Vertiges adolescents : la violence comme mode d'existence dans <em>Amok</em> de Tullio Forgiarini et ses adaptations

Vertiges adolescents : la violence comme mode d'existence dans Amok de Tullio Forgiarini et ses adaptations

Par THILTGES Sébastian, RAUS Tonia

« De me faire enculer. Dans les douches. Quoi d’autre 2 ? » L’incipit du roman Amok (2011) de Tullio Forgiarini 3 est célèbre au sein du champ littéraire luxembourgeois, tant cette réplique, saisie au vol, a pu surprendre voire choquer le public. Ces mots liminaires sont ceux du protagoniste adolescent du roman en réponse à la question « De quoi as-tu peur ? », posée par une éducatrice scolaire avant un conseil de classe qui menace le collégien d’un renvoi en centre socio-éducatif. Si la question est inconnue aux lecteur·rice·s, car prédiégétique, elle fait écho à une des deux épigraphes : « “Au commencement était la peur”, dis-je 4 ». Le Verbe y cède déjà à la peur. L’épigraphe et l’incipit du texte donnent ainsi le ton d’une œuvre littéraire dont la violence, tant celle physique et morale portée par l’intrigue, que celle verbale et narrative qui prend forme dans la langue, a pu constituer un frein à sa diffusion, notamment dans le contexte scolaire.

Or, porté par son sujet, la virée à la fois libératrice et destructrice de deux adolescent·e·s qui ont coupé tous les ponts avec le monde des adultes et leurs institutions, ainsi que par une langue qui ne se contente pas d’imiter un « parler jeune », mais dont l’accès au monde qu’elle permet – ou enfreint – est au centre du questionnement romanesque, le livre est progressivement devenu une référence phare du roman pour adolescent·e·s au sein de la littérature luxembourgeoise. La réception à double détente y a largement contribué : réception critique, d’une part, qui a souligné l’aspect « jeunesse » du texte, mais également les adaptations du roman, dont une traduction allemande et une adaptation cinématographique ont opéré une remédiation du livre en l’adressant directement à un public jeune (pour la première) ou en l’inscrivant plus largement dans une culture jeune (pour la seconde).

Comme le suggère le présent numéro collectif, la violence et la jeunesse, la violence et l’adolescence ont toujours eu partie liée. Pour la philosophe Michela Marzano, cette question interroge la nature humaine, mais elle se pose d’autant plus à l’adolescence, « moment très délicat de la vie 5 », car les bouleversements psychiques, physiques et sociologiques qui marquent le passage à l’âge adulte sont souvent vécus avec « violence 6 ». Une violence ambivalente donc, qui est intériorisée quand elle est ressentie jusque dans les transformations du propre corps, et extériorisée quand les « digues psychiques 7 » ne sont pas encore suffisamment consolidées – par l’éducation, notamment – pour contenir cette rage de vivre où s’entremêlent pulsions de vie et de mort.

Pour l’auteur d’Amok, la question de la violence se pose en des termes similaires : inhérente à l’humain, la violence ne saurait être dissimulée aux jeunes dans une intention, plus lâche qu’éducative, de les en préserver 8. L’enjeu de la maîtrise de la violence chez les jeunes, et que les adultes se doivent d’accompagner, est la découverte de la nécessaire et continuelle négociation, avec l’(es) autre(s), pour aménager un espace de liberté individuelle conditionné par les règles du vivre-ensemble 9. Formulé ainsi, l’apprentissage du devenir-adulte semble être uniquement une affaire de raison : il suffirait de faire « entendre raison » à ces jeunes qui se rebellent contre l’ordre social et ses formes d’autorité plus ou moins légitimes. Ces tentatives se heurtent souvent à d’autres formes de violences, aujourd’hui symboliques pour la plupart, par exemple à l’école, mais également, trop souvent encore, à des violences physiques et psychiques, en particulier dans le cadre familial. La reproduction de cette violence nourrit le cercle vicieux qui piège nombre d’adolescent·e·s durant cette plus ou moins longue et rude période de crise d’identité qui mène au soi. Or, si la quête d’identité est un thème universel de la littérature, c’est notamment par l’essor des multiples voies génériques du roman d’initiation que la littérature jeunesse a su s’approprier ces codes qui de fait, selon Daniel Delbrassine, associent souvent la formation des protagonistes littéraires à celle des lecteur·rice·s dans l’exacerbation des processus d’identification en jeu 10. Dès lors, comment articuler les liens très divers entre violence et adolescence au sein d’œuvres destinées aux jeunes, sans risquer de tomber ni dans la banalisation ni la légitimation de la violence, et encore moins dans son apologie ? La présente contribution émet l’hypothèse que, dans le cas d’Amok, une comparaison de la représentation de la violence dans l’œuvre originale ainsi que dans ses adaptations peut témoigner de cette négociation.

 

1. Présentation d’Amok, un roman jeunesse ?

Le roman, de 120 pages environ, écrit en luxembourgeois, combine des caractéristiques du roman scolaire (au sens d’un roman qui se déroule à l’école et qui thématise le contexte éducatif), du roman d’initiation et du road novel, et comporte également plusieurs éléments surréels ou fantastiques, l’auteur qualifiant cet aspect de son texte de « féerie noire 11 ». Le protagoniste, qui ne porte pas de nom – en référence au script de l’adaptation cinématographique, où le personnage est désigné par un « X 12 », nous le nommerons ainsi –, est un collégien placé dans une classe pour élèves à comportements difficiles (appelées notamment « classes mosaïque 13 » au Luxembourg) après avoir tabassé, d’une batte de baseball, un camarade de classe. Il y rencontre Shirley Fortunato, une collégienne de 13 ans dont il tombe amoureux. Les deux adolescent·e·s font une première fois l’école buissonnière pour une virée à Luxembourg ville, qui se termine, pour le protagoniste, à l’hôpital suite à un coma lié à une consommation excessive d’alcool et de drogues. À son réveil, X retourne au collège, menace le prof de mathématiques avec un couteau de cuisine, et emmène Shirley en lui promettant un voyage au parc d’attraction Phantasialand près de Cologne. Les deux s’y rendent en volant la voiture de l’éducatrice, après avoir, peut-être mortellement, agressé cette dernière.

Sur le plan narratif et énonciatif, le roman se caractérise par une alternance entre les première et deuxième personnes du singulier : il s’agit du protagoniste X qui dialogue avec un alter-ego imaginaire qu’il nomme « Johnny Chicago », en référence au pseudonyme du personnage de gangster Jacques Guddebuer, interprété par Thierry van Werveke dans Troublemaker d’Andy Bausch (1988), film culte de la jeunesse luxembourgeoise des années 1990. Les deux voix narratives échangent constamment leur position homodiégétique : tantôt X s’adresse à son alter-ego, tantôt Johnny Chicago s’empare du « je », auquel cas le récit suit la deuxième personne du singulier, comme dans l’incipit :

 

– De me faire enculer. Dans les douches. Quoi d’autre ?

Ça, tu ne l’as pas dit. Tu l’as pensé. Car moi, je l’ai pensé. Et moi, je l’aurais dit. Toi pas. Pas parce que tu n’osais pas. Tu n’as pas hésité à dire Sale branleur ! à M. Krämer ou à hurler à Mme de Matos d’aller niquer sa mère. Non, tu aurais pu sans problème dire à Mme Steiner De me faire enculer. Dans les douches. Quoi d’autre ? Surtout parce que Mme Steiner est éducatrice. Et qu’elle ne se met jamais en colère. Presque jamais 14.

 

Aucune information paratextuelle, provenant ni de l’auteur ni de l’éditeur, ne précise les lecteur·rice·s ciblée·e·s par le roman. En effet, Amok « n’est pas un roman jeunesse, du moins dans sa conception », nous dit T. Forgiarini, précisant ne pas écrire pour un public défini, avant de continuer : « Bien sûr que le roman s’adresse aussi (surtout ?) à un public jeune, entre 12 et 112 ans, je dirais. Comme toute fiction, il s’adresse à celui ou celle capable d’appréhender ce qui s’y passe, les autres passeront de toute façon à côté 15. » L’auteur ne semble pas entendre le qualificatif « jeunesse » comme désignant une tranche d’âge plus ou moins précise, mais plutôt comme une disposition attentive et réceptive des lecteur·rice·s à se sentir concerné·e·s par les sujets abordés et par la manière de les présenter. De même, évoquant la réception du roman, il reste fidèle à cette définition : selon lui, le roman a été perçu en tant que roman jeunesse « dans le sens moraliste du terme. Un roman qui montre ce qui se passe quand… […] Ou alors en tant que livre pamphlet adressé au monde adulte, genre regardez ce qui arrive, si…, le réduisant à son aspect dénonciateur 16. »

Le texte présente néanmoins de nombreux éléments caractéristiques du roman jeunesse ou pour adolescent·e·s – pour peu que l’on considère qu’une intrigue violente, un langage cru et une énonciation complexe puissent caractériser cette littérature –, à commencer par son contenu : tandis que le cadre spatial est en grande partie l’école, les personnages sont des adolescent·e·s en quête d’aventures comme de soi 17. Les lecteur·rice·s sont confronté·e·s à une réalité scolaire empreinte de violence, tant du côté des adolescent·e·s – dans les gestes, en l’occurrence d’une extrême et froide brutalité – que des adultes – dans les décisions prises. Le roman thématise l’échec des institutions scolaires et éducatives, mais aborde aussi les « thèmes tabous 18 » de prédilection de la jeunesse, comme la découverte de l’amour et de la sexualité, le conflit avec les personnes adultes, parents ou tuteurs, l’expérience de l’excès, liée notamment à l’alcool et à la drogue, ainsi que la violence et la mort, dont le suicide 19. La narration est exclusivement portée par les points de vue et la langue des jeunes protagonistes, alors que les adultes n’y ont ni droit de regard ni de réponse. Finalement, au niveau énonciatif, le roman se distingue par ce que Daniel Delbrassine identifie comme un trait récurrent des romans ados, à savoir la prédilection pour le discours aux dépens du récit, pour le « monde commenté » aux dépens du « monde raconté 20 » : la narration porte les marques de la subjectivité de la personne qui la vit et/ou raconte, comme « en direct 21 », renforçant le lien entre lecteur·rice et récit. Cela correspond à des « stratégies de séduction du lecteur 22 » caractéristiques du roman pour adolescent·e·s : une narration qui commente les événements crée une « tension » captivante et établit une « proximité » entre narration et narrataire. Dans le cas d’Amok, la situation énonciative de monde commenté est néanmoins complexifiée d’abord par l’éclatement de la voix narrative, interrogeant sa fiabilité 23, puis par une « précarité linguistique 24 » qui affecte les protagonistes qui, trop souvent, ne trouvent pas les mots adéquats pour établir un lien entre eux-mêmes et le monde qui les entoure, ce qui leur permettrait de créer du sens à partir des événements qu’ils vivent.

 

2. Les adaptations d’Amok : des traductions, un dossier didactique et un film

En s’accordant « à un contexte, un lectorat, un système sémiotique 25 », les adaptations d’un livre témoignent de sa réception : qui est-ce qui lit l’œuvre littéraire à adapter et quelles interprétations ces lecteur·rice·s/créateur·rice·s en ont-ils/elles donné ? Mais, en intégrant un ensemble d’objets sémiotiques fictionnels, les adaptations influencent également, par ricochet, la réception de l’œuvre primaire, opérant, dans le cas d’Amok, une remédiation de l’œuvre à destination d’un public jeune et scolaire. Nous nous intéresserons d’abord à la traduction allemande et au dossier didactique qui l’accompagne, puis à l’adaptation cinématographique du livre.

Primé du Prix de littérature de l’Union européenne (European Union Prize for Literature) en 2013, le roman compte plusieurs traductions : en italien (2019), en allemand et en serbe (2020), en espagnol (2021) et en grec (2022). La traduction allemande est réalisée par l’auteur luxembourgeois Luc Spada sur demande de l’éditeur Arena et accompagnée d’un dossier didactique, disponible en libre accès en ligne, qui en destine la lecture à un public « à partir de 14 ans 26 ». Contrairement à l’œuvre originale, la traduction cible donc d’emblée un public jeune et scolaire, comme en témoigne Nikoletta Enzmann, responsable éditoriale de la collection Jeunesse/Young Adult chez l’éditeur Arena :

 

Nous n’attendions pas vraiment un succès commercial en vente libre, car il s’agit d’un livre trop singulier. Or, nous avons fait le pari que cette lecture authentique, qui se démarque du canon habituel, puisse passionner les élèves et les enseignant·e·s. L’existence d’une version cinématographique sous-titrée a également nourri nos espoirs, car le lien intermédial nous paraissait très intéressant pour une utilisation scolaire 27.

 

En effet, l’accompagnement de la publication d’un dossier didactique adressé aux classes 5-10 du système scolaire allemand (équivalent aux classes de collège en France) ainsi que la quatrième de couverture qui recentre la thématique du livre autour de la question scolaire – « Un élève en échec scolaire obtient une voix : Il n’a aucune chance contre le système 28 ! » – corroborent l’appréciation éditoriale. Si la référence culturelle phare au film luxembourgeois Troublemaker est conservée, des noms propres et références ponctuelles au Luxembourg sont gommés, desserrant le cadre local du texte en vue d’un public plus large. L’éditeur allemand – et non le traducteur 29 – choisit aussi un nouveau titre : « Amok » signifie une folie meurtrière et le terme est habituellement employé pour désigner des fusillades, notamment en milieu scolaire. « À l’époque, témoigne T. Forgiarini, le sujet était sensible et d’actualité en Allemagne, et ils voulaient sans doute l’éviter 30 ». Le titre allemand Leben. Nehmen., littéralement « Prendre. Vie », joue sur la polysémie de l’expression qui signifie tant profiter de la vie qu’ôter la vie. Dans le roman et dans le film, cette double signification atteint son paroxysme lors de l’agression de l’éducatrice qui reproche à Shirley et à X : « Pour vous, tout est simple. Vous voulez quelque chose et vous le prenez 31… » « Pour vous, tout est toujours si simple. Vous voulez tout, tout de suite et sans effort. C’est bien cela ? » 32

Outre ces modifications plus ou moins importantes, la traduction allemande et son adaptation corollaire à un public scolaire pose surtout la question d’une « altération 33 » du texte original : le sujet et la langue du livre original ayant pu entraver sa diffusion en tant que lecture scolaire, la version allemande constitue-t-elle une version édulcorée et donc plus propice à une lecture en classe ? Si l’auteur 34 et l’éditeur allemand 35 reconnaissent cette altération, le traducteur souligne que ces interventions sont marginales et se limitent au niveau lexical :

 

J’avais lu Amok et je savais qu’il s’agissait d’un livre jeunesse. […] En effet, l’éditeur Arena m’a demandé si je pouvais enlever l’un ou l’autre mot « trop dur ». Cela a donné lieu à une petite discussion, car je voulais aller dans le sens de l’auteur et du livre. J’étais fermement opposé à l’idée d’en faire une traduction moins brutale. Par endroits j’ai quand même supprimé le mot « niquer » ou d’autres semblables. Mais seulement quand ces mots ne correspondaient de toute façon pas à ma traduction. Pas pour la rendre plus soft. Donc oui, j’ai parfois dû discuter pour que le livre demeure « cru » et « dur ». […] Et je suis d’avis que la lecture scolaire doit aussi « apprendre » que les « jeunes » sont de toute façon familiers avec tous ces « méchants mots ». Et qu’il faut discuter de la manière dont et de la raison pour laquelle ils sont utilisés. Dans la littérature tout comme dans la vraie vie. Par exemple, je n’étais vraiment pas d’accord que le roman commence sans la phrase : « De me faire enculer ». Ils ont trouvé ça trop dur. Mais le récit est ainsi. Si l’on n’en veut pas, il faut traduire une autre histoire 36.

 

Si les scènes sombres et violentes sont conservées et que la tonalité particulière de l’œuvre originale est généralement respectée, l’adaptation en traduction s’accompagne donc bel et bien d’une remédiation, plus au niveau paratextuel et éditorial que textuel. L’œuvre intègre ainsi pleinement la littérature jeunesse en tant que littérature « à l’intention de la jeunesse 37 », pour reprendre la typologie de Hans-Heino Ewers qui distingue des œuvres originairement conçues pour les jeunes (« originäre Kinder- und Jugendliteratur ») et celles lues par les jeunes (« faktische Kunder- und Jugendliteratur ») de celles qui sont adressées à un public jeune dans une étape suivant leur conception.

Au même titre que la traduction, l’adaptation cinématographique, réalisée en 2015 par Donato Rotunno et produite par Nicolas Steil, est d’une part moins violente que l’œuvre originale et a, d’autre part, influencé la réception du roman. T. Forgiarini, qui a collaboré à l’écriture du scénario, le confirme :

 

Le film a donné une deuxième visibilité au bouquin, la première étant évidemment le [Prix de littérature de l’Union européenne]. Il en va d’Amok comme de Harry Potter ou du Seigneur des Anneaux, toute proportion gardée… : la version que la majorité des gens connaissent et jugent, la version étalon en quelque sorte, c’est la version cinématographique. Et cette version, que je ne renie pas, est indiscutablement plus soft, plus « culture jeune » : les héros sont beaux, la cinématographie lumineuse, la fin est moins noire et moins cynique, le côté surréel est estompé, etc. 38

 

Ces propos sont corroborés par la « note d’intention du réalisateur » qui définit le souhait d’une adaptation plus optimiste comme étant au cœur du projet cinématographique, tant pour ce qui est des altérations de l’intrigue 39, que des modalités de représentations propres à chaque média, comme par exemple le fait de traduire l’éclatement de la voix narrative romanesque par le choix de faire figurer à l’écran X et Johnny Chicago par deux comédiens :

 

Difficile d’aimer ces personnages à la dérive, difficile de pardonner leurs actes mais impossible de ne pas vouloir leur tendre la main, de ne pas vouloir les protéger d’eux-mêmes. J’ai vu dans cet univers littéraire brut et violent, un espace pour l’imaginaire, une place pour un monde onirique, un monde de l’enfance et de l’espoir. C’est sous cet angle que j’ai proposé de passer du roman au scénario 40.

 

Le titre du film, Baby(a)lone, fait d’abord référence à la ville de Babylone, symbole de décadence, de la multiplication des langues et de l’impossible communication entre les peuples, adressant ainsi une critique acerbe au Luxembourg, pays qui se veut plurilingue et multiculturel. Il s’agit aussi d’un emprunt à la chanson « Baby Alone in Babylone » de Jane Birkin et d’une mise en exergue d’un épisode particulièrement dramatique de l’œuvre qui décrit l’abandon du protagoniste quand il était enfant 41. Si l’on observe, dans le film, d’autres variations par rapport au texte source, comme des changements de lieux ou l’ajout de l’activité de cyberprostitution à laquelle se livre la mère de X 42, notre analyse se concentrera sur les représentations littéraire et filmique de la violence dans les deux œuvres.

 

3. Formes de violence dans Amok et ses adaptations

La crainte de la banalisation de la violence, et ainsi d’une forme de légitimation, est souvent brandie quand il est question de violence dans les fictions jeunesse, soumises à l’injonction morale de protection et d’éducation. En même temps, le constat est aujourd’hui unanime d’une omniprésence de la violence, dont l’exposition est accélérée par le numérique, comme les vidéos de tabassage ou à caractère pornographiques qui circulent largement sur les portables des élèves. Par « respect du lecteur 43 », la littérature jeunesse ne peut pas ne pas adresser ces réalités sociales pourtant difficiles à regarder (en face), tant pour l’adulte que pour l’adolescent·e.

Si le roman ado a traditionnellement proposé des personnages d’enfants victimes de violences, au sein de la famille ou à l’école, les personnages d’enfants bourreaux ne font leur entrée que plus tardivement dans les corpus jeunesse, dans un souci de réalisme, afin de ne pas édulcorer les univers des histoires racontées 44. Plus encore, la violence en littérature jeunesse est souvent mise en récit au moyen de dispositifs énonciatifs dédiés à la prise en charge de l’ambivalence du message : une économie narrative polyphonique peut ainsi inciter les jeunes lecteur·rice·s à mieux déterminer les conséquences des actes (violents) des différents personnages et/ou narrateurs. Cet aspect est, selon D. Delbrassine, déterminant, car il met « l’accent sur le processus qui a mené à la violence et sur les conséquences à long terme de celle-ci 45 ». La formation et l’initiation des lecteur·rice·s est en jeu, dans la proposition d’une « réflexion en profondeur tout en évitant le prêchi-prêcha moralisateur 46 ». Ce parti pris est explicite dans Amok, où la double énonciation crée d’emblée un effet de mise à distance ambigu dans le processus d’identification, favorisant une interrogation subjective sur les événements racontés.

Dans le roman comme dans le film, la violence est partout et protéiforme. Le quotidien au lycée est rythmé par des scènes de tabassage et d’attaques verbales entre lycéen·ne·s ou à l’égard des enseignant·e·s. Garçons et filles sont concernés, victimes de harcèlement et, partant, auteur·rice·s d’agressions, dans un amalgame de défense et d’affirmation de soi. Ce qui étonne dans Amok, c’est la froideur tout à la fois des coups portés et des mots pour les dire. Comme pour signifier la défaillance ou la vulnérabilité des liens interpersonnels, l’écriture est directe, atonale, créant une impression généralisée de neutralisation des affects :

 

Les coups pleuvaient, tout simplement. Non, pas simplement : t’as veillé à ne pas frapper sa tête. Seulement les bras. Le dos et les jambes. […] Vingt fois, tu l’as frappé. […] T’as compté les coups. À voix haute. T’as dit à Daniel de compter, lui aussi 47.

Je le bouscule facilement. Un coup dans le dos suffit pour le faire tomber à genoux. Puis un coup de pied et il est allongé au sol. Je le saisi au col de sa veste et le soulève un peu. Il enlève les mains de son nez. Une grosse flaque de sang. […] Le gars glisse presque tout seul hors de sa veste 48.

 

La dépersonnalisation des actes commis est ici soutenue par l’alternance énonciative entre la première et la deuxième personne. Si la violence est dite, les conséquences sont souvent tues, alors que les causes deviennent lisibles : la réponse à une insulte ou à une blessure de l’estime de soi est bien sûr démesurée, mais elle exprime un besoin de réparation d’un sentiment originaire de rupture du lien à l’autre 49, né des négligences, tant matérielles qu’émotionnelles, vécues à l’enfance. Plus généralement, le récit interroge aussi les limites de la socialisation à et par l’école : la bienveillance des enseignant·e·s et éducateur·rice·s sous-tend leur impuissance face au mal-être des deux protagonistes marginalisé·e·s. Ainsi, quand on demande à l’auteur, outre son expérience d’enseignant en classe mosaïque, la raison qui l’a poussé à écrire ce texte, la réponse est lapidaire : « […] on leur doit bien ça 50 ».

 

3.1 Cologne ou le lit-cage de la violence

Dès les premiers chapitres, la ville de Cologne est nommée comme épicentre de l’histoire de X 51. Ce n’est pourtant qu’à l’avant-dernier chapitre que l’épisode est raconté, dans un long monologue du protagoniste pendant le trajet vers le parc d’attraction. Il se confesse à Shirley, après leur première nuit d’amour, tandis qu’elle dort. Pendant huit mois, vers l’âge de deux ou trois ans, X a vécu à Cologne auprès de son père – son « géniteur 52 », comme il le répète plus volontiers. C’est sur ordonnance du tribunal que la mère récupère finalement l’enfant qui a été abandonné des heures, parfois des jours entiers, dans son lit-cage, avec à portée de main un bol de chips et de chocolat Kinder ainsi qu’un biberon de coca. Son pied était attaché au radiateur, pour éviter qu’il tombe en voulant grimper hors du lit, précise X, sans se rendre réellement compte du cynisme du raisonnement 53. Or, c’est ce détail qui va générer la métaphore corollaire de la chute et de l’envol qui file tout le récit. En tentant de sortir du lit, l’enfant bascule la tête première, retenu seulement par le bandeau attaché au pied qui lui évite de se fracasser le crâne et lui permet de remonter la barre du lit, avant de retomber violemment sur le matelas souillé, où il s’évanouit 54. À son réveil, l’alter ego Johnny Chicago est assis en face de lui : c’est lui qui l’a délivré de la violence subie et qui en même temps va le livrer à la violence agie, annulant progressivement les sentiments d’empathie pour autrui au profit d’une quête de soi motivée par un instinct de survie jamais tari depuis Cologne. Cet épisode, raconté sous forme d’analepse, recèle les causes du comportement marginal et violent de X et dont les conséquences sont discutées dès l’incipit. Le récit suit X dans cet engrenage de la violence – sa chute au cours de laquelle alternent les positions de victime et de bourreau, au gré du rapport de domination entretenu avec son alter ego, ange gardien et démon à la fois.

 

3.2 L’envol des adolescent·e·s ou les conduites à risques

La métaphore filée de la chute et de l’envol est matérialisée par la brûlure – autre acte de violence – que Shirley inflige à X en écrasant son mégot sur l’omoplate du jeune garçon 55. Elle répètera ce geste en l’embrassant lors de leur nuit de débauche 56. X maintient ces blessures à vif en grattant les croutes pour que les cicatrices deviennent plus visibles. De ces deux béances pousseront des ailes, d’abord larvées dans le récit, où elles sont comparées à des « Chicken Wings 57 », magnifiées dans le film par des images sublimables d’immenses ailes d’ange immaculées 58. Dans les deux versions, les ailes symbolisent la transformation du protagoniste, son envol vers son moi qui s’affirmera aussi dans son rapport ambivalent à la violence. À son réveil à l’hôpital après son coma – scène de réveil en miroir de celle après la chute dans le lit-cage –, Johnny Chicago incite X à s’enfuir en faisant explicitement référence aux ailes qui lui poussent dans le dos : « Tu n’es plus le même..., plus tout à fait le même... Tu dois faire quelque chose 59... »  X prend alors son envol : « C’était comme voler. C’était presque ça. Ou comme planer, plutôt. Pas longtemps. Même pas une seconde à chaque fois. Mais c’était ça. Comme voler. Et ça faisait du bien. Là, derrière, dans le dos. Ça titillait 60 ». L’énonciation vire alors au « je » et met en branle la course effrénée de X pour se libérer, lui et Shirley, du joug du système. Si la métaphore des ailes, en articulant l’envol à la chute, s’alimente de la tension entre les pulsions de vie et de mort qui caractérisent l’adolescence, elle convoque aussi les conduites à risques liées à l’exploration des limites – notamment de l’existence – à ce moment charnière de la vie. David Le Breton relie ces phénomènes à un état de souffrance dont certain·e·s adolescent·e·s, par ces comportements, cherchent à se défaire :

 

Les conduites à risque sont d’abord des tentatives douloureuses de se mettre au monde, de ritualiser le passage à l’âge d’homme. Recherches de limites jamais données ou insuffisamment étayées, ce sont des formes de résistance contre la violence du sens issue d’une famille (manque d’amour, rejet, indifférence, indisponibilité, conflits, abus sexuels, violences physiques) ou, à l’inverse, surprotection, indifférenciation et/ou de la société (compétition généralisée, précarité, exclusion, etc.). Ce sont des manières de forcer le passage en brisant le mur d’impuissance 61.

 

Les propos de l’anthropologue entrent fortement en résonnance avec Amok, où ces conduites sont associées à un sentiment de vertige généralisé qui submerge les jeunes, sujets à des troubles du narcissisme qui appellent « un sentiment d’insignifiance, de vide, de ne pas exister, etc. Le chemin n’est plus jalonné de significations et de valeurs, et le sol se dérobe sous les pas. D’où ce sentiment de chute 62 ». La recherche du vertige et l’expérience du trouble suscité peuvent alors créer une confusion entre le jeu et le réel, les conduites à risque mettant souvent en jeu l’existence des jeunes, car « s’“éclater”, rappelle Le Breton, c’est aussi exploser, voler en éclats, déchirer son enveloppe pour le meilleur et pour le pire 63 ».

Dans l’épisode de la nuit de débauche – amok est l’anacyclique de koma, sous-entendant l’altération de conscience dans laquelle se trouve X –, la consommation d’alcool et de drogues désinhibe les comportements, en particulier sexuels, chez les filles. Le vertige, créé par la fulgurance des sentiments d’ivresse et d’excitation mêlés, donne la nausée au protagoniste : « Sa langue s’enfonce profondément dans ta gorge. La cigarette perce ton épaule. L’épaule droite, cette fois-ci. T’as la nausée. T’as chaud. Tu ne bouges plus. Tu exploses. Sans bouger 64 ». Le terme « exploser » peut être compris littéralement, X se réveillant couvert de son vomi, mais renvoie au figuré à une démission de soi, voire de la vie, en l’occurrence et heureusement temporaire.

 

3.3 « Ta mère, c’est une pute ? » : le sens des mots ados

Si le passage à l’acte induit des actes de violence contre autrui ou contre soi-même, il doit également être associé à la violence verbale, tant agie que subie, en ce qu’elle traduit une faillite du langage. Tantôt provocation, dans une revendication d’affranchissement des normes sociales et éducatives imposées par les adultes, tantôt jeu entre pairs, quand l’échange verbal permet de créer un entre-soi, les jeunes sont « plurilingues dans leur langue 65 » et ont parfaitement conscience de ces différents registres. Quand le gros mot dérape néanmoins vers l’injure, la fonction perlocutoire – souvent l’intention de rabaisser l’autre – reprend le dessus.

Dans Amok, la difficile mise en mots du vécu et du ressenti des jeunes se traduit par une surenchère de gros mots et d’insultes qui soulignent leur mal-être : « l’irrespect serait alors une demande forte de respect, c’est-à-dire une demande de reconnaissance et de sécurisation quand l’estime de soi vacille 66 ». Régulièrement Johnny Chicago rappelle à X les mots de sa mère, le qualifiant d’« accident » : « Un accident qui lui a pourri la vie. C’est ta mère qui le dit. Mais uniquement quand elle est en colère. Pas forcément contre toi, mais en général 67 ».

Dans cette période de « bombardement pulsionnel 68 », une préférence est accordée dans le langage ordurier au registre sexuel, pour permettre une mise à distance des bouleversements liés à la découverte du rapport (sexualisé) au propre corps et au corps de l’autre. L’emploi des termes « pute » et « putain », dans le livre comme dans le film, est révélateur de ces jeux de mots et de langage maniés au quotidien par les jeunes, souvent dans l’incompréhension des adultes, parents et enseignant·e·s. Ainsi, « putain » sert généralement de ponctuant désémantisé, systématiquement accolé aux noms des enseignant·e·s 69. Dans une fonction expressive ou impressive, l’emploi massif du terme « pute » met en perspective la présence importante de la violence sexuelle ainsi que la représentation sexualisée des femmes qu’elle implique. Les garçons du lycée s’échangent des vidéos porno qu’ils regardent en cachette. Shirley, à treize ans, a déjà eu plusieurs expériences sexuelles, pas toujours consenties, avoue-t-elle à demi-mot 70. Quand sa professeure la rappelle à l’ordre en raison de ses tenues jugées « vulgaires », elle rétorque qu’elle n’est plus une enfant et lui crache à la figure, ce qui lui vaut le renvoi en classe mosaïque où elle rencontre X 71. Comme évoqué ci-dessus, dans le film, la mère de X se livre à des activités de cyberprostitution qu’elle ne cache pas à son fils. Celui-ci est, dans les deux versions, ouvertement exposé à la vie sexuelle de sa mère qui multiplie les partenaires, si bien que c’est parce qu’un camarade de classe dit que « seul un bus ne lui est pas encore passé dessus 72 » que X le tabasse et atterrit en classe mosaïque. Johnny Chicago aussi parle souvent d’elle en ces termes et X acquiesce. Dans l’image de la pute convoquée, aussi bien dans le récit que dans le film, se joue le lien à la mère et la représentation défaillante de son rôle auprès de son fils.

Shirley est également qualifiée de « pute » par Johnny Chicago, parfois sur le ton joueur de la connivence, parfois sur un ton désobligeant, comme pour réparer l’amour-propre de X en heurtant celui de la jeune fille. Une fois encore, la violence, en l’occurrence du langage, se perçoit comme un mécanisme de défense : « Elle se la joue toujours pute et cool... Mais au fond qui est-elle ? Un petit bébé ! 73 ». Dans le film, ce n’est que quand X tient tête à Johnny Chicago en défendant Shirley contre les injures de ce dernier qu’il parvient à se libérer de son alter ego et d’échapper à la fin tragique que lui réserve le roman.

Or, c’est dans une autre scène clé des deux œuvres que le mot « pute » est véritablement resémantisé. Lors de leur virée en ville, alors qu’ils sont éméchés, Shirley emmène X sous les arbres, à la lisière du parc, où elle s’agenouille pour entamer une espèce de rituel ou de prière en mémoire à sa mère décédée d’une overdose à cet endroit 74. Après avoir raconté le sort de sa mère à X, elle lui demande sur un ton totalement franc : « Ta mère, c’est une pute 75 ? », ce à quoi Johnny Chicago réagit :

 

Celui qui demande un truc pareil, tu l’exploses. Normalement. Parce que normalement, c’est pas une question. C’est pour se foutre de ta gueule. Et ça, tu ne le supportes pas. Justement parce que Sandra en est une, de pute. Ok, ok, disons, une petite pute. Une salope. Une slut, comme ils disent dans tes films 76.

 

La (dé)gradation dans la qualification révèle l’ambivalence de l’emploi du terme et la fragilité des représentations à la fois de la femme et de la mère auprès de ces jeunes égarés. Car, dans la suite de leur échange, Shirley raconte, sans détour, que sa mère à elle, était bien une « pute » :

 

Ou presque… Enfin pas vraiment. Elle n’a pas baisé… Un ou deux mecs peut-être... Tu comprends ? Pas ça… Mais elle les branlait… Ou les suçait parfois… Tu comprends ? Pour l’argent. Ou pour un shoot direct. C’est ça l’héroïne, tu comprends ? Ma mère était junkie. Accro à l’héro. La voix de Shirley trébuche d’enthousiasme. Comme si elle était fière… C’est vrai que c’est plutôt ouf, hein ? Pute et accro à l’héro ! Toujours mieux que trainée alcoolo... Car y a vraiment pas de quoi se vanter de Sandra 77.

 

La violence du langage, par son outrance et les registres, témoigne de la violence des rapports à l’autre que ces jeunes vivent, à la maison comme à l’école, et qui ébranle le système de valeurs communément partagé par la société. Cette radicalité, défendue par l’auteur, constitue un obstacle à la réception du texte, dont il est par ailleurs parfaitement conscient :

 

Amok est un roman qui est très peu (pas du tout ?) lu par les jeunes qui ressemblent aux personnages du roman. Et ceux qui le lisent (jeunes et adultes de la classe moyenne, « cultivée ») sont la plupart du temps atterrés par ce qu’ils y découvrent. Je me rends compte que j’ai écrit un roman classiste, « à l’insu de mon plein gré 78 ». 

 

Paradoxalement, l’entrée du roman dans les programmes scolaires, en Allemagne et au Luxembourg 79, pourrait contribuer à remédier à ce hiatus en associant le titre aux romans qui assument plus légitimement ces sujets et formes d’expression. Le pari est ainsi pris que la littérature constitue pour les jeunes un « instrument privilégié de la découverte de l’intime parce qu’elle est le lieu de prédilection des mots 80 ». Le roman remplit alors sa double mission de formation : si les protagonistes révèlent, notamment à travers la violence du langage, leur résistance à dire le(ur) monde, une mise en mots et en récit est néanmoins reçue par les lecteur·rice·s. Cette ambivalence du texte, comme dénonciation et catalyseur de la violence, est revendiquée dans l’épilogue, qui est loin d’être une fin heureuse.

 

3.4 L’épilogue : amok/koma ?

L’épilogue se place clairement sous le signe du passage à l’acte ou, comme préfère le nommer David Le Breton, de l’« acte de passage », qui exacerbe la propension à l’agir des adolescent·e·s : « L’agir est une tentative psychiquement économique d’échapper à l’impuissance, à la difficulté de se penser, même s’il est parfois lourd de conséquences 81 ». Toute l’intrigue et le comportement des protagonistes s’inscrivent dans une telle fuite en avant. La métaphore de la chute et de l’envol est à nouveau convoquée par le vertige permis par les manèges du parc d’attraction, où la peur se mêle à la jouissance, pour éprouver encore les limites de son existence 82 :

 

Quelque chose se fissure dans mon dos. Non, tout se fissure. Je les vois. Par le coin de l’œil. Grandes. Immenses. Et blanches comme la neige. Elles battent en rythme. Elles m’arrachent de mon siège. Du wagon. Encore un ou deux battements et la barre qui nous retient va rompre. Et je vais m’envoler. Nous allons nous envoler. Si grandes et si fortes… Elles nous porteront tous les deux 83.

 

La dernière scène se déroule dans la file d’attente d’un train fantôme (dans le livre) ou d’un grand huit (dans le film). Dans les deux cas est figuré un embarquement vers une destination inconnue. Les policiers sont aux trousses des deux jeunes. Shirley quitte X, sort de la file d’attente et court droit vers les policiers. Pour se rendre ? Son geste reste inexpliqué. Johnny Chicago quant à lui réapparaît, comme pour signifier l’échec de l’émancipation de X. Dans le livre, il le provoque, en l’incitant à monter dans le wagon du manège, pour un dernier tour de sensations fortes :

 

– […] T’es qu’un con. Pense au pistolet.

– Ce n’est qu’un…

– … jouet. Je sais. Ça ne fait rien. Dès que t’es là-haut, tu dégaines… Et tu le pointes sur les flics en criant très fort Putain de branleurs !... Ou quelque chose dans ce genre…

– Et puis… ?

– Et puis tu verras…

– Ça fait… mal ?

– Un peu… Mais pas longtemps… Enfin, si t’as de la chance…

– Je… ne peux pas… faire demi-tour ?

– T’es fou ? T’as vu cette file ? Et le prochain wagon, il est pour toi ! Non, il y a même encore de la place dans celui-ci. Ici, à l’arrière. Monte vite ! C’est cool, non ?

– Et… toi ?

– Ah, non ! Je déteste ça ! J’attends. Près de la sortie. Et n’oublie pas : le plus long train fantôme du monde ! Sans les mains ! Ouaaahhh 84 !

 

C’est à l’aune de ce dénouement potentiel que se lit en puissance le titre du roman : Amok, dans le sens figuré tiré de la locution anglaise « to run amok » ou allemande « Amok laufen », désigne une situation qui dégénère, une perte de contrôle absolue, mais, en l’occurrence, il s’agit plutôt d’un suicide voilé.

Le film préfère terminer sur une séquence plus légère et une fin ouverte : tandis que Johnny Chicago s’installe dans le wagon du grand huit, X lui lance « [Shirley] n’est pas une pute 85 », avant de s’extirper de la foule, de s’enfuir puis de disparaître derrière les montagnes russes qui tournent jusqu’au générique de fin 86. Cette fin anti-climatique renonce donc à l’élan (auto)destructreur du livre, contribuant à une représentation estompée de la violence dans l’adaptation cinématographique.

 

Conclusion

En croisant différentes approches, la présente contribution a souhaité analyser l’articulation des faits de violence à leur mise en récit, puis en images, afin de mieux cerner la dimension anthropologique que les auteurs confèrent ainsi à leurs œuvres. D’une part, les conséquences de la violence subie par le protagoniste pendant l’enfance le mènent à élaborer des mécanismes de défense au risque de nier sa propre identité. D’autre part, le langage souvent cru et violent explore le besoin d’expression à l’adolescence, dans une tension constamment entretenue entre acte et parole.

L’économie narrative du roman, notamment à travers la double énonciation et le registre de langue, interroge les ressorts proprement littéraires du roman adolescent à travers les stratégies de tension et de proximité déployées. La scolarisation du roman visée par la traduction allemande et le dossier didactique tente de déplacer cette expérience de lecture forte au sein d’une communauté de lecteur·rice·s en formation, montrant ainsi qu’au même titre que la littérature jeunesse, l’école se doit d’intégrer les formes et représentations de la violence et des vertiges adolescents. Atteignant un public plus large, l’incarnation à l’écran de ces deux jeunes à la dérive, dans une mise en scène à la fois rêveuse et solaire, souligne l’ambivalence d’un optimisme nécessaire ou inhérent à la culture jeune.

 

  1. « – An den Aasch geféckt ze ginn. An den Duschen. Wat soss ? » Tullio Forgiarini, Amok. Eng Lëtzebuerger Liebeschronik, Luxembourg, Editions Guy Binsfeld, 2011, p. 9. Sauf indication contraire, les traductions sont de Tonia Raus et de Sébastian Thiltges.
  2. Pour une présentation de l’auteur, voir Nicole Sahl, « Tullio Forgiarini », Dictionnaire des auteurs luxembourgeois, mise à jour du 12/01/2023, https://www.autorenlexikon.lu/page/author/763/763/FRE/index.html.
  3. La citation, traduite en luxembourgeois par T. Forgiarini (« “ Um Aufank war d’Angscht ”, sot ech. » Tullio Forgiarini, Amok, op. cit., n. p.) est prononcée par Jakob Bronsky, narrateur et protagoniste du roman autobiographique Fuck America. Les aveux de Bronsky d’Edgar Hilsenrath (traduit de l’allemand par Jörg Stickan, Paris, Attila, 2009 [1980 pour l’édition originale]). Le récit retrace la vie débridée, dans un ghetto new-yorkais, d’un jeune écrivain juif en proie à l’indicible de son expérience de l’holocauste qu’il tente de raconter dans son premier roman.
  4. Michela Marzano, « Violence », in David Le Breton et Daniel Marcelli (dir.), Dictionnaire de l’adolescence et de la jeunesse, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2010, p. 875.
  5. Ibid.
  6. D’après Trois essais sur la théorie sexuelle de S. Freud (1905) cité par Michela Marzano, « Violence », op. cit, p. 878.
  7. Correspondance avec Tullio Forgiarini, 22/01/2023.
  8. Michela Marzano, « Violence », op. cit., p. 879.
  9. Daniel Delbrassine, Le Roman pour adolescents aujourd’hui : écriture, thématiques et réception, Créteil et Paris, SCEREN-CRDP de l’académie de Créteil et Centre national du livre pour enfants, 2006, p. 367.
  10. Correspondance avec Tullio Forgiarini, 22/01/2023.
  11. Voir le livret non paginé accompagnant le DVD : Donato Rotunno, Baby(a)lone, Luxembourg, © Iris Productions, 2015.
  12. Ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle, « A67 Règlement grand-ducal », Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, 25/03/2009, https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/rgd/2009/03/25/n3/jo
  13. « – An den Aasch geféckt ze ginn. An den Duschen. Wat soss ? / Dat hues du net gesot. Du hues et geduecht. Well ech et geduecht hunn. An ech hätt et och gesot. Mee du net. Net well s du dech net getraut häss, esou eppes ze soen. Schlisslech hues de dem Här Krämer schonns Houere Wichsert ! nogebirelt an der Madame de Matos gesot, si soll hir Mam fécken. Neen, du häss problemlos der Madame Steines kenne soen An den Aasch geféckt ze ginn. An den Duschen. Wat soss ? Virun allem, well d’Madame Steines Educatrice ass. An si sech ni opreegt. Bal ni », Tullio Forgiarini, Amok, op. cit., p. 9.
  14. Correspondance avec Tullio Forgiarini, 22/01/2023.
  15. Ibid. C’est T. Forgiarini qui souligne.
  16. Voir à ce propos Matthieu Letourneux, « Le roman d’aventures, un récit de frontières », p. 34-51, in Isabelle Nières-Chevrel (dir.), Littérature de jeunesse, incertaines frontières, Paris, Gallimard Jeunesse, 2005.
  17. Daniel Delbrassine, Le Roman pour adolescents aujourd’hui : écriture, thématiques et réception, op. cit., p. 287 sq.
  18. Id., p. 330 sq.
  19. Id., p. 128-133.
  20. Id., p. 241.
  21. Id., p. 237.
  22. Voir la notion de « unreliable narrator » forgée par Wayne C. Booth, The Rhetoric of Fiction, Chicago, University of Chicago Press, 1983 [1961].
  23. Tonia Raus, « La parole intérieure comme indicible. sou wéi et net war de Claudine Muno : un roman d’initiation pour adolescents », [à paraître], in Tonia Raus et Sébastian Thiltges (dir.), Peut-on tout leur dire ? Formes de l’indicible en littérature jeunesse, Presses universitaires de Bordeaux, coll. « Études sur le Livre de Jeunesse », [2023].
  24. Brigitte Louichon, « Objets sémiotiques secondaires (OSS) », p. 169-172, in Nathalie Brillant Rannou, François Le Goff, Marie-José Fourtanier, Jean-François Massol (dir.), Un dictionnaire de didactique de la littérature, Paris, Honoré Champion, p. 169.
  25. Andreas Barth, « Zum Lesen verlocken Arena – Neue Materialien für den Unterricht », Arena Verlag GmbH, sans date, https://www.arena-verlag.de/artikel/leben-nehmen-978-3-401-60570-8. La traduction italienne paraît quant à elle dans la catégorie « jeunes adultes ». Correspondance avec Tullio Forgiarini, 22/01/2023.
  26. « Auf einen kommerziellen Erfolg im Buchhandel haben wir weniger gesetzt, dazu war der Text zu speziell. Aber wir haben sehr drauf gesetzt, dass Schüler*innen und Lehrer*innen sich für einen authentischen Text in der Schule begeistern können, der aus dem üblichen Kanon heraussticht. Da es zusätzlich eine Verfilmung gab, die man mit Untertitel anschauen konnte, setzten wir auch darauf unsere Hoffnungen. Denn die mediale Verbindung schien uns sehr reizvoll für den Einsatz in der Schule », Correspondance avec Nikoletta Enzmann, 27/01/2023.
  27. « Ein Schulversager bekommt eine Stimme : Er hat keine Chance gegen das System », Tullio Forgiarini, Leben. Nehmen., Luc Spada (trad.), Würzburg, Arena Verlag GmbH, 2020, 4e de couverture.
  28. « On en a discuté. C’était leur proposition [de titre]. J’étais d’accord » Correspondance avec Luc Spada, 14/12/2022.
  29. Correspondance avec Tullio Forgiarini, 22/01/2023.
  30. « – Et ass ëmmer alles esou einfach fir iech. Dir wëllt an dann hue… » Tullio Forgiarini, Amok, op. cit., p. 95.
  31. « Et ass alles ëmmer esou einfach fir iech. Dir wëllt alles, direkt an ouni Effort. Ass dat esou ? » Donato Rotunno, Baby(a)lone, op. cit., 01:09:31-01:09:36.
  32. Daniel Delbrassine, Le Roman pour adolescents aujourd’hui, op. cit., p. 183.
  33. « Le film l’a fait [= censurer aussi bien le langage que certains épisodes du roman] et c’était également une demande de l’éditeur allemand », Correspondance avec Tullio Forgiarini, 22/01/2023.
  34. « Après consultation de l’éditeur d’origine, nous avons soigneusement réduit, dans certains passages, les déclarations drastiques et l’accumulation d’expressions fécales, car nous soupçonnions déjà que cette langue sans fioritures serait un obstacle pour l’enseignement. » « Nach Rücksprache mit dem Originalverlag haben wir einige Passagen behutsam in den drastischen Aussagen und der Häufung von Fäkalausdrücken reduziert – wir ahnten schon, dass die ungeschönte Sprache eine Hürde für den Unterricht sein würde », Correspondance avec Nikoletta Enzmann, 27/01/2023.
  35. « Ech hat Amok jo scho gelies a wosst, dass et e Jugendbuch war. […] Ech gouf tatsächlech gefrot vun Arena, ob ech mol dat eent oder anert “haart Wuert” kéint eraus huelen. Do hat ech och mol eng kleng Diskussioun, dass ech et am Sënn vum Auteur a vun der Geschicht wéilt iwwersetzen. Ech war konsequent dogéint, dass et manner haart iwwersat gëtt. Ech hunn awer da mol hei an do dat Wuert “ fécken ” oder änlech Wierder rausgeholl. Awer dann éischter, well et a meng Iwwersetzung grad net gepasst huet. Net fir et méi soft ze maachen. Also jo, hei an do misst ech mol diskutéieren, fir dass d’Buch esou “ roh ” an “ hart ” bleift, wéi et ass. […] An ech mengen och, dass d’Schoullektür “ léiere muss ”, dass “ déi Jugendlech ” mat all deenen “ béise Wierder ” souwisou vertraut sinn. An een dann och doriwwer schwätze muss, wéi se a wisou se agesat ginn. An der Literatur an eben och am reale Liewen. Beispill : Ech war absolut net domat averstanen, dass d’Buch ouni “ In den Arsch gefickt zu werden ” ufänkt. Si haten dat ze krass fonnt. Mä sou ass d’Geschicht eben. Wann een dat net wëll, muss een eng aner Geschicht iwwersetzen », Correspondance avec Luc Spada, 14/12/2022. C’est L. Spada qui souligne.
  36. Hans-Heino Ewers, « Kinder- und Jugendliteratur – Begriffsdefinitionen », p. 3-12, in Günter Lange (dir.), Kinder- und Jugendliteratur der Gegenwart. Ein Handbuch, Baltmannsweiler, Schneider Verlag Hohengehren GmbH, 2011, p. 4-8.
  37. Correspondance avec Tullio Forgiarini, 22/01/2023.
  38. Voir notamment la comparaison des scènes finales dans notre sous-partie 3.4. L’épilogue : amok/koma ?
  39. Donato Rotunno, Baby(a)lone, op. cit., n. p.
  40. Voir notre sous-partie 3.1. Cologne ou le lit-cage de la violence.
  41. Donato Rotunno, Baby(a)lone, op. cit., 00:12:13-00:13:56.
  42. Daniel Delbrassine, Le Roman pour adolescents aujourd’hui, op. cit., p. 271.
  43. Id., p. 317 sq.
  44. Id., p. 322.
  45. Ibid.
  46. « Du hues einfach drageschloen. Neen, net einfach. Du hues opgepasst, en net um Kapp ze geroden. Just d’Äerm. D’Been an de Réck. […] Zwanzeg Mol hues de drageschloen. […] Du hues matgezielt. Haart. Du hues zum Daniel gesot, hie soll matzielen », Tullio Forgiarini, Amok, op. cit., p. 17.
  47. « Ech brauch net vill Kraft, fir en ëmzewerfen. E Coup an de Réck, an en ass op de Knéien. Dann nach eng mam Fouss, an e läit um Bauch. Ech huelen e beim Kolli vun der Jackett an hiewen en e bëssen op. Hie léisst d’Hänn vun der Nues. En décke Pull Blutt. […] Den Typ rutscht bal vum selwen aus der Jackett » Id., p. 44.
  48. « L’agressivité (du latin adgredior, aller vers, se rapprocher) est un franchissement du territoire de l’autre (physique et symbolique) mais aussi une tentative de rapprochement et de contact », Claudine Moïse, « Gros mots et insultes des adolescents », La Lettre de l’enfance et de l’adolescence, n° 83-84, 2011/1, « Sales et méchants ! », p. 29-36, p. 33.
  49. « […] wir sind ihnen das schuldig », Tullio Forgiarini cité par Andreas Barth, « Zum Lesen verlocken Arena – Neue Materialien für den Unterricht », op. cit., n. p.
  50. Voir p. ex. Tullio Forgiarini, Amok, op. cit., p. 30.
  51. « Erzeuger », id., p. 105.
  52. Id., p. 106.
  53. Tullio Forgiarini, Amok, op. cit., p. 104-108 ; Donato Rotunno, Baby(a)lone, op. cit., 01:17:49-01:19:01
  54. Tullio Forgiarini, Amok, op. cit., p. 24.
  55. Id., p. 57.
  56. Id., p. 68.
  57. Donato Rotunno, Baby(a)lone, op. cit., 00:50:36-00:51:19.
  58. « Du bass net méi deeselwechten..., net méi ganz deeselwechten... Du muss eppes maachen... », Tullio Forgiarini, Amok, op. cit., p. 69.
  59. « Et war wéi Fléien. Ähnlech. Oder wéi Schwiewen op alle Fall. Net laang. Mol net eng Sekonn all Kéiers. Mee et war awer dat. Eppes wéi Fléien. An et huet guttgedoen. Hannen am Réck. Gekribbelt an esou », Id., p. 70.
  60. David Le Breton, En souffrance. Adolescence et entrée dans la vie, Paris, Éditions Métailié, 2007, p. 19.
  61. Id., p. 17.
  62. Ibid.
  63. « Seng Zong buert sech déif an deng Strass. D’Zigrett buert sech an deng Schëller. Déi riets, dës Kéier. Et gëtt dir esou schlecht. Et gëtt dir esou waarm. Du beweegs dech net. Du explodéiers. Ouni dech ze beweegen », Tullio Forgiarini, Amok, op. cit., p. 57.
  64. Claudine Moïse, « Gros mots et insultes des adolescents », op. cit., p. 32.
  65. Id., p. 33.
  66. « Just en Accident. En Accident, deen hiert Liewe verschass hätt. Seet deng Mamm. Zwar nëmmen, wann se rosen ass. Net onbedengt mat dir, mee am allgemengen », Tullio Forgiarini, Amok, op. cit., p. 32.
  67. Jean-Pierre Durif-Varembont, Patricia Mercader et Christiane Durif-Varembont, « Violences en milieu scolaire et banalisation du langage. L’ouverture des médiations de la parole », Adolescence, n° 311, 2013/1, « Devant la métamorphose », p. 95-106, p. 99.
  68. Par exemple « déi houer Molitors », Tullio Forgiarini, Amok, op. cit., p. 18.
  69. Id., p. 111.
  70. Id., p. 22.
  71. « Just de Bus wär nach net driwwer gefuer. » Id. p. 16.
  72. « Et mécht ëmmer op Pute an op cool an esou..., a wat ass et? E klenge Bébé! » Id., p. 41.
  73. Id., p. 48.
  74. « Ass deng Mamm eng Houer ? » Id., p. 49.
  75. « Deen esou eppes freet, dee schléis du vreckt. Normalerweis. Well normalerweis ass dat keng Fro. Normalerweis ass dat Veraarschung. An esou eng Veraarschung verdréis du net. Ebe well d’Sandra eng ass. Eng Houer ! Ok, ok..., soe mer, eng kleng Pute, Eng Schlamp. Eng slut. Wéi se an denge Filmer soen... » Ibid.
  76. « Ma... meng Mamm ass eng..., war eng. Oder ba .., also keng ganz richteg. Si huet net gebuppt mat... een, zwee Typen oder esou... Verstees de ? Dat net..., mee si huet hinnen ee gewichst..., och emol e geblosen..., verstees de ? Fir Suen. Oder direkt fir e Fix... Dat ass Heroin, verstees de ? Meng Mamm war nämlech Junkie ! Heroinjunkie ! Dem Shirley seng Stëmm iwwerschléit sech vu Begeeschterung. Iergendwei stolz schéngt hatt ze sinn... Et ass och iergendwei voll krass, hä ? Houer an Heroinjunkie ! Emmer besser wei versoffe Klont... Well mam Sandra kanns du dech definitiv net bretzen… » Id., p. 50.
  77. Correspondance avec Tullio Forgiarini, 22/01/2023.
  78. Au Luxembourg, cette entrée se fait grâce à l’intégration de l’incipit d’Amok dans une anthologie de textes destinée au cours de luxembourgeois : Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse et SCRIPT, Reader Lëtzebuergesch fir 4C a 4G, Luxembourg, SCRIPT, 2021, p. 70-71.
  79. Annie Rolland, Qui a peur de la littérature ado ?, Paris, Éditions Thierry Magnier, 2008, p. 74.
  80. David Le Breton, En souffrance, op. cit., p. 19.
  81. David Le Breton, Conduites à risque, Paris, PUF, « Quadrige », 2013, p. 158.
  82. « Am Réck bascht eppes. Neen, alles fiert op. Ech gesinn se. Just aus dem Aewénkel. Grouss. Riiseg. A schnéwäiss. Si schloen am Takt. Si rappe mech aus dem Sëtz. Aus dem Weenchen. Nach een, zwee Schléi, da brécht d’Staang, déi eis hält. Da fléien ech eraus. Da flée mir eraus. Esou grouss a staark..., déi packen eis zwee... », Tullio Forgiarini, Amok, op. cit., p. 115.
  83. « – […] Du bass esou en Aasch ! Du hues jo nach emmer d’Pistoul… / – Et ass just… / – … eng Spillpistoul: Ech weess. Dat mécht näischt. Wann s de ukenns, dann zitts de s’eraus... An da riichs de se op d’Flicen. An da bierels de ganz haart Dir houer Wichser !… oder esou eppes ähnleches… – An dann... ? / – An dann wäerts de schonns gesinn… / – Deet et… wéi ? / – E bëssen…, mee net laang. Also, wann s de e bësse Chance hues… / – Kann…, kann ech net... ëmdréien ? / – Bass de verréckt ? Hues de déi Schlaang gesinn ? An den nächste Weenchen ass fir dech ! Neen, et ass esouguer nach Plaz an dësem ! Hei, ganz hannen. Klamm séier eran ! Wei cool ass dat, hä ? / –  An..., an du ? / – Ah, neen ! Ech haassen dat ! Ech waarden. Beim Ausgang. A vergiess net: Déi längste eeschterbunn vun der Welt ! Ouni d’Hänn ! Ouni d’Hänn ! Wouaaahhh ! » Id., p. 122.
  84. « Et ass keng Pute », Donato Rotunno, Baby(a)lone, op. cit., 01:20:41.
  85. Id., 01:28:50-01:30:32.