fait nouvelle.

Sous Franco, l’intérêt des institutions pour la production de livres jeunesse avait été le reflet d’une volonté de promouvoir une certaine idée du livre jeunesse espagnol et de ses vertus morales et éducatives. Et même si le tournant des années 1960 avait marqué l’assouplissement relatif de la politique culturelle du régime autorisant notamment les publications en catalan, en basque et en galicien, dans le secteur littérature jeunesse, divers décrets avaient resserré l’étau qui contraint les publications jeunesse en maintenant la censure. Ce n’est qu’après la mort de Franco que l’on commence à publier des romans abordant des problèmes réels liés à l’environnement, l’exclusion, la sexualité ou la drogue, des romans, dans un premier temps, étrangers. La maison d’édition catalane Martínez Roca publie Un caso perdido (1976), de Benjamin Lee, Sublime amor juvenil (1978), de Herman Raucher, Pregúntale a Alicia (1976), de Beatrice Sparks et Nacida inocente (1978), de Pego Gerald. La publication de ce type de roman s’accroît dans les années 1980 4. Yo, Christiane F., de Kai Hermann et Horst Hieck, n’a été édité par Circulos de lectores qu’en 1987. Le roman de Pedrolo paraît donc pour la première fois avant même que ces romans venus d’ailleurs n’arrivent entre les mains des jeunes Catalans. L’autre singularité de Mecanoscrito del segundo origen est d’être une œuvre de SF, genre alors peu cultivé en littérature jeunesse. Cuentos del año 2100 (1972), de Aarón Cupit Losada, Nuevas aventuras de Marsuf (1974), de Tomás Salvador ou En un lugar llamado Tierra (1983) de Sierra i Fabra et en 1986, sont des romans de facture plutôt conventionnelle qui interrogent avec bonhomie l’impact des nouvelles technologies sur notre civilisation.

Le panorama culturel espagnol nous permet donc de mieux saisir la genèse de Mecanoscrito del segundo origen et d’en comprendre l'originalité. S’émancipant des contraintes longtemps imposées à la littérature espagnole pour la jeunesse et en résonnance avec une société en pleine mutation, Pedrolo choisit la SF, genre associé, selon Ramírez Beltrán, à de la violence 5 et qui, pour Caland, est un des lieux imaginaires pour véritablement questionner l’essence de l’humain 6. Leblanc considère qu’il offre au jeune lecteur une expérience de lecture nouvelle en lui montrant la mort, en donnant à voir par l’écriture ce qui serait interdit à la vue 7. Composé de cinq cahiers eux-mêmes divisés en une cinquantaine de sous-parties numérotées, le roman se présente au lecteur comme une nouvelle Genèse. Pour penser ce nouveau monde, il a fallu d’abord détruire l’ancien. Pedrolo consacre peu de lignes au processus de destruction dont les deux protagonistes n’ont pu être spectateurs puisqu’ils se trouvaient alors sous l’eau. Le monde pré-apocalyptique de Alba et Dídac était un monde violent dont il valait mieux faire table rase. Le souvenir d’un père injustement emprisonné et l’existence de groupes armés de résistance laissent supposer que ce monde reposait sur un système totalitaire terriblement répressif. Le roman s’ouvre sur l’agression raciste dont est victime Dídac, roué de coups puis jeté à l’eau à cause de sa couleur de peau. Dans le deuxième cahier, le narrateur se demande si les oiseaux ne sont finalement pas plus heureux sans humains pour leur tendre des pièges ou détruire leurs nids. Enfin, quelques mots suffisent à nous faire comprendre que Dídac n’est pas le fruit de l’amour mais d’une violence sexuelle subie par sa mère. Le projet de penser un monde nouveau, affranchi de toute cette violence ne peut donc qu’apparaître séduisant aux yeux du lecteur. Or, les expériences que Pedrolo choisit de faire vivre à ses personnages assombrissent ledit projet, montrant au fil des pages que le vivant est potentiellement létal.

Dans le monde d’après, comme dans tout récit post-apocalyptique, les survivants sont appelés à se protéger d’un environnement toxique 8. La nature nourricière qui peut les gratifier de ses fruits peut aussi se montrer mortifère. Lorsque Dídac est jeté à l’eau, il est sur le point de se noyer, prisonnier de plantes aquatiques dont on nous dit qu’elles ont déjà tué des enfants. Lorsque des oiseaux ravagent leur jardin, Didac et Alba comprennent alors que ce sont eux qui ont hérité de la terre. Mais l’adaptation au monde nouveau implique aussi et surtout de faire face au genre humain, incarné par quelques rares survivants présentés comme des créatures monstrueuses, tels les trois hommes qui les menacent avec des armes à feu sur une plage italienne. Leur nudité, l’expression de leur visage ainsi que la pulsion sexuelle qui les animent les réduisent à la plus terrible bestialité. L’un d’eux se masturbe en voyant Alba. Quelques pages plus loin, Alba se sent agressée par une femme décharnée qui lui attrape le sein. Après avoir saisi son arme, Alba recule brusquement, réalisant que cette femme désire qu’elle donne le sein au squelette de son bébé, mort trois ans auparavant. L’image de ce bébé réduit à un petit paquet d’os n'est qu’une illustration des abondantes références à la mort, troisième protagoniste de ce roman qui impose sa laideur, son odeur fétide et son silence jusqu’à la dernière page. Pedrolo constelle les paysages traversés par Didac et Alba de cadavres, il n’épargne rien au lecteur, livrant de façon extrêmement crue tout un chapelet d’images de corps en décomposition : « Il ne restait plus que la matière imputrescible, les os, les tendons et les cartilages qui deviendraient poussière lors d'un processus long de plusieurs années, de plusieurs siècles 9 ». La formulation de certaines descriptions vise à renforcer le caractère actif de ce processus, donnant parfois presque vie à l’inanimé : place de la Catalogne, les squelettes ne sont pas décrits assis sur des chaises mais en train de s’asseoir 10, de même que soixante pages plus loin, il est écrit que des pieds et des jambes s’échappaient des montagnes de décombres 11.

La mort impose sa réalité la plus dure, effectuant son travail de destruction dans un silence insoutenable pour nos deux héros confrontés à une solitude terrifiante, à un vide insupportable. Et cet enfer est d’autant plus difficile à accepter qu’il dicte ses lois sans aucune explication. Dídac et Alba cherchent à comprendre mais leurs questions restent sans réponse. Alba se demande pourquoi les insectes et les oiseaux ont été épargnés tandis que Dídac se demande s’il y a d’autres survivants et s’il faut voir dans cette catastrophe un châtiment de Dieu. Comment accepter que la vie s’arrête si brutalement ? Quand la maison d’Alba s’effondre, elle devient la tombe de ses parents ainsi que celle de sa sœur dont il est précisé qu’elle devait se marier le mois suivant. Pedrolo multiplie ainsi les images de vies fauchées, figeant les cadavres dans des activités auxquelles ils se livraient au moment du cataclysme. La mère de Dídac tient encore la cuillère avec laquelle elle était en train de cuisiner, des hommes ont été surpris en train de décharger des camions, des voyageurs sont restés assis, la ceinture bouclée, avant le décollage de leur avion. Dans les toilettes d’une station-service, Alba reconnaît l’amie de sa sœur, assise sur le siège. Elle ne peut s'empêcher de lui vomir dessus. La mort se révèle dans toute son imprévisibilité et dans sa grande injustice quand elle s’en prend à des enfants. Sur une place, plusieurs poussettes ne portent plus que des os, même spectacle dans une cour de récréation : « Dans la cour d’une école les murs étaient intacts, sans doute grâce à leurs palissades grillagées, la concentration de petits squelettes indiquait que la mort les avait surpris à l’heure de la récréation 12 ». En affichant ainsi les ravages de l’impitoyable faucheuse, ce roman post-apocalyptique place ses héros - et donc les lecteurs - face à leur finitude. Mais il complète l’expérience initiatique par une invitation à un travail réflexif qui va leur permettre de prendre conscience que le monstre n’est pas toujours l’autre.

 

Le lecteur mis à nu

Comme le rappelle Boudou, « par la mise à nu (apocalypse selon son étymologie) des personnes dans des situations hors du commun 13 », l’héroïsme des survivants consiste à rester en vie tout en restant humains. Or pulsion de vie et pulsion de mort apparaissent comme les deux faces d’une même monnaie. C’est une pulsion de vie qui anime la mère devenue folle à vouloir nourrir son bébé mort. Et si Alba et Dídac sont montrés en victimes dans les premières pages, leur instinct de survie les amène eux aussi assez rapidement à poser des actes violents. Lui chasse et elle tue pour se protéger et protéger Dídac. Ils suscitent plus d’empathie que leurs agresseurs, présentés comme des monstres et entraînant donc, comme l’explique Jouve, une discrimination radicale 14. Les agresseurs de Dídac sont coupables d’être racistes, le jeune homme qui se masturbe a l’air abruti et l’extra-terrestre est présenté comme une créature monstrueuse, à mi-chemin entre l’humain et l’animal. Il est doté de trois yeux dont un rappelle celui des abeilles, sa bouche forme un groin, sa peau a la couleur d’un cochon de lait et de sa tête en forme de poire sortent des appendices tubulaires semblables à des antennes. Alba se réjouit qu’il ait cette apparence, car il lui sera ainsi plus facile de le tuer. Sa race méritait d’être anéantie : « C'était un ennemi et sa race avait suffisamment démontré qu’elle était implacable 15 ». Elle se surprend ensuite à lui tirer dessus trois fois sachant qu’une seule aurait suffi. Quand elle abat les hommes de la plage, elle avoue espérer ne plus avoir à tuer mais se sent obligée de justifier son acte : « [...] en fin de compte, elle avait dû tuer pour sauver son mâle 16 ». Pour survivre, il leur faut également, comme dirait Boltanski, mettre la souffrance à distance. Cela implique dans un premier temps d’abandonner ses morts. Très vite Alba prend conscience qu’il leur faut quitter Benaura où l’air deviendra vite irrespirable à cause de la putréfaction des corps. Puis à plusieurs reprises, et pour des raisons pratiques, elle et Dídac sont amenés à extraire le cadavre d’une voiture, d’une réserve de nourriture ou encore d’une maison pour pouvoir s’y introduire. À la fin du roman, Alba enterre Dídac avant de planter des fleurs sur la terre qui le recouvre. Les morts doivent céder la place aux vivants.

Cette mise à distance devient plus symbolique quand Alba décide de filmer, de photographier l’horreur pour montrer, dit-elle, la dévastation de la Terre aux générations futures. Ce nouveau regard posé sur leur environnement ainsi que l’habituation à l’horreur vont donner aux descriptions de cadavres une tonalité un peu différente, oscillant entre la banalisation et le voyeurisme. Dans le troisième cahier, le cadavre devient un objet d’observation qui conduit finalement Dídac et Alba à un échange sur les différences anatomiques entre une femme et un homme. Quant à la description des squelettes dans une des rues de Benaura, elle emprunte ses codes au reportage filmé, procédant à une « longue panoramique suivie d’autres panoramiques plus courtes qui précédaient les visions partielles de squelettes, désormais anonymes, d’établissements dévastés 17 ». Le désir de filmer n’est d’ailleurs pas sans questionner les reporters : lorsqu’Alba revient dans les toilettes de la station-service pour filmer l’amie de sa sœur, elle se sent cruelle. Ils abandonnent même le projet de déterrer le cadavre d’extra-terrestre pour le filmer, l’idée finalement les répugne. Ils en viennent même à se demander s’ils ne sont pas eux-mêmes devenus des monstres, questionnement qu’insinuaient déjà les circonstances dans lesquelles ils avaient commencé à penser à leur avenir : « Et ce même jour, assis face à la ville morte qui s’étendait à leurs pieds comme un paysage apocalyptique, ils ébauchèrent le plan de leur vie future 18 ». Dans le quatrième cahier, Alba culpabilise d’être heureuse : « La certitude monstrueuse qu’ils étaient heureux sur une montagne de cadavres l’angoissait 19 ». Seule la découverte du cadavre d’un homme tenant encore l’arme avec laquelle il s’était suicidé après avoir réuni ses deux enfants morts pendant le cataclysme les rassure sur leur humanité. Bien que s’étant endurcis 20, ils ne peuvent alors s’empêcher de penser à la mère absente : « C'était un détail, un détail simple et insignifiant perdu dans une destruction à l’échelle planétaire, mais il les préoccupa pendant des jours. La preuve, dit finalement Alba, que nous sommes encore humains 21 ». Le simple fait d’imaginer les dernières heures du père auprès de ses enfants suscite l’empathie d’Alba et Dídac, « impressionnés par une scène passée, à laquelle ils n’avaient jamais assisté mais qu’ils vivaient par l’imagination 22 ».

Les images produites par les pensées assumées ou refoulées par les personnages s’ajoutent donc à leurs expériences de la violence et qu’elles soient simplement suggérées ou amplement détaillées, elles nourriront dans tous les cas l’imaginaire du lecteur. Lorsqu’Alba rêve qu’elle est poursuivie par des morts-vivants, la description de ce qui n’est finalement qu’un cauchemar fournit toutefois des images très violentes dignes d’un film d’horreur au lecteur. De même que lorsqu’Alba abandonne le projet de déterrer l’extra-terrestre pour le filmer, la seule évocation du projet aura suffi au lecteur pour visualiser la scène. Ce recours à une écriture parfois plus suggestive que démonstrative participe aussi de l’éveil à la sexualité. Lorsque Dídac et Alba découvrent des livres érotiques aux « illustrations incroyables 23 » ou qu’ils lisent le cahier dans lequel une femme avait confié ses besoins sexuels, « avec une obscénité méconnue d’Alba 24 », le lecteur est invité à compenser l’absence de détails par ses propres fantasmes. Le roman poursuit ici sa mission initiatique en convoquant une autre peur, celle liée au corps et à ses transformations.

Comme nous avons pu le souligner, l’apocalypse donne à voir des corps en mutation, qu’il s’agisse de cadavres en décomposition ou de survivants devenus monstrueux. Cette mère devenue folle est effrayante par son regard perdu, ses mains sarmenteuses et ses deux seins vides, pendants, répugnants. Le corps souffrant produit des images violentes. Lorsque Alba chute du haut d’un talus et se casse le tibia, son corps semble habité par une créature vivante non identifié : « elle se rendit compte que sous sa peau il y avait une protubérance, comme si de l’intérieur, quelque chose poussait une partie dure qui insistait pour sortir 25 ». Quand la rougeole s’empare du corps de Dídac dans le deuxième cahier, la maladie entraîne encore une métamorphose du corps qui se recouvre de pustules et vomit toute nourriture. Sa guérison célébrée par un baiser passionné d’Alba symbolise le passage d’une relation amicale, voire maternelle à un autre type de relation.

Comme le souligne Annie Rolland, à l’adolescence le corps réel impose sa loi avec une violence cataclysmique, le sexuel envahissant le corporel 26. Gutton confirme que « ce corps qui se vit tout seul est perçu comme violent 27 ». Ce sont les cycles menstruels d’Alba qui rythment le récit, bien plus que les saisons, l’éveil des sens dévoilant peu à peu la part animale de ces deux mammifères survivants. Tels des nouveaux nés, c’est avec un corps nu et ensanglanté que Dídac et Alba font leur entrée dans ce monde post-apocalyptique. Très régulièrement Pedrolo met l’accent sur la nudité de ces nouveaux Adam et Eve seuls habitants de cet enfer originel et ce dès le premier chapitre où nous les voyons se laver à une fontaine. Leur premier besoin exprimé étant de garder une hygiène corporelle, ils s’installent une douche et Alba se procure ce qu’il faut pour ses règles. Au fil des pages, nous observons comment le regard qu’ils posent l’un sur l'autre évolue. Alors que Dídac n’a que neuf ans, il s’étonne avec une candeur enfantine que les hommes et les femmes soient différents et déjà Alba observe chez lui une forme de gêne : « Alba lui sourit en réalisant que ses propres mots le troublaient 28. » Puis nous voyons leurs corps se rapprocher peu à peu, la peur de la nuit justifiant tout particulièrement ce rapprochement. Après la guérison d’Alba, Didac trouve que la poitrine de Alba a changé : « Dis donc, tu as les seins plus gros toi 29 ? » Le roman montre surtout la métamorphose d’Alba dont Dídac, et partant le lecteur, est spectateur. Le troisième cahier consacre plusieurs lignes aux seins d’Alba 30 qui se baigne nue et Dídac lui caresse les fesses et les cuisses. Quelques lignes plus loin, le désir de Dídac pour Alba s’exprime clairement :

 

Seulement maintenant ce n’était plus du tout pareil ; l’enfant d’il y a quelques années devenait un adulte qui avait pleinement conscience de dormir avec une femme, et souvent, il la touchait avec une ardeur latente, trop émerveillé par la chaleur de sa peau et par la douceur de son corps de femme, pour que la caresse soit encore ingénue, innocente 31.

 

Dans le quatrième cahier, l’acte sexuel est consommé et décrit sans détour : « Elle lui saisit la main et la serra fort tandis que ses yeux s’embuaient de larmes. Elle se dressa alors vers lui pour qu’il la pénètre 32 ». Ils découvriront ensuite des livres érotiques, livres interdits du passé qu’ils parcourront ensemble et qu’ils sauveront pour le futur.

La grossesse induit une autre métamorphose du corps d’Alba dont Pedrolo souligne là encore la violence. Alba a désormais perdu son corps de vierge. Lors de cette nouvelle expérience, Alba voit sa poitrine se transformer très vite et est soumise à des humeurs extrêmement variables : « Puis certains des jours, en revanche, elle se réveillait alanguie et tendre, dévorée par une sensualité envahissante, comme si elle n’était plus qu’une zone érogène sans solution de continuité, vibrant d’une fièvre soutenue et voluptueuse 33 ». La métamorphose atteint son acmé lors de l’accouchement :

 

il vit combien la vulve se dilatait comme si elle était en caoutchouc et s’ouvrait en formant un arc sauvage pour laisser passer la tête d’une créature qui glissait facilement entre les parois qui l’expulsaient. Il tendit les mains, vite, tandis qu’elle recommençait à gémir, et il l’attrapa avant qu’elle ait eu le temps de toucher le sol. C’était une chose gélatineuse et répugnante, accrochée par le cordon ombilical au placenta invisible, retenu à l'intérieur. Alba gémit encore, ses jambes tremblaient, et le garçon, sans laisser le petit, de son autre main ouverte, il appuya sur les côtés du pubis ; la masse sombre, comme sanguinolente, se détacha en faisant plof et la jeune fille, épuisée, tomba à genoux 34.

 

Alba met bas d’une chose gélatineuse et répugnante, d’un monstre finalement. Elle et Dídac espèrent alors avoir de nombreux enfants pour qu’ils puissent se reproduire entre eux et repeupler ainsi la terre. Après la mort de Dídac, elle envisage tout simplement d’avoir un enfant avec son propre fils. Pour l’héroïne, l’heure n’est plus au questionnement éthique mais à la survie de l’espèce. Cette perspective ne sera pas sans interroger le lecteur dont l’esprit a été très certainement chahuté au fil des pages. Le spectateur de l’adaptation de Bigas Luna et Porta aura-t-il connu la même expérience ?

 

Segundo origen, un film violent ?

Le réalisateur catalan Josep Joan Bigas Luna avait déjà adapté plusieurs œuvres littéraires : Tatuaje de Vázquez Montalbán en 1976, Las edades de Lulu de Almudena Grande en 1990, Voláverunt de Antonio Larreta en 1999 et Son de mar de Manuel Vicent en 2001. Il sut donner à ses films un style très personnel, mêlant un parfum très fort d’érotisme à sa passion pour la nourriture comme l’illustrent fort bien les titres de deux de ses films les plus célèbres, Jamón jamón et La teta y la luna. Il réalisa également la série de SF jeunesse KIU, clairement inspirée d’E.T., pour la chaîne catalane TVE dans les années 1980. Carles Porta i Gaset, fut journaliste avant d’être producteur, réalisateur et écrivain. Reporter de guerre pour la télévision catalane, il se rendit également populaire pour son travail d’investigation sur une affaire criminelle dont il fit un roman, Tor: trece casas y tres muertos (2005). En 2015 il reçut le prix Godó pour son enquête sur une affaire de pédophilie et de pornographie enfantine survenue près de Lérida dont il publia les données en 2016 sous le titre Le llamaban padre. Cuando el horror se disfraza de amor y familia. Carles Porta affirme donc sa sensibilité aux horreurs de ce monde dans toute son œuvre, y compris dans l’adaptation qu'il choisit de faire du roman de Pedrolo dans lequel la destruction de l’humanité est au cœur de l’intrigue.

Le jeune public espagnol du XXIe siècle est largement familiarisé avec les récits post-apocalyptiques, qu’ils soient littéraires ou cinématographiques. On comprend donc l’intérêt de Porta et Bigas Luna de porter à l’écran ce classique de la SF espagnole. Ils savaient le jeune public réceptif à ce type de productions et ont su voir dans cette adaptation une opportunité d’explorer et d’exploiter certaines angoisses propres à notre époque, en particulier l’éco-anxiété. Selon le classement de l’ICAA (Instituto de la Cinematografía y de las Artes Audiovisuales), le film est recommandé aux plus de 12 ans. Par conséquent, il pourra inclure des scènes de violence visuelle ou verbale -à condition que celles-ci soient décrites de façon neutre et non comme modèles, ainsi que des scènes ou dialogues à caractère sexuel ou érotique en s’adaptant à la maturité propre à la tranche d'âge et si les conduites sont librement exercées par les protagonistes, qu’elles ne supposent ni violence, ni abus ni discrimination et si elles ne peuvent être qualifiées de pornographiques. Il ne pourra pas inclure de scènes visuellement détaillées de cruauté 35. On ne peut donc s’attendre à retrouver toute la violence en présence dans le roman.

Dès les premières minutes, des nouvelles angoissantes diffusées à la radio, des bruits d’orage, quelques images de paysages inondés, des cadavres d’abeilles contribuent à créer une ambiance anxiogène, augurant d’une catastrophe dont on ne verra rien. Suggérée par une lumière rouge que l’on entrevoit au-dessus de l’eau pendant que nous assistons à la noyade de Dídac, elle ne sera pas davantage identifiée ni questionnée. Les deux formes de violence dont semblait souffrir le monde d’avant, le racisme et le dérèglement climatique, sont très brièvement évoquées. Le monde d’après nous est montré par une série répétée de plans panoramiques de Barcelone et de Lérida où se situe l’action, des images de villes détruites qui auront pu troubler les spectateurs catalans et laisser tous les autres indifférents tant elles sont convenues. Comme l’explique Glucksmann, les scènes de violence se neutralisent réciproquement par leur multiplicité et l’expérience accumulée par les jeunes spectateurs leur permet de saisir la violence dans son caractère stéréotypé 36. Or le décor post-apocalyptique tel que montré dans le film est stéréotypé, la confrontation avec la mort perd donc toute sa dimension initiatique. De plus, alors que le roman confronte Alba et Dídac à la tragédie existentielle, le film concentre le deuil sur la perte des parents. Le père d’Alba occupe une place importante dans le film alors qu’il est presque totalement absent du livre. Nous voyons dès le début du film qu’Alba est très proche de son père, un Anglais, avec qui elle vit en Espagne depuis leur départ d’Angleterre provoqué par le décès de sa mère qui, elle, était espagnole. Ce qui motive la quête d’Alba, c’est autant l’instinct de survie que la quête du père. C’est grâce à son matériel qu’ils retrouvent dans la grotte où il travaillait qu’ils survivent, puis c’est ensuite dans sa bulle de verre qu’ils s’installent. Alba aime à consulter régulièrement le cahier de son père dont elle dit qu’il est devenu leur guide de survie. Sur son portable, elle regarde en pleurant la photo de son père qu’elle tente régulièrement de joindre, en vain. Quant à la mort de la mère de Dídac, écrasée sous les décombres de sa boutique, elle est également beaucoup plus largement prise en compte dans le film qui choisit de traiter le sujet en trois temps. Dans un premier temps, nous voyons la mère dans sa boutique avant la catastrophe. Quelques minutes plus tard nous n’en voyons plus que la main au milieu des décombres. Enfin, après l’apparition du titre du film sur l’écran, c’est-à-dire à la dixième minute, Dídac semble avoir intégré la mort de sa mère puisqu’il dit à Alba : « Alba, mamá está muerta ». De même, lors des dernières minutes, Alba montre à son fils des images filmées de son père enfant puis adulte, ce flashback accompagné d’une musique tire-larmes donne à la séquence une dimension dramatique. Dans le roman, comme dans la plupart des romans dystopiques écrits pour la jeunesse, la perte des parents est une nécessité diégétique. Dans le film, elle a pour fonction de créer de l’émotion.

Par ailleurs, dans le film, la mort physique n’est montrée qu’à cinq reprises et par des images qui ne peuvent choquer un public qui a déjà capitalisé depuis sa tendre enfance une quantité inimaginable d’images de morts à la télévision, au cinéma ou sur internet. Lorsque Dídac et Alba parcourent les rues de Lleida, ils découvrent quatre corps brûlés que l’on aperçoit très rapidement en second plan. Après la catastrophe, toujours en plan panoramique, on voit tout aussi rapidement quelques animaux morts flotter dans la rivière. La scène la plus violente est sans aucun doute la découverte de cette femme pendue et décharnée dans une rue de Barcelone que l’on voit, là encore en second plan puisque les deux personnages de dos s’interposent entre elle et le spectateur. Cette image sinistre ajoute à la tension déjà très forte de la séquence qui précède et au cours de laquelle Alba et Dídac croient trouver un enfant mort dans un berceau alors qu’un plan rapproché révèle qu’il ne s’agit que d’une poupée, jouant ici avec les codes du cinéma d’horreur. On joue avec la peur du spectateur, lui procurant donc des émotions qu’il souhaite ressentir en regardant ce type de film. Les réalisateurs sont même allés jusqu’à créer de toutes pièces un personnage qui tiendra le spectateur en haleine pendant un tiers du film. Éliminant la confrontation entre les deux héros et les hommes nus de la plage italienne, Porta et Bigas Luna créent le personnage joué par Sergi López, acteur connu pour ses rôles de personnages intrigants voire méchants. Lorsqu’il s’immisce dans la vie du couple, nous sentons que l’équilibre nécessaire à la reconstruction de l’humanité peut être brisé mais ce qui perturbe, c’est moins ce que ce danger symbolise que l’intensité du suspense que les réalisateurs vont travailler avec soin. Chaleureux dans un premier temps, l’homme va devenir ensuite plus intrusif et même voyeur puisque Dídac le surprend en train de regarder Alba donner le sein à son bébé. Il dit pourtant vouloir les aider, les protéger mais sur son bateau, il affirme clairement et violemment son désir d’évincer l'homme qui le concurrence, Dídac. S’ensuit une chasse à l’homme qui impliquera dans un premier temps des recherches pour localiser le méchant puis toute une stratégie pour tenter de l’éliminer. L’élimination finale sera précédée d’une scène d’échanges très violents entre Dídac et cet homme, scène au cours de laquelle les quatre personnages sont en danger. Après avoir été torturé par l’homme, Dídac parvient à le tuer mais meurt lui aussi finalement de ses blessures. Après avoir échappé à l’homme au cours d’une course poursuite sur l'île, Alba parvient à sauver son bébé mais se retrouve seule avec les deux cadavres. Cette séquence, presque filmée en temps réel, aura peut-être créé quelques tensions chez le spectateur. Encore que cette mise en tension finale était là encore assez prévisible.

Si la confrontation avec la mort préserve donc le spectateur en lui montrant ce qu’il connaît déjà, il en va de même avec la sexualité qui est traitée avec beaucoup de pudeur et de façon très conventionnelle. Dans le film, la métamorphose du corps d’Alba n’est visible que lorsqu’elle est enceinte et une ellipse gomme les différents stades de la croissance de Dídac. La violence d’un corps qui se vit seul, pour reprendre l’expression de Gutton, n’est nullement appréhendée dans le film. Déjà la différence d’âge entre les deux héros lorsque la relation entre eux devient amoureuse est modifiée, le personnage de Dídac n’est alors plus joué par le petit Andrès Batista mais par Ibrahim Mané, un jeune homme âgé d’une vingtaine d’années. Aucune indication précise n’est donnée concernant l’âge des personnages mais lorsqu’Alba devient maman et que le personnage joué par Sergi López intervient dans leur vie, il précise que sept années se sont écoulées depuis la catastrophe. Si dans le roman Dídac a douze ans quand il fait l’amour avec Alba, dans le film il a donc au minimum 17 ans, ce qui ne choquera aucun spectateur. Ce dernier le sera d’autant moins que la violence de la pulsion sexuelle est évidemment très peu montrée dans le film. L’attirance croissante de Dídac enfant pour Alba est à peine évoquée lors d’une scène au cours de laquelle il pointe son doigt vers la poitrine d’Alba qui, très vite, lui impose un interdit. Au bout de trente minutes, les réalisateurs ont fait de Dídac un homme, ce qui ne manque pas de troubler Alba qui nous confie : « se ha convertido en un hombre, a veces no sé cómo mirarlo, me da vergüenza confesarlo 37 ». Lui aussi est troublé et très vite un baiser sur la bouche scelle leur amour, amour qu’ils consommeront quinze minutes plus tard dans le stade du Camp Nou. La caméra n’a d’autre ambition que d’esthétiser l’acte sexuel central par une suite d’images fragmentées des corps, la musique couvre les sons, un zoom arrière final au-dessus du stade avec, au centre, une flamme montre deux minuscules corps nus.

De même, le film retire toute forme de bestialité à l’accouchement, Alba est allongée, sur un matelas, entourée de coussins, l’animalité a donc été effacée. On voit son visage crispé, on entend un cri très vite remplacé par la musique ; Dídac l’assiste mais on ne voit pas ce qu’il voit et, bien entendu, le nouveau-né est magnifique. Quant à l’image du sein d’Alba dont s’écoule un filet de lait que ne manque pas de goûter Dídac, peut-être la scène la plus sensuelle de tout le film, elle est moins un hommage à l’œuvre de Pedrolo qu’à celle de Bigas Luna et tout particulièrement à son film La luna y la teta. Nous sommes toutefois bien loin de l’univers érotique de Bigas Luna, et tout aussi loin de celui du livre de Pedrolo. Et la fin du monde (et du film) ne pose pas non plus la question éthique de la survie grâce à l’inceste adelphique. Encore une aspérité limée.

 

Conclusion

Si le roman a pu choquer ou exciter le jeune lecteur espagnol des années 1980 et plus encore le jeune catalan des années 1970, il est donc peu probable que le film ait perturbé le jeune spectateur du XXIe siècle et participé à son éveil sexuel. Pour Bigas Luna et Porta, le genre post-apocalytique, traité sans originalité, sert surtout de prétexte à une banale histoire d’amour alors que dans le roman, le chaos apocalyptique renvoie au chaos pulsionnel et au travail de deuil propres à l’adolescence. Contemporain du célèbre slogan adopté par le journal français Paris Match en 1978, « Le poids de mots, le choc des photos », le roman de Pedrolo puise la force de sa violence dans le poids de ses mots et dans le choc que produisent ses images. Deux facteurs justifient le contraste entre le roman et le film : le changement d’époque et le passage d’un objet sémiotique à un autre. Il serait donc intéressant de poursuivre cette brève réflexion en analysant la violence en présence dans l’adaptation en série produite par la télévision catalane au milieu des années 1980. Sur son blog, Ricard Reguant, le réalisateur, raconte notamment les difficultés qu’il rencontra pour transformer les mots de Pedrolo en images de télévision 38. Il conviendrait également d’analyser les choix opérés en 1984 par Isidre Monès Pons au moment d’adapter le roman en bande dessinée. Le dessin autorise-t-il la mise en images d’une violence impensable à l’écran ? Autre piste qu’il serait également pertinent d’explorer, l’analyse des traductions du roman d’origine. La simple lecture de quelques passages de la traduction en français de 1993, dont les illustrations mériteraient elles aussi analyse, suffit à mesurer le poids de la censure (éditoriale ou auto-censure du traducteur ?) sur les choix opérés par le traducteur. Le rapport sexuel entre Dídac et Alba a, par exemple, perdu de son animalité dans la version française : alors que la version castillane précise qu’Alba se dresse vers Dídac pour qu’il la pénètre 39, la traduction française dit simplement qu’elle se soulève vers lui pour l’accueillir en elle 40. Quant à l’homme qui se masturbe en voyant Alba sur la plage italienne, il a tout simplement disparu de la version française. Annie Rolland fustigerait très certainement cette censure qui vise la violence, c’est-à-dire « ce qui dans la littérature montre et met en scène les principes fondamentaux de la nature humaine 41 ». Et il est indéniable qu’elle condamnerait tout autant l’adaptation cinématographique du roman de Pedrolo car même si le grand écran ne peut tout autoriser, Bigas Luna et Porta auraient certainement pu mieux faire.

 

  1. https://xtec.gencat.cat/web/.content/alfresco/d/d/workspace/SpacesStore/0008/2b41f618-fb73-4241-b8cd-3ec61ee8f00d/pedrolo2013.pdf
  2. http://www.anayainfantilyjuvenil.com/libro.php?codigo_comercial=1579010
  3. Manuel de Pedrolo, Mecanoscrito del segundo origen, Madrid: Anaya, 2013.
  4. Rosa Gómez Pato, « Historia de la traducción de la literatura infantil y juvenil en España : Nuevas aproximaciones críticas », AILIJ (Anuario de Investigación en Literatura Infantil y Juvenil), n° 8, 2010, p. 45-68, p. 60.
  5. Rafael Ramírez Beltrán, « Representaciones y categorías de la violencia en el cine: un recorrido histórico contextual », Sintaxis, n°2, 2019., URL : https://doaj.org/article/e5bfc86fcdba41b0851fb8c34c944454
  6. Fabienne Caland, « Dystopie et post-humain », Otrante, n°24, 2008, Nathalie Dufayet (dir.), Mondes imaginaires, 2008, p. 91-102.
  7. « Donner à lire pour imaginer, c’est montrer par l’écriture, c’est faire voir ce qui serait même interdit à la vue. », Gérard Leblanc, « Ce qu’imaginer veut dire », Entrelacs. Cinéma et audiovisuels, n° 10, 2013, « Le toucher », Amanda Robles et Julie Savelli (dir.), URL : http://journals.openedition.org/entrelacs/489
  8. « En plus des dangers imminents que sont la faim et la soif, la barbarie de certains de leurs semblables ou la monstruosité des zombies et des machines, les groupes de survivants doivent se protéger d’un environnement toxique. », Nadine Boudou, « Le cinéma post-apocalyptique ou les imaginaires du désastre », p. 107-119, in Christos Nikou (dir.), Imaginaires Post-apocalytpiques. Comment penser l’après, Grenoble, UGA éd., 2021, p. 107-119, URL : https://books-openedition-org.proxy.scd.univ-tours.fr/ugaeditions/25298
  9. « Solo quedaba ya la materia no putrescible, los huesos, los tendones y los cartílagos que se irían conviritiendo en polvo en un proceso largo, de años o de siglos. », Ibid., p. 82.
  10. « [...] muchos esqueletos harapientos se sentaban solemnemente en las sillas dispuestas en hileras [...] », p.89.
  11. « Pies y piernas descarnados se escapaban de las montañas de cascotes », Ibid., p. 82.
  12. « En el patio de una escuela, que tenía las paredes enteras, quizá porque eran de alambre rejado, la concentración de esqueletos menudos indicaba que fueron sorprendidos por la muerte a la hora del patio. », Ibid., p.85.
  13. Nadie Boudou, « Le cinéma post-apocalyptique ou les imaginaires du désastre », Ibid.
  14. Jouve Vincent, Pouvoirs de la fiction, Paris, Armand Colin, 2019, p.36.
  15. « Era un enemigo y su raza había demostrado suficientemente que era implacable. », Ibid., p. 75.
  16. « [...] había matado para salvar a su macho. », Ibid., p. 133.
  17. « [...] larga panorámica seguida de otras paronámicas más cortas que precedían a las visiones parciales de esqueletos, ahora anónimos, de establecimientos reventados. », Ibid., p. 120.
  18. « Y aquel mismo día, sentados de cara a la ciudad muerta que se extendía a sus pies como un paisaje apocalíptico, esbozaron el plan de su vida futura. », Ibid., p. 90.
  19. « Le angustiaba la certeza monstruosa de que eran felices sobre una montaña de cadavers. », Ibid., p. 136.
  20. « [...] aquel endurecimiento inevitable [...]. », Ibid., p. 110.
  21. « Era un detalle, un simple e insignificante detalle perdido en una destrucción a nivel del planeta, pero les preocupó durante días. Señal, dijo al final Alba, de que todavía somos humanos. », Ibid., p. 111.
  22. « [...] impresionados por una escena pretérita, que nunca presenciaron pero que vivían con la imaginación. », Ibid., p.110.
  23. « [...] con ilustraciones increíbles [...] », Ibid., p. 139.
  24. « Evocaba a menudo a un prometido o amante y se refería, con una crudeza desacostumbrada para Alba, a sus necesidades sexuales; debía de haber sido una mujer de mucho temperamento. », Ibid., p. 101. Trad. : Elle évoquait souvent un fiancé ou un amant et mentionnait, avec une obscénité méconnue d’Alba, ses besoins sexuels; elle devait avoir été une femme de fort tempérament.
  25. « [...] se dio cuenta de que bajo la piel había una protuberancia, como si desde dentro, algo empujara una parte dura que pugnaba por salir. », Ibid., p.37.
  26. Annie Rolland, Qui a peur de la littérature ado ?, Paris, Éd. Thierry Magnier, 2008, p. 57.
  27. « Bref, ce corps qui vit tout seul est perçu comme violent. », Philippe Gutton, Violence et adolescence, Paris, Ed. In press, 2002, p. 62.
  28. « Alba le sonrió al darse cuenta de que sus propias palabras lo turbaban », Manuel de Pedrolo, Mecanoscrito del segundo origen, op. cit., p. 29.
  29. « Tú tienes los pechos más grandes, ¿ eh ? », Ibid., p. 41.
  30. « Los dos llevaban shorts y, la chica, una camisa de manga corta desabrochada sobre los pechos, dorados por el verano. », Ibid., p. 80.
  31. « Solo que ahora no era era del todo lo mismo; el niño de años atrás se iba convirtiendo en un adulto que ya tenía plena conciencia de dormir con una mujer, y a menudo, le tocaba con una codicia latente, demasiado maravillado por la calidez de su piel y por la dulzura del cuerpo femenino, como para que la caricia no fuera, todavía, ingenua, inocente. », Ibid., p. 114
  32. « Ella le agarró una mano y se la estrechó fuerte mientras los ojos se le empañaban. Y entonces se alzó hacia él para que la penetrara. », Ibid., p. 129.
  33. « Y había otros días, en cambio, que se despertaba lánguida y tierna, devorada por una sensualidad absorbente, como si toda ella fuera una zona erógena sin soluciones de continuidad que vibraba con una fiebre sostenida y voluptuosa. », Ibid., p. 158-159.
  34. « [...] vio como la válvula se dilataba como si fuera de goma y se abría en un arco salvaje para dar paso a la cabeza de una criatura que resbalaba fácilmente entre las paredes que la expulsaban. Alargó las manos, deprisa, mientras ella volvía a gemir, y la recogió antes de que tuviera tiempo de tocar el suelo. Era una cosa gelatinosa y repugnante, enganchada por el cordón umbilical a la placenta invisible, retenida en el interior. Alba gimió aún, con las piernas que le temblaban, y el chico, sin dejar a la criatura, con la otra mano, abierta, presionó a ambos lados del pubis; la masa oscura, como sanguinolenta, se desprendió con un plof y la chica, exhausta, cayó sobre las rodillas. », Ibid, p. 166.
  35. https://www.ccma.cat/tv3/alacarta/mecanoscrit-del-segon-origen/mecanoscrit-del-segon-origen-capitol-1/video/5620943/
  36. André Glucksmann, « Les effets des scènes de violence au cinéma et à la télévision », Communications, n° 7, 1966, Radio-Télévision : réflexions et recherches, p. 74-119, p.1-12.
  37. Trad. : il est devenu un homme, parfois je ne sais pas comment le regarder, j’ai honte de l’avouer.
  38. Ricard Reguant, « 1984 : Mecanoscrit del segun origen », Ricard reguant blog, 29/03/2010, http://ricardreguant.blogspot.com/2010/05/1984-mecanoscrit-del-segon-origen.html
  39. « Y entonces ce alzó hacia él para que la penetrara. », Manuel de Pedrolo, Mecanoscrito del segundo origen, op. cit., p. 129.
  40. Manuel de Pedrolo, Le deuxième matin du monde, Marie-José Lamorlette (trad.), Paris, Hachette, 1993, p. 208.
  41. Annie Rolland, Qui a peur de la littérature ado ?, op. cit., p. 37.